The Multiversity

[Hera Familia]

Titan Marbilisse toussa - et elle ne le fit pas qu'une fois. Quelque chose était resté coincé dans sa gorge, et ça la gênait comme une piqûre de moustique. D'une griffe longue comme une colonne, elle se gratta le cou au risque de se l'écorcher. Mais sa peau était souple et robuste ; son sang n'en coula guère. La monstruosité fusionnée secoua lourdement la tête. La voix de Marmelade n'était pas très agréable à entendre. En fait, cela en devenait même énervant...

- J'En Ai AsSeZ dE CeT EnDrOiT !

Alors pour exprimer son mécontentement Marbilisse releva la tête et, tel Godzilla en personne, cracha dans le ciel une impressionnante gerbe de flammes ! Un gros nuage cotonneux, qui flottait par là, fondit instantanément. Son liquide sucré dégoulina sur le visage du titan. Marbilisse avala tout, ravalant sa façade avant avec une langue longue comme pas permis ! Ce ne fut malheureusement pas suffisant pour la rafraîchir...

- PlUsS ! ToUjOuRs PlUsSsS ! EnCoRe PlUuUuSsSs !

La garde royale n'eut pas l'occasion de lui picoter les orteils ; elle mourut en plein milieu de son caprice, les pieds nus du titan tambourinant sur eux à un rythme profondément débilitant.
C'est alors que le bras du titan, manipulé par la pensée de la simple Marmelade, pointa une direction plus agréable.
Tout là-bas s'amoncelaient d'imposants bananiers.

- MiaRmH !

Marbilisse déploya ses grandes ailes membraneuses et s'envola ! En plus de balayer toute opposition, son départ ravagea le peu de ce qu'il restait encore du château. Le titan dragon-en-sucre n'y prêta aucune attention, dévorant plutôt la distance qui le séparait de son nouvel objectif.

- EnFiiIiiIiNnN !

Son vocabulaire était limité - beaucoup plus que d'habitude. Un autre détail qui ne l'empêcha point de se goinfrer. En commençant bien sûr par déboucher cette fiole déguisée en banane avant de la vider d'une traite ! La terrible Marbilisse fit un sort à d'autres de ces bienfaits avant de tomber sur une sorte de soldat, qu'elle mastiqua par inadvertance.

- Pouark ! TROP FerReUX.

Elle grimaça. Mais le mangea tout de même. Le met suivant fut le plus étrange d'entre tous, car il trouva le moyen de lui glisser entre les doigts et de se mettre à cavaler le long de son bras comme un insecte ! Cette banane là avait été contaminée par un parasite. Elle n'était pas très belle et...

- ReViEnS Ici ! Arrête de courir, je te dis !

C'était normal comme réaction : elle lui courrait après - et à quelle vitesse !
Titan Marbilisse la suivit sans faire attention vers où elles se dirigeaient. Le parasite avait-il conscience de foncer en direction du château en ruine ?
Probablement que non.

- Comment as-tu osé ?!

Marbilisse faillit bien s'arrêter.
D'où provenait donc cette voix à la fois colérique et familière ?

- Hey ! Je te cause, saleté de sac à main ambulant !

Armée de sa rapière, la minuscule silhouette féminine fendit l'air. Le cuir de Marbilisse se creusa de plusieurs entailles avant de se résorber comme par magie. Soudain incommodé, le titan cessa tout mouvement et abattit son regard sur l'enquiquineuse de service.
En plissant les yeux, la Spirabilis la reconnut tout de suite :

- Chantalya, grogna-t-elle d'un ton amer.

- Tu as détruit notre château et ingurgité Sa Majesté ! l'accusa l'appelée. Pour tout cela, tu viens de signer ton arrêt de mort, abominable mastodonte !

Le titan n'avait plus rien à faire du parasite en fuite. Son regard de feu était resté braqué sur la bretteuse, qu'elle brûlait d'une irrépressible envie de bouloter.

- L'heure de la vengeance à sonné ! rugit-elle.

- Oh que oui ! Ce duel sera ton dernier, lui renvoya Chantalya.

Place à la bagarre entre deux entités hors-normes ! Formée par la sorcière Ebony, celle qui ne brillait point par sa taille n'en possédait pas moins certains avantages.

[Marmelade]

Ça avait été trop cool ! Sa moitié dragonne avait craché des flammes dans les airs et des sortes nuages marshmallow étaient tombées directement dans leur gosier ! Ah ah !

Et puis après elles avaient toutes les deux manger des bananes. Enfin elles avaient bu des bananes. Et ça avait été bon. Mais ça ne suffisait pas. Surtout qu’il fallait courir après les bananes maintenant. Et courir donnait soif. Et ça creusait aussi l’estomac. Ca revenait à supprimer toutes les liquides de nuages sucrés et les bananes boissons avalées. La perspective d’avoir ripailler pour rien nourrit la colère de Marmelade. Surtout celle du titan en elle qui partageait ses caractéristiques avec un dragon.

Enfin, tout ça c’était le passé. Et Marmelade, même en description, écrivait très peu au passé. Il fallait revenir au présent. Conjuguer à l’air de maintenant et faire des choses. Pas trop réfléchir. Et en même temps, la Chantalya l’intéresse pas trop. Elle est importante. Mais davantage pour Bilibilisse que pour Marmelade. Alors quoi, elle se dit Marmelade, pendant que Chantalya parle et qu’elle écoute pas. Mais elle agite son cure-dent et ses sourcils sont dans une position pas contente. Marmelade en conclue avec un soupir de pensée qu’elle veut se battre. Mais elle peut pas se battre contre Titan Marmelade qui peut encore penser et qui est en plus amalgamé avec un dragon. Elle ne sait pas ce que veut dire amalgamé. Ca la plonge dans un effort de réflexion. Ce doit être grâce à Bilibilisse qu’elle utilise un mot savant. Ou à force d’écouter Maman Lissandre et Maman Fönn ? Peut-être. Elle ne sait pas.

« Quand vous aurez fini toutes les deux, Marmelade voudrait vraiment rentrer à la maison et revoir ses deux mamans. Et aussi les bébés de ces mamans. Marmelade veut bien les présenter à Bilibilisse et les autres. Mais il faut partir d’ici. »

Chantalya s’agite au-dessous. A la vue de sa bouche qui s’ouvre et se ferme, elle doit encore parler. Mais elle si petite et si loin. Ou alors Marmelade sans fiche vraiment. Elle penche la tête vers elle. Et puis elle tourne la tête vers Bilibilisse. Pas vraiment. Plutôt la Marmelade esprit qui est collée à la Bilibilisse esprit. Si on doit représenter leur fusion pour donner lieu à une sorte de conversation rapide.

« Bilibilisse combat Chantalya. Elle gagne, forcément. Et ensuite Marmelade et Bilibilisse s’en vont d’ici. J’aime bien l’endroit. Mais je veux vraiment revoir mes mamans. Et toi aussi tu dois t’inquitér pour ta famille, oui ? Alors combats-la. Ou alors on la prend avec nous et on jouera avec elle plus tard. Elle est rigolote quand même. Ou importante ? Pas pour moi. Pour quelqu’un d’autre ? Pour Maman Lissandre ? Je ne sais pas. Fais ce que tu veux. Mais je te laisse faire. Je regarde. Ok ? »

[Hera Familia]

L'esprit d'Aynaëth ne s'attarda pas sur les désirs enfantins de sa colocataire. Le combat avec Chantalya avait commencé, et ses pensées étaient toutes braquées dans cette unique direction ; plus que de retourner chez elle par elle ne savait quel moyen, la simili-dragonne nourrissait l'espoir de vaincre cette minuscule petite peste pendant que Marmelade les regardait.

- Prends ça !

Bien sûr, le titan dragon chercha d'abord à noyer son adversaire dans un insupportable torrent de flammes. Mais la duelliste ne se laissa pas prendre au piège, usant de sa taille comme de sa vitesse ahurissante pour se soustraire à ce danger. Marbilisse ne s'en rendit pas compte tout de suite. Elle ne bita son échec qu'au moment où une ligne de pâte brisée accrocha ses lèvres, les forçant à se refermer autour du vomi ardent.

- GHRMPf !!!

Cette muselière, la géante cornue se l'arracha de la bouche ! La chose était collante, bien fixée, mais elle ne ressentit aucune douleur et mâcha même ladite entrave avant d'émettre un rot absolument monstrueux en direction de Chantalya. Cette frappe, aussi odorante que sonore, la fit décoller violemment du sol.
En vue de la rattraper au vol d'une gifle bien sentie, Marbilisse leva une de ses énormes pattes.

- Je vais t'écrabouiller comme un moustique !

Si seulement elle n'avait pas perdu de temps à annoncer son geste...
Malheureusement pour la colossale héroïne, Chantalya se propulsa dans les airs, son fleuret prisonnier de ses deux mains, et la transperça d'une traite ! Opération spectaculaire qu'elle reproduisit, en différents angles, un nombre tout aussi impressionnant de fois.

- Tu n'es qu'un gruyère fait pour être bouffé, rugit-elle d'une voix multidirectionnelle, amplifiée par sa magie en activité.

Secouée d'un côté de l'autre, bousculée par saccades, Marbilisse, trouée de partout, chancela sur plusieurs pas.
Il y eut un léger laps de temps avant que le dernier coup ne se fasse. Un intervalle au cours duquel Chantalya avait rugi :

- Et ta place est sur la table à manger !

Cette ultime frappe fulgurante creusa le front du titan. Mais cette fois-ci, la chair élastique ne céda pas totalement ; elle s'étira de façon complètement disproportionnée, bien loin derrière son crâne, s'arrêtant à l'extrême limite de son point de rupture. Marbilisse faisait la grimace. Une grosse et vilaine grimace qui indiquait qu'elle forçait comme une malade pour ne pas récolter un énième trou en travers du corps - et ici, de la cervelle.

- AGRUNNNNNNNNNNNNNNHGGGH...

- Mais... je suis coincée dans sa tête ?!

Comment était-ce possible ? Se pourrait-il que la pointe de son fleuret enchanté n'arrivasse point à percer cette ultime couche slimesque de désespoir ?
Les yeux énervés de Marbilisse regardaient dans deux directions opposées. Toutes les fibres de son être étaient tendues à craquer.
Dans cet état, elle avait vraiment l'air d'une folle furieuse !

- ...PFOUH !!! finit par lâcher la fusion.

Bien incapable de déchirer cette paroi, Chantalya repartit brutalement en arrière à une vitesse plus ou moins équivalente. Piégée dans une gangue gélatineuse, elle s'écrasa dans les ruines du décor, emportant dans son sillage quelques infortunées créatures qui s'y agglutinèrent.
Quand la disciple d'Ebony s'immobilisa enfin et rouvrit les yeux, elle tomba nez à nez avec l'expression morbide qu'arborait un cadavre autrefois si savoureux.

- Iiiiiiiiiiiiih !!!

Entre-temps, le titan avait remué le chaos de décombres qu'avait provoqué leur affrontement de démentes.

- Je t'ai trouvée, ronronna-t-elle sinistrement.

Sa griffe se referma autour de la "gélatinée". Chantalya, que la gangue mystique soulageait en grande partie de cette pression infernale, voulut se servir de son arme. Sauf que la lame du fleuret s'était cassée en deux.

- Im-impossible !

Et pourtant, c'était bel et bien le cas.
Marbilisse jugea enfin le moment opportun pour réfléchir aux suggestions de son autre moitié.
Chose incroyable : Marmelade s'était montrée décidément plus prévoyante que cette brute d'Aynaëth.

- Je pourrais la presser comme un citron jusqu'à ce qu'elle implose, commenta cette dernière. Ce serait rigolo de la transformer en compote de fraise !

Ensuite ? Elle la mangerait et, plus tard encore, la chierait.
Sous quelle forme ? Celle de la géante ou de la petite dragonne ? Marbilisse l'ignorait et ne s'en souciait pas beaucoup. Néanmoins...
L'air mitigée, elle secoua latéralement la tête.

- Tu m'as fait mal, tout à l'heure...

Cette entaille au flanc. Aynaëth en conservait un désagréable souvenir.
Marbilisse s'agita nerveusement, remuant une patte sur l'autre.

- C'est trop tôt, décida-t-elle. Je vais faire durer le plaisir avant de te croquer une bonne fois pour toute.

Chantalya se mit à hurler d'indignation. Le titan la fourra dans un repli de son corps moitié squameux moitié gélatineux, étouffant par ce biais ses vaines protestations.
Sadgyra aurait été fière d'apprendre son choix : cette cruelle et violente peau bleue qui la traitait avec discernement pour qu'elle puisse passer des heures et des heures dans son précieux coffre à jouets (sa cache aux trésors).
Où en était-elle, d'ailleurs, cette irresponsable ? En avait-elle terminé avec son déménagement ?
Aynaëth commençait tout juste à éprouver la même nostalgie que Marmelade. Si bien que l'expression du titan passa de la méchante joie à celui d'une lourde mélancolie...

[Marmelade]

Marmelade a rien dit. Elle a pas aimé la colère du Dragon. Parce que dire que c’est Bilibilisse, ça fait pas pareil. Dire que c’est le Dragon, ça met de la distance. Bilibilisse est gentille. Elle est l’héroïne. Le Dragon est un monstre mangeur de petite fille. Même si la petite fille fait des trous dans leur corps à toutes les deux. C’est pas grave. Enfin un peu quand même. Mais pas trop non plus.

Maintenant Chantalya est prisonnière de leur corps. Elle râle. Elle essaie de crier. Elle tape dans la paroi. Marmelade sait pas. Elle parle à qui ? La Chantalya pas contente ? Ou le Dragon pas content ? Ah. Le pas content est devenu autre chose. Ca fait écho avec son souhait de revoir Maman Lissandre et Maman Fönn et les enfants. Donc c’est à Bilibilisse qu’elle parle.

« Marmelade est pas contente. Le Dragon dit des choses méchantes. Le Dragon est même sadique, si c’est le bon mot. Il a dit qu’il allait transformer Chantalya en compote de fraise. On sait tous très bien que c’est pas de la fraise qui sortira de la purée de Chantalya. Et Marmelade veut pas voir l’intérieur de Chantalya. Mais le Dragon méchant, enfin Bilibilisse l’héroïne est ma copine. Et elle est donc plus importante que Chantalya. Quelque chose comme ça en tout cas. »

Il faut avancer. Alors Marmelade prend le contrôle du corps et des jambes et fait avancer les jambes.

« Marmelade pense qu’il faut redevenir deux. Bilibilisse pense moins bien quand elle est avec Marmelade. Elle est plus animale que l’être humain. Et on a toutes les trois besoin de l’être humain. Il faut son intelligence à elle. Marmelade sait qu’il faut avancer pour trouver un moyen de rentrer. Marmelade avance vers la ville tout là-bas. Elle se dit que comme dans les jeux à la télé, il doit y avoir une taverne. Ou un endroit où on peut faire des groupes de héros. Des gens avec des chapeaux pointus et des baguettes avec des étoiles au bout. Mais Marmelade mélange peut-être des choses. En tout cas, trouver un quelqu’un qui fait de la magie. Et de la magie qui fait rentrer à la maison. »

Il y a bien une ville tout là-bas. Comme une ville de taverne, d’auberge et de donjon. Mais à la sauce sucré et tout plein de couleurs. Même les murailles mettent en appétit Marbilisse. Ce sont des boudoirs ! Maman Lissandre les trempe dans le café. Mais le café c’est pour les adultes. Et dans cette grande ville, il y a des chances que des endroits pas possible apparaissent. Marmelade le sait pas. Mais il pourrait y avoir une porte en bois massif au centre de pierre. Et là c’est une Taverne avec une majuscule. Ou alors il peut y avoir un autre endroit qui apparait où il veut n’importe quand. C’est quoi alors pour faire la différence avec la Taverne ? Une Académie avec une majuscule, on imagine une tour. Mais la porte ? Ah ! Une porte en vitraux. Avec tout plein de couleurs. Forcément ! Mais pour cela, il faut entrer dans la ville. Et mieux vaut le faire pas grande. Et si elles sont pas grandes, alors elles feront la taille de Chantalya. Alors il faudra gérer Chantalya.

« Hmm… Marmelade réfléchit beaucoup et elle aime pas ça. Ca lui fait comme une douleur. Ou alors c’est comme un indice de maladie. Un sym… un saint… un si-peu-tome. Bref ! Marmelade veut pas grandir. Elle a peur de devenir une adulte. Même si un jour, pourquoi pas, elle veut bien se transformer en Maman Marmelade. Mais pas aujourd’hui. Pas tout de suite. Et il faut être toute seule. Enfin, il faut être séparée de Bilibilisse et de Chantalya. Et après il faudra être à deux avec un garçon qui a un zizi. Mais Marmelade veut pas de ça. Mais elle veut être toute seule et petite. Et trouver quelqu’un qui fait de la magie pour voyager à la maison. Et… et… Voilà ! Bilibilisse a tout suivi Marmelade ? »

[Hera Familia]

Marmelade lui faisait la morale. C'était inédit ! Aynaëth s'était immobilisée pour l'écouter, elle, son amie bizarroïde, plutôt que cette peste de Chantalya qu'elle avait rangée dans un repli de son corps gigantesque.

- Je suis un méchant dragon ? Alors que c'est elle qui a commencé ?

Titan Marbilisse s'était remis en marche. Sa partie draconique n'y était pour rien, ce qui ne pouvait signifier qu'une seule chose : Marmelade avait pris le contrôle de leur enveloppe. Cette passation de pouvoir implicite allégea automatiquement la conscience de l'Héroïne en herbe, qui put prendre plus de recul et mieux réfléchir à toute cette histoire.

- Marmelade a raison, soupira la Spirabilis. Oui : tu as raison, l'amie ! On va faire comme tu le sens, et prendre un petit de notre temps pour nous... nous décrocher ?

Il y avait une ville, pas très loin de là - enfin, "pas loin" par rapport à leur taille de géant. Marbilisse pouvait la voir en marchant. Elle s'étirait dans le paysage, haute en couleurs, s'y découpant de façon harmonieuse grâce à ses murailles en boudoirs.
Entre-temps, Marmelade parla de ses douleurs à force de trop réfléchir. De sa volonté de ne pas grandir - et probablement (implicitement ?) d'échapper aux ennuyeuses et pénibles responsabilités des adultes. Aynaëth décrocha au moment où elle pérora autour d'un "garçon" et d'un "zizi".

- J'ai tout suivi, mentit sa moitié draconique. Arrête-nous là. Comme tu l'as dit, il faut avant tout que l'on rétrécisse et que l'on redevienne comme avant.

Ce fut moins compliqué que prévu ! Titan Marbilisse étant calme, le processus de miniaturisation ne prit qu'un pauvre instant. Tout comme celui de la séparation entre Marmelade et Aynaëth. Chantalya se détacha d'elles, s'effondrant sur le cul. Elle mit plus longtemps à se redresser au milieu de ce duo de petites maboules, mais bien moins à leur montrer les dents.

- On va bien voir qui va croquer qui, maintenant, grogna-t-elle en se retroussant hargneusement les manches.

Aynaëth recula.

- J-je n'étais pas moi-même.

Elle recula encore alors que l'autre avançait, l'air menaçante.

- J'ai dit ça sous le coup de l'émotivité !

- VOUS ALLEZ PAYER CHER POUR AVOIR CASSÉ LE CHÂTEAU !

Et mangé le Roi, accessoirement. Mais Chantalya n'allait sûrement pas se fatiguer à leur dresser la liste de leurs méfaits. Elle voulait surtout, dans l'immédiat, les punir comme elles le méritaient si bien !

- Ah ! A-attends ! Je viens de me souvenir que j'ai oublié mon épée dans ses ruines !

- On s'en fiche comme d'une guigne, de ta foutue épée ! Toi, t'as bien cassé mon précieux fleuret !!!

- Je t'ai dit que je n'étais pas moi-même !

En détresse, elle regarda désespérément Marmelade :

- Dis-lui quelque chose, Marmelade ! C'est bien ton corps que nous avons partagé, non ?!

- Et c'est bien pour ça que je ne louperai aucune d'entre-vous !

La discipline d'Ebony voulut bondir sur Aynaëth pour l'étrangler de ses mains quand l'impensable se produisit. Des fils d'un vert fluorescent s'enroulèrent autour de sa silhouette, la saucissonnant sur place. Chantalya poussa un hoquet de surprise. Elle tira sur ces liens sortis de nulle part, mais cela n'eut que pour effet désastreux de la compresser davantage.

- Ouglurgh !?

- Je vous retrouve enfin, les filles.

Sadgyra Héra Anippe descendit lentement du ciel. Les doigts de sa main droite pointés vers Chantalya. C'était de ceux-là qu'émanait le Myst sous forme de fils étouffants.



- Tante Sadgyra ! claironna Aynaëth, des étoiles pleins les yeux. Comment as-tu fait pour nous mettre la main dessus ?

- Je me suis servie de ça, dit-elle en lui lançant son épée.

Bien qu'agréablement surprise, l'hybride draconique l'attrapa au vol. En revanche, elle n'avait pas l'air d'avoir tout compris.
La Pécheresse évacua un soupir désabusé.

- Qu'est-ce que tu t'imaginais ? Que je te l'ai offerte sans avoir une idée derrière la tête ? Pffh ! Ne sois pas si naïve. Ce trésor t'est liée, petite idiote. Et il se trouve qu'il répond très bien à mon Myst. Il m'a donc suffit de le récupérer pour ensuite te localiser. Rien de plus facile pour une femme de mon envergure.

Une pilleuse de tombes, oui !
Aynaëth, bien sûr, ne la considérait point aussi bassement.

- Merci, tante Sadgyra !

- Je t'ai déjà dit cent fois d'arrêter avec ce "tante", la réprimanda la Contractante avant d'attirer son attention sur Chantalya, qu'elle tenait toujours sous entrave. Bon ! Tu te décides à la trucider, celle-là ? C'est ton ennemie, après tout. Elle voulait t'attaquer non ? Tu ferais mieux de lui porter le coup de grâce.

En entendant cela, la discipline d'Ebony s'était mise à transpirer abondamment. Aynaëth croisa son regard. Il s'était vidé de sa colère et empli d'une peur suffocante. Il n'y avait plus trace de fierté chez cette petite duelliste. Elle avait peur, et seulement peur.

- ...

Et l'Héroïne en herbe, alors ? Que ressentait-elle en la voyant ainsi ? aussi vulnérable qu'en cet instant fatidique ?
Ses doigts étaient serrés autour du manche de Gyldinn. Sa lame dentelée brillant d'un éclat meurtrier.

[Marmelade]

Marmelade est surprise. Elle sait qu’elle peut devenir méchante quand elle est toute grande. Mais là, c’est la première fois qu’elle redevient toute petite aussi vite. D’habitude, elle se souvient pas trop de ce qu’elle fait quand elle est toute grande. Avec Bilibilisse, elle a plus de souvenirs. Mais pas trop non plus. La mémoire de Marmelade est pas top.

Les yeux sont plissés de Marmelade. C’est une expression que font les humains qu’elle a copié. Mais en vrai de vrai, ça ne l’aide pas beaucoup plus à réfléchir. Elle a du mal à suivre la conversation entre Bilibilisse et Chantalya. En fait, elle n’a peut-être pas envie de la suivre. Surtout que la Chantalya, elle HURLE, elle parle beaucoup et vite-vite-vite !

Et puis il y a une dame rousse qui descend du ciel. Et il y a des choses vertes qui enroulent et saucissonnent la Chantalya. Saucissoner ? Ce n’est pas un verbe qu’elle doit utiliser. Ce n’est pas une carnvirore, Marmelade. C’est une…sarkaravore ? Zuccherovore ? Sucrevore ? Elle sait pas comme ça s’appelle. Et elle pense aussi qu’il y a des gens tout habillés de vert qui font des tresses comme ça avec des anneaux. Il y a des brioches tressées aussi. Et ce ne sont pas des anneaux comme les bijoux de Maman Lissandre. Même si elle en porte pas beaucoup des bijoux quand même.

« Marmelade a pas tout suivi tout écouté. Marmelade s’est parlée avec elle-même, c’est pour ça. »

Elle plisse encore les yeux. C’est quoi le nom de la femme aux cheveux orange ? Elle se rappelle plus. Pas grave ! Elle lui en donnera un autre quand ça viendra, voilà tout.

« Il y a beaucoup d’émotions différentes dans les filles autour de Marmelade. Et personne ressent la même chose. Je crois que c’est nul. Pas parce que c’est pas bien d’être tous différentes. Mais parce qu’on ira pas dans la ville là-bas avec le bâtiment château-magique-arc-en-ciel. Après, Marmelade sait pas si la ville va l’aider à retrouver Maman Lissandre. En tout cas, Marmelade sait qu’il y a des problèmes. »

Elle se rapproche de Chantalya tout en vert.

« La Chantalya, elle a peur. Marmelade la connait pas. Mais une fille-patisserie peut pas être très méchante. Marmelade se demande si elle veut pas une nouvelle copine. »

Puis elle se rapproche de Bilibilisse.

« Bilibilisse, depuis qu’elle est plus toute grande, Marmelade pense que Bilibilisse pense trop. Elle sait plus comment faire avec tous les mots dans sa tête. C’est toujours plus simple quand on est toute grande-grande. Parce que la tête elle fonctionne plus. C’est libéra…lirabéteur… Un truc de liberté. »

Marmelade tapote avec affection les mains serrées sur l’arme. Puis elle s’approche de la dernière des filles.

« Toi je ne connais plus ton prénom. Et je crois que tu es toujours grognonne. Mais c’est pas grave. Ca arrive les gens comme ça. Et puis les gens peuvent changer. Peut-être que Marmelade va te changer ? En tout cas, Marmelade croit que si tu es là, c’est peut-être que tu vas pouvoir la ramener à sa Maman. Au pluriel. J’ai plusieurs mamans. Et mes mamans ont plusieurs bébés. Des bébés-grands aussi. Marmelade connaît pas les âges. Parce que Marmelade doit s’occuper de tous les bébés. Ca l’aide aussi à pas devenir très grande-grande et tout casser. Parce qu’on a cassé pleins de choses quand Bilibilisse et moi on a fait qu’un. Qu’une. »

[Hera Familia]

Marmelade qui se comporte en psychologique ? Etait-ce chose possible ? Eh bien, oui ! Tout le monde s'était immobilisé pour l'écouter - chacun à leur tour. Même Chantalya eut droit à son analyse, ce qui n'avait pas manqué de lui faire lever les sourcils. Naturellement, l'attitude de Marmelade avait arraché un soupir agacé à la Contractante, qui ne voulait pas se faire appeler tante par sa nièce d'adoption. Le visage de cette dernière parut légèrement s'éclaircir à son écoute.

- Comment ça, vous avez fait qu'une ? C'est quoi encore, cette histoire de fêlé ?

Elle n'avait pas laissé le temps à Aynaëth de répondre. Celle-ci eut d'ailleurs droit à un regard pressant.

- Bon ! Et toi, alors ? Tu vas me faire le plaisir de la découper, oui ou merde ?

La semi-dragonne dut prendre une grande inspiration pour se donner le courage de dire :

- Non.

Interdite, comme hébétée par ce qu'elle venait d'entendre, Sadgyra la regarda un instant sans rien dire.

- « Non » ? Comment ça, « non » ?

- Je n'ai plus envie de la tuer.

La Hera fronça les sourcils.

- Pas envie de la tuer ? (Elle contempla le paysage d'un air dégoûté.) C'est tout ce sucre dans l'air qui t'es monté à la tête ? Tu t'es transformée intérieurement en guimauve, ou quoi ?

Elle cracha aux pieds d'une Chantalya hagarde.

- Je crois que tu débloques, ma petite...

Puis elle lança un regard glaçant à sa prisonnière.

- Si tu ne te sens pas capable de le faire, je vais devoir m'en charger à ta place.

- Huumnnnggh !?

Sadgyra tira d'un coup sec sur ses fils magiques ! La logique aurait alors voulu que la fille-pâtisserie finisse son existence en tranches détachées. Mais la lame dentelée d'Aynaëth, bien plus vive qu'on ne l'eût crue possible, avait sectionné les liens mortels juste avant ce moment fatidique.
Chantalya, qui se débarrassait prestement du reliquat de ses entraves, en fut la première étonnée.

- Avec tout le respect que je vous dois, tante Sadgyra, vous ne la tuerez pas.

La démoniaque peau verte la toisait avec une certaine froideur.

- Et voilà que maintenant, tu m'empêches carrément de l'exécuter...

Fermant les yeux un court instant , elle émit un claquement de langue irrité.

- Tu es devenue très désobéissante, Aynaëth Spirabilis. A un tel point que j'en viens à m'interroger sur la pérennité de notre partenariat.

Confuse et un peu gênée, Aynaëth consulta du regard Marmelade et Chantalya.

- Euh... ça veut dire quoi, « pérennité » ?

Sadgyra se plaqua une main sur le front.

- Et en plus de ça, tu es devenue idiote ! Nom d'un bordel... qu'est-ce que je vais pouvoir faire de toi, hein ?!

Alors qu'elle s'énervait toute seule, Chantalya s'était approchée de l'héroïne en herbe pour lui glisser à l'oreille :

- C'est la continuité, ou la durabilité d'un contrat passé avec un tiers... ou même de quelque chose d'autre.

Aynaëth tourna la tête vers elle, sincèrement étonnée du coup de main.

- Ah bon ? Eh bien... merci.

Les mains rangées dans le dos, Chantalya s'écarta d'elle comme si de rien était. Mais il était trop tard : Sadgyra la pointait déjà d'un index vindicatif.

- Hé, toi ! Qui t'as permis de lui souffler la réponse ?!

La fille-pâtisserie ne lui dissimula pas sa surprise.

- Euh.. j-je... eh bien, comme elle m'a sauvé la vie, je me suis dit que... euh...

- La ferme ! la coupa la démone. T'es son ennemie, bordel ! La foutue disciple de cette satanée Ebony qui pue le diabète ! Alors tu te comportes comme telle pour qu'elle puisse avoir une bonne raison de te crever, c'est pigé ?!

- Certainement pas ! répliqua Chantalya. De la confiture de fraise a coulé sous les ponts ! On n'est plus obligées de se battre !!

- Va donc présenter ta thèse ridiculement enfantine à ta putain de boss ! (Moqueuse, Sadgyra croisa les bras sur sa poitrine.) Pfah ! Elle te rira au nez avant de te sceller comme mon imbécile de djinn.

- Maîtresse Ebony ne me ferait jamais ça !

- Tu parles ! Tu n'es qu'un instrument jetable à ses yeux...

- C'est pas vrai !

- Et moi ? s'enquit Aynaëth en fixant sa « tante ».

Sadgyra immobilisa son regard sur elle, craignant la suite.
Une boule coincée dans la gorge, la semi-dragonne dut se faire violence pour lui poser la question :

- C'est aussi ce que je représente à tes yeux ?

La démone détourna les yeux.

- Putain, grinça-t-elle. Vous vous êtes donné le mot pour me saouler, c'est ça ?

- ...

Aynaëth fit volte-face, s'éloignant du groupe.

- Hé ! Attends ! Mais tu vas où, comme ça ?!

- J'en sais fichtre rien, ronchonna la blessée aux joues gonflées. En tout cas, je te boude.

- Hein ? Tu me-... Reviens ici tout de suite, espèce d'ingrate !

Sa gardienne de trésor ne l'entendait pas de cette oreille.
Vraiment tout un spectacle pour doctoresse Marmelade !

[Marmelade]

Marmelade est trop contente. Bilibilisse veut laisser la Chantalya vivre. C’est une bonne chose.

Et puis il se passe des choses. Bilibilisse la regarde d’un air qui pose une question en silence. Marmelade comprend pas. Mais la Chantalya vient à son secours. Les deux deviennent des copines ! Marmelade a eu trop raison d’aider la Chantalya. C’est l’instinct qui lui avait comme parlé de l’aider la Chantalya. Et maintenant, et pour l’instant, c’est avec un mot compliqué.

Ah ah ! Et voilà que Bilibilisse boude parce que l’autre est méchante. Un grand sourire vient sur le visage de Marmelade. Et puis c’est Marmelade qui vient à l’autre qui se retrouve grognonne toute seule comme une idiote.

« Dis, Guiraguira. Ce n’est pas bien de parlé avec autant de gros mots. Là, ça peut aller, parce qu’il n’y a pas d’enfants. Mais ce n’est pas bien de parlé comme ça. Il faut faire un effort, d’accord. Si tu parles bien, je suis sur que Bilibilisse va arrêter de bouder. En fait, elle boude pas vraiment. Enfin si, elle boude. Mais elle t’aime bien. Elle était contente de te voir avant que tu ouvres ta boite à gâteaux pleine de gros mots, oui ? »

Après Marmelade la philosophe, Marmelade la pacifieuse ? Marmelade la diplomate ?

Marmelade rue sur la Chantalya pour lui faire un câlin. Pour elle aussi, elle a droit à un cadeau de son sourire.

« C’est bien la Chantalya ! Il faut toutes qu’on soit copine. Parce que c’est vraiment trop nulle d’être méchante les unes avec les autres. C’est quand même mieux de se partager des tartes que des tartes, oui ? Je veux dire, c’est mieux de se partager des tartes au citron meringué que des tartes de phalanges de cinq doigts, oui ? »

Marmelade prend ensuite la main de la Chantalya et elle se met à courir avec sa nouvelle copine en direction de Bilibilisse. Trop surprise, la Chantalya suit le mouvement pour se retrouver avec Marmelade qui prend sa main pour la mettre dans celle de Bilibilisse qui s’éloigne et qui boude.

« Ici, on fait pas de boudin. C’est un repas pour les grands à base de sang : berk ! Et puis la Chantalya, elle veut qu’on trouve un pont et qu’on goûte la confiture de fraise qui coule en-dessous. Ce serait juste bien qu’on trouve un croissant pour en mettre plein dessus. Parce que la confiture, c’est quand même mieux accompagné de quelque chose d’autre. En tout cas, c’est ce que Marmelade pense. Mais Marmelade aime aussi finir les pots pour les rendre tout propre. Et il arrive que le travail de nettoyage, il commence quand le pot est encore à la moitié remplie. »

[Hera Familia]

Dès l'instant où Marmelade reprit la parole, Sadgyra croisa les bras sur sa poitrine en la regardant de travers. Et voilà que la slime enfantine, en plus de lui avoir attribué un surnom stupide, la tournait en ridicule en la réprimandant pour son grossier langage ! La démoniaque Contractante n'en croyait plus ses oreilles en pointe ; comme si la logique de son monde avait commencé à s'écailler pour laisser place à une peau bien trop colorée à son goût.

- Gnah-gnah-gnah, « Guiraguira », pesta la Hera en prenant un air complètement idiot. Gnah-gnah-gnah, « Ta boite à gâteaux pleine de gros mots » ! Je t'en foutrais, moi ! Qu'une gamine pareille me fasse la leçon... tss ! Conneries de chez conneries !

Au moment d'initier une foulée en direction d'Aynaëth qui s'était éloignée, Chantalya manqua se faire renverser de surprise par l'incurable Marmelade ! Celle-ci, en lui distribuant un câlin, la mit dans une situation tout à fait inconfortable. Même en se servant de ses bras, la duelliste n'arriva pas à s'en défaire. En dépit de quoi elle s'était penchée autant que possible de l'autre côté.
Face à tant d'innocence, Sadgyra n'était manifestement pas la seule à passer pour une imbécile.

- J-je n'ai pas dit qu'on était copines !

- Et tu le fais bien, commenta la Hera qui, d'un œil torve, ne manquait rien de la scène.

Son attitude froide convainquit la disciple d'Ebony à se faire accompagner, main dans la main, par la femme-slime. Elles coururent à la suite de l'Héroïne en herbe. Quand elles furent parvenues à sa hauteur, Marmelade troqua sa place contre celle d'Aynaëth. Les deux jeunes femmes s'arrêtèrent pour se regarder, incrédules. D'abord droit dans les yeux, comme pour partager ce moment d'incompréhension et de surprise. Puis leur mirettes plongèrent muettement sur leurs doigts entrelacés alors que Marmelade, toute contente, leur débitait la moindre de ses pensées. Les anciennes adversaires se tinrent immobiles si longtemps, sans piper mot, que cela avait laissé largement le temps à la terrible rousse de les retrouver.
Reniflant ostensiblement l'air autour d'elles, Sadgyra leur demanda ensuite :

- C'est quoi, cette odeur mièvre et dégueulasse que je sens là ?

Elle ne leur laissa pas le temps de répondre.

- Une minute ! de la camaraderie entre ennemies ?

La démone se glissa entre elles pour les considérer tour à tour d'un œil critique.
Elle pouffa d'un rire mauvais !
Aynaëth et Chantalya se lâchèrent la main.

- Ce n'est pas drôle !

- Pour une fois, je ne peux que lui donner raison ! surenchérit la bretteuse.

La demi-dragonne plissa les yeux à son attention.

- Comment ça « pour une fois » ? Qu'est-ce que tu insinues ?

- Bah, que t'as pas inventé le chocolat chaud...

Choquée, Aynaëth la regarda avec de grands yeux. Puis elle fronça les sourcils avant de lui tourner le dos.

- Méh ! T'es aussi méchante que tante Sadgyra...

Lorsqu'une similitude entre ces deux peaux de vache lui vint à l'esprit, l'Héroïne en herbe n'hésita pas une seconde à balancer sournoisement à la plus démunie des deux :

- Vous devriez pourtant bien vous entendre ; vous avez le même caractère difficile.

- Hein ?! Attends... répète-moi ça ?!

Sadgyra n'en fut pas vexée pour un sou. Au contraire : leur petit accrochage lui laissait le champ libre.
Avec un petit sourire mauvais au coin des lèvres, la Contractante tapota « amicalement » l'épaule de Chantalya avant de lui souffler à l'oreille :

- La petite n'en donne pas l'air mais elle sait frapper là où ça fait mal, pas vrai ?

Sentant la menace qui perçait dans sa voix, la disciple d'Ebony s'était raidie sur place.
Tout en échangent un bref regard avec Marmelade, la Hera ajouta tranquillement :

- A ton avis, de qui tient-elle ses remarques désobligeantes, hm ?

Chantalya avait les pétoches et cela se voyait à ses tremblements nerveux. Alors, à choisir, plutôt que de rester avec cette meurtrière en puissance et de se condamner elle-même, la mousquetaire fila comme une flèche dans le sillage de la Gardienne !
Le vilain rictus sur le visage de Sadgyra s'éteignit aussi vite qu'il était apparu.

- Vous ne payez rien pour attendre, toutes les deux...

Si Aynaëth n'était pas capable de couper court à leur relation chancelante, la Pêcheresse l'aiderait à y voir plus clair.
A sa manière.

[Marmelade]

Marmelade sait pas trop si c’est bien ou pas. La Guiraguira qui l’imite et qui ne fait pas grand-chose au final. Bilibilisse et la Chantalya qui se chamaillent. C’est un moyen de montrer qu’on est copines parfois. Mais Marmelade est pas sure. Ça se renvoie quand même beaucoup la balle entre les trois autres. Alors elle croise les bras et les remonte un peu trop haut. Ce qui donne un aspect pas crédible. Comique car imitation des adultes. Elle essaie même de froncer sa bouille comme si elle est en pleine réflexion. Ce qui n’est pas vraiment le cas. Sa tête est remplie de parfums sucrés. Et son nez, et sa tête, tout est relité à son estomac. Bon, peut-être bien qu’elle est simplement un grand estomac à remplir. Et, là, justement, elle voudrait bien le remplir. C’est qu’il y a une ville juste à côté !

« Quand tout le monde aura fini de s’embêter les uns les autres comme les bébés Verrières, elles pourront toutes me retrouver quelque part en ville. Moi j’y vais ! »

Et sans attendre personne, Marmelade s’en va pour rentrer en ville. Et elle va y entrer la première. Rien à fiche de si la grande porte est gardée. Ils auront qu’à mettre leur pique dans son corps. Elle passe au travers. Et donc elle entre en ville. Elle ferme les yeux et fait un grand sourire.

« C’est que ça sent trop trop bon ! ♥ »

Elle ne parle à personne en particulier. Et là voilà déjà en train de se jeter sur la première pancarte colorée. Elle pousse alors un petit cri aigue de contentement. C’est qu’il n’y a pas d’entrée avec de petites choses mélangées. Pas de plat de résistance avec des morceaux de viandes tout mort et des légumes tout amer. Non, non et NON ! Marmelade peut passer directement au dessert ! Et manger rien que des desserts !

« Ce monde il est trop bien ! Je l’adore : ah ah ah ! »

Il y a une terrasse. Et des tables. Et des chaises autour des tables. Et elles sont de toutes les couleurs. Mais ça ne fait pas tout pauvre et cassable comme dans le monde de ses mamans. Là, c’est trop joyeux et trop trop bien ! Marmelade s’assoie sur une chaise. Elle a pris une rose. Parce que c’est la couleur que porte Maman Lissandre. Et aussi sa grande sœur Mélissandre. Mais c’est surtout la couleur de Maman Lissandre. Elle se demande si elle va commencer avec une grosse banana split quand des filles passent à côté.

Spinelle : « La pause est bientôt finie les filles. Il va falloir qu’on y retourne. »

La jeune fille a des cheveux aussi roses que la chaise de Marmelade et la combinaison de Maman Lissandre. C’est peut-être pour ça que Marmelade a oublié (temporairement !) sa banana split.

Lazuli : « Ca va mieux sinon tes cours ? Je parle de ceux de la magie rose. »

La Spinelle, elle devient toute rouge de joue et baisse les yeux de nervosité. Lazuli lui offre un grand sourire compatissant. Et puis Marmelade entend pas la suite. Parce que les jeunes femmes, il y en a plus que deux, mais Marmelade a pas compté. Et bah le groupe des élèves de toutes les couleurs continuent de parler en marchant.

[Hera Familia]

Marmelade avait pris les devants. Aynaëth se fit dépasser par la femme-slime, qui n'eut pas vraiment ce que l'on pourrait qualifier d'accrochage avec les gardes. Leurs piques ne lui firent aucun effet, traversant son corps gélatineux comme s'il était fait de liquide. L'Héroïne en herbe profita de l'effet de surprise pour, plutôt que de les occire, les assommer avec le pommeau de son épée ; les deux butors n'eurent guère l'occasion d'appeler du renfort.

- Vilains rustauds ! Pioncez un bon coup - faire de beaux rêves vous rendra peut-être plus aimables, au réveil.

Paniquée, Chantalya se chargea de ranger les corps à l'abri des regards indiscrets avant de revenir auprès de sa fausse copine. Elle jetait de fréquents coups d'œil dans son dos ; Sadgyra n'était pas loin, marchant à son rythme, ses mains plongées dans les poches de son pantalon ample. La bretteuse sentait toujours son regard mauvais planté entre ses frêles omoplates.

- Brrr ! Cette bonne femme est vraiment terrifiante, marmonna-t-elle. C'est elle qui t'a appris à te battre ?

- Pas vraiment. Tante Sadgyra m'a confié cette épée, mais ce sont surtout mes deux grandes sœurs qui m'ont appris à m'en servir correctement.

- Ah. Et elle vient d'où, cette jolie lame ?

- D'une grande tombe qu'elle a pillée avec tante Reshaa.

- Humpf ! Je me disais bien qu'elle avait une vilaine tête de fripouille, grommela Chantalya pour elle-même, avant de hausser un sourcil interrogateur à l'attention de son interlocutrice. Et c'est qui, au juste, ta deuxième tante ?

- Une djinn - celle que ta maîtresse a enfermée dans un énorme biscuit en forme de bonhomme.

- Ah oui, celle-là ! C'est pas de bol...

L'hybride draconique haussa les épaules.

- Maintenant que tante Sadgyra est de la partie, on va vite la retrouver, la libérer, puis donner une bonne leçon à ta méchante maîtresse ! Après tout, c'est elle qui est venue nous embêter la première. En plus, on a même pas eu le temps de lui rendre la politesse...

- Tu sais, je peux peut-être essayer de lui parler ? Maîtresse Ebony n'a pas pour habitude d'utiliser gratuitement sa magie ; vous avez forcément du faire quelque chose qui ne lui a pas plu.

- Monter d'odieux barbus tout moches comme s'il s'agissait de chameaux, ça compte pour quelque chose à ses yeux ?

- Je... ne suis pas très sûre de comprendre mais, dans le doute, je dirais que non.

- Alors il va falloir que l'on mette les choses au clair, trancha la Gardienne en pressant le pas.

Tandis que les deux petites pestes discutaient tranquillement de la pluie et du beau temps, la Pécheresse s'intéressait surtout aux activités de Marmelade. En plus de garder en elle un sombre pouvoir, cette drôle de fille était instable. Elle la vit s'installer à une table avant de l'entendre pépier de joie. Mue par la curiosité, son attention avait soudain basculer sur un groupuscule de jeunes femmes que Sadgyra trouvait un petit peu trop décontractées à son goût. Tout cette innocence lui donnait envie de gerber ! Aussi bouscula-t-elle Chantalya au passage avant de prendre place sur une chaise violette, face à Marmelade.

- Quelle brute ! lâcha la bretteuse en se massant l'épaule.

Sadgyra eut vite fait de la regarder de travers.

- T'as une réclamation à me faire, peut-être ?

- N-non... euh, si ! Vos cheveux bouclés sont magnifiques. I-ils me font penser à de la chantilly avec un... un gros zeste d'orange pressée ?

- Garde les lèvres closes ou je te les découpe. Tu arrives à me saouler à chaque fois que tu ouvres la bouche. Ça devient profondément détestable de t'entendre.

Chantalya se figea... avant de refermer la bouche et de gonfler les joues, vexée. Aynaëth la regarda faire avant de s'installer à côté de sa tante acariâtre. La duelliste ne l'imita pas, préférant rester debout, derrière elle, à tirer la tronche comme l'aurait fait un garde du corps.

- Tiens ! ces humaines sont des touristes ?

L'Héroïne en herbe les avait repérées, elle aussi. Son regard suivit le groupe.

- On devrait peut-être leur demander des renseignements, non ?

La Pécheresse eut un geste dédaigneux.

- Pfah ! Tu parles. Ce n'est jamais qu'un troupeau de pisseuses...

- Tu as peur de leur demander ? Pas grave, dit-elle en se levant d'un coup. Je vais aller le faire à ta place !

- Moi ? Peur de... hé ! Je ne t'ai pas donné la permission de... bordel ! Elle est pire qu'une sauterelle, à ne jamais savoir tenir en place !

La Hera frappa du poing sur la table. Chantalya s'écarta un peu de cette dernière, tournant son regard curieux vers Aynaëth qui eut vite fait de rejoindre le groupe d'élèves.

- Hé ! Une petite minute, s'il vous plaît ! Désolée de vous déranger mais, mes amies et moi, on voulait savoir d'où vous veniez comme ça ?

Plus timidement, avec tout de même un petit sourire aux lèvres, elle enchaîna :

- C'est pas tous les jours qu'on trouve des humains dans un endroit pareil, alors... on se demandait juste si vous étiez des habituées ?

Puis elle leur indiqua leur table, en terrasse, où Marmelade n'allait sans doute pas tarder à se goinfrer et où sa tante les toisait avec un mélange de méfiance et de colère à peine contenue.

- Si vous voulez, vous pouvez venir manger un morceau avec nous ? Allez, je vous en prie, soyez chics : ça nous permettra de causer un peu !

Sans grande surprise, Aynaëth s'avérait beaucoup plus sociable que sa « chère » tante.