The Multiversity

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

« Je suppose que je te dois des explications… Et avant de commencer, non, ne t’en fais pas, ta réputation n’est pas en danger. Shayne risque de trouver beaucoup plus drôle de me tourmenter avec cette façon de t’atteindre que de le faire. Et je ne pense pas qu’elle va te cibler si je ne suis pas dans les parages donc c’est une autre… Pseudo bonne nouvelle… Maintenant, une mise en contexte, j’imagine…

Tout commence avec ma créatrice. Jeannie. Pour faire une histoire courte, c’était une génie, du genre tu frottes la lampe et tu fais des vœux. Un jour elle a réussi à faire en sorte de devenir une déesse, elle a détruit son monde par colère et vengeance avant de tout réparer et de se dire qu’elle n’exprimerait plus jamais d’émotions négatives. Le problème dans son plan c’est que même les dieux, sur au moins certains aspects, sont comme les autres.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme? Il s’avère que toutes ces émotions négatives que Jeannie purgeait se sont accumulées au fil des siècles, donnant ultimement naissance à ma grande sœur, Shayne. Oh physiquement elle est plus petite que moi mais ne laisse pas son apparence te tromper. Shayne est un concentré de pures émotions négatives et de Chaos. À une époque, elle faisait régulièrement des crises de folie.

Cela la rendait plus facile à gérer. Mais depuis quelques années, elle est… Stable. Je ne sais pas comment ou pourquoi mais… Bref. Shayne veut tuer Jeannie pour passer de demi-déesse à déesse et au lieu d’être matériakinésiste comme moi, elle veut le pouvoir de manipulation de la réalité de notre créatrice. Incapable d’éliminer Shayne par elle-même, Jeannie m’a créé pour régler le problème, une arme vivante déployée contre le mal.

Le problème, c’est que Shayne s’en est rendu compte extrêmement vite et ne compte certainement pas me faire la vie facile. Il lui arrive donc de se mêler de mes affaires pour me pourrir la vie mais ce soir, je ne te mentirai pas : on a atteint tout un nouveau sommet et je le dis avec énormément d’inquiétude. Elle n’a pas hésité à déployer une horde de se cultistes contre nous ainsi que la pègre locale pour faire le sale travail pour elle…

Je suis sincèrement désolée de t’avoir mise en danger et je comprendrai parfaitement si tu décidais que tu ne veux plus jamais me voir. Je veux dire… Tu aurais pu mourir… Ou pire. Tu n’aurais vraiment pas voulu finir entre ses griffes. Quand Shayne est saine d’esprit, au lieu de faire exploser les gens en une fontaine de gore, elle les fait exploser en confettis colorés et inoffensifs. Ce qui veut dire que quelque chose a changé… »

Je ne dis pas que mon explication répond à toutes les questions mais cela répond certainement à plusieurs questions. Et je comprendrais parfaitement si elle me disait : Alix, je t’apprécie mais je n’ai pas signé pour devenir la cible d’une demi-déesse psychopathe. Parfaitement compréhensible, vraiment et si j’étais à sa place, j’aurais probablement la même réaction, pour vous dire la vérité. Une part de moi aimerait que Reika veuille donner une chance à ce que nous sommes en train de construire mais prioriser son propre instinct de survie, soyons honnêtes, est la seule réaction logique à considérer. J’ai du mal à m’imaginer ce qui pourrait la pousser à vouloir rester avec moi. Surtout que bon là je lui ai dit la vérité : je ne pense pas que Shayne va la cibler ou révéler ses secrets. Mais je ne peux absolument rien garantir. Et ça c’est la stricte vérité…

[Reika Shimohira]

Alors, Alix s’expliqua. Assise en tailleur sur son fauteuil, Reika l’écouta sagement et silencieusement. Ce qu’elle lui dit ressemblait à une histoire à dormir debout, ou à un conte. Une Déesse qui avait cherché à atteindre la perfection en s’expurgeant de ses mauvaises pensées, donnant naissance à Shayne… Oui, Reika était sûre qu’il devait y avoir quelque part des mythes autour de ça. Elle songea fugacement au dieu romain Janus, une divinité à deux visages, ou à ce roman anglais qui avait eu une notoriété mondiale, L’Étrange Cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde. Enfin, elle n’était pas sûre que Shayne soit un double maléfique de Jeannie, on aurait plutôt dit…

« Si je comprends bien… Vous êtes un peu comme les filles de cette Déesse, non ? »

Reika comprenait en tout cas un peu mieux les dilemmes moraux dont Alix lui avait fait part. Elle indiquait avoir été conçue comme une arme pour détruire Shayne, mais sans parvenir à ses fins pour l’heure. Au lieu de ça, Shayne semblait se renforcer, mais aussi être plus stable. Si Alix craignait que Reika ne prenne peur, c’était une toute autre réaction que Reika avait. Elle aurait pu croire qu’Alix lui racontait n’importe quoi, mais, comme l’idol girl le lui avait déjà dit, le fait qu’elle ait été tuée, puis ramenée à la vie, changeait ses perspectives. Quant à la peur de mourir… Maintenant qu’elle faisait partie des Gantzers, Reika défiait parfois la mort comme personne d’autre. Elle n’avait donc pas peur, mais elle était intriguée, étonnée par le discours d’Alix.

Elle but encore un peu.

« Tout ça me semble… Un peu trop simpliste. Non pas que ton histoire soit simple, Alix, mais, si Shayne est comme toi… Pourquoi seriez-vous foncièrement cantonnées chacune au rôle que votre mère ait eu envie de vous donner ? Enfin, je t’avoue que je n’ai encore jamais vu de dieux, mais, de ce qu’on en dit dans les contes, les Dieux font de biens piètres parents. Tu vois, je ne crois pas qu’on soit fondamentalement mauvais ou fondamentalement bon. Toi, tu as tes bons côtés, par exemple, tu es courageuse, et bien plus sensible que tu ne veux le montrer… Mais tu as aussi les défauts liés à ces qualités. Tu es tête brûlée, tu as tendance à te renfermer comme une huître et à paniquer très vite. Tes défauts te rendent toutefois encore plus adorable, même si tu n’en as pas conscience. Et cette Shayne… Franchement, je ne crois pas que ce soit un hasard si elle nous a attaqué alors que tu commençais à t’éclater au karaoké. »

Reika réfléchissait à voix haute, sans prendre conscience que ce qu’elle disait pouvait toucher Alix.

« Pardonne ma naïveté, mais… N’as-tu jamais envisagé l’hypothèse que Shayne puisse juste être… Jalouse… De toi ? Enfin, de ce que tu me dis, tu m’as tout l’air d’avoir reçu, si ce n’est l’amour, au moins l’affection de cette Jeannie, là où Shayne semble avoir été… Délaissée. Alors, je ne prétends pas connaître les Dieux, mais il me semble que nous avons tous besoin d’amour. As-tu déjà envisagé cette possibilité ? »

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

« Je doute très fortement qu’elle nous voit comme ses filles. Créations serait davantage exact. Même que si je suis honnête… Je me demande ce qu’elle va faire de moi si… Non. Quand j’aurai éliminé Shayne. Techniquement, je suis immortelle… Mais je ne me vois pas combattre le crime pour l’éternité. C’est une tâche terriblement ingrate et bien franchement, les lois humaines sont si… Hypocrites…

Mais revenons-en à ton hypothèse. Que Shayne soit jalouse. Non, je n’ai jamais considéré les choses sous cet angle… À cause de la nature fondamentale de Shayne. C’est un concentré d’émotions négatives et de Chaos. J’ai du mal à voir en quoi elle pourrait vouloir l’amour d’une entité qu’elle cherche à tuer. Je n’ai jamais entendu Shayne parler en bien de notre créatrice. Je n’ai jamais non plus senti qu’elle avait de la jalousie à mon égard.

Comme elle a un culte pour flatter son égo et que je la suspecte d’avoir quelqu’un dans sa vie depuis un certain temps… Mais la relation entre les deux m’échappe… Et j’ai failli trouver la vérité une fois mais elle m’a balancé à la gueule une sorte de garde du corps pour permettre la fuite de cette personne… Je ne sais pas. Honnêtement, je ne sais pas. Sa stabilité suggère une intervention divine ou de très haut niveau. Donc un mécène.

Pour le reste… Au risque de me répéter… Je ne sais pas… Peut-être? Et pourquoi elle est intervenue à ce moment précis… J’imagine qu’elle a été informée par un de ses espions de ma présence en ces lieux? Et qu’elle était curieuse de voir avec qui j’étais et ce qui se passait? Ce que je sais c’est que je veux te protéger d’elle. Tu n’as pas à être en danger par ma faute, à cause d’un conflit de famille… Dans lequel tu n’aurais jamais dû te retrouver… Oh et c’est la première fois, je crois, que quelqu’un dit que je suis adorable… »

Je fléchis les biceps, disons que la montagne de muscles que je suis ne se fait pas trop regarder comme étant adorable, plus… Intimidante, je dirais. Après bon, on me dira : c’est une question de perspective mais quand même… Je ne me suis jamais considérée comme adorable… Je n’aurais même jamais osé penser la chose ainsi. Je ne me considère pas féminine pour commencer alors adorable? Même pas en rêve. Mais bon. Mais bon. J’imagine que Reika me voit à sa façon et elle est capable de voir des choses que les autres sont incapables de voir. Ou alors j’agis avec Reika de façon différente des autres sans trop m’en rendre compte. Vraiment, je ne saurais pas dire avec certitude. Mais c’est… Je ne sais pas… Réconfortant? De ne pas être considéré comme juste une arme vivante, pas juste comme un tas de muscles non plus même si c’est, reconnaissons-le, mérité.

Je me surprends même à sourire malgré ma nervosité. Shayne… Bordel… Tu ne pouvais pas me foutre la paix une soirée? Est-ce que c’est son plan? Attaquer Reika pour me déstabiliser? Parce que j’aime autant vous dire que ça fonctionne mieux que je ne serais confortable de l’avouer. Est-ce que je devrais mettre fin à la relation… Je n’ai pas envie… Reika est capable de se défendre… Pas contre Shayne directement. Ça j’ai des gros doutes. Contre ses sbires, certainement. Et je ne pense pas que ma chère sœur irait sur le terrain juste pour tuer Reika quand elle peut le faire à distance… Et je ne pense pas qu’elle se rendrait jusque-là… La torturer peut-être, pour me forcer à agir de façon inconsidérée… Je… Pense que je vais laisser Reika faire le choix. Je n’ai pas la force de dire ce que je devrais dire, proposer ce que je ne veux pas proposer. Si elle se sent d’attaque… Et qu’elle veut continuer la relation… Je ne vais certainement pas dire non!

[Reika Shimohira]

Reika écouta donc Alix. Elle était assise sur son fauteuil, jambes croisées. Alix ne croyait pas à l’hypothèse de Reika, mais elle n’avait rien d’autre à proposer. Reika sourit doucement quand Alix lui indiqua qu’elle souhaitait juste la protéger.

« Pardonne-moi de te le dire franchement, Alix, mais je n’ai pas besoin d’une garde du corps. Je te l’ai dit, non ? Je suis déjà morte. Et je m’en sors pas trop mal. Ce que ta copine fait ne me change pas beaucoup de quand Gantz m’appelle, et que je dois stopper des invasions extraterrestres ou des menaces surnaturelles. »

Elle n’était pas dépaysée. Voilà bien une idol girl hors du commun !

« Mais revenons à ta chère Shayne. Tu sais, il existe un concept très connu dans la religion taoïste… Le yin et le yang. Tu connais le symbole, non ? C’est l’idée qu’il existe une dualité en toute chose, que chaque chose a son opposé. »

Une notion qui était largement extrapolée, car, à la base, ce concept était surtout utilisé en médecine chinoise.

« Ce serait compliqué de te résumer ça, donc, pour faire court, cette théorie prend, comme principe qu’il existe deux forces fondamentales qui régissent nos vies et nos choix. Le Yin, c’est la force douce, le Yang, c’est la force motrice. Le fait de lire est une activité Yin, par exemple, et le fait d’aller couper du bois est une activité Yang. Donc, nous sommes continuellement balancées entre ces deux concepts… Et cela vaut pour toi comme pour Shayne. »

Reika se redressa, et se releva, avant de marcher vers Alix.

« Le karaoké, c’était une activité Yin. Quand on a trucidé des Yakuzas, une activité Yang. Donc, toi, tu es clairement ‘‘force motrice’’ que ‘‘force douce’’, il suffisait de voir comment tu paniquais… Mais bref ! Si je te dis ça, Alix, c’est pour que tu comprennes que les individus ne se définissent pas par un seul aspect. Tu ne te définis pas que par tes muscles saillants. Si tu es faite de nuance, Shayne l’est aussi. Elle n’avait aucun moyen de savoir que tu étais là avec moi, je te rappelle que je suis plutôt du genre discrète. Moi, je pense que vous êtes toutes les deux liées. Alors, je ne sais pas pourquoi elle agit, mais le fait est qu’elle veut clairement que tu t’intéresses à elle, puisqu’elle a attaqué précisément au moment où tu étais avec moi, et où tu pensais à autre chose que taper sur tout ce qui bouge. »

Reika se rapprocha d’Alix, et s’assit finalement sur le canapé, à côté d’elle. Elle attrapa doucement sa main, et lui sourit tendrement.

« Tu veux me protéger, et c’est admirable de ta part… Mais tu n’as pas à porter le monde sur tes épaules. Moi, je pense que c’est plutôt à moi de te protéger… »

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

Je ne sais pas si j’adhère à la philosophie de Reika mais honnêtement, un, je n’ai jamais été philosophe, deux, je déteste me casser la tête et trois, j’aime les explications simples. Je suis la gentille. Shayne est la méchante. Ce qui est dangereux avec la théorie de Reika c’est que cela pourrait sous-entendre que malgré le fait qu’elle soit un concentré d’énergies négatives, inexplicablement, impossiblement, Shayne pourrait avoir du bon en elle. Une hérésie, si vous vous posez la question. C’est impensable. Voilà ce que c’est. Endoctrinement? Non. Ce serait purement et simplement l’effondrement de mes certitudes. Shayne ne peut pas avoir de bon en elle. Tout ce qu’elle fait, même si cela a l’air positif pour quelqu’un, est motivé, doit être motivé par un désir égoïste. Je ne peux accepter autre chose. Ce serait. Non. Non je ne veux même pas le considérer.

Également, que Reika le prenne si bien est… Bien… Même si c’est redondant à dire? Certainement pas rassurant car je me dis qu’elle sous-estime grandement Shayne mais sa détermination n’est pas ou ne semble pas être affectée. On va prendre toutes les bonnes nouvelles qu’on peut… Je dirais que c’est une sage, très sage décision. Vous pouvez contester. Je ne change pas d’avis. J’espère juste que cette confiance potentiellement mal placée ne sera pas quelque chose de fatal pour Reika. Elle est morte une fois, d’accord… Mais Shayne a sûrement un moyen de rendre la chose permanente. Et je n’ai pas envie de perdre définitivement Reika. Un jour peut-être, je ne pense pas qu’elle soit immortelle… Mais c’est un peu tôt pour penser à quelque chose qui va devenir problématique seulement dans quelques décennies. Un problème à la fois, je dirais. C’est plus réaliste. Par contre…

Quand elle me dit que c’est elle qui devrait me protéger, j’éclate de rire. C’est plus fort que moi. Elle. Me protéger. Moi. Avec mon physique musclé, ma force prodigieuse, mes capacités surhumaines. Elle. Me protéger. Elle a de l’humour, je dois lui donner ça. J’avais bien besoin de rire on dirait. Je ne sais pas si c’est naïf, mignon, une blague ou si elle est vraiment sérieuse. J’imagine que le demander est le plus sûr moyen de savoir. Et c’est ce que je vais faire d’ailleurs. Reika, me protéger de Shayne. Comme c’est présomptueux… Je ne dis pas qu’elle n’est pas douée, je dis que je doute qu’elle ait ce qu’il faut pour gagner contre Shayne. Mais bon, hein, on en a vu des choses improbables à l’échelle de l’univers. Mais je si je suis parfaitement honnête, je n’y crois pas du tout. Et je mentirais de dire que j’ai envie d’y croire. Je veux garder Reika loin de mes problèmes de famille.

« Toi? Me protéger, moi? Tu as tout un sens de l’humour, Reika. Je peux me prendre un tir de roquette en pleine tronche et m’en sortir sans dégâts significatifs. Je pense que je peux parfaitement me protéger toute seule… J’apprécie le sentiment, bien entendu. Mais je ne crois pas que ce soit réaliste, surtout si tu veux garder ta carrière d’idol séparée du reste. Connaissant Shayne, éventuellement, elle va tout balancer, la garce…

Et pour en revenir à tes observations philosophiques… Est-ce une si mauvaise chose de vouloir considérer le monde en noir et blanc? Shayne t’a attaqué par proxy via ses sbires et tu ne l’as jamais rencontré, tu ne lui as jamais fait de tort directement. Tu ne vas pas sérieusement croire qu’elle pourrait avoir une part de… Bon… En elle? C’est une dangereuse psychopathe. Ou sociopathe? J’ai toujours du mal à faire la différence… »

[Reika Shimohira]

Évidemment, l’idée que Reika puisse protéger Alix amusa beaucoup celle-ci. Reika la laissa rire. Elle-même était plutôt sérieuse. Elle percevait les lignes de faille chez Alix, elle les avait même perçues dès le début, dès leur première rencontre, quand celle-ci s’était énervée que Reika ne lui offre pas la reconnaissance qu’elle mérite. Alix évita toutefois d’insister sur ce point, mais elle savait qu’Alix manquait de confiance en elle. Qui pourrait encore en douter en voyant la manière dont elle avait paniqué à l’idée de chanter au karaoké ? Dès qu’on la sortait des sentiers battus, elle se mettait à paniquer. Elle ignorait la relation exacte entre Alix, Shayne et Jeannie, mais elle savait qu’Alix n’était pas parfaite… Et c’était très bien comme ça. La perfection n’existait pas, et c’était dans les défauts d’une personne qu’on trouvait ses qualités. Reika laissa donc Alix continuer à dire qu’elle la protègerait.

Alix évoqua ensuite de nouveau le cas particulier de Shayne. Elle revint sur l’idée saugrenue que Shayne puisse être plus complexe que Reika le pensait, et élargit la discussion en évoquant les psychopathes. Reika sourit doucement.

« Alors, pour la différence sémantique… Je t’avoue qu’elle est difficile à saisir, car le psychopathe et le sociopathe présentent tous les deux un trouble de la personnalité antisociale. Mais un psychopathe a un plus grand contrôle de lui-même qu’un sociopathe. Le premier est un maniaque du contrôle qui comprend le fonctionnement des conventions sociales, et qui s’y adapte comme un caméléon. Le deuxième, inversement, est beaucoup plus impulsif, et plus facilement décelable. Donc, si on devait raisonner avec ces termes psychiatriques, Shayne serait une sociopathe. »

Reika haussa les épaules.

« Cependant, je me garderai bien d’un jugement hâtif et manichéen. Seuls les enfants raisonnent en croyant que le monde est soit blanc, soit noir. La réalité est bien plus complexe. Moi-même, je me déguise avec une combinaison moulante futuriste pour découper des Yakuzas avec une épée. Alors, est-ce que tu me catalogues comme une méchante ou comme une gentille ? Parce ce que je fais est clairement illégal, tout autant que toi qui fracasses des crânes contre les murs. Et puis, tu as toi aussi tes défauts, Alix. Tu tremblais comme une feuille à l’idée de faire du karaoké. Ce défaut est aussi ce qui te rend très attachante. Tu n’es pas un bloc monolithique, Alix, tu es un être humain, avec tout ce que ça implique. Pourquoi est-ce que cela serait différent pour Shayne ?} »

Consciente qu’elle était sur un terrain glissant, l’idol girl poursuivit rapidement :

« Je ne cherche pas à la défendre, je cherche juste à… Comprendre ce qui la motive. Pourquoi s’en prendre à moi, si ce n’est par jalousie envers ce que tu ressens pour moi ? S’il y a une chose que nous, les Japonais, nous savons sur les liens du sang, c’est qu’ils ne s’effacent jamais. Et, pour ce que j’en sais, toi, Jeannie et Shayne, vous êtes liées par votre filiation à cette Jeannie. D’ailleurs, pourquoi vous avoir conçu ? Et, si Shayne était uniquement mauvaise, pourquoi est-ce que ta… Conceptrice… Ne s’en débarrasserait pas ? »

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

« Tu élimines des criminels. Ce que tu fais est donc bien. Ces yakuzas sont des parasites. Est-ce que tuer sans que ce soit autorisé est illégal? Oui. Si on le juge de cette façon. Est-ce qu’un médecin qui enlève un cancer est un criminel car il tue des cellules malignes? Non. Ce que tu fais est identique. Les cellules sont juste beaucoup plus grosses et le cancer infiniment plus vaste. Comment peux-tu même penser que…

Que tu puisses être autre chose qu’une gentille? Quand tu ne tues pas tu es une idol, tu inspires, tu réconfortes, tu es une présence positive dans la vie de milliers. Comment peux-tu douter de ce que tu es, même de façon hypothétique? On ne saurait trouver de certitude plus évidente. Tes méthodes ne sont pas douces, soit, mais tu obtiens des résultats plus efficaces que ces superhéros qui incarcèrent des criminels multirécidivistes. »

Non, mon opinion de la Justice League et autres héros qui arrêtent les criminels dangereux au lieu de les exécuter n’a pas changé. Et ne changera jamais. La sévérité du crime détermine si oui ou non le criminel en question a encore le droit de vivre. En ce qui me concerne, dès que « prendre un otage » ou « volontairement blesser quelqu’un » entre en jeu, la sentence est évidente mais bon. Je peux accepter certaines circonstances atténuantes… La plupart du temps. Suis-je une enfant car je vois davantage le monde en noir et blanc qu’avec des nuances de gris? Je ne suis pas tout à fait opposée à cette classification. S’il faut vous le rappeler, j’ai été créée d’un claquement de doigts à l’âge adulte, avec certains savoirs, certaines connaissance… Mais certainement pas avec une expérience de vie réelle derrière moi. Donc il me manque des années d’existence.

De véritable existence. Mais bon, on ne va pas se perdre dans ce genre de considérations. Si je dois être considérée comme une enfant car je penche plus vers le noir et blanc, soit. Je peux vivre avec. Peu flatteur, j’en conviens mais ce n’est pas parce que ce n’est pas flatteur que ce n’est pas vrai. Et je n’ai jamais prétendu à la perfection non plus. Oui, quand on me sort de ce pourquoi j’existe, je deviens anxieuse, nerveuse. Je me suis toujours considérée comme une arme vivante, amenée à la vie pour servir une fonction précise, un objectif au-dessus de tous les autres. Mais Reika me voit comme une personne. Et cherche à me sortir de ma vision en noir et blanc. Évidemment que sans le (ré)confort de mes certitudes, je commence à paniquer. L’inconnu fait peur. C’est une constante universelle. Ce qui est différent est potentiellement hostile, dangereux, après tout…

« Et je reste convaincue que Shayne voulait simplement me faire du mal, me priver de quelqu’un qui est comme… Une bouée de sauvetage, une lumière dans la nuit, quelqu’un pouvant amener une évolution chez moi. Si elle progresse et je stagne, elle finira par gagner. Si Shayne était jalouse de toi, tu serais morte. Elle n’aurait pas fait comme la reine dans Blanche Neige et envoyé le chasseur pour te tuer, elle l’aurait fait elle-même.

Quant à Jeannie qui se débarrasse de Shayne… Elle ne peut pas sans risquer de se retrouver submergée par des siècles et des siècles d’émotions négatives qui se sont retrouvées dans Shayne. Sans un… Réceptacle… Pour ces émotions négatives, Jeannie risque de redevenir extrêmement dangereuse… Et elle ne veut pas causer la fin d’un monde une deuxième fois. La première a été suffisamment traumatisante. Ironiquement, elle s’est créé une tumeur qu’elle ne peut exciser elle-même. Je suis le scalpel qui peut le faire. »

[Reika Shimohira]

Reika avait l’intime conviction qu’elle n’arriverait pas à faire changer d’avis Alix sur ce sujet. Elle était en guerre contre Shayne, et se refusait à vouloir admettre que Shayne pouvait être autre chose qu’une ennemie. C’était de toute évidence un conditionnement fort. Impossible également que Jeannie neutralise Shayne, car, sinon, elle absorberait l’énergie de celle-ci. Reika fronça les sourcils.

« Il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas… Si cette Jeannie est si puissante, pourquoi elle ne se contente pas d’enfermer cette Shayne ? Il ne devrait pas être trop difficile de concevoir une prison capable de la retenir, si on est omnipotente ? Et, si elle en est incapable, il suffirait d’appeler les justiciers, non ? J’ai vu un reportage là-dessus, la Justice League dispose d’une prison inviolable, située dans une autre dimension… La Zone-Fantôme. »

Superman en avait parlé une fois, quand des journalistes l’avaient interrogé sur des criminels qu’aucune prison ne pouvait retenir. La Ligue était la seule à avoir accès à la Zone-Fantôme, un héritage familial. Sur Krypton, la planète d’origine de Superman, les Kryptoniens y enfermaient les criminels les plus dangereux, comme le Général Zod. Dans cette dimension entre les dimensions, personne ne pouvait sortir, le temps et l’espace ne s’écoulaient pas comme sur Terre.

Reika y avait songé, car Alix avait mentionné les super-héros.

« Et ce que je fais n’est pas bien, non. Je veux dire, tuer des Yakuzas… Je sais ce que je fais, Alix. Ces gens que je tue, ils ont de la famille, des proches… Ils ne méritent pas de mourir. Je le fais parce qu’ils refusent de répondre à mes questions, parce qu’ils ne me laissent pas le choix. Il n’y a qu’une seule personne que je souhaite vraiment tuer, Alix… Et j’espère ne pas y perdre mon âme. Ce que je fais m’horripile, Reika… C’est… C’est si dur de voir ces gens mourir, de savoir que c’est ma main qui les tue. Je me hais pour ce que je fais… Mais je n’ai pas le choix ! Je dois retrouver celui qui m’a fait ça, ce salaud qui a tué tous ces gens ! Je suis prête à tout pour ça… »

Ses mains se crispaient nerveusement. Prête à tout… Y compris à perdre tout ce qui faisait d’elle un modèle ? Reika avait peur, peur de voir jusqu’où elle pouvait sombrer dans sa vendetta… Et peur de voir qui elle emmènerait dans sa chute…

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

« De ce que je comprends du problème, et je ne me prétends pas experte, si Jeannie se retrouve complètement coupée de Shayne, dans ce cas ses mauvaises émotions vont recommencer à s’accumuler en elle, ce qui en ferait une bombe à retardement pour catastrophe vraiment pas sympathique. J’ai été créée pour neutraliser Shayne… Mais je reste convaincue que l’éliminer est le meilleur des choix. »

Oh oui, cela causerait des problèmes à ma créatrice. Si elle recommence à avoir des émotions négatives… Mais je me dis que… Un outil qui n’a plus de fonction ne sert à rien. Donc… Si je prends la place de Shayne et que je deviens une sorte de… Déchiqueteuse à émotions négatives… Peut-être que cela fonctionnerait? Je ne sais même pas si c’est possible, j’extrapole. J’essaie de trouver une solution intelligente. L’après Shayne, si vous préférez. Shayne doit mourir, il n’y a pas d’autre solution acceptable. Shayne est un cancer et personne ne laisserait un cancer dans un corps sain. On traite le cancer pour en débarrasser le corps. C’est la même chose ici. Toute alternative est inacceptable. Seule une élimination complète et permanente peut permettre de mettre un terme à tout ceci. Exterminer. Exterminer. Exterminer… Oula. Pensées plutôt sombres, ça.

Mais bon. J’ai plus pressant à gérer. Reika ne semble pas être dans son assiette. C’est sûr que si c’est ainsi qu’elle se perçoit, ça ne peut pas bien aller. Je reste convaincue que ce qu’elle fait est bien. Ces gens ont décidé de commettre des crimes. De faire partie d’une organisation criminelle. D’accord, peut-être qu’un infime pourcentage y a été forcé. Mais dans ce cas, c’est au mieux marginal. Elle tue des mauvaises personnes. Si ces personnes ont des familles, alors ce sont d’encore plus mauvaises personnes. N’ont-elles pas pensé que c’est mettre des êtres chers en danger? Vos ennemis ne vont pas simplement faire « non mais c’est bon, hein, on ne va pas cibler les familles, ce sont des gens innocents ». Là vous rêvez en couleur. Prendre une telle décision ne peut pas venir d’une noble intention. Et élever son enfant dans un monde de criminels? En quoi est-ce logique, franchement?

Donc voilà. Mes problèmes peuvent attendre car Reika semble très émotive vis-à-vis de ce qu’elle me raconte. Je ne suis peut-être pas une pro du social et comment réconforter les gens mais je me dis : commencer par un câlin me semble logique. La serrer contre moi, lui offrir une bonne dose de support moral. Vous auriez tort de sous-estimer le pouvoir d’un câlin. Et en plus, contre ma poitrine généreuse et mon torse musclé, enlacée entre des bras puissants? C’est une étreinte douce et protectrice que je n’offre pas à n’importe qui, vous vous en doutez bien. Je ne dis pas que cela va soudainement faire en sorte qu’elle va mieux. Mais c’est au minimum un bon début, vous ne pensez pas? Je ne pense pas qu’elle va sombrer ou succomber. Ce serait arrivé bien avant sinon. Si elle n’avait pas la force mentale pour, elle aurait flanché il y a longtemps… Enfin. Ça c’est ma théorie…

« Hey. Ça va aller, je suis là. Moi je continue de penser que ce que tu fais est une bonne chose. Ils ont choisi d’être criminels. Et ils choisissent de ne pas te répondre et donc de te faire du mal. Tu vas retrouver celui qui t’a fait ça. Ce n’est pas parce que tu prends des vies que tu ne peux pas être un bon modèle pour d’autres. Ce sont des criminels. Des gens avec du sang sur les mains. On ne parle pas de victimes innocentes… »

[Reika Shimohira]

Bien décidée à rassurer Reika sur ses choix de passe-temps, Alix se rapprocha d’elle. Elle la prit dans ses bras. Reika soupira devant cette étreinte, et se pressa contre Alix. Elle posa sa tête contre son torse, et enroula ses bras autour de son cou. Elle ferma les yeux sans rien dire. Ce qu’Alix disait rebondissait sur elle. Reika n’était pas une enfant, elle n’essayait pas non plus de masquer la réalité.

« Tu te trompes, Alix. Je sais ce que je suis, et je sais ce que je fais. On m’a tué, Alix. Ce n’est pas métaphorique, ce n’est pas abstrait, c’est concret. J’aimerai te dire que j’ai effacé cela de ma mémoire, mais ça ne marche pas comme ça. Je m’en souviens. Chaque fois que je dors, je m’en souviens… Je ressens le canon froid du pistolet sur ma tempe, je me revois agenouillée au milieu de la gare, j’entends les hurlements des gens, je vois les cadavres autour de moi… Je vois c et homme avec son masque, et je me souviens du tir. Je me revois tomber au sol, je vois ses bottes qui s’éloignent tandis que je baigne dans mon sang… »

Reika se pinça les lèvres en s’écartant un peu d’Alix.

« Puis, je me réveille dans cet appartement, en compagnie d’autres hommes et femmes, en portant cette combinaison noire moulante dans laquelle tu m’as vue… Nous sommes devant une sphère noire qui nous dit qu’elle nous a offert une seconde chance, mais qu’il y a un prix à payer, et que je fais désormais partie d’une organisation chargée de repousser des attaques de monstres frappant le Japon. L’un d’entre nous nous a surnommé les Gantzers, car c’est comme ça qu’on surnomme cette sphère… Gantz. Depuis lors, j’ai repris ma vie normale, en disant que j’étais une rescapée de ce massacre, et que je n’avais aucun souvenir de ce qui s’était passé. Je ne sais même pas si je suis un clone de Reika avec ses souvenirs, ou si Gantz a récupéré mon corps pour me ramener à la vie, c’est… C’est tellement tordu ! »

Elle ne lui pas encore parlé de ça, de cet aspect si particulier de sa vie.

« Ne cherche pas à me materner, Alix. Ce que je fais est mal, j’en ai bien conscience, mais… J’en ai aussi besoin. Quand Gantz m’appelle, et que je dois découper des saloperies de monstres, c’est… Disons que je comprends mieux le sens du mot cathartique. Les jours qui suivent, je ne rêve plus de ma mort, je me sens apaisée… Et puis, avec le temps, ça revient. La douleur, le traumatisme… Ça revient de plus en plus vite. Je veux retrouver celui qui m’a fait ça, Reika, et je veux le tuer. Ce n’est pas la justice, c’est la vengeance, et je sais que c’est mal, alors n’essaie pas de me dissuader de l’inverse ! »

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

Je me contente de hausser les épaules. Pourquoi la vengeance serait forcément mal? J’ai eu beaucoup de temps pour y penser, après tout. Ne suis-je pas moi-même l’instrument de la vengeance d’une divinité, créée pour arrêter une atrocité vivante qui a coûté la vie à des centaines, peut-être même des milliers de personnes? Jeannie, comme n’importe quelle divinité, est loin d’être parfaite. Elle est bourrée de défauts. Mais elle a raison sur un point. Comme Reika cherche à tuer son meurtrier, je cherche à tuer Shayne qui doit répondre de ses crimes. Et pourtant, ma créatrice vous dira que je suis un instrument de la justice, chargée d’éliminer le Mal où il se trouve. Tout est dans la présentation, dans l’emballage. Si Reika veut se torturer l’esprit en se déclarant comme une sorte de vilaine, qu’elle le fasse. Mais elle ne me fera pas changer d’opinion.

Vous avez peut-être déjà entendu parler de ces esprits qui ne peuvent pas passer dans l’au-delà tant qu’ils n’ont pas accompli une tâche spécifique dans le monde des mortels? C’est 100% vrai. Ce n’est pas une histoire pour faire peur aux enfants. Ces esprits vengeurs ne peuvent pas quitter ce monde sans que justice leur soit rendu, même s’ils se donnent justice eux-mêmes. Je ne dis pas que ce qu’ils font est foncièrement bon si des innocents deviennent des victimes collatérales. Mais si un fantôme veut se venger d’un tueur en série, je ne vois pas où est le problème. Vengeance et justice sont intimement liés, surtout quand la justice échoue à faire son travail et que l’individu doit prendre les choses entre ses propres mains. À mes yeux, c’est à ce point simple. Reika cherche à tuer une ordure qui a commis un massacre. N’est-ce pas rendre justice aux victimes que de le tuer, hum?

L’acte de vengeance sert donc la justice. Mais comme dit, si elle ne veut pas voir ce qui est devant elle, c’est son choix et je ne vais pas ou plutôt je ne veux pas la forcer. Est-ce que j’ai tort dans mon interprétation? Peut-être que oui. Peut-être que non. Est-ce que sa vision est meilleure que la mienne? Qui sait. Et il va se passer quoi quand elle aura retrouvé son tueur et l’aura éliminé? Excellente question. Est-ce que cela veut dire que comme un esprit vengeur, elle va juste… Cesser d’exister en ce monde parce que la sphère aura décidé qu’elle a joué son rôle? Allez savoir. Je ne suis pas devineresse et je ne voudrais pas l’être non plus. Je souhaite sincèrement qu’elle trouve une mesure de paix, éventuellement… J’aimerais pouvoir lui amener une mesure de paix… Mais dans l’absolu, je suis une arme vivante qui casse des gueules avec ses poings, pas une psychologue ou autre.

« Tu le vois comme tu veux. Je reste convaincue que la vengeance peut servir la justice malgré tout. Et je voudrais t’aider, c’est sûr. Qui veut laisser une jolie femme en détresse, ça ne se fait tout simplement pas. Si jamais tu le trouves, ton tueur, et que tu veux mon aide, tu sais qui appeler. Je ne dis jamais non à une bonne baston, encore moins quand c’est pour casser du méchant. Et lui, il mérite clairement ce qui va lui arriver…

Je te dénicherais bien quelques yakuzas pour t’aider à te concentrer sur autre chose mais je dirais que nous avons eu assez de baston pour une nuit. Entendons-nous, j’adore me battre mais ça, c’était plus survivre que se battre donc… Après, si tu penses à une activité qui peut aider, je peux toujours essayer d’aider. Sauf si c’est du karaoké. Plus jamais de karaoké, j’ai eu ma dose pour une vie entière, non mais sans blague… »

[Reika Shimohira]

La justice et la vengeance… Deux sœurs voisines, mais Reika ne faisait pas l’erreur de les associer. Elle sourit doucement quand Alix rejeta l’idée de refaire du karaoké.

« Pourtant, tu t’en sortais bien mieux que tu ne le pensais. Derrière tes poings et tes gros muscles, tu es sans doute bien plus sensible que tu ne le penses. Après tout, tu t’étais quand même vexée à la banque, quand je ne t’ai apporté la reconnaissance que tu souhaitais pour m’avoir sauvé. »

Un souvenir encore vivace. Reika enchaîna ensuite, en se redressant.

« Mais la vengeance et la justice… Non, ce n’est pas la même chose. La justice vise à apaiser la société, la vengeance vise à satisfaire une pulsion meurtrière. Je ne cherche pas à apaiser personne, pas même moi. Je sais très bien que ça n’ira pas mieux ensuite, mais… Je ne sais pas… C’est plus fort que moi, voilà tout. Je dois le faire. La logique voudrait que je le remette aux autorités, les victimes méritent un procès… Il n’y a pas que moi. Je passe mes journées sur les blogs, sur les réseaux sociaux, à suivre les associations de victimes de l’attentat. Si tu veux vraiment m’aider, Alix, tu n’as qu’une chose à faire… »

Difficile de savoir si on pouvait compter sur Alix pour ça. Reika se tut pendant quelques instants. Elle se mordilla les lèvres, réfléchissant à la meilleure façon d’aborder cela. Ce qu’elle disait, elle le pensait sincèrement. Si elle se contentait de le tuer, jamais il ne répondrait de ses actes, jamais ce tueur ne se confronterait au poids de ses conséquences. Le tuer, c’était ce dont elle avait envie, mais elle savait aussi que c’était trop simple. Et puis, ce n’est pas comme s’ils étaient en France ; ici, au Japon, la peine capitale était encore possible.

« …Si on le retrouve, je veux que tu m’empêches de le tuer, Alix. Ce tueur… Il doit être traduit en justice. Je veux que tous ces gens puissent enfin avoir justice. Alors, si jamais on se retrouve face à lui… Tu devras m’empêcher de le tuer. »

Reika la regarda avec intensité. Elle était très sérieuse pour le coup.

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

« Tu veux que je QUOI?! Mais… Mais… Non! Tu sais comment est le système de justice sur cette planète! Il est fait à l’avantage des criminels qui passent leur temps à se glisser entre les mailles du filet! Si on le remet aux autorités, soit il va trouver un moyen de s’évader, soit il va se retrouver avec une sentence bonbon, pire, pas de sentence du tout ou il va s’évader de prison et causer encore plus de tort dans le processus!

Et peut-être que… Peut-être que je veux que tu aies ta vengeance! En partant du principe que sa mort est permanente, il ne pourra plus jamais nuire. Le remettre aux autorités… Tu n’y penses pas sérieusement, c’est de la pure folie, c’est irresponsable… Une ordure de cette ampleur devrait être abattue comme un animal enragé et rien d’autre! Je ne sais même pas si je serais en mesure de me retenir de le tuer si tu ne le fais pas… »

Oh bon sang. Elle est sérieuse. Comment peut-elle envisager faire une pareille erreur? Vous pensez vraiment qu’un procès en justice va amener la paix aux proches des victimes? Imaginons un instant qu’il ne soit pas condamné à mort ou pas condamné du tout, la détresse, l’angoisse de savoir que le tueur est encore en vie… Une sentence injuste est-elle vraiment quelque chose qui est rattaché à la justice ou est-ce juste une étiquette qu’on lui colle pour faire croire que c’est la chose juste à faire? Est-ce qu’elle a déjà oublié que je tue les criminels, je ne les livre pas à la justice? Et elle veut m’empêcher d’agir doublement contre ma nature? Après oui, je pourrais facilement le faire, honorer sa volonté mais… Est-ce que j’ai envie de le faire, telle est la question, non? Et je peux vous le dire sans mentir : non. Je n’ai pas envie. Je veux qu’il meure. Tout simplement.

Reika… Je ne te comprends pas. Je ne peux pas le dire à voix haute, j’aurais peur de te vexer mais… Comment peux-tu penser, demander une chose pareille? Il t’a tué. Cette vengeance te revient de plein droit. Et tu la gaspillerais dans le vain espoir qu’un procès le condamne? Quelle déception. Je commence à me demander sincèrement si elle pourrait être ma petite amie avec une telle mentalité. Si elle ne veut pas donner la vengeance à ceux qui le mérite et qu’elle place sa foi dans le système de justice, alors nos philosophies sont incompatibles. Et je ne sais pas si c’est réconciliable… Peut-être qu’il faut simplement ne pas aborder ce genre de sujet ensemble? C’est un compromis acceptable, je dirais… Et puis bon, il n’y a qu’un type qui l’a assassiné donc de façon réaliste… Un seul sujet sensible à prendre en considération? Je n’ai pas dit que j’étais experte en planification!

« Dans l’immédiat, je ne veux pas te faire une promesse que je ne pourrai pas tenir. Au fil du temps, qui sait, peut-être que je serai en mesure de l’honorer. Donc à moi que tu le retrouves demain, je dirais que ça me laisse du temps pour digérer ce que tu me demandes d’avaler. C’est vraiment aller contre ma façon de penser tout ça… Mais… Tu sais ce qu’on dit sur les relations humaines, l’amitié et les relations de couple…

Bref. Là je ne peux pas le promettre. Si un jour j’en suis capable, je t’en ferai formellement la promesse. C’est le mieux que je puisse faire et je ne le ferais pas pour n’importe qui alors j’ai envie de dire de te compter chanceuse. Bordel, peut-être que je suis plus… Sensible… Pour reprendre tes termes… Que je ne le croyais… Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer, au fond. Je suis supposée être une arme vivante et je me découvre beaucoup trop de similitudes avec un être euh… Humanoïde? »

[Reika Shimohira]

Alix était plus que sceptique à cette idée. Reika la laissa parler en restant silencieuse, perdue dans ses pensées. Elle n’allait toutefois pas lâcher le morceau si facilement, pas avec ce qu’elles envisageaient de faire.

« Tu sais, une idol girl à mon âge, c’est plutôt rare. Avant que le massacre n’arrive, ma carrière était lentement en train de s’éteindre. Cette tuerie… Si j’étais cynique, je dirais que ce fut la plus belle réussite de ma carrière. Mon agence a beaucoup joué là-dessus, c’est d’ailleurs aussi pour ça que je souhaite changer. J’ai été invitée à des talk-shows politiques, on m’a demandé mon avis sur la loi Shinjuku, et j’a rencontré beaucoup de proches de victimes… Des enfants qui n’ont plus revu leurs parents, des parents qui ont perdu leurs enfants. On leur dit de tourner la page, mais ils n’y arrivent pas. Je me souviens d’une petite-fille qui vit chez sa tante et son oncle, maintenant… Toutes les nuits, elle se réveille car elle a peur que le tueur soit là. Elle fait partie des survivantes. Le tueur a abattu ses deux parents, et a sans doute cru qu’elle était morte. Elle a passé des heures dans une mare de sang, à regarder la tête de sa mère. »

La loi Shinjuku est une loi qui fut votée en raison du massacre de Shinjuku, et qui a durci davantage encore la possibilité d’obtenir une arme à feu au Japon. Le pays était déjà le plus restrictif du monde, mais, après la tuerie, et avec l’arsenal militaire que le terroriste portait, les critiques avaient plu sur le gouvernement. À ce jour, le tueur de Shinjuku restait l’homme le plus recherché du Japon, tant de la police que des Yakuzas. Un tel massacre allait à l’encontre des règles silencieuses qui régnaient au Japon, et qui régulaient le rapport des forces entre le crime organisé et la société japonaise.

« Et tu voudrais que je sois égoïste… C’est ça que tu souhaites, Alix ? Que je retrouve ce salopard, que je le tue au fond d’une ruelle ? Et que devrais-je dire à cette fillette ? À cet homme qui a sombré dans l’alcoolémie parce que ses deux enfants ont été tués parce qu’ils faisaient des courses ? On ne parle pas de Carlos Ghosn, là, il ne s’échappera pas dans une mallette. Et puis, les prisons japonaises, ce ne sont pas les prisons françaises, on ne lui fera pas faire du karting. »

Carlos Ghosn, un industriel français, était un exemple connu de tension entre la France et le Japon. Ce dernier avait été arrêté par le Japon, et s’était enfui à l’intérieur d’une malle. Ne pouvant se rendre en France, où les autorités françaises risquaient de le remettre au Japon, l’ancien PDG de Renault s’était refugié au Liban, car disposant de la nationalité libanaise. Cette affaire rocambolesque avait fait le tour du monde, Carlos Ghosn faisant partie de ces multimilliardaires intouchables. Le Japon avait également vécu comme une humiliation sa fuite. Mais l’affaire avait aussi mis en exergue les conditions de détention très sévères au Japon

Reika se pinça les lèvres. L’émotion était perceptible dans sa voix, dans la manière dont elle se tenait. Elle serrait l’un de ses bras avec son autre main, et était crispée, tendue, peinant à refouler ses larmes.

« Moi, j’ai survécu… Enfin, même pas. C’est encore pire, je suis morte, et on m’a ramené à la vie… Moi, et pas eux. Je donnerai cent fois ma vie pour que cette fillette retrouve sa mère. Je ne peux pas le tuer, ce serait trop facile… Je veux qu’il soit arrêté, jugé, je veux que tous ces gens peuvent voir que leur bourreau a été arrêté. J’ignore… J’ignore si ça pourra les aider, mais, si ça en aide au moins un, alors… Ça vaudra le coût. E-Et… Moi, j’aurai peut-être moins l’impression d’avoir fait ma carrière sur leur dos… »

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

« Et quand il s’enfuira de prison, comme tant de super criminels et qu’il recommencera à tuer, pourras-tu supporter d’avoir ce sang sur tes mains? Si tu le tues, il est mort. Game over. Tu peux dire à la fillette : le méchant est mort, il ne peut plus te faire de mal. Et tu n’as pas fait ta carrière sur le dos des victimes. Ton agence a capitalisé là-dessus contre ton gré. J’entends ce que tu me dis. Tu me dis que tu serais… Bien…

Égoïste si tu le tuais. Mais tu l’es encore plus en le laissant vivre et en le remettant aux autorités, non? Tu viens juste de dire : J’ignore si ça pourra les aider, mais, si ça en aide au moins un, alors… Ça vaudra le coût. Et… Moi, j’aurai peut-être moins l’impression d’avoir fait ma carrière sur leur dos… Tes mots. Pas les miens. Donc, tu présumes que de l’envoyer en prison est ce que les proches des victimes désirent. Tu as l’arrogance de penser…

De penser savoir mieux qu’eux ce qu’ils veulent. Je te pose candidement la question : as-tu parlé aux victimes et demandé ce qu’elles désirent? L’être humain est truffé de défauts, de failles et de vices. Je serais très surprise que le consensus général soit : Je veux le voir pourrir en prison pour le reste de ses jours. Dans ce monde moderne dans lequel vous vivez, où la violence est pratiquement omniprésente? Tu ne me feras pas croire ça, oh non.

C’est ce que je déteste des super héros. Vous pensez que parce que vous remettez à la justice les criminels, vous avez la bonne conscience d’avoir suivi la loi. En vous foutant complètement que ce n’est pas rendre justice aux victimes. Une vie contre une vie me semble plus qu’équitable, non? Et même que le tueur s’en sortirait avec le gros bout du bâton. Des dizaines de vies contre la sienne. Je suis d’accord sur un point, par contre.

Dans la plupart des cas, la vengeance ne résout rien. La douleur ne s’en va pas, le sentiment de légèreté de savoir son tourmenteur mort ne se produit pas. Même si je voulais dire le contraire, ce serait mentir. Défendre l’indéfendable. Ce n’est pas tant la mort du tueur que de vouloir ramener ce qu’on a perdu à la vie, ça aussi je suis d’accord. Mais je peux dire une chose malgré tout. Un animal enragé, on l’abat. Personne ne se pose de question.

L’être humain est un animal comme un autre, juste soi-disant plus intelligent. Également, si tuer n’est pas humain, alors ton tueur n’est plus un humain. C’est un animal. Un monstre. Une chose. Il perd donc tous ses droits. C’est une bête enragée qu’il faut abattre pour protéger les innocents. Pourquoi tu tuerais un chien enragé sans hésitation mais pas cet homme? Les êtres humains sont remplis de contradictions incompréhensibles de ce genre.

Je parle beaucoup. Et trop. De choses pour lesquelles je ne peux pas vraiment comprendre. De choses qui sont teintées par un impératif gravé au plus profond de mon être. Exterminer le mal où qu’il se trouve. Ultimement, sans doute avons-nous toutes les deux tort et qu’il y a autre chose que nous ne voyons pas. Je ne vais pas chercher à te convaincre de ma vision et je ne veux pas te convaincre. Mais si je peux faire une chose pour toi, par contre?

Je veux que tu sois certaine de ce que tu veux réellement. Pour qui tu le fais. Pourquoi tu le fais. Je suis une arme vivante. Je n’ai pas le luxe d’avoir une conscience. Sur ce point je suis bénie car je peux tuer sans jamais avoir de remords ou me remettre en question. Presse sur la détente, le pistolet tire, la balle tue. Le pistolet ne se pose pas de question. Je voudrais vraiment pouvoir t’aider davantage. Mais je ne sais pas comment. »

Je déteste parler autant. Surtout quand je sais que je ne serai pas objective. Parce que ma vision des super héros est celle de Jeannie. Celle de Shayne. Ce qui a été gravé en moi. À raison ou à tort, je ne pourrai jamais faire autrement que de considérer cette vérité et ce que j’ai observé. La question que je me pose c’est est-ce que Reika veut faire ce qu’elle veut pour les bonnes raisons. Est-ce que sa motivation est la bonne motivation. Ou est-ce qu’elle s’est aveuglée par quelque chose d’insidieux qui se donne des airs de vertu? Honnêtement je ne sais pas. Mais j’ai l’impression que ce qu’elle utilise comme justification sonne faux. Je me trompe probablement. Je ne suis pas Reika, je ne sais pas comment elle était avant. Mais ce que je sais par contre c’est que quand on commence à faire passer la loi avant le désir des victimes, on en fait un instrument froid, sans âme, qui peut causer plus de tort qu’autre chose.

[Reika Shimohira]

Reika la laissa parler. Et Alix parla. Et elle parla même assez longuement. Ce qu’elle dit n’allait toutefois nullement dans le sens de Reika. Alix souhaitait l’encourager à retrouver le terroriste, et à le tuer sommairement, sans plus de cérémonie que cela. Ce qui glaça en revanche Reika fut quand Alix indiqua qu’elle n’éprouvait aucun remords à tuer des gens.

« Je ne suis pas une super-héroïne, Alix, et je n’ai jamais prétendu l’être. Mais, t’entendre dire que tu es juste une arme, que tu n’éprouves aucun remords à l’idée de tuer des gens… Tu... Tu ne peux pas dire ça sérieusement. Je ne te savais pas si cruelle, si cynique. »

Reika secoua la tête. Elle avait du mal à croire que des mots aussi durs pouvaient venir d’Alix. C’était comme si elle réalisait pleinement de quoi Alix était capable, et cela n’allait pas du tout. Reika avait besoin d’un garde-fou, de quelqu’un qui la retienne, qui l’empêche de faire n’importe quoi, de commettre l’irréparable. Mais, avec Alix, c’était finalement tout l’inverse qui se passait. Non seulement Alix ne cherchait pas à la stopper, mais elle ne comprenait pas pourquoi Reika devait se stopper. Un vrai cauchemar. Reika ne voyait plus quoi ajouter, elle ressentait surtout une grande fatigue, et une forte lassitude.

Elle se pinça donc les lèvres, puis s’extirpa de son canapé.

« Je ne prétends pas te faire changer d’avis, je ne comprends rien à ton combat contre Shayne… Mais je ne peux partager ta vision des choses. Chaque fois que j’ai tué quelqu’un, j’ai éprouvé des remords. J’essaie autant que possible de ne pas le faire, même quand je traque des Yakuzas. Si je les tue, c’est parce qu’ils ne me laissent pas le choix. Mais c’est à chaque fois un peu de mon âme qui s’en va à chaque fois. »

Elle secoua finalement la tête. Parler davantage ne servirait à rien, si ce n’est à creuser le fossé entre elles. Mais il était en soi déjà trop tard. Alix n’était pas la réponse que Reika souhaitait. Ce constat terrible s’imposait à elle comme si un énorme coup de poing venait de la plaquer au sol.

« Bref, je… Il est tard. Il y a une chambre d’amie pour toi, les draps sont propres. Mais j’aimerai qu’on ne se rencontre plus par la suite. »

Reika inspira lentement, consciente qu’elle devait bien expliquer les choses. Alors, elle s’expliqua :

« Je me réveille chaque matin en ayant peur de ce que je ferai, peur de ce que je deviendrai. Moi, je n’ai pas envie de ne rien ressentir quand je tue quelqu’un. Ce que tu veux que je sois… C’est là mon pire cauchemar. Je ne suis pas qu’une Gantzer, je suis aussi une idol. Comment puis-je prétendre rendre les gens heureux, et aimer leur bonheur, si leur malheur doit me rendre insensible ? Je ne partage pas ta vision, Alix, et je ne souhaite pas la partager. Jamais. Œil pour œil, dent pour dent ? C’est ça, que je dois faire ? Devenir aussi monstrueux que les monstres ? Non ! Non… Je vaux mieux que ça. Et toi aussi, tu vaux mieux que ça, même si tu es persuadée du contraire. »

[Jeannie]

Jeannie incarne:



Alix Cindra Erling, Super héroïne à temps partiel et badass extraordinaire

Quelqu’un m’a dit un jour que les contraires s’attirent et que c’est dans la différence que l’on devient plus fort. Peut-être devrais-je retrouver ce quelqu’un et lui mettre mon poing dans les dents. Apparemment, certaines différences idéologiques sont irréconciliables, comme vient de l’exprimer Reika. En même temps, je ne peux pas raisonnablement lui en vouloir. Elle a un futur devant elle. Une… Vie? Non vie? Elle est morte donc je ne sais pas si on peut vraiment dire vie. Mais bon. Je suis une arme vivante. Mon destin est de tuer au nom de la cause qu’on a implanté en moi. Je confesse, par contre, que malgré moi, elle a sérieusement ébranlé les certitudes que j’avais. Est-ce qu’une arme aurait vraiment pu faire du karaoké? Cela ne sert aucune fonction utile. Et je voulais vraiment lui faire plaisir. Pourrais-je changer pour elle? Une question qui n’aura…

Jamais de réponse. C’est trop tard, maintenant. Oh certainement, un fossé peut être comblé. Si chacun veut y mettre du sien, tout est possible. Mais je doute qu’elle veuille y mettre du sien. Si elle avait voulu me… Nous donner une chance, elle ne serait pas arrivée à cette conclusion. Suis-je triste? Étonnamment non. Je suis même soulagée. Si nos chemins se séparent, elle ne sera plus une cible pour Shayne. Elle va complètement se désintéresser et l’ignorer dans le futur sauf si elle menace directement une de ses opérations. Considérant que ce n’est pas arrivé jusqu’à présent… Je doute que cela arrive dans le futur. Suis-je déçue? Oui. Je pensais que Reika était… Différente. Mais elle est comme tous les autres, finalement. Après, peut-être que c’est moi qui ne sois pas adaptée pour ce monde. C’est sans importance. Une fois ma fonction remplie, qui aura encore besoin de moi?

« Merci mais non merci. Si tu ne veux pas que nous poursuivions quelque chose ensemble, je n’ai aucun désir de m’attarder ici ou avec toi. Tu as fait ton choix. Je le respecte. Je repars avec une partie de mes convictions sévèrement ébranlées mais peut-être est-ce pour le mieux. Peut-être que je suis plus qu’une arme vivante. Peut-être que je peux devenir plus… Humaine. Peut-être que je peux connaitre le remord et donc être moins…

Bref. Je repars définitivement avec quelque chose en plus. Énormément d’angoisse et je risque de ne pas dormir pendant quelques jours à me torturer l’esprit sur la question… Mais je pense qu’ultimement ce sera plus un bien qu’un mal. Et je sais que tu as dit que tu ne voulais plus qu’on se revoit. L’offre tient. Si un jour tu as besoin de mon aide, n’hésite pas à demander. Je ne reviendrai pas sur ma parole. Bonne chance Reika. »

Sur ces paroles, après l’avoir salué, je quitte son domicile. Évidemment, Shayne me texte pour me narguer. Je m’attendais à ce genre de tactique vicieuse. Mais cela ne m’affecte pas. Il y a quelques heures de cela, j’aurais probablement été hors de moi. Mais là, en ce moment, je suis en train de me dire que si Shayne a changé, je peux changer aussi. Oui, et elle et moi allons toujours, consciemment ou non, obéir à certains impératifs. Mais je réalise enfin que certains paramètres peuvent changer. Mes directives peuvent être interprétées différemment. Et qui sait, peut-être qu’il y a même une façon de ne pas systématiquement tuer les criminels qui n’implique pas de bêtement les envoyer dans des prisons passoires. Merci Reika d’avoir fissurer la muraille de mes convictions, d’avoir planter la graine du doute. D’une graine amère, qui sait, pourrait naitre un splendide arbre…

Aujourd’hui, j’ai définitivement gagné plus que j’ai perdu. La preuve? Je fredonne une des chansons qu’elle a chanté au karaoké…