The Multiversity

[Epona Baker]

Epona s’était rendu très tôt à la guilde, comptant ne pas perdre de temps pour avoir une mission assez facile. Elle se doutait qu’elle n’aurait pas accès aux missions d’extermination de nids, mais fut surprise d’être interpelée par la femme à l’accueil.

- Madame, vous êtes bien du village Brumaire ?

- Oui, pourquoi cette question ?

- Nous avons une demande proche de cet endroit, si vous pouviez aller dans la pièce à côté pour en parler plus en privé.

L’hybride haussa un sourcil, une mission aussi proche, ce n’était pas normal. Un piège ?

- Monsieur, je vous présente Epona Baker, comme elle est issu d’un endroit assez proche je pense qu’elle pourrait correspondre à votre demande.

L’homme regardait Epona avec surprise.

- Ba .. Baker, comme la famille paysanne ?

- Juste une coïncidence monsieur, d’où ils auraient un membre hybride dans leur famille.

- Oui, vous avez raison, pardonnez ma méprise.

La réceptionniste prit la parole.

- Nous aurions une quête pour vous, plusieurs hameaux connaissent des disparitions mystérieuses de villageois. Vous connaissez sans doute bien le terrain et nous aurions besoin d’information avant d’envisager une intervention.

- En somme vous m’envoyer en éclaireur pour dénicher des indices, c’est bien ça ?

- Oui, c’est tout ce que nous pouvons faire pour le moment, au vu de la somme proposée.

Epona se grattait le menton avec son index droit. Sa seigneurie aurait-elle conçu un tel plan ? Non, même si c’était des hybrides, les taxes en pâtiraient, d’autant que c’était aussi de la main d’oeuvre en moins en cette saison de récolte. Il y avait autre chose.
Après il était étrange que cette forêt soit sujette à cette situation, de mémoire les prédateurs n’étaient pas nombreux, n’approchaient pas des villages. Quelque chose était étrange.

- Je prends la quête. Vous êtes venu en chariot ?

- Oui madame Baker.

- Il est solide ?

- Euh … oui, pourquoi cette question ?

- Bien on passera par un bout de plaine pour réduire la durée du trajet. Rendez-vous à la porte Est dans une heure.

Sans en dire davantage, elle signa le contrat et sortie de la pièce.

Elle ouvrit la porte de l’antiquaire après dix minutes de marche rapide.

- Johan ! Tu as des flèches enchantées en stock ?

- Ma client pré…

- Pas le temps pour ses conneries, tu en as ou pas, même tombé "par mégarde" d’un chariot je m’en fous.

- Dans deux jours.

- Et merde .. Tu aurais une adresse à me conseiller, peu importe le prix tant qu’il est fiable et sais tenir sa langue.

- Pourquoi autant d’agitation ?

- Un truc fait disparaître des villageois, j’espère que ce ne sont que des bandits et pas quelques choses de plus dangereux.

- Je vois. Place du marché, après le Corbeau Empaillé, le vieux Ulbert pourrait avoir en stock, par contre tu vas raquer, même recommandé par moi.

- Ok, merci.

Epona quitta la boutique et parti chez le fameux homme. Elle serra des dents en constatant le prix des munitions, mais ne pouvait se permettre d’être radine. Elle prit trois flèche de feux, deux de glace et un de foudre. Avec sa quinzaine de flèche, elle espérait que ce serait suffisant.

Elle se montra à la porte Est, n’attendant pas une seule seconde pour monter dans le chariot, indiquant un petit chemin assez plat à travers la plaine, bien qu’un peu malmené par les bosses, le trajet serait un peu plus court.

Le vieil homme observait le carquois bien remplit.

- Vous êtes bien équipée, madame Baker.

- Cette forêt était assez calme quand j’y chassais. J’espère que mes craintes ne sont pas fondées.

- Des craintes ?

- Je ne peux en dire plus tant que nous ne sommes pas arrivés au hameau. Je dois constater l’état de la forêt avant de me prononcer. Prenez à droite, la plaine est impraticable pour un chariot, nous continueront sur la route. Cela nous aura fait gagner trente minutes de trajet.

Epona se glissa à l’arrière, venant à caler son dos contre le fond.

- Je vais me reposer jusqu’à l’orée de la forêt, dites-moi quand nous serons à ce niveau-là. Je doute que l’on nous attaque.

La jument ferma les yeux pour tenter de se reposer. Elle préférait tenter de se reposer pour être en pleine forme, cette quête paraissait déjà assez complexe de base. L’aventurière pensait en faire trop, mais elle verrait bien si son imagination était inutile ou pas.

Elle prit de profonde inspiration pour se détendre, le trajet serait encore assez long, une heure si le temps était clément et qu’il y avait peu de passage sur la route.

[Élise]

« Allez, on se dépêche, les gars ! »

Ils étaient nerveux. C’était compréhensible. L’appât du gain pouvait justifier bien des choses, mais, de là à se rendre dans un hameau hanté… Car c’était bien là le bruit qui courait. Les habitants du hameau avaient quitté à toute allure ce dernier quand « la Bolva » avait encore frappé. Un sobriquet, une superstition inventée par on ne sait quel soudard dans l’une des auberges de la région, mais qui avait fait le tour. Le hameau était le domicile d’une famille qui avait fui quand l’un des leurs avait été enlevé en pleine minuit. Un arbre abattu était tombé sur le toit de la grange, et d’énormes traces de pas sur un sol boueux. On avait surnommé ce voleur la Bolva, la Bête immonde. Un monstre qui capturait des villageois pour les emmener dans sa tanière et pour les dévorer. Plusieurs disparitions avaient déjà eu lieu. Le seigneur local n’avait pas les moyens de mener une battue à travers la forêt, et avait sollicité l’aide de son suzerain, qui était toutefois occupé à organiser une joute, et n’avait guère de temps à s’occuper des superstitions locales.

La Forêt des Épines était assurément une grande forêt. Elle s’étalait sur plusieurs centaines d’hectares, avec des grottes, des vallées, et quantité de légendes locales et de superstitions folkloriques. En désespoir de cause, le bailli avait donc ouvert une quête auprès des guildes luméennes pour retrouver les disparus.

Mais les disparitions n’attiraient pas que des guildes, mais aussi des voleurs et des pillards. Ceux-ci appartenaient à une bande de voleurs qui vivaient dans la forêt, un regroupement de repris de justice, de déserteurs, qui avaient décidé de s’installer dans cette forêt. On les appelait « les Éperviers », et le souverain local avait là aussi réclamé l’intervention de son suzerain. Agacé, celui-ci lui avait dit de faire le nécessaire, car ses troupes étaient déjà occupées. Les Éperviers fouillaient le hameau pour en prendre la nourriture dans le grenier, et les richesses dans la maison principale. Leur nervosité était perceptible.

« Ils sont partis sans rien emmener, les cons ! R’nifle-moi ça, y a la robe de mariée de la p’tite Sophie. C’est pas toi qui voulais lui ramoner la lucarne ?
- Cherchez les bijoux ! »

Ils n’avaient nullement songé à regarder attentivement les arbres alentour. D’un autre côté, quelles auraient été leurs chances de la voir ? Quand une araignée ne voulait pas qu’on la remarque, on ne la remarquait pas. Et, quand elle avait le malheur de tomber sur un humain, plutôt que de fuir, elle faisait la morte, dans l’espoir de ne pas se faire écraser. Comme quoi, les araignées étaient parfois idiotes… Mais, après tout, n’était-ce pas logique de se figer face à une menace qui vous était totalement supérieure ? Élise allait bientôt pouvoir expérimenter cette théorie.

Observant ses proies, elle se déplaça lentement, et sauta sur le toit de la maison. Un lancier était resté dehors pour faire le guet. Quand ses comparses ressortirent de la maison en ricanant, ils s’étonnèrent de ne pas le voir.

« Où il est passé, ce con ?
- Va vérifier les latrines, ‘faut s’barrer avant que d’autres s’pointent ! »

Celui qui fantasmait sur la p’tite Sophie se dirigea vers les latrines, appelant son comparse. Saucissonné dans une toile, ce dernier ne risquait pas de la répondre, mais le second voleur put rejoindre ce dernier quand une toile le frappa en plein visage, puis une autre à une jambe, le traînant à une branche pour le suspendre. Il eut beau gesticuler, cela ne faisait que renforcer la toile. Une autre leçon à retenir de l’araignée : plus on cherchait à se débattre de sa toile, et plus on s’engluait dedans. Une araignée ne lâchait jamais sa proie.

Les trois derniers commencèrent à comprendre que quelque chose de louche se passait. Élise se déplaçait encore, furtivement, traînant derrière elle l’un de ses prisonniers. Elle prit ensuite de l’élan, et jeta le sac de toile. Il rebondit sur le sol, aux pieds des Éperviers, qui, comme on pouvait s’y attendre, se mirent à hurler de terreur.

Élise les laissa fuir. Elle voulait les pister, pour remonter jusqu’à leur campement principal, convaincue qu’ils étaient la meilleure piste pour retrouver la Bolva.

Elle observa ensuite les lieux, quand elle entendit un chariot approcher. Impossible pour elle de se dissimuler à temps, le chariot se dressa à l’entrée, avec elle en plein milieu de la cour.

*Merde…*

Élise se déplaça lentement. Le chariot s’arrêta, et elle vit une femme en sortir. Elle fronça les sourcils en reconnaissant une Furry-jument. Les femmes comme Élise étaient rarement bien vues, et elle était donc sur la défensive…

[Epona Baker]

Epona fut réveillée comme elle l’avait demandé, ne constatant pas grand-chose de suspect venant de la forêt. Cela ne voulait pas pour autant dire qu’elle était amicale. Le vieil homme se mit à parler.

- Le seigneur est sourd à nos demandes, nous aurions les moyens, c’est une demande plus importante que nous aurions faite auprès de votre guilde.

Epona se montrait compatissante avec cet homme.

- Je ferais mine de n’avoir rien entendu, cette remarque pourrait vous attirer l’hostilité de votre seigneur. Je ferais de mon mieux dans cette quête. Le village est encore loin ?

- Une dizaine de minutes. Par contre, vous n’avez pas peur des esprits ? Il paraît qu’il est hanté.

- Si je croise une dame blanche je la demanderais en mariage.

Epona souriait pour signifier qu’elle blaguait, après ce n’était pas si faux que ça si la fameuse dame blanche avait de joli forme et n’avait rien contre être avec une femme.

La chasseuse s’étirait doucement, venant à prendre place à côté de l’homme inspectant ses flèches une dernière fois, surtout celle enchantée, pour s’assurer qu’il n’y avait pas de défaut, c’était un peu tard pour vérifier, mais cela restait surtout un moyen de se détendre.

Les deux comparses se mirent à s’approcher du village, Epona n’avait pas perçu les cris des bandits, pour la simple et bonne raison, qu’elle était focalisée sur les alentours. Elle pouvait constater que le village avait été abandonné, fronçant les sourcils en voyant des objets qui n’avaient rien à faire dehors.

Elle comprit rapidement que le hameau avait été victime d’un pillage, la jument ne pouvait cependant pas dire si c’était récent. Son regard se portait sur une femme qui se trouvait au centre du village, l’homme stoppa son cheval.

L’hybride remarqua les nombreuses traces de pas sur le sol, elle ne pouvait écarter le fait que cette créature faisait le guet pour un groupe plus imposant, la théorie du groupe de bandit semblait plus probable, si cette hybride araignée était de mèche.

L’aventurière glissa à l’oreille de son guide, surveillant l’étrange femme du coin de l’oeil.

- Faites demi-tour à toute allure quand je serais descendue.

L’homme esquisse un geste et la jument descendit du chariot. Elle encocha une flèche classique sur la corde de son arc. Une flèche de feu aurait certainement été plus efficace, mais elle devait faire preuve de retenue et de prudence.

Le chariot fit demi-tour et disparur assez rapidement du champs de vision. La jument s’adressa à Elise d’une voix autoritaire.

- Je suis Epona Baker, la guilde des aventuriers m’a dépêché pour enquêter sur ce lieu. Je vous demanderais de me dire la raison de votre présence ici. Au moindre geste suspect, je n’hésiterais pas, vous êtes prévenue.

Epona ne parla pas de son rang, la plaque visible au niveau de son cou permettait de connaître cette information, elle justifiait aussi son statut d’aventurière. Les oreilles de la jument bougeaient beaucoup, tentant d’écouter les alentours au cas où il y aurait un mouvement hostile.

Elle se doutait que rester seule n’était pas une bonne idée, si Elise avait des alliés, ne pouvant compter que sur sa vitesse de sprint pour se sortir d’un possible piège. Après, elle restait humaine, hors de question de laisser son commanditaire dans une zone potentiellement dangereuse.

Epona connaissait peu les hybride araignée, n’ayant pas ce genre d’espèce dans le domaine familial, elle ne savait qu’une chose, leurs toiles étaient résistantes.

[Élise]

Impossible de fuir, Élise manquait de temps ! Sa seule chance de rester tranquille, c’est que le chariot parte avec les gens qu’il y avait dedans. Elle était à ce moment l’incarnation du paradoxe de l’araignée. Quand un humain surprenait une araignée, l’araignée savait qu’elle était grillée. Elle savait qu’elle n’avait aucune chance de gagner un duel contre un être humain qui était à ses yeux l’équivalent d’une montagne. Alors, elle pourrait sans doute chercher à fuir, mais, plutôt que de faire ça, son instinct lui soufflait de faire la morte, dans l’espoir que son prédateur l’oublierait. Un paradoxe, car c’était précisément en se figeant sur place qu’elle risquait de mourir. Sur ce point, Élise n’était pas aussi fragile qu’une araignée classique face à des êtres humains, mais elle partageait leur solitude. Une hybride-araignée, cela faisait suffisamment peur pour que des paysans sortent les fourches. La femme était donc sur la défensive, mais fut surprise de voir que la personne qui lui faisait face était elle aussi une hybride.

*Voilà qui est inattendu…*

Elle lui indiqua s’appeler Epona Baker, et avoir été envoyée par la guilde des aventuriers pour enquêter sur les disparitions.

« Oh… Une aventurière, donc ? Voilà qui me rassure, j’avais peur que vous ne sortiez une fourche. Je ne suis pas liée aux disparitions qui ont eu lieu ici… Enfin, sauf pour les bandits qui ont profité de l’enlèvement de la famille qui habitait dans cette ferme pour piller les lieux. »

Élise avait vu l’arc de la femme, sa flèche. Elle était rapide, certes, mais l’archère était sur ses gardes. Élise ne pouvait pas aller plus vite qu’une flèche, et elle tenait à éviter de se recevoir une flèche dans le corps. Certes, elle était résistante, mais une flèche restait douloureuse, et on ne pouvait pas exclure qu’elle soit imbibée de poison.

« Je m’appelle Élise. Je ne suis pas employée par ta guilde, mais je recherche moi aussi la cause de ces disparitions. Il me semble donc que nous avons un intérêt commun. Aussi, je te serai fort aise d’abaisser ton arme, ce n’est pas très civilisé de menacer la première personne que tu croises, poupée. »

La femme essayait de désamorcer la situation, elle n’avait guère envie de se battre avec cette femme !

[Epona Baker]

L’aventurière de cuivre prêta attention aux mots de la créature. Il est vrai qu’une fourche aurait été mieux pour chasser Élise, mais elle n’était pas là pour la chasser. Le doute pouvait persister, même si le fait que la femme-araignée parle de bandit soit déjà un bon point pour l’innocenter, recoupant avec les nombreux pas qu’elle avait pu observer avant.

Epona remarquait que l’hybride était à cran, quoi de plus normal, elle-même l’aurait été à sa place, continuant d’écouter cette dernière se présenter, pouvant mettre un prénom et une remarque qui fit réagir Epona. Comme son interlocutrice la tutoyait, elle ne voyait pas pourquoi elle devrait s'enquiquiner à ne pas faire de même.

- Cela se voit que t’es pas du coin toi. Tu serais sans doute plus préoccupée sur ce qui aurait enlevé les gens ici , qu’une poupée qui te pointe avec son arc.

Elle baissa l’arme, gardant tout de même la flèche encochée, une habitude quand elle était en chasse et aussi restant sur ses gardes en cas d’une attaque venant d’autre part que la demoiselle qui la faisait face.

- On a bien un intérêt commun. Si les bandits sont encore en vie, on peut sans doute en tirer des trucs ou écarter des suppositions. Plus on regroupe d’informations, plus on a de chance d’identifier la ou les choses à l’origine de ce bazar.

Elle s’approchait, passant à côté de la femme araignée pour chercher des traces inhabituelles et aussi mémoriser celle de la créature, glissant à voix basse.

- Si on tombe sur une menace trop grande, ne t’attends pas que je te sauve ton cul. Aussi mignonne que tu sois, j’ai des projets plus important que jouer le chevalier servant.

[Élise]

La situation semblait se calmer. Élise sourit toutefois quand Epona lui indiqua qu’elle ne comptait pas lui venir en aide si les choses venaient à se compliquer.

« Je te rassure, ma jolie, je ne suis pas du genre demoiselle en détresse. Mais, rassure-toi, si tu finis entre de mauvaises mains, mes pattes viendront te sauver. Perdre un aussi joli minois, ce serait dommage, non ? »

Élise n’était pas du coin, en effet, mais elle avait une piste pour retrouver le camp des bandits. Elle se déplaça lentement, et sa patte se planta dans le sol, soulevant un fil invisible… Ou, plutôt, un fil ténu, extrêmement fin. C’était un fil de soie d’araignée. Élise expliqua à Epona que, en laissant fuir les bandits, elle avait accroché sur l’épaule de l’un d’entre eux une petite araignée. Sa seule mission était de tisser une soie derrière elle pour que sa Maîtresse la retrouve. C’était finalement la même stratégie que dans Hans & Gretel. Élise était la seule à pouvoir retrouver ce fil, tant il était ténu. Il fallait espérer qu’il ne se soit pas cassé en route, mais, en touchant le fil, Élise en perçut les vibrations, et fut donc rassurée. Le fil était toujours là.

La femme-araignée invita donc Epona à la suivre. Elles s’engagèrent dans la forêt, et purent voir des traces de cheval. Une autre trace, mais qui s’estompait ensuite. Les pillards avaient dû utiliser des buissons accrochés aux chevaux pour effacer leurs traces, laissant des traînées boueuses qui devinrent rapidement impossibles à suivre. Élise pesta sur place.

« Je peux les poursuivre en prenant une forme arachnéenne, mais tu as peut-être un cheval. Ce serait plus simple pour nous deux, ma jolie. »

Sinon, Élise pourrait se balader le long des arbres, car le trajet allait être long, les bandits s’étaient enfoncés profondément dans la forêt…