Majestueux et impressionnant, le Patriarche n’était pas pour autant effrayant. On pouvait sentir en lui une profonde bonté. Shad avait pris sa forme draconique, exprimant sa surprise, ses doutes et ses incompréhensions. Le Patriarche releva la tête, et, pour seule réponse, souffla un feu multicolore sur Shad. Les flammes fusèrent autour d’elle, sans jamais la blesser, mais en faisant apparaître des images autour d’elle, des visions.
« Nous, les dragons, sommes les plus anciennes créatures de Terra. Notre feu a forgé ce monde. Nous sommes les bâtisseurs des planètes, issus du magma bouillonnant et de la lave en fusion des mondes naissants. Nos ailes recouvrent les mondes. Toutes les civlisations nous mentionnent, toutes les cultures nous évoquent, nous craignent, et nous admirent. Nous sommes l’héritage des temps anciens, quand la vie n’était qu’à un état embryonnaire, et que la magie était partout. »
Un rideau de feu autour d’elle. Des flammes dans lesquelles les ombres des dragons dansaient, ainsi que des hommes qui apparaissaient, et qui les vénéraient.
« Les hommes ont appris l’existence du feu par notre intermédiaire. Nous devions les protéger, les guider… Mais certains se sont détournés. »
Sur les images flottant autour de Shad, les dragons devenaient alors plus menaçants, se retournant contre leurs dévots, les enflammant, les dévorant. En regardant les images, on pouvait les entendre hurler, se tordre de douleur.
« Je suis l’un des Totems, Shad. Je suis le frère de la Tortue. Nous sommes les Enfants de la Kabbale. J’ignore si cela fait de moi le premier dragon. Mon feu a toujours brûlé en toi, Shad. Ce n’est pas moi qui ai besoin de toi, c’est toi qui as besoin de moi. »
Les flammes s’envolèrent alors, et le décor changea encore. Shad avait repris sa forme humaine, et se trouvait désormais à l’orée d’une forêt, de nuit. Un ciel étoilé la surplombait, et un village se découpait à proximité.
« Permets-moi de prendre une forme plus humaine, c’est plus simple pour parler. »
La voix émanait de derrière Shad. Un homme à la peau d’ébène, aux yeux ambres et avec des bijoux dorés, se tenait là. Son aura ne mentait pas : il était le Patriarche. Beau, magnifique, dégageant une aura qui l’amenait au même stade que les Dieux… Et accessoirement nu.
« Depuis toujours, Shad, tu erres sur Terra et sur ses mondes-jumeaux à la recherche d’un foyer. Au fond, je pense que tu as toujours inconsciemment cherché ce dont tu as été privée. Tes souvenirs ont occulté ton enfance. Je suis convaincu que, si tu regardes aussi loin que tu peux dans ton passé, tout ce dont tu dois te rappeler, c’est l’esclavagiste qui t’a capturé alors que tu errais sur Terre. »
Ce décor ne devait rien au hasard. Ils étaient dans les souvenirs de Shad. Par ailleurs, on pouvait noter que la voix du Patriarche avait changé. Un timbre moins solennel, mais beaucoup plus charmant, et même sensuel.
« Rien ne se perd dans le cerveau. Le feu que je t’ai insufflé nous a permis d’accéder à tes souvenirs fermés. »
Le Patriarche s’avança. Le sentier forestier menait à une butte surplombant le village. Un petit village de montagne, avec une grande statue au centre, en forme de dragon, et un temple niché dans la montagne.
« Nous y sommes, Shad. C’est le point de non-retour. La clef de ce que tu es appelée à être depuis ta naissance se trouve ici… Mais tu as le choix. Tu t’es éloignée de ta voie, et tu as fait bien des rencontres qui ont changé ta vision des choses. »
La main du Patriarche s’ouvrit, et généra un Portail à côté de lui.
« Je ne veux te forcer à rien, Shad. Emprunte ce Portail, et tu te réveilleras en compagnie de ma chère Alice. De cette conversation, il ne te restera aucun souvenir. »
Le choix lui appartenait… Plus que tout, le Patriarche respectait la liberté et le libre arbitre de chacun.