Il ne lui en voulait pas. De toute manière, personne ne lui ferait jamais aussi mal que sa sœur, qui l’avait torturé pendant des années. Il aurait pu la laisser mourir ici, mais avait décidé de la sauver. Un choix purement stratégique. Bran était en infériorité numérique, et ne connaissait pas le terrain. La Celkhane, derrière son comportement teigneux, était aussi une guerrière de talent, qui pouvait donc l’aider à fermer le Monolithe. Bran l’avait donc attrapé, avant de descendre en glissade le long de la surface du Monolithe, atterrissant sur le sol, pour voir que le Sans-Nom était en train de mourir, face à Miranda Thorne, la « Dame d’Acier ». La redoutable Mijakienne était donc liée à cette histoire ? Peu lui importait. La seule chose qui avait de l’importance, en réalité, était de protéger sa sœur. Ces années de torture, de cruauté, avaient eu pour effet de rendre Bran extrêmement docile, de briser sa volonté. Avant d’être transformé en vampire, il haïssait sa petite sœur, qui avait tué sa mère, il haïssait son corps parfait, qui lui rappelait celle de sa défunte mère. Bran avait un complexe œdipien qui ne s’était jamais vraiment résolu, et, quand il défonçait les fesses de sa sœur, c’était une manière, non seulement de se venger de cette dernière, de se délecter de ses hurlements d’agonie, mais aussi de satisfaire sa pulsion d’amour fusionnelle à l’égard de sa mère. En le torturant à ce point, Mélinda lui avait montré qu’elle n’avait fait que remplacer sa mère.
Bran l’aimait, tout simplement... Au-delà sa servitude forcée, il était amoureux de sa sœur. Que ce soit les Celkhanes, les démons, ou des saloperies de Nécromorphes, il ne laisserait personne lui faire du mal.
Suki abattit Miranda*, qui tomba dans le vide, disparaissant dans le trou. Le coup de feu ne l’avait pas tué, mais l’avait surpris, la blessant, et un tentacule noirâtre jaillit de ce trou abyssal, l’attrapant par la gorge, et la fit basculer à l’intérieur, dans un hurlement de terreur absolu. Le trou était immense, avec une espèce d’intense boule lumineuse en contrebas. Le long des murs, on voyait des marées de monstres en train de grimper, enfonçant leurs griffes dans la paroi, tandis qu’une masse noire émergeait peu à peu de cette lumière étincelante, amenant un monstre beaucoup plus gros.
« Coupez... Les... Tentacules... » réussit à gémir le Sans-Nom.
Bran obtempéra. En réalité, il suffit de couper deux tentacules pour que la masse du Monolithe s’écrabouille dans le trou. Le Monolithe se mit alors à luire d’une intense lueur rouge, tandis que des inscriptions, ressemblant à de longues arabesques, se mirent à briller. Des runes magiques qui scellèrent la faille, coupant le lien entre les Nécromorphes et leur maître. Les ennemis cessèrent alors de bouger, totalement inertes, mais encore en vie. C’était juste qu’ils ne pouvaient plus réfléchir, leurs cerveaux étant éteints. Le Monolithe était rabaissé.
C’était terminé.
Mais pas totalement.
Bran se tourna vers Suki. Elle était blessée. L’explosion dans le bureau avait perforé ses boucliers et son armure. Elle mourrait si on ne faisait rien, et les Celkhanes n’avaient pas de trousses de soin sur elle. Cependant, Bran avait son sang, et le sang vampirique avait des propriétés curatives. Il se pencha vers la femme, en s’étant ouvert la peau, faisant jaillir son sang, et le posa sur ses lèvres.
« Vous ne vous transformerez pas en vampire... Mais ça vous soignera. »
« On... On va retourner à la maison, Maîtresse ? demanda une Liana affolée.
- Bien sûr, Liana, bien sûr, ma belle... »
Liana était naturellement très inquiète. Outre sa propre vie, elle craignait beaucoup pour celle de sa Maîtresse. Pendant cette heure, les esclavagistes avaient parlé de Caelestis, qui n’était pas un plat de cuisine, et en des termes peu élogieux. Ils pensaient qu’on allait les tuer, ou leur faire subir un faux-procès, où le seul objectif serait de les abattre comme des chiens. Un esclavagiste s’avança vers elles, dans un costume rapiécé.
« Je pense que le mieux, pour tout le monde, serait que vous partiez. Nous avons perdu plusieurs des nôtres, et vous avez perdu plusieurs des vôtres... Je crois qu’il y a eu suffisamment de sang comme ça dans ce fort. Dès que la tempête sera terminée, les Mijakiens viendront nous secourir, vous n’aurez jamais, matériellement parlant, le temps de tous nous emmener. »
Les Celkhanes avaient la main pour l’instant... Mais, si jamais la tempête devenait suffisamment faible pour permettre aux démons mijakiens de passer, la situation s’inverserait... Et, dans ce cas, si les Celkhanes ne voulaient pas finir esclaves dans le cirque, elles avaient intérêt à rapidement agir de manière raisonnable... Cependant, les Celkhanes fonctionnaient rarement de manière raisonnable, c’est ce qui faisait leur charme.