The Multiversity

Les doutes de Ryanne, Samara ne pouvait que les partager. Gascoigne avait sans ménagement bousculé la Xeno-fae, et était fort peu aimable. D’un autre côté, pouvait-on s’attendre à autre chose, venant de cette ville ? Samara était tentée de revenir en arrière, de retourner à la clinique d’Iosefka, d’autant que Kazuha était blessée, et qu’elle ignorait l’efficacité à long terme du traitement de Gascoigne.

« Je ne lui fais pas confiance, non. On devrait retourner à la clinique d’Iosefka, pour examiner davantage Kazuha. »

Samara savait que Kazuha allait s’en vouloir. C’était sa garde du corps, elle n’était pas supposée être dans le coma. L’Archimage allait devoir veiller à ce que Kazuha ne tente pas par la suite de se faire pardonner en risquant inutilement sa vie. Gascoigne avait sorti une flasque de sa poche intérieure, et buvait un peu.

Il se retourna vers elles.

« Le temps est déréglé dans cette ville, mes jolies. Vous n’aurez jamais le temps de retourner à la foutue clinique avant la nuit, et je vous déconseille de rester dehors en pleine nuit, a fortiori avec votre copine qui est blessée. »

Samara se pinça les lèvres. Elle leva la tête. Le soleil commençait effectivement à descendre, et elles avaient fait un long chemin pour arriver jusqu’ici. Avec la rue détruite, et le risque que des monstres supplémentaires approchent, Samara devait trancher. Gascoigne était certes rugueux, mais il les avait après tout aidés, et, à sa manière brute de décoffrage, avait aussi soigné Kazuha.

L’Archimage trancha donc. Elle usa de sa magie, et le corps de Kazuha se mit à léviter. Samara releva ses bras pour les lier, ainsi que ses jambes, évitant ainsi de les faire trop ballotter.

« Très bien, on vous suit. »

Elle se retourna vers Ryanne, pour lui préciser le fond de sa pensée :

« Nous sommes suffisamment fortes, Ryanne, je n’ai pas à avoir peur d’un homme. »

C’était l’expression de son passé, de son traumatisme. Samara avait été misandre, car elle avait eu peur des hommes, à l’époque où elle avait été enfermée et martyrisée par un mage noir qui avait abusé d’elle. Samara avait appris à se soigner, et elle ne tenait pas à se montrer faible.

Gascoigne s’en amusait, et reprit sa marche. Samara et Ryanne le suivirent donc, ce qui les rapprocha finalement d’une chapelle avec un cimetière. L’entrée principale de la chapelle était condamnée, ce qui fit que le quatuor passa par une porte latérale le long d’un mur en pierre, menant au cimetière. Autour de la chapelle, un voile brumeux s’était levé. Le vent sifflait fortement, renforçant le côté lugubre de la scène.

En passant par le cimetière, ils rejoignirent l’arrière de la chapelle. Gascoigne ouvrit la porte à l’aide de l’une de ses clefs, et le quatuor put ainsi rejoindre les quartiers du prêtre. Sa chapelle avait été totalement murée, et des bougies illuminaient celle-ci. La nef était remplacée par une carte de la ville avec des indications, et quantité d’armes.

« Posez-là sur une couchette, votre copine a l’air endurante. Navré d’avoir été un peu brusque tout à l’heure, mais il fallait vous sortir les doigts du cul. Quand la brume s’abat, c’est que la nuit s’approche, et il faut pas traîner dehors… La brume, quand elle vous prend, elle vous relâche pas. »

La chapelle abritait également sur les bancs des victuailles, et beaucoup de bouteilles. Samara vit des arbalètes, des lances, des haches… Un vrai arsenal !

Selon Samara, elles auraient dû revenir sur leurs pas, retourner à la clinique d’Iosefka. Pour prendre soin de Kazuha. Mais le chemin du retour, comme l'avait souligné Gascoigne, était encore moins sûr de nuit. Et la nuit, en l'occurrence, tomberait avant qu'elles n'eussent atteint leur point de retraite...
De bien funestes promesses ! Pourtant, je suis forcée de reconnaître qu'avec une blessée sur le dos, il nous sera impossible de combattre dans de bonnes circonstances et, par la même, de garantir notre survie.
La séduisante diablesse prit donc la décision de suivre le prêtre débauché. Elle soutenait qu'elles étaient fortes, soit capable de tenir tête à leur guide en cas de pépin. La Xéno-faë eut tout de même le sentiment que, même s'il y avait de la vérité dans cette déclaration, Samara avait également prononcé ces paroles pour se rassurer.
Et à en juger par son hilarité mesurée, Gascoigne dut le comprendre lui aussi.
Comme à l'une de ces rares occasions où un sourire n'éclairait pas son visage de fée, Ryanne fronça les sourcils.

- Effectivement, nous n'avons pas à avoir peur de quiconque.

En lui emboitant durablement le pas, elles arrivèrent devant une chapelle délabrée. Jouxté d'un cimetière, le bâtiment religieux paraissait enveloppé dans un manteau de brume que le vent ne parvenait pas à chasser.
Il y a de la magie dans l'air, perçut l'Envoûteuse. Une énergie lugubre mais, pour le moment, inoffensive.
Malgré l'ambiance, ses traits enfantins s'étaient détendus. La curiosité reprenait le dessus. La psyché de la magicienne fonctionnait ainsi. Il est rare quand elle s'énerve ; plus encore quand les griffes de l'angoisse parviennent à se verrouiller autour de son cœur d'aventurière émérite.
Pour pénétrer dans la chapelle, le groupe dut longer ses fenêtres condamnées par le côté, tourner le dos au cimetière et passer le seuil d'une porte que le prêtre avait verrouillé à double tour.

- C'est plutôt charmant, commenta Ryanne en posant ses yeux mauves sur les nombreuses bougies qui éclairaient l'intérieur.

Avant de remarquer la carte de la ville pointée de multiples indications, ainsi que les armes que l'on avait aligné... un peu partout ?
Sourcils haussés, la Xéno-faë ajouta :

- Sacré armement que vous avez là, monsieur le prêtre ! (Elle avait au moins retrouvé son sourire.) Vous étiez maître d'armes dans une autre vie ?

Et peut-être un petit peu de son sens de l'humour.
Après avoir invité Samara a étaler sa servante sur une couchette, Gascoigne s'excusa de s'être comporté comme un rustre, usant de l'urgence comme prétexte. D'après son expérience - et il devait en avoir pas mal, au vu de son apparence ! -, la brume, au-dehors, était à la fois présage de nuit imminente et... de terribles ennuis.
Ryanne survola les armes et les réserves de nourriture du regard.

- Sur ce point-là, je suis prête à vous croire sur parole, déclara-t-elle tout en déambulant prudemment dans le repaire du prêtre. La brume est bizarrement épaisse. Tellement que le vent rugissant ne semble pas avoir de prise sur elle. Au vu du cadre qu'elle englobe, je ne serais pas étonnée de voir des spectres ou des goules se balader dans le cimetière. Cette malédiction semble se servir des morts comme de marionnettes enragées et affamées ; le genre qui jalouse et se nourrit de la vie.

Elle s'arrêta pour réfléchir et, sur un ton réduit, allongea :

- Je me demande bien ce qui, dans toute cette histoire, intéresse tant la Mère des Fées...

Un coude soutenu par une main, la missionnée de l'impossible avait adopté une posture de songeuse. De ses autres doigts, elle se massait pensivement le menton. Son silence ne s'éternisa point.

- Sa curiosité n'est guère aussi grande que la mienne. Elle ne m'aurait pas envoyée ici sans avoir une bonne raison de le faire. Ce qui signifie qu'elle recherche quelque chose de concret, et que je suis supposée le découvrir par moi-même.

Telle la sphynx, l'Évocatrice fonctionnait souvent par énigme.

- Les liens que je suis amenée à créer avec mon entourage ne relèvent pas de sa seule motivation. Les intentions louables envers d'autres espèces mises à mal n'aiguillent pas sa bienveillance. Il y a forcément autre chose qui réclame mon attention...

Elle se remit à errer dans la nef, ses pas résonnant entre ses murs de pierre.

- Je l'imagine mal recourir à une magie aussi noire que celle qui hante cette cité. Pareil outil pourrait se retourner contre elle, et je la sais suffisamment intelligente pour anticiper ce damné cas de figure.

Alors quoi ?
Ryanne leva les yeux au plafond et, soudain, abandonna sa réflexion.
Il y avait peut-être d'autres choses de plus urgentes à penser, non ?

- Si nous ne pouvons pas sortir d'ici la nuit, qu'allons-nous faire en attendant que le jour se lève ?

Kazuha dormait à poings fermés. Mais les trois autres...
Ryanne regarda l'ivrogne.

- Non merci, je n'ai pas soif.

Juste au cas où.

La carte de la ville comprenait plusieurs annotations, émanant sans doute de la main de Gascoigne. Elle vit surtout à hauteur de la cathédrale un nom qui attira son attention : « Monstre Clérical ». Tandis que Ryanne se demandait quoi faire, Gascoigne ouvrit une bouteille, et grogna brièvement, puis avala une lampée d’alcool.

« Vous traquez ces monstres ?
- Mmmh… Vous savez lire, au moins. »

Samara ne releva pas la provocation de l’homme.

« Cette bête bloque l’accès de la cathédrale ?
- Elle est sur le putain de pont qui y mène. Il y a d’autres entrées, mais il faut faire le tour de la ville. Elle a été créée par les Exécuteurs. »

Samara grimaça. Les yeux interrogateurs de Ryanne ne lui échappèrent guère. Samara lui expliqua que les Exécuteurs étaient un groupe de croisés religieux. Ils avaient été fondés par l’Ordre Divin pour soutenir l’Église du Remède, et étaient sous leur gouvernance. Ils traquaient les monstres. Gascoigne ne semblait guère les apprécier. Le prêtre défroqué s’assit sur un fauteuil rapiécé qui grinça sous lui, et se mit à boire à nouveau. Samara se rapprocha de Kazuha, qui dormait paisiblement. Elle caressa son front.

« Ils ont amené avec eux des Lycans pour les aider… Ils pensaient que leurs bêtes leur resteraient fidèles. Mais l’un d’entre eux s’est rebellé, les a tués, et a évolué, pour devenir ce truc qui m’empêche de rejoindre la cathédrale.
- Que trouve-t-on dans la cathédrale ?
- Des réponses… Ou une meilleure piaule. »

Samara n’insista pas. Ryanne n’appréciait pas Gascoigne, et Samara pouvait le comprendre. Cependant, il fallait aussi être pragmatique ; cet homme connaissait mieux Yharnam qu’elles. Samara n’était toutefois pas rassurée. Cette église barricadée signifiait que des monstres avaient sans doute déjà dû l’attaquer.

« Ryanne… On devrait aller voir dans les combles ou dans la crypte pour s’assurer que cette église soit sûre… »

Cela revenait aussi à laisser Kazuha seule… Samara généra donc un sortilège de protection, qui l’avertirait si ce prêtre alcoolique devait tenter quelque chose sur Kazuha. Elle embrassa ensuite la jeune femme sur les lèvres, puis laissa Ryanne la guider. Elle caressa pour cela les cheveux de Ryanne.

« Je te laisse choisir, je me fie à l’instinct de l’innocente jeune femme que tu es… »

A contre cœur sans doute, Samara récolait des informations auprès de Père alcoolo. Ryanne les entendait, bien entendu. Sa réflexion ne l'empêchait en rien de traiter un autre sujet en même temps, avec un autre compartiment de son cerveau de fée. Car oui : elle ne fonctionnait pas tout à fait comme les autres espèces intelligentes. Sans doute autant en raison de son âge impossible à calculer que sa nature mystique. Ce qui lui permit, effectivement, d'interroger l'Archimage de Mijak du regard et d'assimiler, de la bouche de cette dernière, la fonction des Exécuteurs. Un groupe de croisés religieux, des chasseurs de monstres placé sous la coupe de l'Eglise du Remède.
Et ces mêmes personnes auraient créé un monstre pour les aider dans leur mission ?
Une pratique dangereuse, un pari risqué...
La suite logique, le sombre prêtre la leur conta : un Lycan s'était retourné contre ses maîtres pour finalement évoluer en quelque chose d'encore plus maléfique.
Bravo, le veau ! Voilà tout ce qu'on récolte à vouloir jouer avec la création sans y mettre les gants.
Le chaos et la mort.
Ryanne secoua la tête en soupirant.
Samara répondit alors à sa précédente interrogation. C'est ainsi que deux choix s'offrirent à elle. La démone lui faisait suffisamment confiance pour décider, à sa place, de l'endroit à visiter en premier. L'Optimiste trouvait cela flatteur. En plus de cette caresse sur la tête qui avait le mérite d'attiser son désir lors de certaines occasions...
Ici, l'Envoûteuse se fit fort de contrôler ses pulsions.
Pas si innocente que ça, la bonne fée, gloussa-t-elle intérieurement avant de hocher très doucement la tête.
Elle leva un index.

- Très bien ! Tout d'abord, il n'est pas question que l'on se sépare. Nous ne sommes plus que deux parmi notre groupe originel : il ne serait pas judicieux de continuer à réduire cet effectif déjà moindre.

Elle dressa son majeur, formant un "V" de la victoire avec son autre doigt qui n'avait pas remué.

- Les combles m'intéressent davantage que la crypte qui, si cela ne tenait qu'à moi, serait déjà condamnée depuis longtemps...

Au passage, un petit regard de reproche au prêtre.
Son annulaire se joignit à la bande.

- Il y a des chances que nous soyons plus tranquilles là haut. Et ça tombe bien dans la mesure où notre dernière altercation avec les infectés m'a forcé à puiser davantage d'Imagina que de raison ! Je regrette aucunement de ne pas m'être montrée plus économe, sans quoi notre précieux lien aurait sans doute été tranché par les griffes de l'adversité. Votre survie sur le long terme m'importe beaucoup plus que ma récolte dans l'instant présent.

Petit sourire de connivence.
L'auriculaire de sa main libre se dressa, lui aussi.

- Kazuha a besoin de repos et nous ferions bien de la laisser tranquille. Notre ami le prêtre l'a soignée, et vous vous avez usé d'une protection sur elle par-dessus le marché. Il ne devrait rien lui arriver de mal mais dans le doute...

Son pouce se plaça sur le côté, et Ryanne tendit sa main vers la concernée. Celle-ci entra brièvement en surbrillance ; le sortilège de protection dont on l'avait gratifiée sa maîtresse bénéficia alors d'un surplus de pouvoir non négligeable.
Un bien maigre prix à payer pour assurer le confort et la sûreté d'une telle alliée !
Toute sourire, la Xéno-faë passa un bras dans le creux du coude de Samara.

- Allons donc voir ce qui nous attend là-haut, belle et glorieuse aventurière~

Pour la sainte pérennité de leur alliance !

La critique à peine voilée de Ryanne à l’égard du manque de précaution de Père Gascoigne n’amena ce dernier qu’à boire un peu de sa flasque, avant de roter. Samara était, elle, assez inquiète des expériences menées ici. Ce Lycan monstrueux… Qui sait ce que cette ville maudite abritait encore ? Elle écouta Ryanne, qui préféra rejoindre les combles, les estimant moins dangereuses que les cryptes. Ryanne refusait que les deux se séparent, et elle renforça la protection de Kazuha. Samara hocha la tête tandis que Gascoigne se contenta de hausser les épaules, et de finir sa flasque. Il semblait faible, mais il avait pourtant tué en une seule balle ce monstre qui avait combattu les trois femmes. Il était de plus toujours en vie, et n’avait pas cherché à quitter cette ville. Samara avait un mauvais pressentiment en ce qui le concernait.

« Allons-y, alors, Ryanne. »

Pour rejoindre les combles, Samara ouvrit une porte latérale, menant à un escalier en colimaçon. Les deux femmes l’empruntèrent, et rejoignirent ainsi l’étage supérieur de l’église. L’étage supérieur comprenait une partie habitable, avec un petit escalier menant aux combles. Samara put voir une antique bibliothèque, et comprit que cette partie correspondait à l’habitation du prêtre. Le plancher en bois grinçait sous leurs pas. L’odeur de moisi qui régnait ici confirmait que Gascoigne ne devait pas monter souvent. En rejoignant la bibliothèque, Samara fronça les sourcils en voyant des bocaux poussiéreux, et des livres ouverts. Elle les examina. Des carcasses de bouteilles jonchaient le sol, mais elle put voir des traités médicaux, des essais cliniques, des notes d’expérience.

« Je pense que cette église a dû servir de temple médical à un moment… »

On entendait encore le sifflement du vent. L’endroit était lugubre. Le reste de l’étage comprenait une chambre. La porte avait été arrachée de ses gonds, et on pouvait voir à l’intérieur un lit avec des sangles. Les sangles avaient été arrachées de l’intérieur, et les murs en bois étaient encore ornés d’énormes traces de griffure, suggérant qu’une bête terrifiante avait dû se trouver là, et était sortie il y a longtemps en arrachant la porte. Samara constata également que beaucoup de livres avaient été éventrés et déchirés.

*J’ignore ce qui s’est passé ici, mais cela ne me dit rien qui vaille…*

Samara avait la nette impression que l’énigmatique Gascoigne n’avait pas encore révélé tous ses secrets…

En suivant Samara dans les combles, Ryanne découvrit une bibliothèque poussiéreuse qui manqua la faire éternuer. Il y avait de la place, là-haut, mais l'endroit n'avait pas été utilisé depuis un sacré moment ! Non seulement le sol grinçait sous les bottes des exploratrices, mais en plus de cela pas mal de détritus le jonchaient. En examinant quelques notes trouvées çà et là, l'Archimage en déduisit que l'église avait fait office de temple médical... il fut un temps.

- Je partage cet avis.

Le vent s'introduisait dans les combles par un ou plusieurs minuscules interstices. Ryanne l'entendait et le sentait. Il n'y avait pas que l'endroit qui était lugubre : l'élément lui-même avait été perverti par son environnement malsain. Cette magie qui pesait si lourd sur la cité n'inspirait rien de bon et encore moins d'utile à l'Envoûteuse.
Que cherchez-vous à obtenir, au juste ? J'ai peine à croire que le lien que j'ai créé avec ces deux aventurières soit autre chose qu'un bonus à vos yeux.
L'Évocatrice demeurait muette. Il appartenait donc à la Xéno-faë de résoudre cette affaire comme une grande.
Toujours aussi dédaigneuse...
Lâcher des piques ne menant à rien non plus, Ryanne suivit le regard de la démone. Vers cette chambre glauque, sans porte, avec pour principal mobilier un lit agrémenté de sangles déchirées. La bonne fée promena ses yeux mauves sur les sillons parallèles ornant les murs. Des marques de griffes d'une taille monstrueuse.
De quoi donner matière à réfléchir aux observatrices.
Porte arrachée de ses gonds. Des liens déchirées. Des livres saccagés. Des murs décorés avec une vigueur animale...
Cette partie des combles respirait la folie et la haine.
L'Envoûteuse se tourna vers Samara.

- Je sais ce que vous pensez, annonça-t-elle d'emblée. Notre sauveur alcoolique n'est pas un saint... ou du moins ne l'est plus depuis le jour de sa métamorphose.

Elle eut un geste en direction de la chambre salement touchée.

- La bête vit en lui. J'ignore toutefois s'il en est conscient et joue un rôle, ou si sa version animale est suffisamment influente pour déformer la réalité. Mes connaissances en matière de lycanthropie sont à peu près dans le même état que ces ouvrages.

Ryanne avait beau être une grande optimiste, elle avait parfaitement conscience de ses lacunes. Ce qui, en même temps, lui assurait une importante marge de progression. Alors pourquoi s'en riderait-elle ? La Xéno-faë n'avait qu'à conserver le sourire et survivre comme elle l'avait toujours fait jusqu'à présent !

- Nous devrions garder tout ça pour nous, lui confia la magicienne. Et surtout nous tenir prêtes à réagir le moment venu.

Et donc ? Direction la crypte, maintenant ?

« Nous tenons peut-être là l’explication de son alcoolémie, Ryanne… »

Samara partageait en tout cas la position de la Xeno-fae ; mieux valait ne rien en dire à Gascoigne. Le fait qu’il soit resté dans cette ville semblait en dire long sur le fait que le prêtre conservait encore en lui un semblant de rationalité. Ryanne proposa ensuite d’examiner la crypte, et Samara hocha la tête. Elles rebroussèrent chemin, tandis que la démone repensait à ce que Gascoigne avait dit tantôt.

« Gascoigne a parlé de Lycans… Il n’est pas dans l’habitude de l’Ordre Divin d’utiliser ces créatures, qui sont considérées comme mauvaises. Cependant, la lycanthropie est un mutagène qui a aussi pour effet de protéger les personnes qui en sont atteintes de toute autre infection. Après tout, un remède fonctionne sur le modèle de la maladie. Soigner quelqu’un, c’est lui inoculer la maladie modifiée, afin que l’organisme puisse repousser l’infection. Je pense que les religieux ont utilisé la lycanthropîe pour tenter de guérir la malepeste. »

Lycanthropie, vampirisme… Cela faisait partie des mutagènes utilisés par certains pour essayer de combattre les effets de la malepeste. Pour l’heure, les essais n’étaient pas concluants, mais, ici, à Yharnam, il y avait quantité de cobayes. Était-ce ce qui était arrivé à Gascoigne ? Il semblerait en tout cas que la lycanthropie offrait un début de solution, puisque le père était toujours lucide, suffisamment pour les aider, pour combattre un monstre, et pour les guider jusqu’à cette église. Plongée dans ses pensées, Samara revint jusqu’à la nef. Elle examina encore un peu Kazuha, qui dormait paisiblement. Gascoigne était affalé sur sa chaise, les pieds sur son bureau, la tête contre le mur. Il tenait une flasque vide entre les doigts, son chapeau rabattu sur son visage.

Samara préféra ne rien dire. Il savait qu’elles étaient montées, il devait donc se douter qu’elles savaient. L’Archimage rejoignit une autre porte, et elles s’enfoncèrent dans les profondeurs de l’église.

Comme on pouvait s’y attendre, la crypte avait aussi servi de laboratoire. Samara pouvait voir des tables chirurgicales, des instruments, des bocaux poussiéreux remplis de liquide translucide avec des organes… Et, encore une fois, des traces de griffure zébrant les murs en pierre. Des moellons avaient été arrachés, des livres éventrées. Samara utilisa un sortilège, et généra dans sa main une lumière bleuâtre, qu’elle utilisa ensuite en écartant ses doigts. Des traces de sang séchées apparurent ensuite sur les murs, sur le sol, formant des traînées qui s’enfonçaient dans les profondeurs de la crypte, vers des rangées de couloirs abritant des cercueils.

« La crypte continue par là, Ryanne… Méfie-toi, je pense que Gascoigne n’était pas le seul cobaye des expériences qui ont eu lieu ici… »

Les livres encore restants ne mentaient pas. Ils évoquaient la lycanthropie, et, dans les bocaux, Samara pouvait voir des mâchoires, des poils, qu’elle identifia à des loups ou à des Lycans, vu leurs canines proéminentes et leurs dentitions acérées. Quoi qu’il se soit passé ici, cela avait été assurément terrifiant et sanglant…

Aux grands maux les grands remèdes ! C'était ce à quoi avait répondu l'Ordre Divin dans l'espoir de soigner la malepeste. Cette histoire d'implantation de mutagènes donnait des sueurs froides à la bonne fée, mais elle réprima au mieux ses frissons.
Samara l'avait prévenue que l'endroit était digne d'un film d'horreur. Même si elle n'avait pas employé ces mots exacts...
Les patients étaient-ils consentants ?
Au vu de l'étendue de la catastrophe, la Xéno-faë ne se faisait pas trop d'illusion à ce sujet.
Avec l'Archimage, elle rejoignit la nef où Kazuha, plongée dans un sommeil sans rêve, reprenait doucement des forces. Le Père Cascoigne, lui, était toujours vautré dans sa chaise, son chapeau rabattu sur la ligne de ses yeux. Sans surprise, le religieux avait bu. La flasque vide qui pendait entre ses doigts en témoignait à sa place.
Ce n'est pas terrible pour sa santé mais je ne peux pas dire que le trouver là, assis sagement à sa place, ne me rassure pas.
Comme la démone, Ryanne ne produisit aucun bruit superflu. Ensemble, elles descendirent à la crypte pour y découvrir une nouvelle scène pas très glamour. Des tables chirurgicales, des outils de travail douteux, des bocaux remplis de morceaux humains... et surtout des marques de griffes le long des murs.
Quelqu'un n'était pas très content de subir ce traitement.
Les livres qui reposaient par terre étaient dans un sale état. De lourdes pierres, autrefois fixées aux murs, jonchaient le sol en de multiples morceaux. Il avait fallu une force démentielle pour provoquer de tels ravages !
Samara passa en revue les différentes surfaces à l'aide d'une lumière bleue qu'elle avait invoquée par magie. De nouvelles traces suspectes apparurent aux yeux du duo. Elles s'étiraient dans l'obscurité, plus loin à travers les couloirs...
L'Archimage eut tôt fait de la mettre en garde quant à ce qu'elles risquaient de rencontrer par là-bas : des cobayes ayant mal tourné.

- Je crains que vous ayez raison, soupira l'aventurière aux cheveux mauves. Entre les dégâts provoqués un peu partout et le nombre de tables qu'abrite cette église, difficile d'être optimiste quant à l'ampleur du désastre.

Un coup d'œil du côté des livres déchirés lui donna une idée. Samara prônait la prudence ? Très bien ! Ryanne s'arrêta à bonne distance des profondeurs de la crypte pour se concentrer un instant. Ses prunelles d'améthyste s'illuminèrent, et dans la trajectoire de son regard brûlant de magie apparut un grimoire volant orné d'un papillon bleu. Des volutes d'Imagina filtraient paresseusement par-delà ses pages closes.



L'Envoûteuse de Faëlya fit signe à l'Archimage de Mijak de rester où elle était.

- Va, souffla-t-elle à son leurre lévitant. Ouvre nous la voie.

L'invocation partit en éclaireur. Connectée visuellement à lui, Ryanne le vit prendre la direction des couloirs et s'aventurer du côté des cercueils. Ce que les potentiels dangers environnants ignoraient à son sujet, c'est que l'ouvrage magique abritait un unique sort qui, comme sa couverture stylisée le laissait deviner, se déclencherait au moindre contact violent en déployant tout autour de ses pages une vaste toile d'araignée féerique ! De quoi engluer et affaiblir ses prétendants par l'intermédiaire d'une substance maligne.

Pouvait-il y avoir des menaces là-dessous ? Gascoigne avait bien dit qu’il n’avait pas condamné la crypte, et l’explication était peut-être là. Ryanne décida donc de suivre la recommandation de prudence de l’Archimage, et généra un livre magique, qu’elle utilisa comme éclaireur, et comme bombe à toile. Samara acquiesça devant ce sortilège, et, en signe de remerciement, sa main glissa sur les cheveux de Ryanne, les caressant.

« Parfait… Mais méfiance malgré tout, je ne sais pas à quoi nous attendre ici… »

Après quelques minutes, le livre finit par revenir depuis une autre galerie de la crypte, signe qu’il n’avait rencontré aucune menace. Samara fronça les sourcils, ne s’attendant pas à ça, puis s’aventura ensuite dans la galerie. À droite et à gauche, des tombes closes. La crypte abritait les anciens prêtres et érudits qui avaient officié ici, ainsi que leurs familles. Elle regarda les noms sur les stèles, et suivit le chemin. Au fond de la crypte, le couloir partait sur la gauche pour revenir vers l’entrée. C’était au fond de la crypte qu’il y avait eu un éboulement. Les griffures étaient là, le long des murs, et on avait détruit le mur depuis l’intérieur. Les monstres de la crypte avaient fui par là. Samara, après quelques hésitations, passa à travers le trou, et entra dans une grotte souterraine. Sa sphère lumineuse s’amplifia en s’élevant, permettant d’éclairer une grande grotte poussiéreuse et sinistre. Samara frémit alors, et se déplaça un peu.

Elle grimaça en voyant finalement un spectacle lugubre. Au fond de cette grotte, il y avait de nombreuses carcasses de monstres. Sa sphère éclaira les corps déchiquetés. Elle reconnut des carcasses de nécrophages : goules, dévoreurs, putréfacteurs, charognards…

« Voilà pourquoi l’endroit est si calme… Ou pourquoi les goules n’attaquent pas la crypte. Les monstres fuient cet endroit. »

Les monstres se faisaient traquer et dévorer ici, sans aucun doute lorsque Gascoigne se transformait. Samara y voyait sans doute un ultime sursaut d’humanité chez le prêtre, qui préférait traquer et se nourrir auprès de monstres qu’auprès des humains qui peuplaient encore Yharnam. Cela expliquait aussi pourquoi il n’avait pas condamné la crypte.

« Je pense que nous en avons assez vu. Gascoigne est dangereux, et sans doute instable, mais il est pour l’heure notre meilleure chance d’en savoir plus sur ce qui se passe à Yharnam, et sur la malepeste. On devrait retourner auprès de Kazuha… »

Sauf si Ryanne souhaitait poursuivre leur exploration…

Tandis que l'ouvrage piégé explorait le site lugubre, la main de Samara flattait la chevelure mauve de sa féerique propriétaire. Si elle en avait eu le pouvoir, Ryanne aurait émis quelques ronronnements de plaisir. Elle était sensible à ce genre de petites attentions, après tout ! Surtout au niveau de la fontanelle.

- Rien de très attrayant, sans doute !

Finalement, son éclaireur revint bredouille. Il n'avait rencontré aucune menace sur le chemin des lourdes tombes que Samara s'en alla examiner à son tour. Refermant ses bras menus autour de son grimoire volant, la Xéno-faë lui emboita silencieusement le pas...
L'inspection se poursuivit jusqu'au fond de la crypte qu'un éboulement avait scellé. Le duo découvrit de nouvelles marques de griffes hors normes avant de lorgner sur un trou suffisamment large pour leur permettre de s'y introduire l'une après l'autre. L'Archimage usa de son globe lumineux pour éclairer la cavité.
Agressée par l'invisible, Ryanne fronça le nez.

- Quelle odeur épouvantable !

Ces miasmes provenaient d'un monticule de cadavres de nécrophages.
Et ils étaient dans un de ces états...
Toujours aussi écœurée autant par le spectacle que l'irrespirable puanteur qui émanait de ce charnier, Ryanne demanda :

- Eurk ! Vous croyez qu'il a réussi à croquer dans ces... choses sans s'empoisonner ?

Selon les dires de l'Archimage tout à l'heure, les mutagènes de Lycan protégeaient son hôte des affres de la maladie et des infections en tout genre.
Ryanne cligna des yeux. C'est que ça commençait à lui piquer fort les mirettes !
Totalement d'accord avec l'idée qu'elles en avaient assez vu, l'Envoûteuse battit prudemment en retraite.

- Dans ce cas, lors de la poursuite notre enquête, nous ferons au mieux pour ne pas exciter la morgue du prêtre.

Elle n'avait aucune envie de se battre avec le Père Gascoigne. Son arme à feu était suffisamment redoutable comme ça, alors si en plus il lui prenait l'occasion de muter et de se faire les griffes sur elles...

- Vous en savez beaucoup sur ces entités, pas vrai ?

Question qu'elle finit par lui poser chemin faisant.

- Elles possèdent forcément un point faible - sinon les membres de l'Ordre Divin n'auraient pas essayé d'en faire leur chien de chasse ! Vous ne le connaitriez pas, à tout hasard ?

Peut-être pourrait-elle synthétiser l'élément honni avec ses pouvoirs de Faë ?
Plutôt que de se balader cul nu aux côtés d'un homme-loup, Ryanne préférait avoir toutes les cartes en main au moment de faire face à cette potentielle menace !

Les dernières révélations découvertes dans la grotte confirmaient qu’il se passait quelque chose d’anormal avec Père Gascoigne. Curieuse, Ryanne demanda à Samara ce qu’elle savait sur les monstres que Gascoigne avait tué, et s’ils disposaient d’un point faible.

« Eh bien, cela dépend du type de monstres que tu affrontes. Les goules classiques sont assez faciles à combattre, mais il y a aussi des monstres nécrophages plus vicieux, comme les putréfacteurs. Eux, quand on les tue, leur sang s’acidifie rapidement, et ils explosent. Il ne faut donc pas rester près d’eux. »

Samara ne s’en faisait pas trop pour ce type de monstres. Ce qui l’inquiétait, c’était plutôt les mutations liées à Yharnam.

« Cette ville a été infectée par un mal qu’on maîtrise encore mal, la malepeste… Une maladie qui a commencé dans des mines, et qui a dévasté Yharnam et les autres royaumes centraux. Mais la malepeste ne fait pas que tuer, elle entraîne aussi des mutations. On l’a vu avec les monstres qu’on a affrontés dehors, Ryanne, ils sont plus dangereux que des monstres ordinaires. Et j’ignore aussi ce qu’il en est pour Gascoigne. Tout ce que je peux te conseiller, c’est d’être vigilante. »

Les anciennes terres de l’Eld étaient réputées être les plus dangereuses au monde, et ce n’était pas pour rien. Samara lui expliqua qu’il y avait quantité de groupes et de guildes qui cherchaient à rejoindre l’ancien royaume central de l’Eld, la cité légendaire de Gilead, l’ancienne capitale du monde, afin d’en chercher les trésors. Toutefois, ces expéditions se soldaient généralement par des voyages sans retour.

Samara était assez réaliste, elle ne cherchait pas à ménager Ryanne, Yharnam était assurément un endroit dangereux, et leur quête l’était tout autant.

« Je suis venue ici pour en savoir plus sur la malepeste. Je pense que Gascoigne peut nous aider… De toute évidence, il a été victime d’expérimentations liées à la malepeste. »

Quand elles remontèrent, ce fut pour voir que Kazuha dormait paisiblement. Gascoigne avait en revanche disparu. Samara se rapprocha de Kazuha, et sourit en caressant doucement sa garde du corps. Elle l’embrassa ensuite sur le front.

« Tu vas être furieuse, ma belle, c’est toi qui dois me protéger, et je veille sur toi… »

Kazuha ne lui répondit pas. Samara l’embrassa encore, puis se rapprocha de Ryanne. Le bureau du prêtre étant désormais vide, Samara écarta les carcasses de bouteilles d’alcool, et trouva rapidement dans les tiroirs des carnets remplis de notes.

Elle lut la dernière page :

Des bêtes partout, partout en ville… Elles deviendront tôt ou tard des bêtes, elle aussi. Cette démone, surtout… La malepeste est le fruit des démons, elle en sera contaminée, et je veillerai. Je veillerai toujours, pour protéger notre fille, Viola. Jamais je ne leur laisserai lui faire du mal. Je traque les bêtes, mon amour, comme je l’ai toujours fait, et comme je le ferai toujours.

Dans l’un des tiroirs, Ryanne pourrait trouver une petite boîte à musique.

« Ouvre-là. »

Le mécanisme de la boîte à musique fonctionnait toujours. Une douce et mélancolique mélopée s’en échappa, tandis que Samara nota la présence d’un mot sur la face interne supérieure de la boîte à musique :

Pour toi, mon Papa.

Que cette mélopée te protège de l’influence sinistre d’Oedon.

Ta Fille qui t’aimera toujours.

« Oedon… C’est un nom que j’ai rarement entendu… Un Grand Ancien. »

Samara était une bonne informatrice. Elle en connaissait un rayon sur les monstruosités boulottées par le prêtre muté. Au-delà de ces détails peu ragoûtants, l'Archimage de Mijak était très attentive à ce qu'il se passait dans la région. Quantité d'expéditions menées par des groupes vraisemblablement sérieux avaient mal tourné, donnant lieu à de tragiques disparitions. Ryanne avait beau être une grande optimiste, elle ne se faisait aucune illusion quant à la fin présumée desdits aventuriers. Pour seul barrage à la malepeste, la belle démone lui recommandait donc une extrême vigilance.

- Si l'on met de côté le malheur qui s'est abattu sur Kazuha, nous nous en sommes plutôt bien sorties contre les infectés, souligna la magicienne. Père Gascoigne nous est également venu en aide à la fin de notre mésaventure, ça je ne l'oublie pas. Nous avons donc une dette envers lui - même s'il n'est pas très net. Si nous pouvons l'aider en retour, nous ferons donc au mieux. (Elle leva un index prévenant.) Je n'en donne peut-être pas l'air mais je reste très alerte, ma chère Samara !~

Son grimoire en était la preuve matérielle. Elle le promenait toujours au cas où. Hors de question de l'effacer de si tôt ! Ryanne n'appréciait pas de gâcher les bonnes choses. A plus forte raison quand elles avaient vu le jour par l'intermédiaire de son Imagina.
Par bonheur, Samara persistait à croire que le prêtre artilleur avait malgré tout le pouvoir de les soutenir dans leur enquête.

- Parfait, parfait ! Cela veut dire que nous sommes d'accord~

Quittant la crypte, elles retrouvèrent Kazuha à la nef. Abandonnée par un Gascoigne absent, la garde du corps dormait à poings fermés. Le Prêtre n'avait pas touché aux protections magiques, qui ne réagirent point lorsque Samara passa au travers pour gratifier sa compagne de ses petites attentions.
En assistant à la scène, la Xéno-faë eut un sourire empathique.

- J'espère qu'elle s'en remettra au plus vite.

Reste qu'il était encore trop tôt pour elle. Alors Samara profita de l'absence de Gascoigne pour fouiner dans son bureau. A voix haute, elle lut une modeste partie de ses écrits qui parlaient justement de ses dernières rencontres.
Ryanne mit les poings sur les hanches.

- Pas très gentil de sa part. On dirait que notre homme vous a dans le collimateur.

Autre information importante : le prêtre était père et pensait agir pour le bien de sa fille, Viola.
En se joignant à la fouille, la Mauve trouva d'ailleurs une boîte à musique qu'elle ouvrit comme demandé. L'accessoire musical fonctionnait toujours. Outre la douce mélopée qui s'en dégageait, Samara remarqua la présence d'un mot.

- En effet ! Vous avez l'œil~

Ce fut Ryanne qui le lut et Samara qui, grâce à ses connaissances, en décrypta le sens profond.
Un nom ressortait : Oedon, celui d'un "Grand Ancien".

- "Rarement entendu" ? S'il s'avère être si "ancien" que ça, n'est-ce pas normal ?

Elle arqua un sourcil d'incompréhension.

- Son "influence" est mentionnée de façon péjorative... pensez-vous comme moi que cette entité est liée à la malepeste ?

Mais ce n'était pas tout. Il y avait comme un hic avec les pièces de ce puzzle.

- Viola est-elle encore vivante, quelque part ? Ou bien notre sauveur à l'appétit morbide et au goût très prononcé pour les boissons alcoolisées n'est pas parvenu à faire son deuil ?

A fortiori, la femme du prêtre n'était plus. A moins d'avoir été "immortalisée" par la malepeste. Mais ça, Ryanne préférait ne pas y croire.

Oedon… Samara ne répondit pas immédiatement à Ryanne, cherchant dans sa mémoire, tout en feuilletant d’autres pages du carnet de Gascoigne :

Ils sont à nouveau venus. Une nouvelle expédition, des Luméens appartenant à une quelconque guilde. Les idiots, je les ai prévenus, mais ils n’ont pas voulu m’écouter. Ils ont continué malgré mes avertissements. Viola, mon amour, je me suis surpris à penser à toi. Je me souviens combien tu n’aimais pas quand le coq nous réveillait. Eux ont tellement hurlé que je me suis dit que tu aurais sûrement protesté contre eux. Ils sont morts, bien sûr. Je les ai brûlés dans un charnier, ils ne méritaient pas de souiller notre cimetière, là où tu reposes à jamais, Viola.

Un passage qui confirmait que cette fameuse Viola était morte. Cela répondait donc à l’une des questions de Ryanne. En ce qui concerne leur fille… Samara n’en avait aucune idée.

« Les Grands Anciens… Tu n’en as jamais entendu parler ? C’est comme ça qu’on les appelle… Des entités ancestrales à la puissance démesurée. Ils ont dévasté le Multivers jadis, avant que les Dieux ne parviennent à les sceller. Mais, comme ils le disent eux-mêmes… N’est pas mort ce qui à jamais dort. Ils continuent encore à influencer notre monde, à séduire les mortels en promettant monts et merveilles, mais en n’offrant que la désolation, à tel point que la mort elle-même apparaît comme une délivrance. Nous leur donnons des noms, mais, au fond, j’ignore si ces divinités s’appellent ainsi. J’ignore ce qu’est Oedon, mais il est fort possible que la malepeste soit liée aux Grands Anciens. Pour être honnête, c’est la théorie la plus privilégiée. »

C’était aussi celle que Samara partageait. Mais, sans preuve, impossible d’en avoir la certitude. Elle continua sa lecture du journal de Gascoigne, lisant une autre page, plus sombre :

La douleur, toujours. J’ai depuis longtemps épuisé les réserves de morphine, et ils ne me laissent pas approcher de l’hôpital. Ils disent que je suis un monstre… UN MONSTRE ! Tu le crois ça, Viola ? Cette nuit, la douleur a atteint un stade indescriptible… Je ne retiens plus la bête qui est en moi. Je vais devoir aller jusqu’à la distillerie, il n’y a plus que l’alcool qui m’apaise. Crois en moi, Viola, je ne cesserai jamais de t’aimer.

Samara fronça les sourcils en lisant ce dernier passage. Elle repensa aux traces de griffures que les deux femmes avaient vue plus haut, et à ce charnier rempli de cadavres en-dessous. Tout confirmait que Père Gascoigne abritait en lui un monstre, ce qui expliquait sans doute pourquoi il était sorti. Kazuha soupira alors. Samara se retourna précipitamment.

« Maî-Maîtresse…
- Kazuha ! »

Samara alla vers elle. Kazuha cligna des yeux, et Samara lui attrapa la main.

« Je… Je suis désolée, Maîtresse… Je vous ai failli. »