Ce qui aurait dû être un passage à tabac tenait maintenant de l'irréel. Le Skull Raider avait déchaîné ses pouvoirs face aux voyous costumés. Ces imbéciles reposaient dans la poussière, étalés en nombre comme de vulgaires enfants écoulant leur sieste au beau milieu d'une aire de jeux. Leurs parents - s'ils étaient toujours en vie - avaient largement de quoi être fiers...
- Vous êtes tous des adultes, leur fit remarquer le Skull Raider.
Depuis un certain temps... (Il secoua la tête.)
Il est désolant de constater qu'aucun parmi vous n'a encore fait l'effort de se comporter comme tel.
Tous n'étaient pas encore HS. Certains étaient même parvenu à se relever !
Le Skull Raider avait-il doser ses coups ? Son aura mystique ne fumait pas en permanence. Il ne s'en servait pas comme d'une armure ; il ne l'utilisait que pour intensifier quelques-unes de ses impulsions. Le reste dépendait principalement de son talent, de sa technique... un concentré mixte, issu de plusieurs écoles de la ville.
La force combinée des associations martiales d'Atarashï Yoake !
Un Yakuza qui se tenait le bras grogna de colère.
- Putain d'enfoiré ! Tu vas pas tenir comme ça éternellement ; au final, c'est toi et ton pote qui allez pleurer vos mères !
De son côté, Bubble se démenait face à un adversaire un peu plus sérieux que les autres. Un Yakuza au style martial plutôt bien fourni. Un type qui n'en demeurait pas moins aussi déloyal que ses congénères puisqu'il ne voyait aucun inconvénient à poursuivre son combat avec une vicieuse assistance, le genre tout à fait capable de se jeter dans le dos des autres.
Le Skull Raider serra les poings. "Il" devait faire confiance à sa coéquipière. Le monde de la nuit ne pardonne aucune faiblesse.
- Si j'avais vraiment peur du nombre, je ne serais pas ici, ce soir, à tous vous confronter en même temps.
Rini n'était pas parfaite. Elle n'avait pas pu tout anticiper. Lors de la mêlée, d'aucuns avaient réussi à l'atteindre en traître. Mais les dommages, grâce à sa combinaison, avaient été moindres ; et ses répliques musclées, toujours beaucoup plus sévères. Le résultat - scandalisant, estomaquant - était là, parfaitement visible au regard de tous. Répandu en un terrain inadéquat, enfantin, et pourtant bien hospitalier. Le Yakuza qui tenait encore debout tremblait sur ses jambes. Les autres n'en menaient pas large non plus.
D'une levée de pied, le justicier de la nuit récupéra sans se baisser une barre de fer qui avait échappé à la poigne d'un rétamé. En la calant contre son épaule, le Skull Raider tendit un bras et fit signe à ses opposants d'approcher.
- Je déteste avoir à taper sur les plus faibles de la portée. Les lâches ne m'intéressent pas - qu'ils décampent donc et s'en aillent implorer la douteuse pitié de leur maître. (Il inclina légèrement la tête, un éclat sanglant filant à travers sa visière noire.)
Je me contenterai de remettre les plus vaillants à leur place.
- Il ne se prend pas pour de la merde, ce con, grinça le yak' en détournant son attention vers les autres.
On arrête de jouer ! Que quelqu'un me passe un flingue, et je le transforme en passoire !
- ATTENTION ! hurla son voisin.
Mais le Skull Raider était déjà sur eux.
- Qu- ?!
Un high kick redoutable ! Il ne vit qu'une semelle noire en gros plan. Sa tête partit violemment en arrière. Quelques éclats blancs volèrent un peu plus loin ; ses dents, arrachées au moment du choc, touchèrent le sol juste après que son corps eut fait de même.
- F-FAIT CHIER !
L'autre dressa sa garde. La barre de fer percuta l'écran formé par ses avant-bras, son impact métallique résonnant jusque dans ses os. Le Skull Raider n'insista pas ; n'attaquant pas dans l'unique but de détruire, il lui frappa plutôt la cuisse d'un coup de pied cinglant, là où son regard ne portait pas. Le Yakuza gémit de douleur, ployant sur sa jambe. Cette fois-ci, le tuyau cogna juste sous sa tempe, le faisant s'écraser comme un château de cartes. Dépliant ses doigts gantés, le combattant des rues laissa choir la barre à ses côtés.
- J'abhorre les armes à feu. Leurs utilisateurs ne m'inspirent aucune pitié.
Soudain, la captation de grognements de bête féroce ! Rini les entendit à bonne distance - malgré le port de son casque. Elle se retourna et vit les deux monstres se ruer dans sa direction. Dobermann et pitbull aboyaient et cavalaient comme des hyènes courant après une gazelle.
Le Skull Raider ne prétendait pas au statut de proie. Et il ne partageait pas non plus le cruel appétit de ses assaillants, qui n'étaient rien de plus que des outils entre les mains du vil maître chien.
Que l'on réduise des animaux à un tel niveau de servitude...
Cela l'écoeurait profondément.
Derrière sa visière ténébreuse, le rouge ardent abdiqua pour le bleu glacial. La couleur du froid et, dans ce cas précis, de la clémence.
Tout en se soustrayant souplement aux morsures, le Skull Raider décrivit plusieurs cercles avec ses bras. Autour de lui, dans un rayon de trois mètres, l'air se rafraîchit et le sol se couvrit d'une fine pellicule de glace. Les chiens, en s'acharnant comme des enragés, dérapèrent dessus. Le pitbull, plus lourd que le dobermann, resta à portée de frappe tout en ne pouvant s'empêcher de tourner sur lui-même. Rini, son aura active, le heurta avec précision, le bout de ses doigts froids butant contre son front plissé.
L'animal devint inexplicablement aussi raide qu'une statue !
Au suivant.
Sa visière se tourna vers le second chien d'attaque. Celui-ci était sorti du cercle, lui montrant les dents.
L'aura vaporeuse du Skull Raider s'intensifia alors. En se mélangeant à ses frissons, sa simple vue instilla la peur dans l'esprit primal du canidé.
- Ne reste pas planté là à grogner bêtement et attaque ! lui ordonna son impatient de maître.
Vêtu d'un costume noir par-dessus une chemise rouge, la clope au bec, le gredin était armé d'un outil électrique hi-tech. Un genre de fouet, avec un manche en plastique au bout duquel se tortillait un agrégat de petits éclairs. Jusqu'à aujourd'hui, Rini n'en avait encore jamais vu.
Le Yakuza s'en servit sur le dos du pauvre dobermann. La douleur eut un impact tel qu'il le poussa à braver sa peur et à bondir bien plus haut qu'il ne l'aurait pu en temps normal.
- Humpf !
Les mâchoires se refermèrent sur son avant-bras caparaçonné. Rini sentit les canines creuser la manche de sa combinaison. Elle ferma le poing aussi fort que possible, projetant la paume de sa main droite sur le museau contracté. Le dobermann ressentit un froid si intense qu'il dut lâcher prise et se reculer précipitamment sur le sol glissant. Il glapit de façon misérable avant de se mettre à éternuer. Au troisième éternuement, sa mâchoire inférieure s'affaissa, se retrouvant comme bloquée dans cette position. La bave de l'animal qui s'en écoulait se figea elle aussi.
- Plat de givre du Poing Symphonique des Deux Extrêmes, lâcha le Skull Raider.
Stimulations électriques ou non, ton chien ne mordra plus personne. Alors cesse cette torture, veux-tu ?
- Quelle belle attention, Skull Raider, jubila l'ignoble maître-chien.
Tu as préféré l'épargner, pas vrai ? Pfah ! Avec un tel état d'esprit, tu ne vas pas vivre assez longtemps pour nous présenter tes excuses...
- A ton tour, à présent.
Le justicier remonta sa garde. Sa voix se fit aussi coupante que la lame d'un scalpel :
- Sois rassuré : à toi, je ne ferai aucun cadeau.
Le Yakuza inhala les derniers vestiges de sa cigarette avant de balancer son mégot.
- Ne me fais pas rire, héros à la mords-moi le nœud !
Lors de cet affrontement au dénouement prévisible, le dobermann n'assista point son propriétaire indigne.