Le lendemain matin
Place de la Victoire, Fatalistadt
C’était ici que Fatalis avait consacré une place destinée à ce jour béni où la monarchie latvérienne avait été vaincue. Il avait mené une révolte pour libérer son peuple du joug de souverains incompétents et dangereux. Fatalis n’avait pas offert aux Latvériens la liberté, un concept creux et vague, il leur avait offert la sécurité, une prospérité économique sans précédent. C’était donc naturellement ici qu’allait se tenir un discours central pour lui. Fatalis avait remis le pouvoir à son assistante, Lucia von Bardas, afin qu’il se consacre à la recherche scientifique, sans être parasité par les questions socio-économiques qui ne l’intéressaient que fort peu. Mais, aujourd’hui, il était temps pour le souverain de se rappeler au monde, et de faire ce qu’il avait envisagé : faire de la Latvérie la première nation mutante au monde ! Pour cela, il pouvait compter sur l’indéfectible soutien de sa fiancée, et future épouse. Il comptait annoncer publiquement que celle qui était activement recherchée par les forces de sécurité américaines se trouvait ici, en Latvérie.
Wanda n’y était initialement pas très favorable, mais Victor avait su la convaincre. Il voulait que le monde la voie comme elle était. Il avait savamment préparé son discours, destiné à rappeler les faiblesses de sociétés occidentales se disant plus vertueuses que lui. Autant dire qu’il y avait du monde, car il fallait rajouter à l’évènement cette énorme boule de feu qui flottait dans le ciel, et que le couple vit clairement à leur réveil : le Phénix était entré dans le système solaire. Les astronomes latvériens avaient calculé avec une grande précision sa trajectoire, et il se rapprochait à toute allure de la Terre. La coïncidence de son discours avec l’avènement du Phénix avait amené les grands médias nationaux du monde entier à s’intéresser à ce discours.
Tout annonçait donc un discours historique. Une tribune avait été aménagée à la Place de la Victoire, où tous les officiels de la Latvérie se trouvaient. Lucia von Bardas se chargeait des premiers discours, avant que Victor n’arrive, en volant dans les airs. La foule, massivement massée dans cette grande place circulaire, avec une statue massive de Fatalis au centre, le salua par de forts vivats.
Fatalis se mit ensuite à parler :
«
Depuis trop longtemps, la Latvérie s’oppose au reste du monde. Notre peuple est un grand peuple, un peuple qui a su se moderniser tout en conservant ses traditions. Je n’étais moi-même qu’un simple Gitan quand je suis né au monde. Je contemple avec le plus grand scepticisme ces démocraties occidentales qui n’ont de démocratiques que l’apparence, ces régimes qui favorisent avant tout le renouvellement d’une petite caste bourgeoise sans envergure. ‘‘ Nous fûmes les Guépards, les Lions ; ceux qui nous remplaceront seront les chacals et des hyènes... Et tous, Guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la Terre’’… Ces mots ne viennent pas de moi, ils viennent d’un aristocrate italien qui, en voyant les démocrates de Garibaldi renverser la monarchie italienne pour y instaurer une démocratie, ne fut pas dupe sur le mensonge. Donner aux gens l’illusion qu’ils ont le choix, et confier le pouvoir à des individus médiocres qui ne pensent qu’à leur propre réélection… Voilà ce qu’est la démocratie !
Je suis un grand admirateur de l’Histoire, je l’avoue. Et c’est du haut de cette étude historique que je peux vous le dire : nos démocraties si humaines et si généreuses mettent beaucoup d’effort à détruire ce que les monarchies médiévales ont mis si longtemps à bâtir ! Voyez la France, par exemple ! Ce pays centralisateur s’est construit pendant des siècles. Des siècles de lutte pour que le pouvoir royal puisse assujettir les nobles. Des siècles de guerre pour qu’une même règle juridique puisse s’imposer : le Code civil. Voyez le résultat après un demi-siècle de démocratie. Voyez ces villes qui brûlent, voyez cette société qui se délite… Et ce constat se généralise à l’ensemble des sociétés occidentales. Les communautés se déchirent, se recroquevillent sur elles-mêmes, elles ne croient plus à l’idéal d’une Nation, à un pacte républicain. Tout cela sont les symptômes d’une seule et même cause : la démocratie ! Un régime où on ne suit plus les nobles guépards et lions, mais des hyènes et des chacals, qui ne se préoccupent plus du destin commun, de la construction d’une histoire nationale, mais de leur petite carrière de bourgeois arriviste ! La religion ; l’opium du peuple ? Fadaises ! Le vrai opium, c’est ce cancer mercantile qu’on appelle démocratie ! »
Une introduction générale, destinée à donner le ton, celui d’un dirigeant sage, qui ne cherchait pas à se masquer derrière la propagande, mais qui analysait objectivement les critiques de la démocratie, par les Européens eux-mêmes. Victor aborda ensuite le concret en évoquant le Phénix
«
Aujourd’hui, tout cela change ! Aujourd’hui, la Latvérie va offrir au monde un nouveau départ ! La Latvérie a toujours été une terre d’exil et d’accueil pour les réfugiés fuyant les systèmes politiques corrompues. Aujourd’hui, nous ferons table rase du passé. Car c’est aujourd’hui que le Phénix vient ! Levez la tête, citoyens latvériens ! Vous l’avez vu en vous levant, vous en avez discuté entre vous ! Le Phénix est au-dessus de nous ! »
Il brandit le doigt vers l’énorme boule de feu qui se rapprochait. Les caméras pivotèrent naturellement pour le montrer, et Victor reprit ensuite, maîtrisant à la perfection son art :
«
J’ai conçu un dispositif révolutionnaire qui me permettra d’emprisonner le Phénix. Sa formidable énergie est révolutionnaire. Avec elle, nous pourrons l’utiliser, la raffiner, la produire en masse. Nous mettrons fin à la dépendance des nations aux énergies fossiles. La Latvérie ne peut vivre séparée d’un monde qui s’autodétruit chaque jour. Les changements climatiques amorcés par l’avidité de l’homme trouveront une réponse dans les capacités énergétiques phénoménales du Phénix. Le Phénix est un don, un don que, naturellement, ces fameuses démocraties bienpensantes souhaitent détruire. Et ce cadeau du ciel, j’en fais don à l’humanité toute entière. »
Il écarta joyeusement les bras, tel le Messie illuminé qu’il était. C’est en relevant brièvement les yeux qu’il s’interrompit dans la suite de son discours, car il voyait des tâches vertes contre le Phénix, et grimaça intérieurement en comprenant que les héros de la Terre devaient déjà s’être manifestés. Bien sûr, il était trop tard. Le Cristal M’krazan qu’il avait installé sur le toit était en train de se déployer, et, quand la colonne d’énergie en jaillirait, elle absorberait le Phénix. Ses calculs étaient parfaits. Victor vivait son triomphe, son apogée, mais il n’en avait pas encore fini.
«
Enfin, mon annonce ne saurait être complète sans que je ne vous évoque un peu de mon destin personnel… »
Il posa ses deux mains sur le rebord de son pupitre, resta silencieux un certain temps, avant de reprendre :
«
Je m’appelle Victor von Fatalis, et je suis née dans les montagnes de notre beau pays, dans un camp de Gitans près d’Haasenstadt. Je n’ai jamais cherché à nier mes origines, et j’en ai au contraire toujours tiré ma force. Les Occidentaux voudraient faire de moi un être sans cœur, un élitiste qui ne se préoccupe pas du sort des faibles et des opprimés… Moi, je vois le sort qu’ils réservent aux miens, aux Gitans et aux Tziganes qu’ils oppriment, qu’ils méprisent, qu’ils parquent dans des décharges ! De tout temps, la Latvérie a été le refuge des opprimés, que ce soit les jeunes femmes accusées de sorcellerie ou les peuples nomades avant que l’ancienne monarchie indigne ne les blâme de tous les maux. Nous ne craignons pas l’étranger, et c’est fort de ses convictions que le gouvernement de Madame von Bardas a offert l’asile politique et le statut de réfugiée à une opprimée… Elle est née dans un camp de Romanichels, elle a toujours été opprimée par son statut, et elle l’est encore à ce jour. Braves citoyens de Latvérie, c’est avec le cœur noué et une grande émotion que je vous annonce mes fiançailles avec Wanda Maximoff ! »
Victor se redressa, et se retourna vers la scène. Un tel affichage ne plaisait pas initialement à Wanda, mais c’était indispensable pour Victor. Elle apparut donc, sous un tonnerre d’applaudissements. Victor attrapa sa main, et la leva.
Parmi le public en liesse, plusieurs hommes et femmes y virent là le signal. Victor exultait quand il écarquilla les yeux en voyant que de la fumée s’échappait de son château. Les officiels près de lui commencèrent à froncer les sourcils en écoutant les messages portés à leurs oreillettes, et Lucia von Bardas se rapprocha rapidement de Victor.
«
Docteur Fatalis, on nous rapporte que des insurgés attaquent le Palais… Ils ciblent le Cristal. »
Victor déglutit en manquant de fracasser le pupitre, sentant une colère froide et acide remonter dans ses entrailles. Il se retourna alors, et observa le public, puis vit un homme sortir un pistolet, le pointant vers la tête de Wanda.
«
MORT AU TYRAN ! MORT À LA CATIN DU DIABLE !
-
À BAS LA TYRANNIE ! »
Les évènements se précipitèrent. Pkusieurs hommes armés de ceintures explosives se firent exploser, et l’immense statue de Fatalis commença à vaciller, l’un de ses points d’appui volant en éclats sous un suicide. La balle destinée à Wanda fusa vers elle, et Victor s’interposa. La balle le toucha en pleine poitrine, ; puis le public hurla, tandis que l’énorme statue de Fatalis se mit à pivoter, et à s’abattre sur le public.
Victor, en tombant au sol, vit une colonne d’énergie violette jaillir du donjon vers le ciel, heurtant de plein fouet le Phénix, et déclencha une explosion assourdissante qui dut probablement résonner dans tout le pays.
*
Mon triomphe… C’est mon triomphe…*
Au milieu des morts et des explosions, la bataille du Phénix venait de commencer !
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE