Seulement une étudiante de seize ans qui fait figure de surveillante, enchaînant les rondes à travers les couloirs d'un établissement normalement désert...
J'aurais dû demander un dessert en supplément à la cantine, pour le lendemain. En guise de rémunération ET de consolation.
Sur le coup, elle n'y avait pas pensé. Pour une petite soirée en solitaire, s'était-elle dit, ce n'est pas grand-chose. Et ça ne deviendra sûrement pas une habitude du jour au lendemain !
Car, mine de rien, ils étaient plutôt nombreux au sein de ce club. Et les courageux qui n'avaient pas peur des fantômes ne manquaient pas. Oui : ces gens-là existaient bel et bien. Comme en témoignaient justement les petits bruits de conversation que la bénévole entendit non loin de la chaufferie.
Torche en main, Rini serra le poing.
Si jamais il est question de petits plaisantins...
Elle leur administrait la fessée ? Qui sait !
En zieutant partout, la brune tomba nez à nez avec un petit groupe de filles de son âge. Son apparition les fit toutes sursauter ! Elles crièrent d'abord - de peur - avant de se confondre en excuses ridicules - "on s'est perdues !" ou même "on a atterri là par hasard !" et bla bla bla... - pour enfin, après avoir subi un interrogatoire doucereux, avouer la véritable raison de leur intrusion dans le bâtiment scolaire.
En prenant exemple sur sa mère policière, la sino-américaine ne leur avait laissé absolument aucune chance de la baratiner.
La barque, c'était elle qui la menait ! La surveillante en heures supp', et personne d'autre.
Cette jeune femme athlétique qui les dévisageait, avec ses bras croisés sur sa poitrine, en tapant impatiemment du pied.
A savoir qu'avant de se comporter en commissaire, Rini leur avait exposé la preuve de son appartenance au Club des Justiciers. Soit un badge signature accroché à son vêtement, et illuminé par l'halo de sa torche au moment de le mettre en évidence.
- Alors comme ça vous cherchiez une élève disparue depuis quatre ans ? Vous trois ? La nuit tombée ? dans l'enceinte de l'école ?
Les trois filles étaient charmantes. Polies, surtout. De simples curieuses, et non pas de vulgaires racailles désireuses de foutre le boxon.
L'une d'elle se triturait nerveusement les mains. Certainement la plus peureuse du lot, embrigadée par ses camarades pour participer à un jeu qui ne lui plaisait pas tant que ça...
- On sait que ce n'est qu'une légende urbaine mais...
- On tenait absolument en avoir le cœur net ! répondit sa copine, plus coquette et énergique.
- Ça ne te dérange pas d'entendre parler d'enlèvement, de séquestration ou même de meurtre autour d'une ancienne deuxième année ? demanda celle qui portait des lunettes et qui, définitivement, cherchait à se donner des petits airs d'enquêtrice. Une affaire non élucidée qui craint grave !
- Peut-être. Mais beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis, et aucune de vous trois n'est autorisée à se promener dans l'établissement après le couvre-feu. De plus, j'imagine que vous ne connaissez pas l'identité de cette fille disparue, à tout hasard ?
Lunettes eut un malin sourire.
- Ha ! Bah, figure-toi que moi, si.
- Heiiin ?! firent les deux autres.
- Avant de m'engager avec vous dans cette virée nocturne, j'ai effectué quelques petites recherches.
- Bien. Tu vas pouvoir nous le révéler, alors ?
- D'accord ! Mais ce ne sera pas gratuit.
Rini fronça les sourcils.
Peut-être que le Skull Raider allait finalement se permettre une petite sortie, ce soir ?
- Avec un peu d'aide, ça pourrait vite le devenir...
Lunettes leva les mains devant son visage.
- Hé ! Pas de violence. Je suis une fille réglo, moi !
- Ce n'est pas vraiment l'impression que vous me donnez, toutes les trois.
- Je ne cherche qu'à passer un marché - tout ce qu'il y a de plus innocent, je le jure !
- Vas-y, je t'écoute.
- En échange de son nom complet, je ne te demanderais qu'une seule petite chose...
- Ne t'amuse pas à faire durer le suspens.
- Ne nous dénonce pas, s'il te plait !
Elle se mit à genoux. Un dogeza parfaitement bien exécuté. Celle-ci, malgré son intelligence, devait avoir l'habitude de faire des courbettes...
Aussi, d'un geste auprès des concernées, Lunettes enjoignit ses camarades à faire de même. Sous le regard attentif de Rini Koken, elles n'hésitèrent qu'un tout petit instant avant de se soumettre à leur tour.
Rini les toisait de haut.
- Le nom de la disparue en échange de votre anonymat ?
- Oui, oui ! approuva Lunettes. S'il te plait !
- Et vous me promettez aussi de ne plus jamais enfreindre le couvre-feu instauré par l'école, sous quel prétexte que ce soit ?
- Euuuh...
Rini, en un instant, durcit le ton :
- Vous me le promettez ?
- O-on te le promet !
- Affaire conclue, décida-t-elle. Je n'ai pas pu voir vos visages dans le noir. Et vous avez filé trop vite, ne laissant que des ombres derrière vous. J'en ai bien compté trois, mais ça s'arrête là. (Regardant Lunettes droit dans les yeux, elle prit une grande inspiration.) Maintenant, le nom complet de la disparue, je te prie. Et je ne veux surtout pas de mensonge. Nous serons sans doute amenées à nous recroiser, à l'avenir.
Lunettes lui fournit l'information désirée, à savoir : Akina Makana.
Un sujet sur lequel Rini Koken allait se pencher dès le lendemain. Non sans transformer cette ancienne disparition, devenue légende urbaine, en requête auprès du Club des Justiciers. Ils avaient un formulaire pour ça. La surveillante de cette étrange soirée comptait bien le remplir une fois le groupuscule de curieuses escortées vers la sortie.