Si la beauté de son altesse, Rhian Thoris, attirait tous les regards comme elle l'avait toujours fait ailleurs, les joyeux d'améthyste de la Voyante veillaient à une certaine pudeur. Ankhta avait beau être la propriétaire officielle d'un lupanar, son professionnalisme était à tout épreuve. A plus forte raison en présence de la Princesse en personne dont la capacité de déduction et d'écoute n'avaient absolument rien à envier aux habitués de
La Flamboyante Couveuse.
- Vous ne vous êtes pas annoncée, et moi je ne me suis pas encore présentée ; nous n'avons toutes les deux aucune raison d'en rougir. (En bonne escorte, elle l'invita très poliment à la suivre en un espace un peu plus chiche, à l'écart des autres.)
Appelez-moi Ankhta Spirabilis. Je suis, effectivement, très portée sur la lecture de l'avenir et l'étude de ses nombreuses voies possibles.
Chemin faisant, elle souriait, toujours, calmement, avec l'air de quelqu'un que les dérives du temps ne semblaient point affecter.
- Celle où vous vous exposez ainsi, anonymement, à la porte de La Flamboyante Couveuse est, à mes yeux, la plus agréable d'entre toutes. Il est peut-être un peu dommage que je ne puisse pas pleinement savourer, comme tous les autres, de son remarquable effet de surprise.
Les filles murmuraient leur excitation, s'échangeaient à l'oreille d'encourageantes réflexions sur leur impressionnante invité ! Certaines étaient si déconcentrées qu'elles en oubliaient presque les autres clients, qui ne leur en tenaient point rigueur étant eux-mêmes subjugués par la beauté à couper le souffle qui les gratifiait de sa richissime présence.
Une fois la Princesse de Papua bien installée, Ankhta tapa doucement dans ses mains avant d'adresser une série de petits gestes à l'attention d'une servante. Puis elle pivota vers Rhian Thoris qui s'interrogeait tout naturellement sur le secret de la réussite de cet établissement de prestige. A cette question s'ajoutait bien entendu celle des origines de la Tenancière qui avait l'air de maitriser si bien son affaire...
- Eh bien, disons que je suis une grande spécialiste du Renouveau ! Apporter une seconde jeunesse à un lieu frappé d'un mauvais karma, c'est ce que je fais de mieux dans la vie. Après prendre soin de toutes les splendides personnes qui nous entourent, à bon entendeur. Ce monde regorge de pépites que les sables du temps ou de la misère maintiennent si tristement dissimulés aux yeux du grand public... (Elle souffla avec empathie.)
Il s'agit de les dépoussiérer pour mieux les remettre à neuf. Ne jamais rien négliger. Redonner une chance à ceux qui se montrent capables. C'est ainsi que le monde doit perdurer. C'est ainsi que le nôtre, entre ces murs, fonctionne.
Son expression se fit étrangement nostalgique. Comme si elle ne regardait plus la princesse alors que ses yeux étaient rivés dessus. Comme si Anktha Spirabilis plongeait son regard dans une autre époque. En l'occurrence, celle qui ne lui avait pas été aussi favorable qu'aujourd'hui.
- Vous n'avez sans doute pas pu manquer ma sœur jumelle qui se trémousse sur scène en ce moment même. Elle n'a pas toujours été ce qu'elle est aujourd'hui. Et moi non plus, d'ailleurs. (De nouveau dans le présent, elle parut retrouver le regard de son interlocutrice.)
Nous n'étions pas du tout promises à un monde aussi délicieux que celui que nous avons fini par bâtir. Nous n'avions pas notre place parmi nos semblables, au delà des mers et des océans. Il nous a fallu beaucoup de temps, de connaissances et de pouvoirs pour en arriver à ce stade. Pour ne serait-ce qu'effleurer ce niveau de vie, ce luxe que nous partageons si bien avec nos précieux convives.
Elles avaient dû fuir leur terre de naissance - hermétique aux bizarreries bicéphales -, rompre leur lien avec leur maître ténébreux - le premier a les avoir "acceptées" -, libérer de sa cage leur sœur d'adoption - leur première fille prometteuse, qui veillait quasi continuellement sur leur imposante trésorerie -, traverser l'étouffant désert en direction de Papua - l'Avenir ! -, travailler dur pour rassembler un début de richesse - quitte à devoir se souiller -, mettre la main sur le véritable point de départ de leur nouvelle vie - un vieille auberge ayant sombré dans le déclin -, conclure un pacte hautement lucratif avec de dangereuses pilleuses - une djinn et sa puissance partisante - puis enfin injecter une partie de toutes ces richesses accumulées dans leur quartier général -
La Flamboyante Couveuse.
Pendant qu'elle échangeait honnêtement avec son altesse, la
"servante" à qui la Voyante avait fait des signes était réapparue les bras chargés d'une grande coupe pleine de fruits ! Avec un grand et charmant sourire, Reshaa-Mess, la Fine Djinn, aussi surnommée l'Entourloupeuse ou la Malicieuse, fléchit souplement sur ses jambes athlétiques avant de déposer son lourd fardeau... sur une seconde table basse qui n'était pas là avant ? La première s'étant inexplicablement dédoublée entretemps !
- Veuillez m'excuser pour cette soudaine interruption, dit-elle.
Et pour avoir accessoirement capter quelques bribes de votre émouvante conversation ! Je préfère ne pas vous le cacher. De toute façon, vous en auriez lu les effets sur mon visage hautement expressif. Bien que joli, il me trahit toujours~
La Maîtresse des Afflictions était d'une beauté plutôt simple, dans la vie de tous les jours. Mais là, elle avait fait un grand effort ! Sa longue tresse était décomposée en une harmonieuse queue de cheval qui ondulait à hauteur d'épaules. Sa frange d'un brun foncé, lissée avec soin, couvrait ses deux tempes et se terminait en de petites boucles. Quelques couteux bijoux en or décoraient ses oreilles, son cou, ses poignets et sa taille parfaite. Une étoffe noire et délicate couvrait sa poitrine et, à la manière d'un pagne, son entrejambe. Un voile translucide coulait le long de ses bras fins et musclés. Tout le reste de son corps était exposé, dont ce mignon petit nombril qui creusait une ceinture abdominale merveilleusement bien sculptée.
- Laissez-moi le plaisir de vous présenter Reesha-Mess, sourit la Voyante en levant une main en direction de l'inépuisable djinn.
- Ou Mylh'nom si vous préférez ! siffla la concernée.
Si vous vous demandez pourquoi ce "sobriquet", essayez un peu d'articuler rapidement : Amaresha Berehanu Selassiee Messeret Eyodhora Basiell. Moi-même je ne suis pas sûre d'y parvenir sans me mordre la langue~
- Tu viens pourtant de le faire sans problème, lui fit gentiment remarquer Ankhta.
- Parce que je m'y étais préparée bien à l'avance, argua la djinn avec une lueur maligne dans le regard.
Un peu comme toi vis-à-vis de cet entretien. (Ses yeux de filoute trouvèrent ceux de leur cliente de marque.)
Alors c'est vous, la Princesse de Papua ? (Sans s'en cacher, elle la détaillait du regard de la tête aux pieds.)
Vous faites sacrément honneur à votre titre, si je puis dire ! Tout cet or vous va à ravir. Et le simple fait de vous regarder me fait fantasmer ! A mon avis, vous devez prendre beaucoup de place dans l'imaginaire de vos sujets - surtout lorsqu'ils rêvent de votre magnificence. Vous êtes sûre que l'un de vos ancêtres n'a pas couché avec une déesse, par le passé ?
Ankhta eut une fausse toux.
- Je devrais peut-être vous laisser un peu d'intimité ?