Gine fut stoppée par Kamiye. La Saïyajin, surprise, laissa tomber ses yeux ronds sur les mains tendues de l'hybride qui étaient entrées en contact avec les rondeurs de son armure. Le rose lui monta doucement aux joues avant que le cri de Spartacus et les pas menaçants du golem sauvage ne la fassent pivoter sur ses appuis, puis lever un bras protecteur devant son compagnon hybride.
- Faites attention, Spartacus !
Cela sonnait comme une évidence mais tout de même : le prévenu, une lueur de défi dans le regard, avait l'air de vouloir en découdre à mains nues avec le mastodonte rocailleux.
- Poussez-vous.
Le monstre à la mine sauvage avait levé la main droite. La Saïyajin tendit la sienne en direction de son visage. La lumière jaillit sous forme de boule, effaçant la trogne du démon de pierre dans un petit nuage de poussière.
Spartacus, qui avait été effleuré par la chaleur du ki, se passa un revers de main sur le front.
- Un jour, il faudra que tu m'apprennes à faire pareil.
- Volontiers ! Vous en feriez sans doute très bon usage.
L'ancien esclave sourit de fierté. Il aimait les flatteries - surtout venant d'une femme qu'il savait puissante. Son regard se ficha sur le torse immobile du colosse. Il n'attendit pas de savoir si l'attaque de Gine lui avait été mortelle ou non ; le guerrier musculeux lui administra une violente charge d'épaule. Toutefois, malgré sa centaine de kilos en mouvement, son adversaire ne cilla pas d'un millimètre.
- C'est un sacré morceau qui pèse son putain de poids !
Il était beaucoup trop près pour le voir, à contrario de Gine et de Kamiye : les doigts du golem ayant bougé presque imperceptiblement.
Le petit écran de poussière se volatilisa alors, s'ouvrant sur un visage de pierre barré d'une unique fêlure. La main du géant fila vers la gorge de Spartacus, l'empoignant avec force avant de le soulever de terre comme s'il ne pesait rien ! Le guerrier s'empourpra, distribuant autant de coups de poings et de coups de pieds qu'il était en mesure de le faire.
En vain...
- Non !
Gine se lança à l'assaut de l'agresseur immobile. Loin d'être stupide, ce dernier musela cette offensive en se servant des larges dorsaux de sa victime comme d'un bouclier. Au risque de lui briser les vertèbres, la Saïyajin ne put se résoudre à lui porter une attaque, adoptant plutôt une garde haute.
- Chair... fragile.
- Gggh... espèce de lâche !
Pour toute réponse, l'être de pierres et de racines ramena Spartacus en arrière, aménageant de fait un semblant d'ouverture dans sa défense inhumaine. Gine, pressée par les circonstances, entreprit d'en profiter ! Le golem se servit de son bouclier vivant comme d'un bélier, la percutant avec une force remarquable. La femme à queue de singe croisa ses bras devant son visage, encaissa le choc mais dégringola quand même vers l'arrière. Elle renversa Kamiye, qu'elle eut tout de même le réflexe de protéger entre ses bras sans quoi sa tête aurait pu rencontrer le sol.
- Tout va bien ?!
Son hybride apathique n'eut guère le temps de lui répondre. Alors qu'il était étalé sur elle, Gine vit, au-delà de son épaule menue, la silhouette aérienne de Spartacus se précipiter droit sur eux. La Saïyajin bouscula Kamiye, l'envoyant rouler à côté d'elle. Trop épuisé pour se rétablir, le rebelle aux longs cheveux blond s'écrasa lourdement en travers de la la femme à queue de singe. Celle-ci poussa un cri de douleur, suivi d'un mince gémissement imité par un guerrier en bien mauvaise posture.
Spartacus finit tout de même par se redresser en s'aidant de ses coudes. Les joues visiblement encombrées, il se décala juste un peu pour vomir du sang ailleurs que sur le visage d'une Gine grimaçante.
Le golem, qui avait étudié passivement la scène, ferma les poings et se remit en mouvement. Dans son regard brillait cette fois-ci l'intention de tuer. Kamiye était peut-être encore en état de le voir alors que les deux autres, non. En revanche, ce que tout le monde ignorait - le golem compris - c'était qu'une autre paire d'yeux profitait du spectacle. Des prunelles bleues dissimulées derrière deux verres ronds et noirs, en l'occurrence.
Cet
observateur incongru apparut à quelques pas du pont... dans le vide, oui ; si ses pieds ne flottaient pas dans l'air, ils n'en demeuraient pas moins posés sur un rocher lui-même volant.
- Tiens donc ! On dirait bien que quelqu'un a mis le pied là où le ne fallait pas, attirant sur lui et ses suivants l'ire d'un des nombreux gardiens-pièges de cette remarquable cité perdue.
Le golem s'interrompit aux pieds de Gine, tournant sa lourde tête vers l'inopportun.
- Avec pareil air figé dans une éternelle colère, tes créateurs ne t'ont pas fait de cadeau, fit-il sur le ton de la badinerie.
Dis-moi, mon courroucé ami... cela t'ennuierait-il de ne pas prendre des vies inutilement ?
- Autre... entité... organique... détruire.
Il fléchit sur ses jambes, prêt à bondir.
- Vraiment ? C'est dommage.
Le golem poussa sur ses tronçons de pierre. Il ne dépassa point le garde-fou, son corps massif rencontrant un obstacle invisible et pourtant infranchissable. Emporté dans un élan contraire à ses prévisions, le mastodonte de pierre rebondit plusieurs fois contre le pont avant de s'immobiliser hors d'atteinte des autres. Il ne mit que quelques secondes à se redresser - lentement, en douceur, tel un prédateur averti du danger.
De son côté, la Saïyajin, toujours un peu sonnée, était revenue à elle. Son regard se prolongea dans l'axe de l'inconnu alors que celui-ci se séparait calmement de son rocher d'un petit bond qui le fit atterrir sur le pont. Avec ses gants en cuir découpés au niveau des doigts, sa lourde besace de cuir attachée en bandoulière qui lui pendait au flanc et sa chemise blanche trop grande surmontée d'une veste bleue sans manche, l'homme aux cheveux brun ébouriffés avait l'air d'un type tout à fait normal. A un détail près : ses courtes oreilles - percées de quelques anneaux - étaient taillées en pointe. D'un geste négligeant, il envoya son rocher devenu inutile s'écraser contre le golem qui dut s'en protéger en lui opposant ses puissants avant-bras. D'un clin d'œil charmeur, il s'accapara l'attention de Gine avant de lui indiquer Spartacus d'un mouvement de tête.
- Ma dame, que diriez-vous de prendre le relais ? (Un bras plié devant sa poitrine, il inclina légèrement le buste.)
Juste le temps que je remette sur pied votre ami. Je crains fort qu'il ne puisse pas tenir le temps que je m'occupe de ce roc sur pattes.
En effet : la gorge du grand blond avait bleui, et il s'était remis à suffoquer.
- Vous êtes médecin ? s'enquit la Saïyajin, plus qu'inquiète.
- Ma chère, lorsque l'occasion se présente à lui, sachez qu'un érudit peut se fondre dans bien des rôles.
Gine prit cela pour un "oui". Elle hocha la tête et s'avança. Le golem regarda l'homme de savoir se déplacer vers la femme à queue de singe. Il serra ses énormes poings avant de foncer pour intercepter le puits de science ! Gine s'était télescopé avec le concerné juste à temps, bloquant un coup presque aussi lourd que la droite du terrible Wyald. Elle serra les dents, esquiva une autre frappe, puis répliqua d'une formidable poussée des mains. Contrairement à Spartacus, cela suffit à faire reculer le golem sur quelques centimètres.
Du coin de l'œil, la Saïyajin jeta un bref regard dans son dos.
L'inconnu s'était penché au-dessus de Spartacus qu'il avait préalablement étendu sur le dos.
Il s'intéressa à Kamiye - quoi que celui-ci aie fait jusqu'à présent.
- Mon garçon, dit-il en lui déposant sa grosse besace en cuir à ses pieds.
Je vais avoir besoin de tes doigts. (Tandis qu'il se retroussait les manches, l'érudit lui indiqua du regard ledit sac dans lequel il allait devoir fouiller.)
Tu veux bien me trouver la fiole au contenu rouge qui dort au milieu de tout mon bazar ? Tu ne peux pas la louper : elle est ornée d'une tête de loup hirsute qui fait froid dans le dos !
Il mima un frisson avant de sortir un stylet d'une poche intérieure de sa veste bleue.
Spartacus peinait à respirer ? Bien ! Cela n'allait pas durer.