Sistria allait devoir se contenter de cela. Elle hocha la tête, sentant toute la détermination de Luria. Et, somme toute, les options alternatives étaient plutôt limitées. Sistria fit donc signe à Luria. Quand celle-ci serait prête, elles partiraient… C’est-à-dire maintenant. Luria avait eu beau combattre en mer, elle n’était pas fatiguée. Sistria la déplaça à travers la cité d’Arcnos. Les réfugiés luméens étaient regroupés près du Sanctuaire de Poséidon. C’était une sorte de bulle sous l’eau, où les Luméens pouvaient marcher librement. Les marins qui n’avaient pas été dévorés par le Kraken ou tués par les hippocampes de Poséidon pouvaient retrouver leurs esprits, tandis que les sirènes réfléchissaient à la suite, ou repartaient au front. Aussi belles que fatales, les sirènes pouvaient être de rudes guerrières, se battant avec des armures et des armes en corail, ou usant de leur magie aquatique. Le duo se rapprocha d’une sorte de serre aquatique avec de multiples algues multicolores. Sisitria s’y plongea, et récupéra une algue, puis retourna vers Luria.
«
Tiens, tu pourras respirer plus longtemps dans l’eau comme ça. »
Quand on atteignait Arcnos, c’est qu’on avait quitté les côtes, et qu’on était à la lisière de l’océan. On pouvait donc commencer à apercevoir, parmi les bancs de poissons, de gros poissons. Mais Ogygie était encore plus éloignée, et le voyage allait bien prendre plusieurs heures. Sistria recommanda donc à Luria de délaisser son armure, et de ne porter que des tenues légères. Elle se retrouva donc en corset, avec un pantalon bouffant que Sistria lui remit. Une tenue peu amène, mais, là où Luria allait, elle n’avait pas besoin de se battre.
Enfin, Sistria appliqua sur son visage, et surtout sur ses lèvres, ses narines, et ses yeux une sorte de pommade issue d’un coquillage.
«
La position d’Ogygie varie selon la période de l’année et les heures. L’île n’apparaît qu’à l’aube et au coucher du soleil. C’est un voyage de plusieurs heures qui nous attend jusqu’à l’île. En-dehors des heures où l’île apparaît, c’est juste un morceau rocailleux et inhospitalier. Mais, comme on voyage pendant plusieurs heures, je dois protéger tes yeux, tes lèvres, ton nez, du sel de mer… »
Sistria mélangeait deux sujets en même temps, signe de son anxiété. Quand Luria fut enfin prête, Sistria lui fit signe. Les deux femmes s’envolèrent alors, et Sistria quitta Arcnos, se déplaçant rapidement. Elle s’enfonça alors dans une épaisse obscurité, longeant les fonds marins, dépassant le plateau continental. Désormais, sous elles, c’était un fond impressionnant un gouffre noirâtre et terrifiant qui menait vers le glacis continental, en moyenne à plus de 3 000 kilomètres de profondeur.
La sirène se repérait à l’aide d’ultrasons, d’ondes aquatiques que Luria était incapable de ressentir. Sistria se reposa à plusieurs reprises, tandis que, dehors, la nuit continuait à courir. Elles se posaient alors sur des plateaux avec des algues, et virent à plusieurs reprises des dauphins, des bancs de méduses, et même un épais cachalot. Avec un plus petit cachalot, les deux les dépassèrent, les surplombant pendant quelques instants. Point de guerre ici, point de conflit, simplement la paix de la mer, la beauté éternelle, un spectacle aussi effrayant qu’apaisant. Ici, personne ne vous entendait crier.
«
Je resterai aux abords de l’île. Si jamais tu veux partir, je te donne ce coquillage. »
Elle le lui présenta. C’était un élégant coquillage blanc.
«
Si tu le brises, je saurai où te retrouver. »
Sistria lui sourit alors, affectueusement, puis reprit sa route. Petit à petit, l’eau commençait à s’éclaircir, signe que le soleil se levait. Les deux femmes sortaient régulièrement à l’air libre, mais il n’y avait pas grand-chose à voir, rien d’autre que de l’eau à perte de vue. Il n’y avait même plus de mouettes ou de goélands pour signaler la proximité des côtes. Luria était bien éloignée de Lumen, et elles continuèrent donc.
En chemin, l’éclairage vint à un moment d’un fascinant spectacle,
une forêt de champignons phosphorescents. Leurs membranes supérieures remuaient, gonflaient, retombaient, tout en offrant un troublant éclairage. Sistria les longea plus lentement, caressant même quelques poissons.
Les premières lueurs orangées du soleil finirent par arriver, zébrant le ciel. Sistria ressortit alors à l’air libre, et se rapprocha d’une petite île, ne comprenant guère qu’un banc de sable… Face à une autre île, bien plus grande.
«
Ça y est… Ogygie. C’est à toi de jouer, Luria. »
Sistria la déposa à l’entrée, sur la petite île de sable. Luria n’avait alors plus qu’à rejoindre Ogygie, et vit devant elle un couloir aquatique se former. Des rochers blancs s’étaient formés à droite et à gauche, formant deux lignes parallèles se faisant face. Elle pouvait alors marcher sur l’eau, et ainsi se rapprocher de l’île. C’était une grande île luxuriante, avec une montagne centrale, des arbres de toutes les couleurs… Des oiseaux s’envolèrent en gazouillant.
Luria posa ainsi les pieds sur
une plage, entrant par une crique. De délicieuses effluves accueillirent les narines de Luria. D’après les récits, Calypso reposait dans une grotte. Alors que Luria marchait, des sons de lyre se firent alors entendre… Et, tandis qu’elle continuerait à marcher, des souvenirs émergeraient autour d’elle. Des souvenirs d’enfance, d’une jeune blondinette veillant sur un bébé dans son berceau, ou priant chaque soir pour la sûreté d’Elena.
Ogygie était une île surnaturelle. Ici, l’imaginaire se mêlait au réel, le fantasme se mêlait à la réalité. C’était l’instant redouté. Si l’amour de Luria n’était pas jugé comme assez fort, alors les portes d’Ogygie lui seraient fermées. Tandis qu’elle s’enfonçait dans la jungle, les sons de lyre continuaient à se faire entendre. C’était l’île des désirs…
…Son désir se devait donc d’être là.