The Multiversity

J'ai le cœur qui bat à cent à l'heure, la gorge qui commence à piquer, les muscles déjà tirés et brûlants. Pourtant je reste debout, bien campée sur mes jambes mon sabre à la main. L'air libre est encore frais sur ma peau, intérieurement je bouillonne face à mon adversaire, ma cible. Il se croyait intouchable, mais son bouclier s'est retourné contre lui j'ai sauté sur l'occasion. Je n'ai pas été la seule, il a suffi d'amener un semblant de preuve qu'il fricotait avec le Roi Cramoisi et les renforts se sont présentés d'eux-mêmes : la Tekworld Hero Team, les Zéroïnes et leur légendaire sens du boxon tactique. Forcément le seigneur auto-proclamé de ce petit territoire vaguement rattaché à Mijak n'a pas vu venir le coup. Une poignée de donzelles l'a poussé à la fuite en moins d'une heure, mais il n'ira pas bien loin parce que je ne le laisserai pas faire. Kross, Gillam Jules, Uatéen déchu de sa citoyenneté et condamné à mort pour la forme, sorti de la cité par sa sénatrice de mère et couvert depuis par Mijak et les complots du Roi Cramoisi. Le tortionnaire, séquestrateur et violeur de ma mère... Mon père biologique.

Comme on pouvait s'y attendre en bourrant dans le tas on s'est encore mises en danger, mais on a pris le dessus à une vitesse folle. La place-forte n'est pas bien grande, ramifiée dans la montagne pierreuse qui l'accule. J'ai filé seule à la poursuite de Kross à travers un long tunnel. Une banale sortie de secours pour une banale pourriture d'esclavagiste sociopathe. Je suis coupée de tout le monde, je ne doute pas une seconde qu'elles s'en sortent pendant que je traque la cible prioritaire. D'un autre côté je suis seule face à lui, entre la rage et l'adrénaline j'ai les idées un peu trop claires : tout me pousse à lui rentrer dedans aussi violemment que possible. Je n'ai pas beaucoup de temps, j'ai activé la fonction balise de ma broche en sortant du tunnel, les autres ne vont sans doute plus tarder. J'ai déjà crashé le vaisseau de Kross en asphyxiant ses moteurs dans une zone de basse pression, il me reste au mieux deux ou trois minutes.

" Tu ne veux vraiment pas me dire ton nom, fillette ? "

Kross... Maintenant je sais à qui je dois mes cheveux et mes yeux en plus de mes pouvoirs. Il me prend de haut et je ne cherche pas plus loin. Ce plateau rocheux est déjà le théâtre du combat de ma vie et je ne compte pas gâcher mes chances. Inutile de faire étalage de nos pouvoirs, reste la maîtrise du combat rapproché. Il est plus grand que moi, plus fort, plus robuste, mais aussi plus confiant. Je le fixe dans les yeux en prenant une posture de défense agressive.

" Armée celkhane ! Déposez lentement vos armes au sol et reculez de...
- Je connais la musique, t'es pas la première pisseuse à me la sortir. On va la jouer autrement. "

À lui de se mettre en position, garde basse pour pallier la différence de taille, pied droit en avant et sabre recourbé vers le sol. Je vois l'échange d'ici : taille ascendante, je dévie le coup mais ne parviens pas à bloquer la puissance, un moulinet et si ma lame n'est pas de retour à temps je me fais trancher. Il prévoit sans doute la même chose, du moins son sourire en coin annonce un coup gagnant. Il a trop d'allonge et d'autant plus de puissance, alors je vais la jouer autrement. Je fléchis les genoux, arme mon bras droit loin en arrière et repli le gauche devant, voûtée en campée pour repousser l'assaut... J'espère qu'il y croit.

" Un dernier mot ? "

Pour toute réponse j'étire un sourire en coin en le braquant dans les yeux, puis le majeur de ma main gauche. Il se renfrogne, nos visage durcissent en un éclair et la lame fuse. Une seule lame, la sienne. Je lâche la mienne pour me propulser en avant, trichant bien sûr avec un violent courant d'air qui donne plus d'élan encore à mon poing droit. Je passe sous son mouvement et sa garde pour balancer mon coup gagnant droit dans les babioles, après tout c'est un juste retour des choses, non ? Et c'est pas fini. Je profite du choc pour saisir son bras armé, j'abandonne mes appui pour monter caler mon bassin au creux de son aisselle et refermer tant bien que mal mes jambes. Aucun moyen technique de se défaire de cet étranglement, s'il veut me décrocher il va devoir le faire par la force.

Je lui mords la main aussi fort que je peux pour lui faire lâcher son sabre, puis lance une main saisir ma cheville pour serrer un peu plus l'étau. Son visage enfle déjà, il vire au rouge. Mais l'enfoiré ne se laisse pas faire. Sa main se referme sur la mienne et il se remet debout. Merde ! j'aurais dû lui péter le poignet. Trop tard, il m'envoie cogner contre un mur. Le choc me sonne et surtout me plante une douleur cuisante sur le côté du crâne. Je sens sa main libre dans le bas de mon dos, il me soulève. Sans réfléchir je souffle aussi vite que possible l'air que j'ai dans les poumons. Il m'abat au sol à plat-dos, et j'ai un mal fou à tenir ma prise. Mais je tiens. Et mieux encore je rectifie mon erreur en lui tordant le poignet, puis le brisant. Il gargouille une plainte, son visage cramoisi s'assombrit alors que ses yeux larmoyants rougissent.

Malgré la douleur je tiens, je frissonne même d'un plaisir sadique, meurtrier. Il est en train de mourir, ce monstrueux enfoiré qui a forcé sa queue entre les cuisses de ma mère et combien d'autres est en train de crever lentement entre les miennes... Et ça m'excite ! Crève, enculé ! Prend bien ton temps, surtout ! Laisse-moi en profiter ! Et crève ! Ma main droite retrouve ma cheville pour presser plus implacablement l'étau autour de ses voies respiratoires et sa jugulaire. Il décline, s'affaiblit, s'éteint un peu plus à chaque seconde qui passe. Même en tirant son poignet rompu je le fait à peine réagir. Ses yeux rougis se révulsent alors qu'ils ont l'air de vouloir sauter de leurs orbites. Dans une poignée de seconde il ne sera plus qu'un cadavre, et il sera mort à l'endroit précis où il a commis ses crimes : entre les cuisses d'une femme.

Mais un autre frisson me prend, un sursaut de ma volonté vacillante. Je serre les dents sur ma rage encore une seconde, puis d'une ruade envoie mon adversaire déchu au sol. je ne prends pas le temps de penser, j'ai trop mal et je suis trop sonnée, je dois me focaliser sur l'essentiel. Kross remue faiblement au sol, tousse en reprenant difficilement son souffle et ses esprits. Je roule sur le côté, me redresse au-dessus de lui et arme mon coude que j'abats en plein sur son ventre. Ça me laisse le temps de déboucler et de tirer sa ceinture. Un coup sur son poignet enflé et il roule mollement sur le flanc en espérant se protéger. Mais je n'ai qu'à tordre cette articulation déjà brisée, il suit le mouvement pour se retrouver ventre à terre, et bientôt les mains attachées dans le dos par sa propre ceinture. J'espère que tous ces petits détails le font rager.

Assise sur son cul, je m'assure que les liens sont bien serrés. Il râle et bave sans toute sur le sol poussiéreux, mais ce qui attire mon regard voilé vient de moi : du sang. J'effleure à peine la blessure à ma tête que je tressaille de douleur. Une grosse bosse, une petite coupure, rien d'alarmant. Je cherche des yeux ma broche. Mission accomplie : plus qu'à appeler les autres et attendre qu'elles viennent me récupérer. Mais quand je me relève...

J'ai l'impression de monter comme une fusée. Vertige, un voile sombre tombe devant mes yeux et ne fait que s'épaissir. Finalement ma blessure est alarmante, mais avec tous les coups que j'ai pris une douleur de plus ne m'a pas choquée. Je lutte pour rester à l'équilibre, titube sur un pas, un autre. Du tunnel je vois émerger une silhouette, ou deux. J'essaie de tendre les bras.

" Je... "

Le voile est déjà opaque. Je me sens flotter une seconde, puis une secousse...

« Rinako s’est écartée de la base... Il pourrait être intéressant de la rejoindre...
- Tu n’as qu’à dire ça aux autres ! » répliqua une Nika énervée.

Elle s’abrita derrière un abri, évitant les balles qu’une puissante tourelle de défense balançait, provoquant un bruit assourdissant. Nika s’abrita dans une espèce de cabane en béton, au milieu de consoles et de boutons, et s’agenouilla, les balles pleuvant autour d’elle, formant de gros impacts contre le mur. Il y avait une forte résistance, et les mercenaires étaient en train de s’enfuir, des camions remplis de caisses de ravitaillement essayant de partir. Ils appartenaient à des criminels uatéens, une organisation connue sous le nom du Red Sun. Cette base leur servait d’avant-poste pour superviser les trafics illégaux qu’ils commettaient vers Mijak... Et elle abritait accessoirement un homme qu’une Celkhane nerveuse recherchait : son père, Kross.

Depuis les évènements dans la Fourmilière*, les Héroïnes avaient en main un mystérieux orbe magique. Malgré toutes ses recherches, Overlord n’avait pas réussi à savoir de quoi il s’agissait, et elle avait décidé de contacter les Cieux. Les Archanges avaient prévu d’envoyer prochainement un messager ailé récupérer l’orbe, afin de la ramener aux Cieux. Cette orbe avait intéressé un mystérieux criminel, surnommé Mastermind, mort dans la Fourmilière, et qui était l’homme de main d’un mystérieux magicien inquiétant Overlord. Le rapport entre cette histoire et Kross était que, visiblement, Kross savait qui était ce magicien. Les premières investigations des Héroïnes les avaient mises sur la piste d’un ancien Empereur mijakien déchu, Ram Aballah, surnommé le Roi Cramoisi. La capture de Kross était nécessaire pour obtenir des informations sur cet orbe, ainsi que sur l’influence du Roi Cramoisi sur Terra.

Quand Rinako avait retrouvé les traces de Kross, elle avait demandé de l’aide aux Héroïnes. Overlord avait mené des recherches sr cette région, afin de savoir si mener une opération était possible, et voir quel effectif employer. La place forte était lourdement défendue, et beaucoup d’Héroïnes avaient, par conséquent, été déployées, l’opération étant supervisée par Ryouka. Le groupe avait réussi à s’infiltrer dans la place forte, située dans la montagne, mais elle savaient été repérées, donnant lieu à une résistance lourde, tandis que Rinako, en voyant Kross, avait entrepris de le poursuivre, délaissant ses coéquipières.

*Cette fille est trop impulsive...*

Dans la petite cage de sécurité, qui servait à ouvrir des barrières pour permettre aux camions d’entrer, Nika leva la tête, et fit feu, visant la plateforme où se trouvait la lourde mitrailleuse de combat. Ses lunettes lui offraient une visée assistée particulièrement efficace, et elle fit feu. Les tirs filèrent, et atteignirent la jambe du tireur, dans une fenêtre de tir très étroite. La balle perforante perça son armure de protection, et il glissa sur le sol, lâchant le canon de l’arme. Nika vit alors d’autres tueurs débarquer sur sa droite, mais Striker choisit ce moment pour la couvrir, faisant feu à l’aide d’un puissant fusil d’assaut. Elle abattit deux d’entre eux, explosant leurs boucliers de protection, et le troisième répliqua en s’abritant dans un renfoncement de la base.

Aller sauver Rinako dans ce chaos était particulièrement difficile. Les Héroïnes avaient du mal à repousser leurs adversaires.

« Que fait Frozen Love ? demanda Nika à sa sœur.
- Elle est toujours occupée dans le centre d’entraînement, lâcha Ryouka.
- ’Chier... Et Delirium ?
- Elle affronte des bêtes supplémentaires dans les grottes. Comment vous vous en sortez ? »

Nika ne put répondre. Elle sortit de la cage, se mit à faire une roulade pour esquiver les tirs fusant d’autres mercenaires descendant d’un escalier. Le Red Sun comprenait de nombreux hommes de combat, et était plus une sorte d’armée privée que de vulgaire organisation criminelle. Nika roula sur le sol, s’abritant derrière des caisses métalliques, et ouvrit le feu vers les ennemis.

« Plutôt pas mal... Mais on peut pas venir la secourir... »

Elle entendit Ryouka jurer. Sa sœur aimait bien la petite Celkhane. Elle l’avait défloré, après tout. Mine de rien, ça créait des liens.

Si les Héroïnes ne pouvaient venir secourir Rinako, des tueurs, eux, pouvaient venir secourir Kross, un individu influent. Le chef de leur organisation leur avait dit de le protéger, car il était le messager d’un individu extrêmement puissant, peut-être bien le véritable maître du Red Sun. Les deux tueurs avançaient sur des speeder bike pour rejoindre rapidement l’emplacement où se trouvait leur maître. Ils virent ainsi que ce dernier était prostré sur le sol, au milieu d’un plateau rocailleux et désertique, et qu’une femme était à côté de lui, en mauvais état.

« C’est la Celkhane, signala l’un des hommes.
- Je m’en charge. »

Le second speeder filait droit vers elle, à une telle vitesse qu’il la percuterait avec force, la découpant en deux. Un léger sourire venait éclaircir les lèvres du tueur, qui allait lui rentrer dedans... Quand quelque chose heurta violemment son speeder, le déstabilisant. L’un des stabilisateurs explosa, et le speeder heurta le sol. En temps normal, il n’aurait rien eu, mais, vu la vitesse accumulée, le speeder se fracassa lourdement sur le sol, loupant d’une bonne quinzaine de mètres Rinako, répandant les viscères du mercenaire sur une trentaine de mètres, décorant le sol. Le second pilote eut à peine le temps de tourner la tête qu’une balle lui explosa la tête, envoyant gicler une partie de son cerveau.

Une femme sauta alors sur le sol, remettant dans son dos sa carabine. Une arme extrêmement précise, grâce à des viseurs perfectionnés et une assistance à la visée qui valait bien les lunettes spéciales de Killer Boom. Roulant des hanches, avec cette démarche si sexy qui la caractérisait, la jeune femme s’avançait lentement, dans le dos de Rinako.

« Il semblerait que je revienne à temps... Rinako Yukimitsu, c’est ça ? Belle proie... Tu peux te reposer, je prends le relais. »

La voix émanait d’une Héroïne que Rinako n’avait encore jamais du voir : Angel, alias « Calamity ».

* : Cf. RP « Until The Last Back ».

Je me sens sombrer et que c'est mauvais. Je lutte de toute ma volonté pour essayer de rouvrir les yeux, ce que je ressens appelle de mauvais souvenirs : la Fourmilière. L'effet de la neurotoxine qui avait réduit mon corps à un tas de viande inerte, un piège pour ma conscience, mais aussi la fatigue due aux combats, aux blessures. Très vite je ne peux plus qu'espérer me réveiller. N'importe où, n'importe quand et aux mains de n'importe qui, juste émerger de ce néant. Je me dissous comme un morceau de sucre dans une tasse de café brûlant.

Le néant se met à pulser, des échos lointaine le font virer. Des signaux stridents, espacés, et ce qui ressemble à une respiration... La mienne ? Non, même si le rythme correspond. Je me sens affreusement mal, lourde, écrasée, même comprimée. Pas moyen de bouger, mon corps ne répond plus et quelque chose me dit que lutter serait encore pire. Je suis vivante, pour l'instant personne n'a l'air de profiter de ma faiblesse, je ne pense pas être attachée. En gros la situation est plus que convenable pour l'instant. Je reste allongée, ou plutôt assommée, et je me repose.

Mais les bip et les souffles répétitifs ça devient vite lourd, en plus j'ai les lèvres sèches et le nez irrité. Un gros effort de volonté me permet d'entrouvrir les yeux un instant. Je vois rien. Autant dire que je passe un temps fou à seulement me coller les paupières en position ouverte. Il fait sombre... Je connais ce plafond. je crois savoir où je suis mais j'ai encore les synapses en rideau. Je me concentre avant tout à faire passer l'effet du calmant qui me cloue sur ce lit histoire de pouvoir au moins remuer la tête, et dans l'idéal me virer ce masque à oxygène. Mais j'y arrive pas, évidemment !

Du moins pas tout de suite. Je reste calme, je ne lutte pas au point de gémir ou de râler. Pourtant j'ai de bonnes raisons, à commencer par la soif. je ne sais pas combien de temps il me faut j'arrive à engranger assez de conscience et de force pour faire un tour d'horizon. Je suis à poils sous ce drap léger, à l'infirmerie des Zéroïnes, pourtant je ne suis pas dans le même lit que l'autre fois. J'aurais plus dégusté ? Non, quand même pas. Je dois juste m'être réveillée plus tôt. En fait je ne sais même pas si je suis vraiment dans un lit, ce qui me soutient est trop ergonomique, ça épouse trop parfaitement mon dos... Cette fois je tressaille, et je ne peut retenir une plainte étouffée par le masque à oxygène.

Une seconde j'ai cru que j'avais le dos péter, que j'étais paralysée ou un truc du genre. Mais j'ai bougé les jambes. Je ne retient pas un soupir de soulagement. Profitant de la panique qui me réveille un peu, je porte la main à ma tête pour découvrir un bandage. Merci papa ! Il m'a vraiment pas loupé, ce connard ! Je dois savoir où il est, et dans quel état. Je me suis donné du mal pour le choper vivant, si entre-temps il a crevé : tant pis. Je voudrais quand même voir s'il me ferait son numéro d'enculé sûr de lui derrière des barreaux. Je profite du retour pour tirer le masque à oxygène sous mon menton.

" H... "

J'essaie à peine de parler que je me mets à tousser. J'ai la gorge tellement sèche ! Je dois ramer pour avaler assez de salive et parler.

" Hé ? "

Deuxième service bave bien pâteuse, j'ai voix tellement éraillée qu'on pourrait croire que j'ai avalé un sac de plâtre.

" Y'a quelqu'un ?... Elaine ?... À boire... siouplé... "

La mission fut un réel succès. Les Héroïnes auraient pu faire mieux, mais auraient aussi pu faire pire, et ce sans problème. La cible prioritaire, Kross, fut capturée, et une base avancée du Red Sun, plaque tournante du trafic de stupéfiants et d’armes entre Uatis et Mijak, fut démantelée. Une belle victoire, qui permit également aux Héroïnes de se doter d’un joli stock d’armes. Tifa fut la plus blessée, et se trouvait dans l’infirmerie en même temps que Rinako, des bandages autour de ses mains. Quant à Rinako, la petite Celkhane avait été retrouvée inanimée près du corps de Kross, et avait été ramenée à l’infirmerie, une partie du complexe des Héroïnes qu’elle commençait à plutôt bien connaître. Tifa somnolait quand Rinako se réveilla, arrachant son masque à oxygène, regardant devant elle, sans voir, sur le coup, Frozen Love.

« Y'a quelqu'un ?... Elaine ?... À boire... siouplé... »

Tifa releva la tête, ouvrant les yeux. Elle avait trop forcé sur ses poings dans la base ennemie, et avait eu une crise nerveuse. Sa peau s’était arrachée, craquelée dangereusement, et on lui avait mis de lourdes bandages, ainsi qu’une série de piqûres antidouleur, mais ça continuait à l’élancer douloureusement. C’était très douloureux, même maintenant, et elle soupira.

« Il y a une bouteille d’eau sur ta gauche, petite Celkhane. »

Frozen Love se releva, atterrissant sur le sol, puis s’étira. Elle avait déjà enfilé sa tenue noirâtre, et se rapprocha de Rinako. Elle avait entendu parler d’elle. Dans un espace aussi petit, quand une étrangère débarquait, ça jasait. Rinako avait aidé Nika et Rozalia, et c’était suffisant pour que les autres lui fassent confiance. Cette opération avait été possible grâce aux informations fournies par cette jeune et belle femme, qui avait demandé l’assistance des Héroïnes. Ce choix était curieux. Pourquoi Rinako ne s’était pas adressée à sa hiérarchie ? Les Celkhanes s’embarrassaient fort peu des problèmes juridiques et des questions de souveraineté quand elles mettaient sur pied un commando d’intervention. C’était une question que Tifa se posait, comme toutes les Héroïnes.

Tifa ne se présenta pas. Quand Overlord avait formé le commando, elle s’était déjà présentée à Rinako, trouvant son uniforme militaire très sexy. Surtout ses jambes, de longues jambes belles et fines.

« L’opération s’est bien passée, rassure-toi. Ton père est en cellule, en bas. On n’a pas encore sorti le champagne, on attendait que tu te réveilles. »

C’était une petite plaisanterie, mais Tifa avait le sentiment que Rinako était sur les nerfs. L’idée de revoir son père biologique semblait l’inquiéter. Overlord, elle, espérait obtenir de lui de précieuses informations sur l’Œil Rouge et sur les motivations du Roi Cramoisi. Tifa s’assit sur le lit, à côté de Rinako.

« La prochaine fois que nous faisons équipe, Rinako, tâche de ne pas laisser tes émotions te submerger. Su Calamity n’était pas venue, ton père se serait échappé, et tu aurais été dans un bien plus triste état. »

C’était Calamity qui avait abattu les deux tueurs, et empêché Kross de s’enfuir, attendant que les autres Héroïnes arrivent pour l’exfiltrer. La petite Rinako était entre les bras d’Angel, ressemblant à une espèce de jeune fille endormie, Angel la retenant par une main posée sur ses fesses. Tifa lui fit alors un léger sourire, comprenant très bien ce qui s’était passé. Elles avaient été ensemble dans la base, tombant dans le bureau de Kross. Il s’était enfui, et Rinako avait bondi à sa suite, laissant Tifa avec de nombreux tueurs.

Elle lui sourit, lui ébouriffant ensuite les cheveux.

« Mais tu t’en es bien sortie malgré tout. »

À gauche... Je peux me redresser sans pourrir les soins de mon dos ? Tant pis, j'ai trop soif. J'étends au moins le bras pour choper la bouteille et je me redresse assise pour boire. Ça fait du bien ! C'est qui déjà, celle-là ? Tifa... Ouais, c'est bien ça. Qu'est-ce que j'ai soif ! Je vais la vider d'une traite, cette bouteille. J'arrête de boire pour reprendre mon souffle, et encaisser mollement la bonne nouvelle. Il est en cellule, il est vivant. J'avais peur que ce connard m'ait eu sur la fin, il aurait bien été foutu de se faire tuer rien que pour me coller les nerfs ! De toute façon je sais où je suis et avec qui, mes nerfs vont encore en prendre pour leur grade... Et ça commence. Je préfère boire encore un peu et me taire. Faire équipe : la bonne blague ! Je me suis servie d'elles, et si même Isabelle ne l'a pas vu d'entrée de jeu c'est qu'elle n'a pas voulu le voir.

Le résultat est là, et ça en resterait là si toutes les Zéroïnes n'avaient pas l'air toutes choisies sur les mêmes critères : bêcheuses et condescendantes... voire gratuitement insultantes. Je remues la tête pour échapper à la main de Tifa, et comme j'ai plus la bouteille aux lèvres je la presse en donnant un coup dans sa direction. Il paraît qu'une petite douche froide ça calme.

" Je suis pas une peluche. "

Et je modère mes grognements. Je suis pas venue les trouver pour me farcir encore des sermons à rallonge sur tout ce qui touche à mon existence. Si je les laisse faire, un de ces jours elles me diront que je respire pas comme il faut. Je sais comment je m'en suis sortie : j'ai fait au mieux avec mes options et la cible a été atteinte : mission accomplie. Maintenant qu'elles lui tirent les burnes pour lui faire cracher le morceau, du moment que je le ramène vivant à Caelestis j'aurai fait carton plein. Dans la foulée de la petite éclaboussure de flotte, je profite d'avoir les nerfs pour virer tout le merdier auquel je suis connectée. Tant pis pour la machine qui se met à hurler, et tant pis si je suis à poils. Je me lève... Je me sens lourde et nauséeuse, à croire que je peux pas croiser ces femmes sans finir complètement défoncée aux calmants...

J'attrape vite ma broche pour ce que j'ai de plus important à faire, et vu mes options limitées je me traîne jusqu'aux toilettes. Dans l'état où je suis je fais bien attention à ne pas me gourer dans mes manipulations... je tombe sur le bon répondeur.

" Salut ma chérie... Je suis un peu dans le gaz, je viens de me réveiller à l'infirmerie. Je vais peut-être avoir une grosse bosse. Je voulais juste te dire que ça va, au cas où tu rentres la première. Bisou. "

Un frisson me prend quand je coupe la connexion. J'aurais pu y rester, c'est même passé tout près. Mais c'est fait. Je vais pouvoir vivre ma vie sans que l'ombre de cet enculé plane au-dessus de ma tête. Suki, notre maison, bientôt Holy... Hors de question que je dise un mot de tout ça ! Pas ici et surtout pas à la troupe d'emmerdeuses qui se mêlent de tout ce qu'elles regardent ou pas ! J'ai déjà pas fini de m'entendre dire que j'ai fait n'importe quoi depuis le début de cette mission - ou ma naissance, pourquoi se priver ? - alors si en plus elles veulent toucher à Suki : je vais m'énerver. Emportée par mes émotions, qu'elle a dit. J'ai pas buté l'autre connard quand j'en ai eu l'occasion, que je sache. Et putain c'est pas l'envie qui manquait !

Je reviens traîner les pieds et ma tronche de zombie dans la chambre. Où elles ont planqué mes fringues, cette fois ?

" Je dois parler à Isabelle. "

On le chope, elles l'interrogent, je le ramène : c'était le deal.

« Je suis pas une peluche. »

Tifa devait confesser qu’elle avait encore du mal avec les coutumes terranes. Après tout, elle venait de la Terre. Nika lui avait dit que les Celkhanes étaient des « oursonnes dans des corps de poupées plastiquées ». Une image qui se justifiait. Tifa n’avait nullement voulu se montrer condescendante, ou présomptueuse envers Rinako. Si elle lui avait caressé les cheveux, c’était simplement pour lui dire qu’elle ne lui en tenait pas rigueur de l’avoir laissé seule dans le bureau de Kross, face à ses gardes. Tifa ne sut pas quoi dire, prise de court quand Rinako lui jeta de l’eau à la figure. Elle la vit partir, en tenant sa broche, et Tifa, littéralement sur le cul, la regarda partir.

*Qu’est-ce que c’est que cette salope mal baisée ?* s’étonna-t-elle.

Frozen Love ferma les yeux en sentant ses doigts vibrer à nouveau, et se concentra à nouveau. Ses doigts étaient encore dans un état particulièrement fragile, et, si elle perdait son calme, ses plaies pouvaient se rouvrir. Tifa avait des raisons d’en vouloir à Rinako. Elle avait du frapper fort contre les gardes, allant au-delà ce qui était recommandé. Elle avait failli perdre ses deux mains, et cette pétasse l’envoyait chier en lui crachant à la gueule ? Il fallait croire que le comportement de Lorenza influait sur tous les autres ! Dire qu’elle s’était fait du souci pour elle... Tifa se redressa en croisant les bras, et se dirigea vers un intercom, contactant Ryouka. Elle informa Brainstorm que Rinako était debout, et qu’il serait bien qu’Elaine vienne lui faire une injection.

« Je t’envoie Elaine, ça fait une demi-heure qu’elle veut entrer dans l’infirmerie, de toute manière. »

Tifa sourit. Isabelle était certes la dirigeante de l’organisation, mais Elaine était une vraie mère-poule.

« Par contre... Tu avais dit que Rinako était du genre cool et tout, mais...
- Hum ? Elle t’a fait du chagrin ?
- Elle m’a balancé de l’eau à la figure, merde ! Même ta frangine est aimable, comparée à cette fille !
- Ah... Mais c’est normal, ça, on n’a pas eu le temps de coucher ensemble depuis qu’elle est revenue au bunker. »

Tifa sourit, en secouant la tête. Avec Ryouka, tout finissait par revenir autour du sexe. Entendant les bruits de pas de Rinako, Tifa coupa la communication, et serra les bras, essayant de retenir ses vibrations. Ses mains lui faisaient encore mal, et elle montrait son dos à Rinako, espérant vaguement que cette dernière allait lui présenter des excuses. Au lieu de ça, elle se contenta d’aboyer un ordre.

« Je dois parler à Isabelle. »

Frozen Love ferma les yeux, se retenant de ne pas lui hurler dessus. Elle aimait se dire qu’elle ressemblait à Nika. À sa place, Nika l’aurait probablement envoyé chier, mais Tifa restait encore un peu jeune et un peu trop timide pour le faire. Elle ne répondit pas, ignorant superbement la Celkhane, faisant lentement craquer ses doigts, pour apprécier l’étendue de la douleur. Le silence s’installant entre les deux ne fut, fort heureusement, guère long, car la porte s’ouvrit sur une paire d’ailes rouges.

« Salut, les dormeuses ! »

Elaine s’approcha lentement, apportant toujours une dose de fraîcheur, et regarda Rinako en clignant des yeux.

« Salut, Rinako, tu te souviens de moi ? Je suis Elaine, c’est moi qui t’avait soigné la dernière fois... Et qui t’ait aussi soigné, encore. Je vais finir par connaître ton corps mieux que toi, à force ! »

Elaine parlait en remuant joyeusement des ailes, heureuse de rencontrer une autre personne que les Héroïnes.

« Elaine... glissa Tifa en levant les bras.
- Oh oui, pardon ! » s’exclama l’Ange en relevant subitement la tête.

Elle se rapprocha d’un coup d’ailes, lévitant au-dessus du sol, et inspecta les bandages, les ôtant proprement. Les deux mains de Tifa étaient rouges, et d’énormes cicatrices couraient à leur surface. Elaine était arrivée en prenant un petit dossier, comprenant des photographies des plaies de Tifa. Sous le coup, elle les avait laissé près de Rinako. On pouvait ainsi voir d’énormes plaies, partant de ses doigts, ouvrant ses mains en deux. Elle avait tellement frappé que ses muscles et sa peau avaient explosé. De telles photographies servaient pour Elaine à étudier l’aggravation progressive des muscles de Tifa. Malgré ses efforts constants pour la soigner, ils avaient tendance à toujours se dégrader un peu plus vite.

« Tu n’aurais pas du forcer autant, Tifa, lâcha Elaine, sur un ton réprobateur. On dirait que ça t’amuse, de m’amener toujours sous le nez tes mains ouvertes en deux comme Moïse ouvrant la mer en deux ! »

Il n’y avait qu’une Ange pour faire une telle comparaison... Mais à qui la faute, hein ?

« J’ai pas eu le choix...
- Et, pourtant, vous revenez toujours en lambeaux ! Tu sais combien de semaines il me faut, à moi, pour éviter de revoir de telles horreurs dans ma tête, hum ? Heureusement que les films Disney existent, ça me détend ! »

Tifa rit poliment, rougissant légèrement. Oui, Elaine pouvait être aussi terrible qu’une mère. Elle termina de masser les plaies de Tifa, puis fit deux piqûres, et mit des bandages neufs. Tifa se sentait mieux, et put serrer ses mains sans avoir mal.

« Merci, Lelaine ! » s’exclama-t-elle en l’embrassant sur la joue, et en l’appelant par son surnom.

L’Angelotte se mit à rougir, puis secoua la tête, et se retourna vers Rinako.

« À nous deux, Rinako ! Et n’espère pas y échapper, tu es ma patiente, alors je m’occupe de toi ! »

Elle observa alors le visage de Rinako, en fronçant les sourcils.

« Tu devrais te reposer encore un peu, tu ne te sens peut-être pas fatiguée, mais ton corps, lui, l’est... »

Tifa tire la gueule mais dans le domaine elle m'arrive pas à la cheville. Je supporte pas d'être là, je veux boucler cette histoire le plus vite possible et rentrer me blottir entre les bras de Suki, parler d'adoption, d'une maison plus grande... Je veux foncer tête baissée dans cet avenir radieux. Alors je m'habille ! Dans mon état c'est la croix et la bannière, mon corps me lance de partout et j'ai vraiment le dos en compote. La tornade rouge déferle soudain dans la pièce, j'ai l'impression de voir des petits cœurs voler dans tous les sens. Fait chier ! Les autres j'ai pas de scrupules à les envoyer se faire voir, mais Elaine... Je sais que je vais lui obéir au doigt et l'œil. Elle est trop gentille, trop maternelle d'une façon trop innocente : je peux pas lutter. J'arrive même pas à m'énerver, au contraire je me ratatine un peu plus quand elle parle de mon corps.

J'essaie quand même de finir de m'habiller pour filer en vitesse pendant qu'elle s'occupe de la furieuse des phalanges. Maintenant que je l'ai vue à l'œuvre, je trouve plus l'arc de Rozalia si débile et archaïque. C'est peut-être mon instruction militaire, mais foncer à mains nues sur des mecs armés en tenue de combat : je trouve ça débile. Elle pourrait au moins se coller des gants renforcés pour pas finir avec les doigts en compote. Je veux même pas en parler. Je vais déjà bouffer des "Spänje Sisters", encore des sermons sur les Celkhanes, me faire dire que j'ai tout merdé sur tous les plans du début à la fin, et surtout Kross. Ça je vais en bouffer, du Kross. C'est ce qu'elles ont de plus dégueulasse à me fourrer dans la gorge et même sans le faire exprès elles vont me gaver comme une oie.

Culotte, plastron, jambière, gants, mal partout. Je me tourne à peine vers la sortie qu'Elaine tombe à court de réclamations. Même quand elle râle elle est tellement trop craquante ! Mais bon, là elle me fait un regard qui ne devrait rien avoir pour m'impressionner. Je vais pas non plus lui rôtir les ailes pour sortir.

" Mais faut que je parle à ta mère ! "

Je me déteste de geindre comme une gamine... Une gamine avec une voix de gros fumeur. je retourne m'allonger sur le lit ergonomique, et Elaine me recolle ma perfusion en me disant que je dois rester en place pour que mon dos se remette.

" Je sais, je suis encore cassée de partout... Mais je dois vraiment discuter avec Isabelle. Tu peux la prévenir, s'il te plaît ?

Je dois savoir ce qu'il en est, si cette ordure a craché le morceau ou si je vais encore devoir attendre. D'ailleurs...

" Elaine !... Dit aux autres que... que j'ai pas de père... J'en ais jamais eu et j'en aurai jamais. "

Je l'ai carrément supplié, mais j'avais pas le cœur à lancer une menace. Pour une fois je veux bien qu'on me prenne en pitié si ça m'épargne d'avoir à entendre que ce mec est mon "père". C'est une ordure, un monstre qui a inséminé ma mère contre sa volonté. Mon géniteur si elles veulent, ma cible, mon prisonnier, mais certainement pas mon père. Et puis fais chier ! L'effet à retardement de la présence d'Elaine. Je me retrouve toute seule avec Tifa et forcément je me sens mal. Même si je grogne pas je boude sans la regarder. De toutes façons je dois rester allongée.

" Pardon de t'avoir arrosée. "

Si ça me déchire la gueule ? Bien sûr ! Je comprends mieux la réaction de Nika quand je lui ai parlé de ma mère sous la tente. Je serre ma broche dans ma main, et mon cœur ne tarde pas à s'emballer. Je suis trop crevée pour tout retenir. Je sens les larmes qui pointe et une grosse boule coincée dans la gorge. Je l'ai eu... Je l'ai eu en beauté, dans les règles. Pas ses règles à lui : les miennes, celles sur lesquelles j'ai prêté serment, celles qui le puniront pour tous ses crimes. J'ai été plus forte que lui, plus forte que mon dégoût et ma colère, plus forte que la vengeance.

J'aurai tellement aimé que tu vois ça, maman...

Rinako avait l’air de tenir à voir sa mère... Il devait sûrement s’agir de ce prisonnier qu’Elaine avait du inspecter. Elle l’avait fait en compagnie de Nika et d’Angel, sous bonne garde, pendant qu’il était anesthésié. Pour quelle autre raison voulait-elle tant voir sa mère ? Elaine ne répondit pas, préférant ausculter Rinako. Comme toujours, son petit corps se remettait très bien. On pouvait la croire fragile, en raison de sa petite taille, de cette allure innocente et tendre sur son visage, mais Elaine savait à quoi s’en tenir. Rinako était très forte, et, d’un point de vue médical, elle était, comme on disait, apte au service actif. Elaine se redressa donc, cédant sous les insistances de Rinako, hochant la tête de haut en bas.

« Je vais aller la chercher, ne t’en fais pas. »

Au moment où elle allait y aller, Rinako lui fit une autre demande, sur un ton un peu plus silencieux, plus proche de la confidence :

« Elaine !... Dit aux autres que... que j'ai pas de père... J'en ais jamais eu et j'en aurai jamais. »

Ses sourcils se froncèrent légèrement devant cette demande. Elaine comprit toutefois que ce que ça voulait dire. Elle n’était pas encore totalement idiote, et hocha donc la tête, de haut en bas. Elle lui aurait bien ébouriffé les cheveux, parce que Rinako avait de très beaux cheveux, mais elle savait que la Celkhane n’aimait pas ça. Au lieu de ça, Red Armor se mit à sourire, un beau sourire, innocent, tout en lui faisant un bref clin d’œil. Elle se releva ensuite.

« Bon ! Restez là, vous deux ! Je vais aller chercher ma maman... Et tes nouveaux gants, Tifa. Ryouka a travaillé toute la nuit, il faudra que tu la remercies.
- Ne t’en fais pas, Lelaine... Je la remercierai. »

Elaine sembla satisfaite, et sortit de l’infirmerie, laissant ensemble les deux femmes, chacune boudant dans son coin. Un observateur externe aurait sans aucun doute trouvé la scène comique. Tifa observait ses doigts, silencieuse. Ryouka avait probablement encore accru leur résistance. Mais elle ne pouvait rien y faire. Tifa grandissait, et sa force devenait de plus en plus forte. Comme si elle avait deux marteaux-piqueurs dans les poings. Impossible de retenir une telle force... Elle avait déjà déchiré une vingtaine de gants, amenant à chaque fois Ryouka à bosser pendant des heures pour en fabriquer de nouveaux, à l’aide de la nanotechnologie novaquienne, la récompense faisant ensuite par de longues étreintes nocturnes, où Ryouka jouissait un peu partout sur, et dans, Tifa. Elle serra ses poings, ses jolis poings. Elle avait des doigts de fée, mais ils étaient meurtriers, pouvant réduire en charpie des maisons entières...

Tifa soupira, perdue dans ses pensées, quand la voix fluette de Rinako parvint à ses oreilles. Ce fut rapide, presque un murmure, mais suffisamment audible pour qu’elle l’entende :

« Pardon de t'avoir arrosée. »

Surprise, Tifa se retourna vers « Winnie » (une référence typiquement terrienne), ne s’attendant pas à la voir s’excuser... Certes, le ton n’y était pas, et ça semblait plutôt être une formule bancale plus qu’autre chose, mais, pour Tifa, c’était suffisant. Elle hésita un peu, comprenant très bien ce que Rinako ressentait. Tifa se redressa donc, serrant les poings, se rapprochant de Rinako, sans s’asseoir à côté d’elle.

« Je suis l’une des plus jeunes filles de l’organisation... Tu vas sans doute me prendre pour une râleuse, mais je sais ce que tu ressens. J’étais la ‘‘bleue’’, la gamine qui ne fait rien comme il faut, celle qui s’emporte toujours, incapable de suivre les ordres... Je suis du genre à m’emporter, et avoir deux marteaux-piqueurs, crois-moi, ça n’aide pas à se calmer. »

Tout en parlant, elle faisait quelques pas d’entraînement, d’abord avec ses pieds, fendant l’air avec sa jambe gauche, puis se mit en position de combat, tapant devant elle. Elle finit par se retourner, plantant ses poings sur ses hanches.

« Je te présente mes excuses si tu as cru que je te maternais, Rinako, ce n’était pas mon intention. Crois-moi, Nika m’a assez fait chier à me critiquer pour que je ne commette pas la même erreur. J’essayais simplement, de manière maladroite, de te dire que je ne t’en voulais pas de m’avoir laissé tomber comme une vieille chaussette. »

Elle se massa les cheveux, ne sachant pas trop comment poursuivre...

« Pour être honnête, si j’ai rejoint cette bande de tarées, c’était pour qu’on me forme, et que je puisse un jour me venger des salopards qui ont tué ma famille... Alors, tu as retrouvé le tien, tu lui as niqué sa sale gueule... Ça devrait te faire un poids en moins, non ? Quoique... À ta place, je ne sais pas que ce que je ferais... Mais peu importe... »

Elle secoua la tête, avant de lui sourire, révélant ses belles dents, et tendit sa main vers Rinako.

« On fait la paix ? »

À cet instant, la porte s’ouvrit, et Tifa sentit une présence chaleureuse et sereine entrer. Dans sa longue robe bleue, Isabelle Desforges était une créature incroyable. Tifa se sentait trembler à chaque fois qu’elle voyait ses yeux bleus, traduisant une sérénité incroyable, et une sorte de paix intérieure qui était surhumaine.

« Bonjour, Tifa, dit-elle d’une voix douce et à la fois imposante, avant de regarder Rinako. Bonjour, Rinako. Ma fille m’a dit que vous étiez réveillées, et que tu désirais me parler, Rinako. »

Isabelle resta face à elle, ses belles ailes blanches flottant au-dessus de son visage.

« Tu as toute mon attention. »

Par sa prestance, Tifa avait toujours trouvé Isabelle assez intimidante. Si Elaine était adorable dans sa manière d’être casse-pieds, elle, elle redonnait à la notion de sacrement toute son importance. Confesser ses fautes et ses erreurs devant Isabelle était une véritable confession, car on n’avait pas le sentiment d’avoir enfreint une norme, et on ne craignait pas une sanction, on craignait quelque chose de pire encore : avoir enfreint la confiance sans bornes qu’Isabelle portait à ses Héroïnes.

Je boude, je rumine, j'ébauche, je fais que ça. J'écoute même pas Tifa, pas plus que nécessaire pour m'énerver. Je dois m'énerver, et réfléchir, peser chaque mot que je vais dire. D'une : je suis encore en mission. Je me détendrai quand l'autre crevure aura été condamnée, exécutée, et quand j'aurai annoncé la bonne nouvelle à ma mère. Pas avant. De deux : Isabelle. Miss Douce et Fraîche, avec son troisième effet Kiss Kool qui calme tout le monde. Si elle croit que je vais m'écraser gentiment quand elle passera la porte c'est elle qui va se faire calmer. Elle l'aura pas volé, et encore je vais pas lui mettre le nez dedans aussi profond qu'elle le mériterait. Je l'entends encore faire sa bêcheuse sur le merdier de Swedan et Rayka, épingler Caelestis comme une bande d'inconséquentes qui filent des armes à des gamines assoiffées de vengeance et les lâchent dans la nature. Avec son orphelinat pour enragées et ses plans à deux ronds elle se fout carrément du monde.

Pour l'instant c'est Tifa qui trinque mais ça vaut mieux que si je l'envoyais se faire voir. Elle va en voir, je compte bien qu'elle entende aussi ce que j'ai à dire. J'en profite pour bien me blinder. Quand elle trouvera ses enfoirés elle devra faire ses choix. J'ai trouvé le mien et j'ai choisi de le traîner en justice par la peau des roustons. Pour ça j'ai dû faire des concessions à Isabelle, je me suis laissée amadouer comme les autres. Overlord... Ça pue pas la connasse maniaque du contrôle, ça ? Elle a pris mes infos, mon plan. Elle m'a imposé ses décisions foireuses qui ont eu des conséquences foireuses. Mais les conséquences ont été pour ma gueule. Je vois mal une de ces subordonnées lui faire ce genre de reproches. Je suis pas une de ses subordonnées. Swedan aussi considérait sa place de cheffe comme allant de soi, ses subordonnées n'ont pas osé remettre son jugement en cause quand il était encore temps. Je fais plus deux poids deux mesures sur ce genre de cas.

Je vois du coin de l'œil Tifa qui me tend la main, si j'avais vraiment que ça à penser j'hésiterais à la serrer à cause des bandages. J'ai pas que ça à penser, je fixe la porte comme une chienne de garde qui attend un voleur : prête à mordre.

" C'est pas après toi que j'en ai. "

Isabelle arrive. Premier effet Kiss Kool : qu'elle a une douce voix ! Deuxième effet Kiss Kool : quelle fraîcheur ! Troisième effet Kiss Kool : qu'elle est étouffante son aura bisounours ! Allez... Ouvre la bouche... Tend-moi une perche... Merci.

" C'est un peu tard, tu crois pas ? J'aurais dû avoir ton attention quand je t'ai parlé de mes pouvoirs. Et quand je t'ai dit que me coller un binôme était dangereux autant pour la mission que pour nos vies. T'as bien écouté quand je t'ai dit que Kross était en cheville avec le Roi Cramoisi. Mais quand je t'ai dit qu'il avait mes pouvoirs, que je pourrais lui tenir tête, et qu'à ce moment-là tout ce qui se trouvait dans le périmètre avait cent pour cent de chances de cramer : t'étais déjà moins attentive. "

Je lève la main, je laisse venir quelques flammes. Le troisième effet Kiss Kool m'agresse moins, mes pouvoirs me rassurent. Et tant qu'à faire ça neutralise un peu de la merde qui coule encore dans mes veines. Si j'étais pas clouée au lit je serais tentée d'aller me damner en retournant une tarte à un Ange.

" Tu vois ça, Tifa ? C'est pas tout. Feu, air, terre, flingues. Kross et moi on a des tonnes de façons de te tuer en restant hors de portée de tes poings. Sur cette mission, dans ce rôle précis : t'étais un boulet et donc un danger. C'est vache mais c'est la réalité des fait. "

J'ai pas lâché Isabelle des yeux un seul instant, je veux pas qu'elle doute une seconde que c'est à elle que je m'en prends. Et je souris le moins du monde. Je lui écrase bien son surnom de cheffe en espérant que ça lui rappellera que cette place la rend responsable des résultats et de la survie de ses subordonnées.

" Tu savais tout ça, Overlord. Tu savais que si Kross utilisait ses pouvoirs je pourrais pas me battre et la protéger en même temps. On joue pas dans la même cour. T'as cloué le bec à Nika avec celle-là, tu te souviens ? Me dis pas que ça t'as échappé pour Tifa et Kross. Tu l'as mise en danger de mort inutilement, t'as offert à la cible une occasion de s'échapper, et tu t'es déchargée de tes responsabilités sur moi. C'est toi qui nous as mises dans une position où j'ai dû la sacrifier. Et comme tout le monde dans cette troupe s'écrase dès que tu fais les gros yeux, faut bien qu'une étrangère vienne te dire ce qu'il en est. "

Sur Caelestis j'aurais fait un rapport complet dans lequel j'aurais chargé la supérieure incompétente. Je l'aurais chargée comme la dernière des garces. Mais ici je suis toute seule, et j'ai pas de compte à rendre. Plus ça va plus je trouve évident qu'Isabelle est un danger pour les femmes qui se battent sous ses ordres, et qu'elle ne s'en rend pas compte. La vigilance n'est pas innée dans ce genre de cas, j'ai acquis la mienne à force de brûler tout ce qui m'entourait.

" Tu devrais te méfier de tes ailes et de tes pouvoirs. À force plus personne ici pense à remettre tes décisions en cause, toi moins que les autres. Quand tes stratégies merdent tes Héroïnes autres se retrouvent seules sur le terrain, en danger de mort. Et elle te restent aveuglément fidèle au point de mettre tes erreurs sur le dos de la première venue. Tu aurais dû me faire confiance, mais t'as préféré prendre des décisions unilatérales qui ont failli te coûter Kross, et nous coûter la vie à Tifa et moi. J'ai eu tort de me fier à toi, Overlord. Je peux me fier à personne entre ces murs, parce que c'est toi qui commande. Mais j'en ai pas fini avec Kross. Je veux m'assurer que mon prisonnier est encore en état de répondre de ses crimes. "

Et ça j'y tiens. Si je l'ai pas buté moi-même c'est pour qu'il reçoive ce qu'il mérite, que tous ses crimes soient énoncés comme autant de preuve qu'il est néfaste. Qu'il soit éliminé par la communauté pour le bien commun. Pas par vengeance pour me soulager, comme ça marche dans son monde.

« C'est pas après toi que j'en ai. »

Diable, elle était toujours aussi grognon ! Tifa ne connaissait pas grand-chose sur Rinako. Elle savait que Nika l’avait trouvé clean, ce qui avait justifié grandement le fait qu’Overlord accepte de l’intégrer dans l’opération. Autrement, Rinako, même avec ses précieuses informations, serait restée sur le banc de touche. Tifa ne savait pas trop quoi dire, se trouvant un peu idiote avec sa main tendue, mais n’eut pas vraiment le temps d’y songer. La porte s’ouvrit pour laisser passer un océan de fraîcheur : Isabelle Desforges, alias Overlord. Elle les salua, et se tourna devant Rinako. Elaine avait du faire vite, mais, comme c’était sa fille, il était probable qu’elle sache instinctivement où se trouve sa mère. Bras croisés, Isabelle écouta donc, et reçut un véritable torrent de protestations de la part de Rinako, qui ne mâcha pas ses mots.

Silencieusement, Isabelle écouta, sans qu’aucun signe extérieur ne vienne indiquer si elle se sentait vexée, touchée, ou énervée. Elle avait l’habitude de côtoyer les humains, et sa paix intérieure était telle qu’il était également très difficile de l’atteindre. Isabelle aurait tout à fait pu devenir une Archange depuis quelques siècles, mais préférait rester une simple Ange, estimant que la véritable bataille se livrait auprès des humains. Or, il était beaucoup plus difficile pour un Archange de se rendre auprès des humains. Rinako poursuivit, balançant à Tifa qu’elle n’était rien de plus qu’un « boulet », ce qui la fit rougir.

*Putain, quelle salope... Elle se prend pour qui ?!*

Elle serra les poings, sentant sa colère revenir... Et essaya de se calmer. Si elle s’énervait, les tremblements de ses mains reprendraient.

« C'est toi qui nous as mises dans une position où j'ai dû la sacrifier. Et comme tout le monde dans cette troupe s'écrase dès que tu fais les gros yeux, faut bien qu'une étrangère vienne te dire ce qu'il en est. »

Là, même pour Tifa, c’en était trop. Elle s’avança vers Rinako, tendant une main vers elle.

« Hey ! Toi ! Où est-ce que tu te... ?! »

Elle s’interrompit soudain, en voyant la main levée d’Isabelle. Elle tourna alors sa tête vers elle.

« Calme-toi, Tifa, je ne voudrais pas avoir à dire à Elaine que tes plaies se sont rouvertes...
- Mais elle... !
- Je sais ce qu’elle a dit, je l’ai entendu, mais je ne veux pas que tu t’énerves inutilement. Tes cicatrices sont encore fragiles, ma fille n’a pas totalement terminé de te soigner, alors, calme-toi, s’il-te-plaît. »

Se calmer... Tifa bouillonnait sur place. Qu’est-ce que Nika avait bien pu lui trouver, à cette salope ? De quel droit se permettait-elle de critiquer Isabelle ? De la critiquer ? De critiquer toute leur organisation ? Elles n’étaient pas des esclaves ! Tifa fulminait, serrant les poings... Et baissa les yeux, en soupirant faiblement.

« Non... Je préfère me tirer d’ici, plutôt que de continuer à voir la sale gueule de cette salope. »

Tifa s’avança alors, en serrant les poings, et claqua la porte derrière elle, manquant l’arracher de ses gonds. Il était plus que probable qu’elle était partie pour prendre les gants de Ryouka, et défoncer quelques rochers dans le désert pour calmer ses nerfs. Isabelle n’essaya pas de la retenir. Elle regarda ensuite encore Rinako, laissant quelques secondes passer, sans qu’elle ne dise rien, avant de finir par parler.

« Je ne voulais pas que tu fasses partie de cette opération, reconnut-elle. Tes informations étaient précieuses, mais je ne souhaitais pas te voir parmi nous. Nous ne sommes pas un club d’entraînement, et, pour moi, bien que tu sois très douée, le fait que tu ne fasses pas partie de notre organisation faisait de toi un élément imprévisible, qui ne connaissait pas le potentiel de ses coéquipières. Comme nous le faisons à chaque fois pour ce genre de décisions, il y a eu un vote, mais Rozalia et Nika ont eu raison de mes arguments. Elles ont convaincu les autres filles en arguant qu’il ne serait pas juste de ne pas te laisser participer, vu que nous traquions ton père. C’est ce qui a convaincu Tifa. »

Isabelle parlait d’un ton calme, sans la moindre agressivité. C’était à croire qu’elle était un roc inébranlable, un puits infini de sagesse et de patience.

« J’ai choisi de t’associer avec elle, car vous formiez le meilleur duo possible. Je savais de quoi Kross était capable, je savais de quoi tu étais capable, et je sais aussi que Tifa était ta meilleure alliée ici. Vous affrontiez la cible dans un endroit fermé, un endroit où Tifa est virtuellement imbattable. »

Tifa était extrêmement agile et rapide, et, dans un espace clos, ses coups de poings étaient dévastateurs.

« Tu n’as pas suivi mes instructions, Rinako. Dès que tu as vu ton père, tu as perdu tout sang-froid. Tu l’as suivi sottement, aveuglée par ta rage, cette même colère que tu déverses à cet instant. Tes actions inconsidérées t’auraient coûté la vie, si l’une de mes filles ne t’avait pas sauvé. Et Kross se serait échappé. Le plan était que vous attaquiez Kross ensemble. Tifa est habituée à affronter la magie, elle s’entraîne fréquemment avec notre magicienne, Peleno, les attaques de Feu de Kross n’auraient pas pu l’atteindre. Tu as sous-estimé ta coéquipière en surestimant tes propres capacités, Rinako, et en te laissant guider par tes émotions. Si tu te retrouves dans ce lit d’hôpital, ce n’est pas parce que mes instructions étaient mauvaises, mais parce que tu n’as pas réussi à les appliquer. »

Elle croisa les bras, avant de poursuivre :

« Je ne cherche pas à te piéger, Rinako. Pour que tu travailles avec nous, tu te doutes bien qu’il a fallu que je procède à quelques formalités administratives. Ghost, qui est aussi une Celkhane, m’a aidé à obtenir de tes supérieures l’autorisation exceptionnelle de t’avoir sous mon commandement. En contrepartie, je me dois de remettre à Caelestis la cible recherchée, et de faire un rapport. J’y indiquerais que tu es talentueuse, Rinako, mais que, comme tes compatriotes, tu as du mal à contrôler tes émotions. »

L’analyse d’Isabelle était très différente de celle de Rinako, et elle se retourna, marchant vers la sortie.

« Le prisonnier est en cellule. Tu n’auras qu’à consulter un plan pour savoir où il est. Nous ne l’avons pas torturé. Il souhaite te parler, d’ailleurs. Et... Ryouka tenait à te voir, elle voulait que je te transmette le message. »

Isabelle était sur le point de sortir, quand elle fit une dernière précision.

« Tu ressembles beaucoup à Nika. »

Et, disant cela, elle sortit.

Sans surprise Tifa s'énerve et Isabelle se fout complètement de ce que je raconte. Encore pire, tout à coup mes supérieures m'ont collée sous ses ordres, c'est elle qui est à la base de toute l'opération, et c'est moi qui n'avait rien à foutre là. J'ai encore loupé une occasion de la fermer. En tous cas la prochaine fois que j'ai besoin d'un coup de main je me colle une baffe. Et si pour je ne sais quelle raison tordue c'est la THT qui me réclame, je me pète une jambe... Ou je prévois les boules quies. Mais vu qu'Isabelle prétend rentrer dans ma tête comme dans un moulin, ça l'empêchera pas de me seriner ses reproches. C'est décourageant, je comprends de mieux en mieux que les esclaves finissent par se laisser faire.

Alors no comment, je la laisse finir. J'ai dit ce que j'avais à dire, elle s'en fout : parfait. À retenir pour la prochaine fois où j'aurai le malheur de les croiser. Je finis quand même par avoir un élément intéressant à me mettre sous la dent : Kross veut me voir. Et Ryouka ? C'est sans ma culotte qu'elle veut me voir, c'est pas trop l'ambiance pour l'instant. Avec Elaine c'est sans doute la moins chiante que j'ai croisée, mais je préfère voir l'autre crevure avant de me laisser tenter par un défouloir sexuel. Sans compter que j'ai autre chose en tête que faire des infidélités à ma petite amie.

Et quitte à avoir le dernier mot, même les Anges s'assurent d'être désagréables. Les seules choses que j'aimerais avoir en commun avec Nika : c'est sa poitrine et son cul. Je sais pas où elle va pêcher qu'on se ressemble mais je veux surtout pas savoir, j'ai eu mon compte de mauvaises blagues pour la journée. Quand l'autre fumier aura craché le morceau je pourrai le ramener et retrouver ma petite vie. Entraînements, missions, ma Suki chérie, la maison qu'on prévoit d'acheter, la pile monumentale de paperasse qu'on doit se taper pour adopter Holy... J'ai largement de quoi cogiter positif en attendant qu'Elaine me donne la permission de me lever.

Ça finit par venir, au moment où je me dis que ce serait cool d'avoir une piscine mais trop dangereux avec une gamine de cinq ans. Enfin libre de bouger avec l'accord de la doctoresse, je pars vite à la recherche des cellules. Heureusement que c'est bien fléché, je ne tarde pas à arriver devant une alcôve fermée par des barreaux et des faisceaux lumineux sans doute très dangereux. Il est derrière, en pyjama de taulard, des bracelets d'obsidienne aux poignets. Et il sourit.

" Bonjour, ma fille. "

Je reste de marbre. Je le vois venir à des kilomètres : il veut me pousser à bout, provoquer un deuxième round qui me foutrait dans la merde. Il peu user sa salive. Je ne dis rien, je me contente d'observer alors qu'il se lève de sa couchette pour approcher.

" Tu es la fille de cette Celkhane, n'est-ce pas ? Je savais que j'aurais dû prendre le temps de la trainer par le collier.

Il a l'air en bonne santé, et assez en forme pour emmerder le monde. Je me retourne déjà pour partir.

" Rien à dire à ton cher papa ? J'imagine que ta mère ne parle beaucoup de moi. Déjà, à l'époque, elle crevait de honte en réclamant ma queue. Surtout quand tu étais dans son ventre. "

Pendant un instant mon corps se tend, je le revois en train de mourir entre mes cuisses et j'ai une furieuse envie d'aller jusqu'au bout. Cette furieuse envie n'est pas si exceptionnelle, je l'ai ressentie pour les Formiens et pour tous les enfoirés d'esclavagistes qui ont croisé mon chemin. Je n'ai pas grandi en haïssant cet homme, je n'ai appris son existence que très récemment. Toute cette histoire est déjà soigneusement pliée dans ma tête, ce qui reste à faire n'est que formalités. Je me retourne pour le détailler à nouveau, froidement. Hors de ces murs il était un chef puissant, un homme doué dans l'art de briser les autres et les plier à sa volonté. Mais ici il n'est plus qu'un pauvre type, son numéro pitoyable ne m'énerve même pas autant que Miss Douce et Fraîche avec ses effets Kiss Kool.

Kross est déjà vaincu, jeté de son trône, c'est un mort en sursis. Je refuse de lui donner la moindre emprise sur ma vie.

" Vous allez être jugé pour vos crimes, puis exécuté. Je ne suis là ni pour vous écouter ni pour appliquer la sentence : uniquement pour vous livrer à la justice. "

Il se fout de ma gueule et essaie de me retenir, mais je pars déjà. Comme hier j'ai dû lutter contre l'envie d'en finir avec ce connard, je me suis fait violence. Sa mort ne changera pas le passé, en revanche le peu de temps qui lui reste à vivre sera une pierre posée pour l'avenir. Le monde entier saura que les Celkhane sont là pour changer les choses dans les règles, et pas se défouler en bousillant tout sur leur passage. Notre engagement n'est pas un permis de tuer, c'est une responsabilité envers Terra toute entière. J'ai décidé de l'assumer à ma façon, et personne ne m'empêchera de ramener tous les nuisibles que pourrai. Kross n'est que le premier.

J'ai besoin de calme, et aussi d'un truc à manger. Un crochet par la cantine puis je pars vers la sortie de la base en grignotant un sandwich. Une fois dehors j'ai enfin accès à l'air libre et à un sol naturel. À l'ombre de la base je me pose en tailleur, je ferme les yeux, et je me laisse bercer par l'infinie lenteur des mouvements de la terre. Rien de mieux pour remettre les chose en perspective.

Le radscorpion est un petit animal désertique qu’on trouve dans les Badlands. À l’origine, il s’agit d’un vulgaire scorpion, mais qui a évolué. C’est un mutant, une créature anormale qui est née à cause de l’homme, ou, plutôt, de la femme. Le radscorpion était à l’origine un petit scorpion qui a évolué des suites des radiations de l’explosion d’une bombe nucléaire expérimentale dans le désert. L’objectif était de tester les capacités destructrices d’une bombe atomique, afin de l’utiliser contre la Fourmilière. Il y avait eu des conséquences inattendues, liées aux rayonnements magiques qui parcouraient Terra. Plusieurs scorpions avaient grossi et enflé, devenant des scorpions énormes, et qu’on appelait, fort logiquement, radscorpions. Ils étaient dangereux pour l’homme, car, en grossissant, ils étaient devenus les prédateurs des humains, trouvant ces êtres à leur goût.

La base secrète des Héroïnes se trouvait dans une zone assez abandonnée du désert, où la ville la plus proche se trouvait à plusieurs heures de route en connaissant bien les pistes et les sentiers. L’endroit était malheureusement utilisé par les radscorpions durant la saison des amours. Ces derniers s’attaquaient aux infrastructures, dont le centre solaire, qui fournissait en énergie le bunker des Héroïnes. Le centre solaire était un ancien dispositif militaire, entouré d’une clôture électrique qui ne fonctionnait plus depuis belle lurette. Quand les Héroïnes d’Overlord avaient installé leur repaire dans l’ancien bunker militaire, elles avaient remis en marche le centre solaire. L’énergie filait par de gros tuyaux, à l’aide d’une rangée de panneaux solaires. Les caméras et les détecteurs installés par Ryouka avait détecté des radscorpions, et il fallait donc les chasser.

« Tu ne te serais pas un peu ramollie, Angel ? la nargua Nika en visant la tête d’un radscorpion, crevant ses yeux à l’aide d’une balle bien placée.
- Il me semble pourtant que j’en ai plus que toi pour le moment... »

Nika et Angel avaient décidé d’aller protéger le centre solaire. La carabine d’Angel jouait en écho avec les deux pistolets de Nika, alors qu’elles avançaient dans le désert, sous un soleil de plomb. Nika avait des suées, mais devait se concentrer. Les radscorpions pouvaient être redoutables, même s’ils étaient très stupides.

« Et j’ignorais que nous avions une nouvelle recrue... » glissa alors Angel.

Nika ne répondit rien sur le coup, préférant faire feu. Une balle fendilla la carapace solide d’un radscorpion, faisant couler un sang verdâtre, alors que la bête se ruait vers elle. Nika fit à nouveau feu, et le radscorpion cessa de s’avancer, baignant dans son sang.

« Tu parles de Rinako ? La Celkhane aux cheveux roses ?
- Je savais qu’elle était Celkhane, mais je ne crois pas que ce soit Ghost qui l’ait emmené. Tout ça porte ta marque, Nika.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda Killer Boom avec un léger sourire.
- Je l’ai vu s’élancer à la poursuite de cet homme, ce Kross... Une vraie teigne.
- Rinako est douée, oui, mais elle n’est pas des nôtres.
- Depuis quand autorise-t-on les étrangères ? s’étonna Angel.
- C’est... C’est une longue histoire, Calamity. »

Angel opina de la tête, sans rien ajouter. Avec Nika et les autres, c’était toujours de longues histoires. Angel pointa sa carabine, ferma un œil, et appuya sur la gâchette, tuant le radscorpion face à elle en une seule balle, sa balle défonçant sa carapace pour atteindre sa cervelle, la crevant. Le radscorpion s’écrasa d’un seul coup, sans bouger. Nika se mit à sourire, quand la radio intégrée à ses lunettes se mit à grésiller.

« Bien que j’aime vous voir en sueur, les filles, vous avez fait le ménage. Vous pouvez revenir à la base. »

Nika hocha la tête, heureuse. Elle détestait la chaleur, et, dans ce désert, il y avait des pics de chaleur particulièrement lourds. L’Héroïne n’en pouvait plus. Affronter un Annexien dans les profondeurs de la Fourmilière paraissait un calvaire moins lourd que de se promener en plein désert, avec le soleil au zénith.

« Allez, on retourne à la base ! »

Les deux femmes rejoignirent au bout de dix minutes la moto de Nika, et, cinq minutes après, elles approchèrent de la base, habilement dissimulée sous un garage abandonné. Nika remarqua alors que quelqu’un était assis devant le garage, se reposant visiblement, à l’ombre. La moto s’approcha plus lentement, jusqu’à s’arrêter pile devant. Angel sauta sur le sol, tandis que Nika mit le pied à terre.

« Déjà réveillée, Rinako ? » s’exclama Nika.

Angel avait toujours son chapeau sur la tête, et regarda la Celkhane en penchant la tête.

« Hum... T’es plutôt endurante, toi... J’aurais bien tapé un brin de causette avec une Celkhane, mais il fait trop chaud, et la climatisation du bunker m’appelle. »

Angel ouvrit alors la porte d’entrée de l’ancien magasin, puis s’y aventura, tandis que Nika rangeait sa moto dans le garage, avant de retourner voir Rinako.

« Alors, tête de rose, comment tu vas ? »

Tout le monde croit que dans le désert il n'y rien, mais c'est une idée reçue. D'où je suis assise je sens des foules de bestioles sous et sur le sol. Je sens aussi les ondes à travers l'air et fait le rapport dans mon esprit. Pas une carte complète de tout ce qui m'entoure, je n'ai que des éléments qui se répondent pour donner des fragments de scène. Certains sont fixes, d'autres mouvants, naturels ou non, une vraie mosaïque ! De petits impacts avancent en rythme, par ligne, des pattes d'insecte ou... Non, les pattes vont par huit. De grosses araignées, crabes ou scorpions. Des trucs qui ont huit pattes. Et ils morflent. De temps en temps un impact plus violent sur le sol, de minuscules objets qui sont sans doute des balles. Quelqu'un fait un carton sur des bestioles, plus d'une personne ou en tous cas plus d'une arme. C'est qu'il y a de plus intéressant à se mettre sous la dent.

Je sens que ma méditation ne va plus faire long feu. Des pas, puis des roues sur le sol. Un véhicule fonce dans ma direction. Au moins je progresse niveau perceptions à travers la terre, difficile de s'entraîner à ça sur une île maintenue artificiellement en l'air et en un seul morceau. Il n'y a qu'à la surface de Terra que je peux cultiver ces dons. C'est un comble ! À la maison tout ce que je peux faire pour me calmer, c'est défouler mes pouvoirs de l'air et du feu. Je serais sans doute moins "enflammée" si je pouvais méditer comme ça plus souvent. C'est apaisant de simplement observer de loin ces mouvements insignifiants à travers des couches de terre, de sable ou de roche, de les évaluer selon la densité et la nature du sol.

Je rouvre les yeux et m'étire, encore assise, alors que la moto arrive. Nika et une inconnue, une grande blonde. Peut-être cette "Calamity" dont on m'a parlé ? En tous cas je suis calmée. Mon dos me fait encore un peu souffrir comme je me relève pour répondre à la grande brune sexy qui m'a déniaisée.

" Tu me connais, les endroits clos me rendent nerveuse. "

Et... Merci du compliment, grande blonde anonyme, on se reverra à l'intérieur. Bon. Je vais pas me rasseoir pour reprendre la méditation où elle s'est arrêtée, j'ai les jambes un peu engourdies. Je fais quelques pas alors que Nika gare sa moto. Tête de rose ? C'est nouveau, ça. Mais après ce que Tifa a ronchonné en quittant l'infirmerie c'est plus qu'agréable à l'oreille. Je rentre avec la grande brune.

" Si on laisse de côté le fait que je suis totalement incompatible avec vous sur le terrain, et on va laisser ce fait de côté, je vais parfaitement bien. "

J'ai mal au dos et encore un peu mal à la tête. Mais ça me fait vraiment du bien de méditer, sans ça j'aurais sans doute sauté à la gorge de Nika.

" Le plus gros enfoiré du catalogue est en cellule, et dès que vous aurez vos infos sur le Roi Cramoisi je pourrai plier ma mission. En fait, dans quelques heures, mon plus gros souci ce sera de trouver une maison loin de la caserne pour ma petite amie et moi. "

Je suis en couple ! Il faut le signaler, j'espère que j'ai pas été trop subtile. J'espère surtout que la maison ne va pas me valoir trop de conseils prudents comme quoi je vais vite en besogne dans mon couple. D'ailleurs il y a un risque marginal que ma vie de couple souffre d'un sévère ravalement de ma façade. Je préfère prévenir.

" Au fait, j'ai peur que Tifa veuille me défoncer la gueule à coup de poings. Elle t'expliquera pourquoi. Mais si on la croise : t'étonnes pas de me voir prendre la fuite. "

La sécurité avant tout. En fait on pourrait sans doute très bien s'entendre, toutes, si on avait pas à travailler ensemble... Et si j'avais quelques années de plus... Et si j'étais pas dans l'armée... Et si j'étais pas Celkhane... Non, en fait le mieux c'est de même pas essayer de lister ce qui cloche. je tourne la tête vers Nika.

" Et toi, comment ça va ? "

Nika crevait de chaud. Dans le garage, elle alla près d’un placard réfrigérant, et en sortit une bouteille d’eau, l’avalant presque entièrement d’une traite. Quand elle avait appris qu’elle allait quitter Uatis City, qui était déjà une ville chaude, pour s’implanter en plein désert, Nika avait cru à une mauvaise blague. Elle supportait difficilement la chaleur, un inconvénient que les Celkhanes, perdues dans le ciel, ne devaient probablement pas avoir. Tandis qu’elle buvait, Nika entendit les nouvelles.

Première information : Rinako s’avouait vaincue pour collaborer avec les Héroïnes. Il ne fallait sans doute pas chercher à comprendre, mais Nika, dans un sens, partageait ce point de vue. Elle n’irait jamais jusqu’à dire que la Celkhane n’était pas douée, car elle avait réussi à s’enfoncer dans les profondeurs de la Fourmilière et à en revenir, un exploit légendaire. Mais elle présentait le même défaut que tous les Celkhanes : l’incapacité à rester rationnel. Nika était mal placée pour critiquer, car elle avait tendance à s’énerver, mais elle savait contrôler sa colère, afin de l’utiliser au mieux, tout en respectant, dans la mesure du possible, les consignes.

Deuxième information : Kross était en cellule, et Rinako était prête à le prendre dès que possible. Nika avait fait partie des troupes chargées de le surveiller pendant qu’Elaine le surveillait, et avait participé au premier interrogatoire, qui n’avait abouti à rien de concret, si ce n’est que Kross avait demandé à voir « la fille aux cheveux roses »... Ainsi que les mensurations de Nika, au passage. Difficile d’avoir un tel taré comme père. Ça devait amplement justifier la bougonnerie de Rinako.

Troisième information : Rinako était casée.

Quatrième information : Rinako s’était froissée avec Tifa. Ceci fit sourire Nika, qui était amusée.

« Et toi, comment ça va ? » demanda alors Rinako.

Nika haussa les épaules.

« Je donnerais mon âme pour un ventilateur en ce moment. Des radscorpions ont eu la joyeuse idée de fureter près de notre centrale solaire, et deux pauvres cruches ont été désignées pour les repousser. Il paraît que chasser les radscorpions est une chose que j’adore faire, ma grande passion secrète, selon ma charmante sœur. »

L’Héroïne soupira, s’étirant joyeusement, observant ensuite distraitement le garage. Il était haut de plafond, avec des étagères rouillées, et des outils dans les coins. L’installation était encore en marche, mais la façade extérieure conservait un air désuet et abandonné, les fenêtres étant recouvertes de planches en bois. L’idée était de dissuader les rares curieux de s’arrêter par ici. Depuis que la base avait été ouverte, il y avait toutefois eu des visiteurs imprévus : des raiders cherchant à faire un squat, des contrebandiers cherchant une planque, ou, de manière plus coquette, un couple de maraudeurs qui avaient fait joyeusement l’amour en dormant ensemble à l’abri d’une tempête de sable. Les Héroïnes avaient hésité à leur ouvrir la porte, avant de les laisser passer. Les raiders n’avaient pas eu cette chance.

« Alors, comme ça, tu es amoureuse ? Hum... Ne dis rien, laisse-moi deviner... Vu que tu t’es engueulée avec Tifa en quelques secondes, je pense que ta dulcinée doit être du genre fonceuse, non ? En tout cas, pas du genre timide comme toi, en jouant les gros bras pour essayer de masquer sa susceptibilité. »

Sur le coup, Rinako ne l’avait sans doute pas réalisé, mais, d’un strict point de vue comportemental, elle était celle qui se rapprochait le plus de Tifa. Comme elle, Tifa était du genre timide et nerveuse, et le masquait derrière une agressivité, sa timidité n’étant trahie que par sa susceptibilité quand on remettait en doute ses compétences. Exactement comme Rinako, qui détestait qu’on lui rappelle qu’elle faisait gamine avec sa petite tête d’ange, sa broche, et sa longue chevelure.

« C’est pour ça que tu voulais traquer Kross, hein ? En finir avec le passé, pour n’avoir plus aucune ombre dans ton futur... Couper les liens, afin de n’avoir qu’une vie de bonheur... Je n’aurais pas cru que quelqu’un ayant survécu à l’enfer formien serait si romantique. »

Nika était malheureusement moins optimiste. Ce qu’elle disait n’appelait à aucune réponse, ce n’était que de simples observations. Pour autant, il y avait encore des détails qui la préoccupaient, et elle se pencha lentement vers Rinako :

« Alors, Rinako, dis-moi tout... Qui est au-dessus dans le lit ? »

Voilà une question centrale !

C'est peut-être les galère qu'on s'est tapées chez les Formiens, mais je pense que ça doit être rigolo de flinguer des radscorpions. Par contre ça doit aussi gonfler au bout d'un moment, surtout en plein soleil. Enfin, ça met des noms sur ce que j'ai capté pendant ma méditation. Je relancerais bien d'un petit commentaire sur les passions communes de Nika et sa charmante sœur, pourtant je me retiens. Pas essentiel, et je me retrouverais sans doute à poils entre les deux avant de comprendre ce qui se passe. La mission avant tout ! Je ne risque sans doute rien à me détendre : c'est justement pour ça que je dois rester sur le qui-vive. Il ne faudrait qu'une tuile nous tombe dessus au milieu d'une séance de galipettes.

Je rougis, un peu gêner d'entendre le ton intéressé de sa voix alors qu'elle dit que je suis amoureuse... Heureusement, si je peux compter sur elle pour une chose c'est bien pour lâcher des opinions tranchées n'importe comment. Tant mieux, moins elles en savent et plus elles se gourent : moins j'ai à m'en faire et plus je peux laisser pisser pour éviter de nouvelles engueulades. Et puis on a a toujours pas avoué officiellement notre relation à la maison, alors je vais pas détailler ma vie de couple ici. Alors que Nika poursuit je penche la tête sur le côté avec une petite moue dubitative. Après tout pourquoi me priver d'une analyse qui repose sur que dalle ? C'est un point de vue sur mon petit couple, ça peut servir.

Je hausse les épaules avant d'aller prendre une bouteille d'eau à mon tour. C'est vrai qu'il fait soif. Et Nika en vient au sujet qui devrait fâcher : Kross. J'avais mes raisons, et comme elles seront automatiquement toutes mauvaises ou trop émotionnelles... Même pas la peine de m'en faire, c'était purement rhétorique. Je suis romantique ? Qu'est-ce qu'elle dirait si je lui parlais de la journée au parc d'attraction avec ma Suki chérie ? Et pire : si je disais qu'on a pas fait la balade des amoureuses en barge anti-gravité, mais que je compte rétablir ça dès que possible ? Un petit sourire me vient avec une idée complètement farfelue : et si un jour cette badass-flingueuse en cuir moulant se prenait un coup de foudre ? La seule idée d'imaginer sa tête anxieuse au moment de s'asseoir dans la barge avec son amoureuse est déjà touchante.

Mais ça la regarde. Moi je suis prise, et même les Formiens m'ont pas enlevé mon côté fleur-bleue. Ce serait même plutôt l'inverse. Après toutes ces saloperie je veux baigner dans l'eau de rose avec ma chérie. Donc l'un dans l'autre je prends assez bien tout ce qui devrait m'énerver. Sans doute le calme post-méditatif et le fait que pour une fois on soit pas enfermées sous terre dans du béton, du métal ou de la sécrétion extra-terrestre. J'ai l'air libre du désert et le sol à portée, ça me rend super cool. Je pars même d'un petit rire surpris qui manque de faire échapper un peu d'eau de mes lèvres.

" Hmm ! Attends ! Tu penses sérieusement que je vais te raconter ce qui se passe au lit avec ma copine ? "

C'est surréaliste, ça. Je calme mon petit rire pour boire une autre gorgée et aller m'appuyer à un établi bien poussiéreux. Une fois là j'hésite une seconde. Puis je me décide à pousser un peu le bouchon pour rigoler, d'ailleurs je ne cache pas que ça m'amuse.

" De toute façon qu'est-ce que je pourrais t'apprendre ? À t'entendre tu lis en moi comme dans un livre ouvert et t'as déjà tout deviné du caractère de ma petite amie. "

J'ai assez usé de ma salive et de mon énergie inutilement, entre les Zéroïnes et moi tout ne peut aller que dans le mur. Je veux même pas remettre le couvert avec Ryouka ou essayer de faire copine avec Elaine, parce que tôt ou tard ça finira en prise de tête. On est toutes tarées mais pas de la même façon, et on persiste toutes dans nos délires. D'ailleurs sans me défaire de mon sourire, je lui donne quand même une bonne raison pour laquelle je ne veux pas lui en parler.

" Et je me doute que Ryouka va péter un câble en m'imaginant au lit avec une autre Celkhane. Alors je préfère épargner mon romantisme. Tu m'en veux pas, j'espère ? "

C'est calme, c'est amical, un peu moqueur et j'assume, mais c'est non. Un non plus absolu et définitif que les confidences sur ma vie amoureuse. Je tourne la tête vers l'extérieur, et laisse mon regard se perdre dans le désert. Soudain j'ai envie de poser le point final en avance, juste pour pas surprendre le moment venu. Alors que je m'abîme bien au-delà du paysage plat et sec, je laisse filer d'une voix absente.

" J'aurai des recommandations à faire dans mon rapport. Je dirai que nos approches tactiques sont trop différentes. Et que les opérations conjointes en la T.H.T et l'armée Celkhane représentent un risque à tous les niveaux. On a frôlé la catastrophe deux fois, on aura peut-être pas toujours autant de chance... "

Ça me navre pas vraiment. La prochaine Celkhane qui devra agir avec elle pourrait y laisser sa peau, et je vois aucune raison de ne pas prévenir un si gros risque. Je laisse le paysage pour revenir à Nika avec un regard vaguement désolé, parce que c'est quand même con qu'on soit connes.

" Quand vous en aurez fini avec Kross je l'embarquerai. On se reverra plus à moins de se croiser par hasard ou qu'on me donne l'ordre de bosser avec vous. Et on sait toutes que ça donnera rien pour personne... Autant faire comme si j'étais déjà plus là. "

J'ai enterré ma mère, j'ai enterré ma haine pour Kross, alors enterrer des engueulades à répétition entre acharnées psycho-rigides plus sourdes que des murs : ça pose pas de problème. J'ai perdu assez de temps avec elle et elles avec moi, si elles ne le font pas c'est moi qui arrête les frais. Je décolle de l'établi avec ma bouteille, je pense que je vais me trouver un coin d'ombre et reprendre ma méditation. C'est encore ce que j'ai de mieux à faire en attendant qu'on me prévienne que mon prisonnier est prêt au transfert.

« Hmm ! Attends ! Tu penses sérieusement que je vais te raconter ce qui se passe au lit avec ma copine ? »

Ça ferait des confidences indirectes, mais Rinako était visiblement encore trop timide pour le faire. Son rire masquait sa gêne, mais Nika ne lui en voulait pas. Elle ne pouvait pas lui en valoir, de toute façon, c’était elle qui avait insisté pour que Rinako les rejoigne. En tout cas, Nika avait visé juste en anticipant le caractère de la copine de Rinako : une fonceuse. Pour être honnête, ce n’était qu’une question de déduction. Rinako avait besoin qu’on la pousse au cul, mais il fallait le faire avec une certaine finesse. Si sa copine avait réussi, c’est qu’elle était douée. Et, visiblement, le fait d’être amoureuse avait beaucoup influé sur Rinako. Nika ne pouvait pas en dire autant : l’amour n’avait entraîné chez elle que des déceptions, et elle ne le recherchait plus. Elle avait l’amour de Ryouka, sa « sœur », et c’était amplement suffisant.

« Et je me doute que Ryouka va péter un câble en m'imaginant au lit avec une autre Celkhane. Alors je préfère épargner mon romantisme. Tu m'en veux pas, j'espère ?
- Non, mais... »

Elle se tut alors, se mordillant les lèvres. Cette vision de sa sœur... C’était une chose que Nika allait devoir corriger. D’un certain côté, il était flatteur de considérer que Ryouka pouvait être jalouse à cause de vous, mais c’était vraiment mal la connaître que de supposer une telle chose. Peut-être, dans le fond, était-ce là le nœud du problème ? L’incompréhension entre elle et les Héroïnes ? Rinako s’obstinait à les voir comme des bourrines incapables de faire preuve de finesse. C’était une analyse inexacte. La Celkhane finit par en revenir à Kross, adoptant un ton froid et professionnel. Un ton qui ne lui allait pas, et qui fit froncer les sourcils de Nika.

« Quel défaitisme... Je crois surtout que tu veux faire table rase du passé, Rinako. Mais, si tu comptes rester ici en attendant que Kross soit prêt, tu risques d’attendre longtemps, le brave n’a encore rien dit. »

Nika s’avança un peu, et appuya sur un bouton rouge situé contre le mur, ce qui abaissa lentement le portail du garage, dans un sinistre grincement. En appuyant sur un autre bouton, des lampes s’allumèrent en hauteur, afin de les éclairer.

« Enfin, je peux comprendre que mon petit cul ne t’attire plus autant, maintenant que tu en as un autre à caresser... Mais, par contre... Tu devrais vraiment aller le dire à Ryouka, elle pourrait te surprendre. »

Et, vu comment Rinako avait l’air blasée, un peu de surprise ne pourrait pas lui faire de mal. Nika connaissait sa sœur mieux que quiconque, et elle savait donc très bien comment cette dernière réagirait à la nouvelle. Et il y avait en réalité aucune chance qu’elle s’énerve. Que Rinako pense ça était assez amusant. Paradoxalement, ça sous-entendait pas mal de choses.

« Peut-être que c’est pour ça que tu boudes et que tu irrites les autres, hum ? Ou que tu as préféré t’isoler, plutôt que de voir Ryouka ? Hey, mon cul te fait peut-être toujours de l’effet, fi... »

Elle n’eut pas le temps de poursuivre sur sa lancée, car ses branches vrombirent légèrement, annonçant un message. La voix fluette de Ryouka jaillit dans son oreille :

« Kross veut tous nous parler, Nika.
- Tous ?
- Tous. Y compris Rinako.
- Et... Quand ?
- Dans les plus brefs délais, mais il ne dira rien si nous ne sommes pas tous là. Remue-toi le cul, frangine ! »

Nika soupira, tandis que la transmission s’éteignit. Elle porta alors son regard vers Rinako :

« Navrée, ma belle, mais ton isolement se termine. Ton prisonnier veut une réunion générale, alors je crois que tu vas devoir encore supporter notre compagnie de perverses déglinguées... Je te laisse passer devant ? »

Comme ça, Nika pourrait mater ses fesses. Dans toutes les situations, il était important de revenir aux fondamentaux.

J'en ai marre. Comment elle veulent que je me braque pas tout le temps vu la façon dont elles me traitent ? Et surtout dont elles le traitent lui, juste sous mon nez.

" Putain mais je rêve ?! Tu m'enfermes pour me faire subir tes conneries, et tu me relâches seulement pour qu'on accoure aux pieds de ce connard ? Je suis conne ou boudeuse si je dis qu'on est pas sensées faire les quatre volontés du putain de prisonnier ? "

Le rideau n'est même pas rouvert en entier que je me glisse dessus. Et c'est pas en me relevant que j'arrête de pester. Elles veulent pas d'armistice ? Très bien : elles auront la guerre.

" J'en ai marre de vous, Nika ! C'est plus clair comme ça ? Vous passez toutes votre temps à me rabaisser, vous foutre de ma gueule ou détourner mes paroles. Quand vous m'ignorez pas complètement ! J'en ai marre de gaspiller ma salive avec toi et les autres ! On a jamais été d'accord que sur une chose : mon dépucelage. Je vais pas me casser éternellement la tête contre cette image à la con que vous vous faites de moi. "

En route pour les cellules, les couloirs défilent déjà. Mais je prends bien garde à ce que Nika ne rate rien de ce que je dis, et si d'autres nous entendent c'est d'autant mieux. Elles seront prévenues.

" Vous vous foutez toutes complètement de qui je suis. Tout ce qui compte pour vous c'est d'avoir le dernier mot et de m'écraser comme une merde. C'est à vous de me dire ce que je dois penser, ce que je dois ressentir, ce que je dois croire. Je dois obéir en fermant ma gueule, accepter toutes les conneries que vous me servez, et avec le sourire ! Je dois subir vos opinions tranchées et me foutre les miennes au cul. C'est comme ça depuis le tout début. Tu me trouves défaitiste ? Alors je serais quoi si je me contentais d'oublier qui je suis pour gentiment me laisser dresser ? "

On arrive déjà devant la porte. Je pose la main sur la commande d'ouverture et tourne la tête pour fusiller Nika du regard. Elle prend pour les autres, mais elle en a fait plus que toutes les autres réunies.

" Vous me traitez pas comme une gamine, Nika : vous me traitez comme une esclave. "

Ouverture. Je rentre dans le couloir des cellules en ignorant royalement toutes les femmes présentes. Mes yeux braquent déjà Kross, je voudrais lui coller une balle en pleine gueule et partir directement en volant.

" Crache ta putain de pastille que je traine ton cul dans une vraie prison ! "

Et que je m'arrache enfin de la mienne.

Elles étaient toutes là quand Nika arriva. Lorenza était là, contre un mur, ayant visiblement la furieuse envie de loger une balle entre les deux yeux de Kross. Elaine avait les bras croisés dans un coin, Isabelle était plantée devant Kross, sur le côté. Il y avait aussi Rozalia, Penelo, Angel, Penelo étant assise à côté de Tifa, qui avait visiblement l’air de s’être détendue. Ryouka était assise avec un ordinateur-portable sur les genoux, probablement pour enregistrer la scène. Angel, elle, venait d’éteindre une cigarette. Il y avait même Shea’Rin, qui était accroupie sur le sol, observant Kross en fronçant les sourcils, Bunny restant derrière elle. Elles étaient toutes là quand Nika arriva, en compagnie de Rinako. Chaque Héroïne put noter que Rinako était en colère, et elle directement devant Kross, pour le haranguer :

« Crache ta putain de pastille que je traine ton cul dans une vraie prison ! »

Yeux clos, assis en tailleur, Kross ne répondit pas, tandis que Rozalia se rapprocha de Nika.

« Un problème ? demanda-t-elle dans le creux de l’oreille à Nika, désignant Tifa.
- Sa copine lui manque » rétorqua Nika en haussant les épaules, dédaigneuse.

Vu ses poings serrés, Rozalia doutait que ce soit la seule explication, mais elle n’ajouta rien. L’heure ne s’y prêtait pas. Elles étaient toutes là, et Kross rouvrit lentement les yeux, les observant silencieusement... Avant de lentement se relever.

« Mesdames... Je suis heureux de voir que vous avez décidé de répondre rapidement à ma demande...
- Ne tournez pas autour du pot, Kross, intervint Nika. Plus vous en direz, plus nous serons faire preuve de clémence à votre égard. »

Kross hocha la tête, de haut en bas.

« Oui, oui, je sais ce que vous voulez savoir..., lâcha-t-il, agacé. Mais, puisque vous voulez que je vous parle, permettez que je vous pose une question... Une question à laquelle Ryouka devrait savoir répondre, car je pense que, entre deux films pornos, elle a du se tenir au courant des dernières recherches en la matière. »

Ryouka, surprise, releva le nez, de son écran, en clignant des yeux. Comment est-ce que ce type connaissait son nom ? Elle ne le lui avait jamais donné !

« La connaissance, c’est le pouvoir. Et l’Œil sait tout. Loin de ce monde, dans un autre espace, très éloigné d’ici, un chercheur, il y a plusieurs siècles, a mis au point une invention révolutionnaire, qui, comme toutes les inventions révolutionnaires, a engendré les moqueries de ses collègues... Et, récemment, dans une université tekhane, un colloque scientifique a été organisé autour de cette question...
- ...Les probabilités équationnelles... intervint Ryouka. Comment est-ce que vous... ?
- Laissez-moi parler, jeune fille. Les probabilités sont un vaste domaine mathématique, extrêmement riche et complexe. La théorie des probabilités en est encore à ses balbutiements pratiques, mais, dans cette galaxie lointaine, des chercheurs ont réussi à s’en servir pour prédire l’avenir des grandes civilisations. C’est ce qu’on appelle la psychohistoire, une science qui permet de prévoir le futur, à partir des connaissances sur la psychologie humaine et sur les phénomènes sociaux. Je vous épargne le charabia, ce raisonnement nous dépasse totalement, mais la psychohistoire, concrètement, permet de déterminer le futur prévisible d’une civilisation. »

Quel était le rapport avec la situation actuelle ? Les Héroïnes peinaient à comprendre, sauf Isabelle, qui voyait très bien où Kross voulait en venir avec son histoire... À ces rumeurs lointaines...

« Le défaut de la psychohistoire est qu’elle n’est pas parfaite, car elle ne prédit pas les comportements individuels. Or, l’Histoire démontre que, à bien des reprises, la volonté d’un seul homme a pu infléchir la courbe du temps. Cependant, elle est relativement fiable sur certains points. Cette civilisation était très avancée, et a prédit sa propre destruction, ce qui est effectivement arrivé. L’Œil sait tout, et l’Œil a appris cette méthode. À partir de là, il a vu notre futur. Des profondeurs du cosmos, ils arrivent. Notre monde les attire, car il contient ce qu’ils ont toujours convoité. Vous savez de qui je parle, n’est-ce pas ? Les Anges les ont vus, mais n’y ont pas cru, les confondant avec les hordes démoniaques, avec les Légions de l’Enfer... »

Isabelle ne disait rien, ce qui était en soi un aveu. Le ton de Kross s’emballait légèrement.

« La Nuée arrive. Des galaxies entières sont sous le contrôle de ceux que vous appelez les Formiens. Ils ont modifié des planètes entières, les transformant en gigantesques ruches reliées entre elles, et forment un nuage galactique qui se répand partout. Des civilisations très avancées ont essayé, sans succès, de les repousser. Rien n’arrête la Nuée, et l’Overmind a senti que ce monde abritait un potentiel magique inespéré. Il abrite ce dont l’Overmind a besoin pour renaître. L’astéroïde qui s’est écrasé il y a quelques décennies près de Tekhos, et qui accapare toute l’attention de l’armée tekhane, est un avant-poste guerrier. J’ai vu le futur, Héroïnes. J’ai vu le ciel se nimber de marron, j’ai vu des centaines de ruches encore plus grosses que la Fourmilière s’abattre sur ce monde. J’ai vu la réaction des souverains. »

Kross continuait à parler. Il avait vu Nexus s’entre-déchirer, sombrant dans le désespoir, avant d’être complètement balayée. Il avait vu l’armée impériale ashnardienne se ruer vers une ruche, avant d’être pulvérisée sans aucun espoir. Il avait vu l’immense Palais impérial s’écrouler, il avait vu des villes entières tomber, il avait vu le feu nucléaire s’abattre sur Terra, ravageant le monde, dans un espoir désespéré de supprimer la Nuée. Il avait vu les grandes villes s’écrouler, les immenses gratte-ciel s’effondrer sur le sol. Il avait vu Caelestis tomber de son perchoir, s’écrasant sur le sol dans une explosion cataclysmique.

« C’est un futur inéluctable. Ceux qui survivront seront asservis, noyés dans les ruches immenses, où leurs corps serviront de reproducteurs pendant des millénaires, retenus en vie par leurs drogues et leurs injections, leurs corps brisés, leurs âmes tourmentés. À partir de Terra, l’Overmind pourra se reconstituer. Un corps massif, dépassant l’entendement, un corps stellaire, à partir duquel il attaquera les autres dimensions. Les Cieux tomberont, les démons disparaîtront. La Nuée est déjà en route, traversant l’espace intersidéral pour venir à nous. Demain, dans un an, ou dans un siècle, ils seront là. »

Kross avait parlé sur un ton calme et détaché, créant une sorte de silence de mort au sein des Héroïnes, avant que Lorenza ne tourne sa tête vers Isabelle.

« Il bluffe, hein ? »

Le ton n’était guère convaincant, et Isabelle ferma lentement les yeux, avant de répondre :

« Nous avons vu des empires tomber, confirma-t-elle. Pour chaque Formien tué, des millions revenaient en force. Nous avons vu les nuages marrons qui dominaient l’espace.
- Et l’Œil les a vus. Il a vu Terra disparaître, mais, comme je vous l’ai dit, les décisions individuelles peuvent fausser la donne. L’Œil avait vu le Magicien prendre la Sphère au sein de la Fourmilière, mais c’est vous qui l’avez prise. Le futur n’est pas inébranlable. Je suis venu à vous pour vous soumettre une offre, une proposition. »

Était-ce une manière de dire que Kross se serait laissé capturer ? Nika n’y croyait pas trop, mais elle ne s’était pas vraiment attendue à une telle confession. Kross regarda alors Rinako, et parla :

« Toi, Rinako, tu y échapperas peut-être... Mais Holy et ta belle maison seront pulvérisées par la Nuée. Prie pour que celle que tu considères comme ta fille fassent partie de ceux qui mourront quand Caelestis tombera. Autrement, elle sera violée des millions de fois, et la mort, la seule chose qu’elle pourra encore espérer, lui sera refusée. »

Sans surprise Isabelle m'a toujours l'air d'une conne. Kross est sensé être un atout, un prisonnier de premier plan, et comme une cruche elle radine absolument tous ses effectifs dos à la porte. Faut vraiment que je m'arrache de ce trou. Je m'adosse au premier mur qui vient, bras croisés, et je me concentre sur la nécessité impérative de ne pas massacrer tout le monde. Mais très vite l'enfoiré derrière les barreaux m'y aide. Ce n'est plus vraiment le connard à qui j'ai foutu sa branlée, ni même celui qui m'a cherché tout à l'heure. Sachant que le big boss peut vider la tête de ses seconds pour prendre leur place à distance... Mais il peut très bien jouer un autre jeu. Ryouka a l'air sur le cul, la pauvre.

L'Œil ! Bouh que ça fait peur ! Ryouka m'a bien gavé avec sa baise en ligne et ses pornos, elle passe tout son temps connectée à des réseaux de tous poils, c'est une pirate informatique et elle s'étonne d'être citée... Deux solution : soit Kross est bien informé et il essaie de s'imposer, soit les infos viennent directement du patron qui essaie lui aussi de s'imposer. Dans un cas comme dans l'autre il y a de fortes chances que je revienne sans lui, cette situation prend une toute autre importance. Il faudra que je rapporte fidèlement les propos du prisonnier dans mon rapport. Pas besoin de les comprendre et hors de question de me laisser entraîner : je dois en apprendre et en retenir le plus possible.

Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, très lointaine... Sérieux ? Plus j'en entends plus je m'étonne de voir toutes ces femmes si choquées. Les modèles prévisionnels : c'est pas nouveau. Elle on jamais entendu parler de la pub ou quoi ? Bref ! Psychohistoire, un genre de sociaux à grande échelle, sur lequel les Uatéennes se creusent apparemment la soupière. Ensuite un plus dans la case des trucs qui font peur : le gros Nœ-nœil et les Formiens. La Fourmilière n'est pas la seule merde du genre farcie de bestioles qui flotte dans l'espace, et d'autres risquent de nous tomber dessus. Je pensais que c'était admis. Les Uatéennes ont des radars et des téléscopes qui sondent le ciel à la recherche de ces menacent.

Et Kross nous joue les prophètes habité par ses visions apocalyptiques. Dire que je vais devoir retranscrire aussi fidèlement que possible ces conneries... Et il maintenant il s'est laissé faire ? Bien. La prochaine fois je serais ravie de lui plier une articulation dans le mauvais sens pour lui obtenir un rencard avec miss Douce et Fraîche. Je ne dois pas me laisser énerver. Si le patron est aux commandes... Si c'est toi, le gros connard Gras-Moisi, tu vas devoir tomber le masque. Pour l'instant tout ce que j'ai sous les yeux c'est un bouffon qui se prend pour un roi.

Kross me parle directement, et si c'est pas un appel à la fracture ouverte ça y ressemble. Holy... Rien que d'entendre tout ça me donne envie d'aller lui éclater sa sale gueule. Mais c'est plus le jeu. Et si d'aventure ses prédictions merdiques venaient à se réaliser... Non, tu vas quand même pas répondre à ce connard, ma fille ? Ou si, justement. Tant qu'à faire je peux mettre les points sur les i.

" Je la tuerai avant. "

Sans ciller, sans hausser le ton. On m'invite, je viens. Je ne décolle pas du mur pour balayer lentement les Héroïnes du regard.

" Elle a cinq ans. On l'a trouvée dans un bunker de trafiquants. Sa mère avait été exécutée en voulant la défendre, et vidée de ses organes pour le marché noir. Holy avait encore le cul dilaté et débordant de foutre quand on l'a trouvée. Je lui ai juré qu'elle subirait plus jamais ça. "

Je sais comment ces connards procèdent, sur quoi ils jouent pour nous manipuler et nous enfiler en beauté. Les meilleures défense sont la solidarité et la transparence. Ici la solidarité n'est pas envisageable, je ne peux jouer que la transparence. Mon regard revient à Kross.

" Tout le monde ici se branle de mon avis, alors fait pas comme si ça t'intéressait. Et je trouve la remarque plutôt maladroite venant du gars qui a séquestré et violé ma mère. "

Mes sourcils se froncent encore un peu.

" Mais je suis pas certaine de m'adresser à lui, et dans le fond ça change rien. Caelestis a été fondé par un groupe dissident, on est seules depuis le début et on le sait. Tes Formiens par millions font que rallonger une liste qui compte tout Terra. Tu n'arriveras pas à m'impressionner avec ça. Alors si t'es Kross tu vas finir ton histoire en restant factuel avant que je te pètes quelques articulations pour faire avance-rapide. Et si t'es le marionnettiste à la con : tu vas me donner ta proposition que je ferais tourner à mes supérieures, tu vas commencer à te faire à l'idée qu'un jour je remonterai les fils de tes pantins pour te tuer. "

Le petit discours de Kross eut l’effet donné : pendant quelques secondes, il instaura un silence de mort. Aucune des Héroïnes ne savait trop quoi dire, et ce fut Rinako qui intervint :

« Je la tuerai avant »

La petite femme, restant dos vissé contre le mur, en position de retrait, consentit à donner quelques explications. Holy était une gamine de cinq ans, martyrisée par des esclavagistes, violée... À l’âge de cinq ans, c’était écœurant. Le monde était rempli de malades et de monstres. Visiblement, Rinako avait décidé de la prendre. Aucune des Héroïnes n’osant parler, Rinako poursuivit, s’adressant à Kross, qui l’écouta silencieusement, sans rien dire, avant qu’un sourire amusé ne traverse ses lèvres quand Rinako termina son petit discours sur Caelestis :

« Alors si t'es Kross tu vas finir ton histoire en restant factuel avant que je te pètes quelques articulations pour faire avance-rapide. Et si t'es le marionnettiste à la con : tu vas me donner ta proposition que je ferais tourner à mes supérieures, tu vas commencer à te faire à l'idée qu'un jour je remonterai les fils de tes pantins pour te tuer. »

Kross pencha la tête sur le côté, et répondit plutôt rapidement :

« Rassure-toi, Rinako, je suis bien ton papa adoré... Et autre chose, à la fois. Il m’est difficile de te l’expliquer, car je ne suis moi-même pas trop sûr de comprendre ce que le Magicien m’a fait, mais... Enfin, disons que c’est mon corps, mes pensées, mes souvenirs, mais pas forcément mes leçons... En gros... »

Ce n’était pas très clair, mais, pour Nika, c’était sans importance. Ce type était un connard, le reste importait peu. Elle lui aurait bien éclaté la cervelle sur place, rien que pour se détendre. Une chose était sûre : après cet interrogatoire, elle irait rejoindre Tifa pour une partie virtuelle endiablée. Probablement « Super Uatis Strike », ce jeu de combat où on pouvait cogner sur des centaines de Formiens en même temps, avec des déjections de tripes et d’hémoglobine qui vous pétaient à la gueule.

« Du reste, Rinako, je suis désolée de briser tes douces illusions, mais un petit groupe de dissidentes n’aurait jamais pu faire flotter seule un Archipel. Caelestis a été créé par les Anges, et vous avez les mêmes qualités et les mêmes défauts que ces chers emplumés... Cette même tendance arrogante et insupportable de ne voir que la surface des choses, de régler les problèmes simplement par leur enveloppe extérieure... Nous ne pouvons pas nous fier aux Anges... Du moins, c’est ce que nous pensons... Mais il en existe certains qui sont plus malins que d’autres... N’est-ce pas, Isabelle ? »

Isabelle Desforges avait toujours les bras croisés, qui soupira lentement.

« C’est la Sphère que vous voulez.
- Bingo ! Oh, putain, toi, je t’aime, ma belle ! »

Et Kross se mit à rigoler en l’applaudissant. Aucune Héroïne ne goûtait à son humour.

« À votre avis ? Qu’est-ce que je pourrais bien vouloir d’autre ? Cette Sphère est à nous. Les Formiens nous l’ont volé, et nous avons déployé des efforts incroyables pour la récupérer... Jusqu’à ce que trois petites putes nous la volent sous le nez. Vous croyez pouvoir prendre ce qui est aux autres et espérer vous en sortir comme ça, misérables salopes de merde ? Ma proposition est très simple. Dans deux jours, nous viendrons récupérer la Sphère. Deux jours, et non trois, Isabelle. »

Elle ne dit rien, serrant les dents.

« Dans trois jours, vous mettrez la Sphère dehors, bien en évidence. Nous la prendrons, et nous partirons. Moi ? Mon sort importe peu... Et puis, il faut bien que je passe du temps avec ma fille... Je suis sûr que nous avons beaucoup de choses à partager, elle et moi... Les réunions de familles, vous savez ce que c’est... »

Ce type était abject, mais, derrière son humour et sa suffisance, Nika devinait un individu à l’esprit retors et vicieux... Quelqu’un sans émotion.

« Et si nous refusons ? »

Kross haussa les épaules.

« Alors, nous irons chercher la Sphère... Et nous vous tuerons. Tu vas être contente, Rinako, le marionnettiste y sera en personne. Peut-être que ton cher papa te protègera de lui, mais j’en doute... Après tout, tu as levé la main sur moi, alors, quand il te pétera ta petite gueule, sois sûre que j’irais voir ta chère Suki. Je lui ferais bouffer son armure, et ta charmante Holy, je lui labourerais tellement le cul qu’elle deviendra une putain d’estropiée. Vous allez comprendre ce qui se passe quand on se mêle des affaires des grands, mes beautés. »

À cet instant, un champ électrique s’activa dans la cellule, et Kross ne dit plus rien, se mettant à gémir faiblement, le corps traversé par de puissants arcs électriques, qui durèrent une quinzaine de secondes, avant que Lorenza ne relâche le bouton actionnant les champs électriques.

« Là, tu t’excites un peu trop... Tout ce que ton Boss verra dans trois jours, c’est ta carcasse dévorée par les mites. S’il ramène son cul par ici, je lui fourrerais le canon de mon fusil à pompe dans le cul, et je le couperais en deux. »

Voilà qui terminait les négociations.

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