Que penser de tout ce programme ? de toutes ces mesures complexes pour qu'elle puisse quitter ce bourbier ? Camille lui avait dit tout ce qu'il savait sans ciller ! La bardesse le conservait dans sa ligne de mire sans savoir quoi lui répondre. Il l'hypnotisait, avec ses pupilles jaunes et son sang-froid renouvelé. Dans cette position, il avait l'air dévoué à sa personne. Un homme capable de veiller sur elle, de la protéger, de la tenir à l'écart de tout danger. Sauf qu'il n'avait pas besoin de jouer les héros pour remplir ce rôle. Camille se servait de sa tête en prenant garde à laisser ses émotions de côté. Ce produit qu'il s'était injecté muselait ses sentiments ; il l'avait aidé à se remettre les idées en place. Le résultat était impressionnant autant par sa vitesse d'agissement que par l'effet produit...
- Tant pis, souffla-t-elle. Je vais devoir continuer à vous faire confiance.
Elle le regarda s'affairer sur le lit. Il avait fort à faire avec les "dégâts" causés par la ponte. Dissimulant soigneusement sa gêne, la Wyvérienne se garda de tout commentaire. Elle l'écouta émettre ses hypothèses avec détachement, détailler son analyse à son sujet. Qu'avait-elle de mieux à faire en attendant que la Wyverne Crépusculaire, là-haut, fasse un sort à tous les fous qui lui tombaient entre les griffes ?
Bien que toujours aussi affaiblie, Korë trouva la force d'éclaircir les doutes de son aide de camp :
- Mon corps va bien, lui assura-t-elle. La... bouche d'évacuation ne m'est pas douloureuse.
Elle se tut un instant.
Devait-elle le lui dire, ça aussi ?
La bardesse prit une grande inspiration, s'arrangeant pour maitriser ses émotions histoire de ne pas bafouiller ses mots qui lui brûlaient tant les lèvres :
- Elfrydd m'a forcée à copuler avec lui avant de m'enfermer dans une cage et de m'y enchaîner. Pourtant, je ne me suis pas vraiment sentie... violée.
Avant de poursuivre, elle dut ravaler sa salive.
- Cet homme me plaisait, au départ. Et je mentirais en disant ne pas avoir profité de notre accouplement. C'est peut-être pour cela que je n'ai pas perdu l'esprit. Que je suis toujours capable de vous parler, à vous, celui qui m'a sauvé et qui, encore maintenant, ne ménage pas ses efforts. (Elle eut un petit sourire triste.) Vous n'êtes pas du tout comme lui, et pourtant je me sens attirée par vous...
Ramenant ses genoux contre sa poitrine, Korë soupira doucement.
- Décidément, je suis beaucoup plus sensible que je ne le pense.
Un homme de perdu, un autre de retrouvé ?
Il était encore un petit peu trop tôt pour le dire. Camille obéissait à des ordres ; il agissait au bénéfice de cette organisation de l'ombre. Ce qui faisait de lui un professionnel, un agent au lieu d'un amant. Korë avait beau lui avoir accordé sa confiance, le jeune homme occupait simplement un rôle qu'on lui avait donné en échange d'une récompense.
Ayant fait ce qui lui paraissait être nécessaire pour la salubrité de la couche, Camille revint auprès d'elle. Il avait encore déposé un genou à terre mais, cette fois-ci, s'était en plus de cela permis de lui prendre la main. En grande romantique un peu nigaude, la Wyvérienne s'attendait presque à ce qu'il lui présente sa demande. Cette pensée aussi absurde que déplacée la fit sourire.
Dieu qu'elle se trouvait bête !
Elle ne fit rien pour se dégager, se contentant de l'observer et d'écouter cette question qui avait germé dans son esprit depuis trop longtemps.
Camille s'exprimait sans tabou et sans filtre.
- Si vous et moi avions un coït... (Nullement choquée par cette possibilité, elle parut réfléchir.) Vous ne seriez pas le premier humain dénué de pouvoir avec qui j'aurais un œuf. Le dernier en date, un garçon débrouillard avec qui j'ai traversé le désert de Mijak, n'avait rien de spécial et m'a pourtant donné une Wyverne Crépusculaire assez étrange. Ce jour-là, je me suis vue investie d'une capacité pour le moins singulière ; je suis dès lors devenue capable, par ma seule volonté, de sécréter un poison de contact neutralisant.
L'emprise venimeuse. La Wyvérienne ne s'en était pas servie contre Elfrydd. Elle n'avait pas osé, ou n'avait pas voulu ? A ce moment-là, Korë s'était déjà faite à l'idée qu'il avait gagné. Et que leur monstrueux enfant rétablirait l'équilibre en saignant le père ainsi que ses partisans. Une fin logique pour un ambitieux et ses suiveurs, non ?
A bien y réfléchir, Korë trouvait cela idiot.
- Les chances que je mette au monde un humain sont infinitésimales. (Il y eut un blanc sonore durant lequel leurs regards ne se quittaient plus.) Votre drogue fait toujours effet, mais je ne peux m'empêcher de vous interroger à mon tour : me trouvez-vous désirable, Camille ?
Ce salaud l'avait blessé - lui, le Roi Doré ! L'impitoyable Magna Gawain. L'affront était de taille. Ce diable d'humain s'était servi de ses inférieurs pour lui balancer des sorts, et même pire encore : pour faire des tests ! Après le feu, l'eau et la terre, c'était la glace qui avait frappé la Wyverne Crépusculaire. Le Magna Gawain n'en était pas friand. Il détestait cela, à vrai dire ! La glace, le froid... quelle horreur.
Alors que son corps de refroidissait de façon alarmante, le monstre planta ses larges griffes dans une dépouille avant de la brandir au-dessus de sa couronne. Dans un élan de rage, il écarta ses pattes, ouvrant le corps en deux parties plus ou moins égales. Viscères et sang chaud douchèrent le Magna Gawain. Cela lui fit un bien fou ! A tel point qu'il fit instinctivement usage de son pouvoir clef. Des lames dorées se matérialisèrent - à partir de rien - autour de la Wyverne Crépusculaire. Leurs pointes se braquèrent en direction des apprentis sorciers. Ils n'eurent pas le temps de s'en défendre lorsque le Magna Gawain poussa son hurlement diabolique. Des membres déchirés et des têtes grimaçantes volèrent dans toutes les directions. Ce fut un véritable carnage - une boucherie sans nom. Excitée par la vue de tout ce sang, la bête ensanglantée s'était précipitée parmi les hommes apeurés. Insensible à la panique, elle en faucha plus d'un avec ses lourdes griffes !