Les quelques mots de Valeria provoquèrent l’arrêt de ce ballet qui venait à peine de commencer. L’impératrice la regarda, pénétrante, avant de sourire légèrement. Elle s’avança sans crainte et se colla littéralement au succube. Ce contact était parfaitement inapproprié et pourtant terriblement sensuel. Valeria n’aurait jamais pensé que Skuld agirait ainsi. Aucune Impératrice n’agissait ainsi.
« Je te crois, mais j'ai besoin de m'entretenir avec mon mage. »
Ah ? Euh, ben comment tu vas faire ?
Elle lui posa délicatement les mains sur les joues et vint opposer leurs fronts l’un contre l’autre, un contact doux et frais, tandis que son parfum atteignait enfin les narines de son hôte et les emplissait d’une odeur fraîche et poivrée, comme une eau de montagne au caractère bien trempé.
Leurs regards s’accrochèrent, Skuld s’introduisit dans son esprit.
Mais c’est une manie ici ? C’est pas mieux que ce que Sarkis a fait ! Me demander mon avis ? Non ? Ca compte pas ça ?
Cette légitime indignation qu’elle n’avait aucunement cachée fut vite balayée par sa satisfaction puis son amusement à voir le mage se recroqueviller dans le plus petit recoin possible de son esprit.
« Votre altesse... chevrota-t-il.
- Sarkis ! Fais très attention au moindre mot que tu vas prononcer...
- Je m'incline humblement devant vous, votre altesse. Mes actes m'ont été dictés par...
- Tu te justifies ? Depuis quand un Nétherisse justifie-t-il ses erreurs au lieu de quémander un châtiment à la hauteur de sa valeur ? N'as-tu pas envie de souffrir comme jamais Sarkis ?
- Si... votre Altesse...
- J'en suis ravie. »
Marrant ça…
C’était aussi drôle que pitoyable de voir à quel point cet arrogant avorton s’écrasait comme une merde devant son Impératrice. On aurait dit le plus infâme Mane devant Asmodée.
Son châtiment dura longtemps. Mais dans le domaine de l’esprit, le temps s’étire et s’étiole sans qu’on en soit réellement conscient, rien n’est comme il y paraît. Rien n’était caché à Valeria qui put suivre la torture que subissait Sarkis. C’était assez raffiné, inventif même par certains côtés. Elle ne se rendit pas compte de ce qui se passait à l’extérieur, juste que l’aura de magie qui les entourait avait atteint une puissance sourde et bourdonnante. Ou était-ce une impression ?
Enfin l’Impératrice mit fin au supplice de Sarkis. Nul doute qu’il aurait pu durer encore bien longtemps. Un petit rire s’échappa de sa gorge, discret et incongru en pareil moment. Cette femme était surprenante.
« Maintenant que tu es bien disposé Sarkis, tu vas me narrer le déroulement de cette journée pathétique. »
Le mage s’exécuta immédiatement, livrant toute une foule de détails inutiles, sans aucune honte ni réticence. Il abandonna tout aux pieds de Skuld. Et de Valeria par la même occasion. Il n’y avait aucune surprise dans ce récit. Des données inconnues, certes, mais de surprise non. Malgré son âge, c’était juste un petit intriguant arrogant, avide de pouvoir et parfaitement imbuvable.
Mais il fallut lui laisser la justesse de son récit. Valeria n’avait rien à y ajouter, si ce n’était son propre ressenti, mais même ça avait été précisé par Sarkis avec un peu de recul. Finalement, il était capable d’analyse objective, même s’il ne devait pas beaucoup s’y adonner et encore moins en tenir compte. Son récit achevé, l’âme du mage attendit, tremblante d’appréhension, la sentence de Skuld.
Celle-ci le libéra de son emprise et se retira délicatement de l’esprit de Valeria, laissant comme l’impression d’une caresse, avant de déposer un léger baiser sur ses lèvres. C’était comme une excuse pour son indignation précédente. Et si ce n’était pas le cas, c’est ainsi que l’interpréta le succube.
« Je te remercie pour ton hospitalité Valeria. J'espère que tu apprécieras la nôtre. Sarkis t'a traitée de la pire des manières. C'est une honte pour mon peuple que notre première visiteuse depuis... notre départ, soit accueillie de cette façon. »
D’un geste de la main, elle dissipa l’aura de lumière magique qui les baignait. Ne resta plus qu’une semi pénombre douce aux yeux mais indélicate pour une vision précise. Les archimages s'étaient levés, attendant la sentence en silence.
« La faute de Sarkis nous couvre de honte. Accueillons notre nouvelle amie comme il se doit. Et pour la guider dans l'obscurité de Pénombre, Sarkis lui sera inféodé tant que je le déciderai. »
Ils acquiescèrent en silence et se dissipèrent l’un après l’autre, laissant derrière eux des volutes d’ombre translucides.
« Sarkis sera ton guide Valeria, je te le laisse, fais-en ce que tu veux. Mais sache qu'il a désormais en lui un fragment d'ombre émanant de ma spiritualité. Si mon mage meurt, il t'emportera avec lui. Ne cherche pas à t'approprier les secrets de Nétheril par son biais. Il ne t'obéira pas sur ce point. Pour le reste... il est à toi. »
Valeria hocha gravement la tête. En elle, l’âme meurtrie et disloquée de Sarkis pleurait de gratitude devant sa clémence. Elle ne voyait rien de clément là-dedans mais un point positif néanmoins : il était toujours prisonnier ad vitam aeternam de son esprit mais semblait consentant désormais.
« Merci Majesté. Nul doute qu’il me sera d’un précieux concours pour évoluer au sein de votre société et de ce monde aussi différent que fascinant. »
L'impératrice étendit ses bras dans un geste circulaire.
« Tu es ici dans la tour perdue du souvenir. Notre histoire et notre mémoire y sont conservées. Libre à toi de te documenter pour satisfaire ta curiosité mais ne pousse pas tes recherches trop loin, les ombres de mon peuple sont affamées. »
Hein ? De quoi parle-t-elle ?
Un fin sourire de prédatrice étira les lèvres parfaitement dessinées de l’Impératrice qui se lova contre Valeria. Les mains du succube enlacèrent naturellement sa taille et elle put sentir à ce contact la douceur et la qualité de la robe, mais aussi celle de la peau nue en dessous.
« Mais ça ne te change pas de ton monde non, petit démon ? »
Elle eut un petit sourire amusé. On en était aux taquineries désormais ? C’était bien mieux que la démonstration qui venait d’avoir lieu. Son regard glissa sur le visage de Skuld, son cou, la naissance de sa poitrine. Elle laissa poindre un éclat d’admiration et de désir alors que l’Impératrice quittait cette douce étreinte.
Alors qu’elle se dissipait comme ses Archimages, elle eut une dernière recommandation.
« Le Capitaine Tarkas t'accompagnera à tes appartements. Sarkis a besoin de se... reconstituer. Prends soin de toi, nous nous verrons dès que tu seras prête, le temps ne passe pas ici. Tu auras plus de deux mille ans d'histoire à me raconter. »
La lumière se fit dans l'immense salle, désormais vide.
Deux mille… ? On va en avoir, des soirées de discussions épiques… J’espère qu’on peut quand même baiser ici, sinon je vais finir famélique…
« Madame ? »
Le Capitaine Tarkas la sortit de ses réflexions.
« Si vous voulez bien me suivre... »
Ils sortirent de la tour pour rejoindre le palais où elle le suivit dans un nouveau dédale de couloirs et d’étages où le luxe et le faste rivalisaient. Elle n’avait pas assez d’yeux, ni de temps, pour réellement bien appréhender le travail des artisans qui avaient dû y passer des vies entières, mais elle en appréciait néanmoins tout ce qu’elle pouvait. Si le temps ne passait réellement pas ici, elle aurait l’occasion d’y revenir pour s’y attarder à souhait.
La présence de la garde impériale était partout : à chaque allée, chaque angle, chaque porte. Chaque garde leur adressait un salut franc lors de leur passage, ce qui ne manquait pas de laisser Valeria perplexe.
« Pourquoi tant de tralala ? Ils vont tous nous saluer ainsi tout le temps ?
- Toute Pénombre est au courant de votre présence, c'est un grand évènement. Nous n'appelons plus notre cité Aquila. Ce nom lui reviendra quand nous reviendrons dans le monde des vivants. Ici, nous sommes à Pénombre. »
Elle fronça les sourcils.
Quand ils reviendront dans le monde des vivants ? Qu’est-ce qu’il veut dire par là ?
L’idée la frappa comme un fouet claquant dans le silence.
Ils ne peuvent pas ! Ils sont prisonniers ici ! Merde alors…
Elle repensa à son court voyage en extérieur.
Des millénaires ici ? Pas pour rien qu’ils sont aussi formels ! Et aussi martiaux ! Voilà qui explique pourquoi même les simples citoyens portent une arme…
Enfin, ils arrivèrent dans les derniers étages du palais, desservis par une série de couloirs extérieurs, ce qui permettait de profiter d’une vue incroyable sur la cité. Même gâchée par la pénombre et la pluie, c’était magnifique ! Valeria s’arrêta un court instant, mais se remit vite en marche : Tarkas, de geôlier devenu guide, n’attendait pas forcément, habitué qu’il était à cette vue sublime.
Bientôt, elle nota un changement dans le luxe et le faste, toujours aussi impressionnants, mais beaucoup plus « confortables », ce qui s’expliquait par l’entrée dans les quartiers dévolus à l’habitation.
Enfin ! Quelle trotte !
Ils traversèrent quatre galeries avant que le Capitaine ne s’arrête devant une porte semblable à tant d’autres par ici et l’ouvre pour la laisser entrer. Cinq femmes l’attendaient et se plièrent en une révérence réservée aux invités de marque.
« Bienvenue Madame. »
Tarkas s’inclina et la laissa.
« Merci Capitaine. J’espère que nous aurons bientôt l’occasion de discuter. Bien que nous ne nous soyons pas rencontrés de manière… conventionnelle dirons-nous, j’ai apprécié votre compagnie. »
Ce qui était vrai. Sérieux, compétent, dégageant une aura de sérénité rassurante, l’homme méritait d’être mieux connu.
Elle se tourna vers les servantes et l’appartement qui lui était dévolu. Des appartements qui auraient littéralement fait crever de jalousie un souverain de Terra. Elle sourit de plaisir. Tout ici transpirait le luxe et rien n’aurait laissé de marbre le moindre monarque de quelque pays de quelque monde que ce soit, de l’avis du succube. Entre les débordements ostentatoires comme la fontaine d’eau bouillonnante ! ou l’immense lit en ivoire ouvragé, et les moins flagrants mais tout aussi onéreux, voire plus, qui se trouvaient où que se pose son regard, elle se sentit comme une Reine enfin appréciée à sa juste valeur. Et pourtant elle était convaincue qu’il y avait ici d’autres lieux encore bien plus richement parés.
L’odeur délicieuse de nourriture qui se dégageait de la table – non, ce n’&tait pas une table mais un véritable étal (en bien plus magnifique) – fut balayée par la phrase qui s’échappa des lèvres de celle qui semblait la cheffe des cinq demoiselles :
« Madame, nous allons vous baigner, puis vous choisirez votre toilette et nous nous occuperons de vous. Vous pourrez ensuite vous restaurer avant de... de pouvoir vous présenter à l'impératrice. »
Ouiiiiii ce bain qui me tend les bras !!!
Enthousiaste, Valeria s’approcha sans attendre de la grande baignoire – un bassin en réalité, tellement c’était grand – tout en regardant les cinq femmes.
« Merci Mesdames. Puisque vous êtes visiblement ici pour me servir de dames de compagnie, autant se présenter. Je suis Valeria. Le protocole, tout ça, c’est parfait hors de ces murs, mais ici, vous pouvez m’appeler par mon prénom, c’est bien plus simple. »
Elle haussa une épaule nue d’un air mutin.
« J’aime la simplicité. »
Visiblement décontenancées par ce point de vue tellement novateur après ces millénaires de protocole, les femmes s’exécutèrent rapidement tandis que le succube se laissait dévêtir par leurs soins. Toutes ces femmes étaient remarquablement belles. Ce qui était surprenant était la teinte de leurs cheveux, proche du gris, qu’il soit argenté, cendré ou plus sombre. Sans doute était-ce dû au climat de ce lieu. Par contre, l’une d’entre elles avait la peau plus sombre, ce qui dénotait parmi ses collègues. Valeria apprécia cette note de diversité puis entra voluptueusement dans l’eau, lançant un regard chargé de promesses à ces femmes magnifiques.
Elle s’éloigna quelque peu du bord, histoire d’être relativement hors de portée puis leur dit :
« Vous n’allez certainement pas me baigner en restant hors de l’eau. Allons, Mesdames. Déshabillez-vous et rejoignez-moi. Toutes ! » ajouta-t-elle en regardant la belle Matrone Erika dont elle ne doutait pas un instant faire son quatre heures. La seule question serait de savoir si elle le ferait là, maintenant, devant ses quatre suivantes.
Tout en les regardant se dévêtir, elle se mit à faire jouer l’eau sur son corps parfait, les vaguelettes ondulant sur sa peau, venant effleurer, découvrir puis cacher ses seins, son ventre. Elle leva une jambe au galbe parfait hors de l’eau, la maintint tendue le temps de la caresser à partir de la cheville pour laisser ses mains disparaître dans l’eau de manière suggestive.
Après tous ces événements, elle sentit poindre son désir de manière assez pressante. Si ces femmes étaient là pour la servir, elles pouvaient aussi servir à ça, non ?
« Sarkis ? Comment user de mes pouvoirs correctement ? »