The Multiversity

C’est à la sortie de l’université qu’ils vinrent la chercher. Ce n’était pas sa mère qui venait, ce qui signifiait que cette fin de journée était inhabituelle. Aux lieu et place du docteur Rossa, ou « Maman » comme l’appelait Kazue, il y avait le capitaine Amina Vanah. Elle était la coordinatrice militaire, chargée de s’assurer que le projet CA.lcium se passait bien. C’était le docteur Rossa qui avait insisté pour que Kazue vive avec elle, et qui avait travaillé pour modifier son apparence, pour qu’elle retrouve son apparence normale, et puisse ainsi mener une vie ordinaire… Aussi ordinaire que possible quand on était en réalité un androïde expérimental, un cyborg surpuissant. La logique aurait voulu que Kazue soit isolée dans un camp d’entraînement, mais le docteur Rossa avait insisté, en rappelant à ses supérieurs l’échec du Projet Manhunt.

« Grimpe, Kazue. Ta Maman est à la GeoTower, nous avons une mission de grande importance pour toi. »

Kazue menait une double vie. Derrière l’étudiante sans histoire et plutôt renfermée, il y avait un cyborg-cafard particulièrement redoutable, pensée et conçue pour combattre le principal échec de GeoWeapon Corp. : Manhunt. Kazue grimpa à l’intérieur de la voiture, puis celle-ci fila rapidement. Amina n’était pas que la coordinatrice militaire de Aeris Rossa, elle était aussi l’une de ses amantes. Kazue avait déjà pu la surprendre au petit matin, à partager un petit-déjeuner avec sa Maman. Amina était une militaire qui avait été réorientée hors du front pour participer à la coordination militaro-corporatiste. C’était un poste assez important. Kazue avait toujours sa carrière d’idol girl, une chanteuse, mais elle étudiait aussi à l’université. Il fallait conserver chez elle une certaine forme de sociabilisation, afin de perfectionner son ordinateur interne.

« Comment tu te sens ? »

Elles commençaient à déployer CA.lcium en terrain libre. La nuit, elle devenait une sorte de curieuse super-héroïne qui se rendait dans les bas-fonds malfamés de Uatis, et y combattait des trafiquants, des criminels… Des tests, surtout. Et le grand test allait approcher ce soir.

« Tes derniers résultats en simulation virtuelle sont suffisamment convaincants. Ce soir, ce sera le test réel. Si tu réussis, nous pourrons te déployer à la recherche de notre ennemi juré… Manhunt. »

Cette seule référence pouvait déclencher chez Kazue une rage sans nom. Manhunt, John Këssler… Un homme, un criminel, un renégat, un traître, un terroriste ! Il était l’ennemi suprême, la cible à abattre pour plaire à sa mère, ainsi qu’à celle qu’elle avait été formée pour considérer comme une véritable déité intouchable : Miranda Forge.

« Physiquement, je me sens très bien. Mais sinon, ça va. Parfois, j’en ai marre de cacher qui je suis. Ca m’énerve surtout quand j’entends des filles chanter et que moi, je dois faire semblant que je ne sais pas… »

C’était Kazue qui venait de parler. L’étudiante aux cheveux noirs qui vivait une vie (presque) comme les autres. Car même ces cheveux étaient un déguisement. Elle adorait ses cheveux couleur émeraude ! Mais même ça, elle devait le dissimuler. Alors elle devenait Kazue l’étudiante réservée qui ne faisait pas de vagues. C’était plus facile à jouer quand on était privée de ses beaux cheveux et de sa voix qui remplissait des stades.

Mais la transformation fut immédiate. Kazue disparut à l’instar du Projet CA.lcium. Un seul mot avait permis de faire volte-face à sa personnalité. Comme un interrupteur enclenché dans une salle des machines. Soudainement, le Projet CA.lcium était aussi attentif qu’un brave petit toutou militaire. Et ce n’était pas qu’un changement d’état d’esprit. C’était également un changement physique. Ses cheveux noirs se modifièrent en émeraude. Car même ses cheveux étaient bourrés de technologie. Ses yeux se colorèrent de rouge. Une ligne s’esquissa entre son nez et sa bouche et faisant tout le tour de son visage en passant sous ses oreilles. Si la transformation continuait, des petites pattes mécaniques arracheraient la peau synthétique.

Il y avait également sa main gauche qui perdait elle aussi sa peau synthétique pour exhiber une main de squelette. Sa main droite exprimait l’esquisse d’un bras robotique. Et enfin, alors que la transformation était encore légère : ses cheveux bougèrent étrangement pour faire apparaitre un insecte bien vivant !

« Je réussirais. Je le dois à Maman et à tout son travail. Je ne peux pas promettre une réussite à 100% car il existe toujours des variables impossibles à prédire. Et ce champ de capacité n’est pas ce qu’on a décidé que je devrais développer en priorité. Mais je suis prête, capitaine Vanah. »

Sa main droite « noire » commençait à gratter sa main gauche « os ». Un signe de nervosité humain faisant apparaitre la cyborg en elle tandis qu’à son oreille, elle écoutait le chant du cafard.

« Capitaine Vanah, êtes-vous en droit de me parler de la mission nocturne ? Ou cela doit-il attendre d’être arrivé à destination ? »

Vanah laissa naturellement Kazue se transformer. Cette apparence d’étudiante était sa véritable identité secrète. Aeris tenait à ce que Kazue ait une vie ordinaire, pour éviter de reproduire la même erreur que celle sur le sujet Këssler. Cependant, Kazue avait du mal à sociabiliser, et se rapprochait finalement très peu de ses partenaires et autres camarades, ne vivant que pour satisfaire sa mère. Elle reprit donc sa forme normale, et demanda d’une voix plus grave et plus profonde à Vanah si elle pouvait en savoir davantage sur sa mission :

« Cela n’a rien de confidentiel. Nos services de renseignements ont identifié un entrepôt dans le quartier des Caligulas qui sert de base à un gang de criminels de droit commun. Trafic de drogues, d’armes, vol, extorsion, racket… Avant de te déployer sur des missions plus importantes, nous tenons à voir comment tu vas réussir à gérer une mission en condition réelle. »

Les bas-fonds de Uatis étaient gangrénés par une criminalité organisée qui fonctionnait avec la complicité silencieuse des pouvoirs publics. L’idée était d’éviter autant que possible des émeutes qui quitteraient les bas-fonds. Peuplés majoritairement d’hommes, les bas-fonds abritaient souvent des réfugiés fuyant la guerre, que ce soit celle avec Auris, ou, plus récemment, avec les Xénos. Les femmes avaient souvent droit de vivre dans des camps de réfugiés plus appropriés, mais les mâles étaient regroupés dans les bas-fonds. Le marché noir avait fini par s’y développer, avec tout ce qu’on pouvait imaginer comme conséquences. C’était aussi un terrain de jeu idéal pour CA.lcium.

Tandis que la voiture roulait, le capitaine Vanah continua à lui parler sommairement du gang qu’elle allait affronter. Ils se faisaient appeler les « Cyber-Tigres », un nom ridicule pour un gang qui n’était pas spécialement dangereux. Ils disposaient pour autant d’armes de pointe, et avaient récemment attaqué un convoi militaire, s’emparant de caisses militaires contenant de l’armement plus important. Une cible idéale pour CA.lcium, donc.

La voiture s’arrêta finalement devant les locaux de la GeoTower. Elles empruntèrent un ascenseur qui les amena directement vers les derniers étages de cette immense tour de verre et d’acier. Elles rejoignirent ainsi les étages de la direction, loin du laboratoire où CA.lcium se rendait souvent. Traversant quelques couloirs feutrés, Vanah guida CA.lcium vers une double porte menant à un salon faisant l’angle du bâtiment. Un bar se trouvait dans un coin, ainsi que d’énormes baies vitrées donnant une vue majestueuse sur l’immense cité… Et où se trouvait Aeris Rossa, examinant la ville depuis les baies vitrées. Elle se retourna à l’ouverture de la porte, et sourit en voyant CA.lcium.

« Kazue ! Bonjour, ma belle ! Ta journée s’est-elle bien passée ? »

« Maman ! »

Peut-être était-ce l’influence de la Capitaine Vanah dans la vie du Docteur Rossa. Mais quand le Projet CA.lcium se présentait face à « Maman », ce n’était pas une petite fille qui agitait sa main. C’était une adulte qui se redressait dans une façon militaire.

« Longue. Fastidieuse. Inintéressante. »

Le Projet CA.lcium ne voulait pas faire perdre du temps au Docteur Rossa. Le temps était une denrée rare. Elle devait être aussi efficiente que possible pour permettre à « Maman » d’exploiter le sien au maximum. Parce que si elle travaillait bien, Miranda Forge était heureuse. Et si Miranda Forge était satisfaite des résultats du Docteur, alors cette dernière pouvait passer d’agréables moments avec Kazue/Projet CA.lcium.

« La Capitaine Vanah m’a fait un résumé de ma prochaine mission nocturne. Je suis déjà prête à partir si je n’ai rien besoin de savoir de plus. »

Le Projet CA.lcium était entièrement transformé. Son œil gauche avait l’iris complètement noir et la pupille rouge. Tandis que l’autre restait d’une belle couleur humaine émeraude. L’équilibre était délicat entre l’organique et la machine. Une des hypothèses concernant le Projet CA.lcium parlait d’une instabilité instablement contrôlé. Il y avait une synergie approximative entre l’humain et la cyborg. Ce qui donnait cette apparence à la Frankenstein. Mais ça fonctionnait. Peut-être trop bien pour une pareille vision d’horreur ? Une sorte de bras faits d’acier ressemblant à un scalpel cauchemardesque. Et un bras aux proportions non-humaines complètement faits d’os. C’était des nano-machines qui permettaient de combler le manque de muscles, ligaments et autres fonctions essentiels.

« Chut. Pas maintenant. Oui, nous essaierons de nous reproduire. Comme d’habitude. »

C’était aussi ce qui rendait le Projet CA.lcium malaisant. Cette tierce partie de sa personnalité attribuée au cafard. Le Projet était relié à un esprit communautaire qui voulait survivre. Et donc à donner une engeance. Se multiplier. Mais les rapports sexuels du Projet CA.lcium étaient moches… Des actes intimes sans sentiments donnant naissance à des mâles traumatisés si ce n’est décédés. Et combien de fois le Projet CA.lcium a accouché ? Le cafard se reproduit vite. Très vite ! Mais les bébés sont monstrueux. Littéralement des monstres. (des sujets d’études pour d’autres… voire des choses à mettre dans des bouteilles de formol pour exposer dans certains cabinets de curiosité…)

Kazue alla droit à l’essentiel, et Aeris ne s’en formalisa guère. Elle savait comment le projet CA.lcium fonctionnait. Ce que Aeris avait conçu était à bien des égards un monstre. Que Kazue l’appelle « Maman » ne changeait pas cet état de fait, et cela se voyait surtout quand elle se reproduisait. CA.lcium avait déjà eu des bébés, mais ils n’étaient pas viables, ni humains. Ils constituaient surtout des échantillons, que Aeris assimilait à des fausses couches prématurées. Coucher avec ses proies était pour CA.lcium une forme de récompense après l’effort. Quand elle indiqua être prête à chasser, Aeris sourit doucement, et hocha la tête.

« Comme toujours, tu souhaites me faire plaisir, et je comprends ton impatience. Alors, viens à la salle de réunion. »

Aeris invita Ca.lcium à la suivre. Elles traversèrent un grand couloir, et rejoignirent la salle de réunion. Kazue put croiser une autre personne, qui était une cadre haut placée de GeoWeapon Corp. Scarlet était aussi belle qu’influente et perverse, et elle était notamment en charge de la recherche militaire, et en lien avec l’armée. Quand Aeris et Ca.lcium arrivèrent, Scarlet salua son projet de combat, puis appuya sur un bouton. Une carte holographique de Uatis City se forma au milieu de la pièce. La table de réunion était en forme de U, avec une grosse sphère au centre. Cette sphère émettait la carte holographique, sur laquelle Scarlet cibla le quartier des Caligulas.

« Les renseignements ont confirmé que toute cette zone était le quartier général des Cyber-Tigres. Ce gang dispose d’un entrepôt et de cet immeuble délabré qui le jouxte, qui fait office pour eux de dortoir et de centre culturel. C’est un lieu de prostitution et de toxicomanes. Mais c’est dans leur entrepôt que les Cyber-Tigres stockent leur équipement. Ils se sont récemment emparés d’équipements militaires classifiés, des exosquelettes de combat, mais aussi d’un prototype de combat lourd qu’ils sont en train de reprogrammer. Et, pour être honnête avec toi, nous les avons laissés avoir ce type d’armements. Il fallait bien te compliquer les choses pour voir si tu es prête à affronter Manhunt et ses machines, après tout… »

La carte holographique était bien plus intéressante que la perverse Scarlet. Le Projet CA.lcium n’était ni aveugle ni stupide. Cette façon de s’habiller. Cette façon de parler. Cette façon de se déhancher. Le Projet CA.lcium avait très bien reçu les signes de la femme. Mais à quoi bon ? Deux femmes ne se reproduisaient pas ensemble. Parfois, la cyborg s’en prenait à des femmes. Le « cafard » le voulait. Alors elle insérait sa main d’os ou sa main de fer. Et cela restait parmi les scénarios les plus soft… De là à penser qu’il y avait pire que la création du Projet Manhunt…

« Question. Les dégâts collatéraux sont-ils illimités ? »

Plus que la perspective d’affronter un prototype de combat lourd, ce qui inquiétait davantage la cyborg était l’étendue des dégâts qu’elle était autorisé à commettre.

« Question. La priorité est-elle de sauvegarder et rapporter le matériel militaire volé ou est-elle de tout détruire ? »

Il était plus bien facile de tout détruire que de protéger. Si le Projet CA.lcium était placé sous l’étoile de la destruction, il trouvait son pendant avec son alter. Kazue, en tant qu’idol, créait des chansons. Elle créait du bonheur pour ses fans à travers sa musique. Ainsi, il y avait un équilibre.

« Question. Les acteurs de la prostitution et les consommateurs de matières illicites ne sont pas un facteur positif à l’évolution du monde pour lequel travaille Maman. Est-ce que cela signifie que l’engeance doit être éliminée ? »

Soudainement, le Projet CA.lcium regarda un point vide dans l’espace du bureau chez GeoWeapon Corp. Il était clair qu’elle entendait une voix. Ou qu’elle écoutait une fréquence de radio. Ça lui arrivait parfois. Si cela ressemblait à des crises maladives d’hallucinations : ce n’était pas pour autant très surprenant. La femme humaine avait un côté cyborg relié aux flux d’information et un côté insecte qui la branchait sur un esprit de ruche. Il fallait simplement attendre que le Projet CA.lcium « revienne » parmi son entourage. 

Quand on voyait Kazue agir ainsi, on comprenait vite que « Kazue » n’était qu’une façade, et que « CA.lcium » était le véritable être vivant. Pouvait-on s’en formaliser ? Pas tellement. CA.lcium restait avant tout un projet militaire, et il ne fallait pas y mettre trop d’affect. Néanmoins, face à quelqu’un comme Manhunt, l’affect était nécessaire. GWC avait déjà perdu un programme top-secret, Aerith n’avait pas envie de perdre non plus CA.lcium ! L’androïde posa plusieurs questions tandis que Scarlet fournissait les réponses.

« Les dégâts collatéraux ne sont jamais illimités, mais ton périmètre se limite à un entrepôt. Tu peux aussi y inclure leur immeuble miteux, mais, a priori, il n’y a pas de combats dans…
-  Inutile, Scarlet, elle ne vous entend pas. »

Surprise, Scarlet se tut, et fronça les sourcils. Les yeux de CA.lcium étaient dans le vague. Elle disposait d’un accès au réseau numérique, Internet, la Toile… Un réseau d’une incroyable densité. Elle pouvait accéder aux flux d’informations, et, visiblement, son interrogation sur les toxicomanes l’avait amené à se renseigner. CA.lcium était en permanence reliée à la Toile, ce qui était un excellent moyen de la contrôler à distance, ou de lui venir en aide si jamais des pirates cherchaient à en prendre le contrôle… Comme Manhunt. CA.lcium finit par revenir, et Scarlet reprit ses explications :

« Affrontements limités dans la zone de combat. Si des cibles parviennent à s’enfuir, tant mieux pour elles. Ensuite… »

Scarlet repensa à sa seconde question, et enchaîna :

« Tu n’es pas une unité de récupération. Nous disposons des plans du prototype, et nous avons volontairement laissé les Tigres s’en emparer. Tu dois donc le détruire. »

Ce qui était sans doute plus simple pour le Cafard. Scarlet se racla ensuite la gorge, tout en croisant sensuellement les jambes.

« Pas de tueries de civils, je ne tiens pas à ce que les journalistes nous tombent dessus. Je ne veux pas non plus que tu prennes goût à la violence, tu n’affronteras que les cibles hostiles et armées. De simples junkies ou des prostituées sont inoffensifs, sauf s’ils t’attaquent. »

Le Projet CA.lcium n’aimait pas tout ce qu’il entendait. Il voyait aussi beaucoup de choses et comprenaient des intentions qui échappaient parfois même à ceux qui les commettaient. Relatif à la première phrase, il y avait le fait d’avoir laissé des déchets voler des biens précieux du travail de Maman. Relatif à la seconde phrase, il y avait la façon dont Scarlet manipulait avec ses croisées de jambes.

« Tuer ne provoque pas en moi de montée de drogues naturelles et/ou artificielles. Tuer est une solution à un problème. Je ne tuerais donc que ce que mon objectif m’autorise. Et uniquement tout ce qui permettra à ma vie d’être prolongée. »

Comment réagissait Maman ? Est-ce qu’elle avait besoin d’intimité et de se déshabille avec Madame Scarlet ? Parfois, le Projet CA.lcium ne comprenait plus le monde dans lequel elle vivait. Les interactions humaines étaient si complexes. Ou compliquées ? Peut-être bien les deux. Quand elle écoutait les cafards, elle émettait des vibrations pour prévenir qu’il y allait avoir du sexe. Savoir si la cible était consentante n’était pas une priorité. Le Projet CA.lcium avait des besoins. Elle les remplissait. Les animaux étaient des créatures tellement plus simples et efficaces selon certains domaines.

« Si je suis une gêne pour des ébats intimes entre Madame Scarlett et Maman Rossa, je peux me retirer. J’ai remarqué la façon de croiser les jambes. Physiologiquement, ça ne servait à rien. Mais en prenant en compte la donnée de Maman Rossa, j’en conclue à une espèce de parade pour la séduire et lui faire du sexe. Ou de l’amour, le terme que vous préférerez. »

Il n’y avait aucune gêne. Etant en partie cyborg et en partie parasite (=cafard), le Projet CA.lcium souffrait d’un déficit en empathie. Il fallait qu’elle redevienne Kazue ou la célèbre chanteuse aux cheveux émeraude pour retoucher à ce qui faisait d’elle une humaine. Avec ses envies, ses sentiments et ses faiblesses. En attendant, elle fixait tour à tour les femmes dans la salle de réunion pour savoir comment réagir face à leurs futures actions.

« Je dois aussi ajouter que je n’aime pas le fait d’avoir laissé de futurs cadavres s’emparer des biens de GeoWeapon Corp. Mon programme est entré en conflit. D’un côté, une mission de punition voire de meurtre pour condamner les coupables. De l’autre, une impossibilité à vous tuer car vous êtes des femmes importantes et essentielles pour le Programme que je représente. »

Comme toujours, CA.lcium était très observatrice… Suffisamment pour avoir deviné les intentions de Scarlet, mais aussi pour émettre des réserves quant au fait d’avoir laissé intentionnellement une arme militaire entre les mains de criminels. Scarlet en sourit doucement, et gloussa même.

« Je constate que les commentaires élogieux du docteur Rossa à ton encontre ne sont pas exagérés, CA.lcium ! Mes félicitations ! Pour répondre à la question qui te préoccupe le plus, sache que, si nous avons laissé ces bandits s’emparer de notre arme, elle est désactivée. C’est moi qui détiens les codes d’activation, et je l’activerai quand tu seras sur place. Nous souhaitons tester tes performances en temps réel, CA.lcium. Pour ce que l’armée envisage en ce qui te concerne, tu affronteras bien pire que de simples bandits, donc, avant de te laisser dans une véritable mission, il faut bien passer par ces tests. Et, tout comme je détiens le code d’activation de l’armure de combat, je détiens aussi le code d’autodestruction. Donc, si par malheur tu venais à devoir mourir lors de ce combat, ou à être incapable de combattre l’armure, je la ferai exploser. »

Le plan était audacieux, mais illustrait surtout l’arrogance de la firme, qui utilisait des bandits comme simples cobayes pour des expérimentations sanglantes et meurtrières. Scarlet se redressa ensuite.

« Ensuite, je ne coucherai pas avec le docteur Rossa.
-  Cela n’était pas prévu.
-  J’ai mes esclaves pour ça, et, effectivement, quand nous aurons fini ce briefing, j’irai les voir… Et je m’amuserai avec eux. Parce que c’est comme ça que je m’entretiens, et que je veux être en forme pour voir si ta mission se déroule bien. »

La main de Aerith glissa sur les cheveux de CA.lcium, dans un geste qui se voulait affectueux.

« Miranda Forge et des responsables de l’armée assisteront à ta démonstration ce soir. Et je sais que tu t’en sortiras à merveille, car tu es la plus réussie de toutes mes créations ! »

« Merci Maman. »

Tristesse était de constater le manque d’émotions dans la voix du Projet CA.lcium. Si elle était contente de recevoir des compliments, elle restait pour le moment embêtée par les remarques précédentes. N’étant pas connu pour tourner autour du pot et jouer le jeu de l’hypocrisie, elle vida son sac.

« Je déteste l’idée que vous conceviez que je ne revienne pas de cette mission. Ca me révolte. Ca m’enrage. Mais, dans le même temps, je dois contrôler cette émotion destructrice et ne pas vous le faire subir. Je ne veux pas vous faire le moindre mal. »

Il lui était de toute manière impossible de leur causer la moindre blessure. Tels les premières lois de la robotique, une partie de son être était programmation. Et les lignes de code agissaient comme une sorte de corpus de règles à respecter. Lever la main sur Maman Docteur Rossa ou Scarlet étaient impossibles. A moins que Scarlet cherche à blesser Maman Docteur Rossa. Son programme (plutôt son cœur humain) faisait changer la priorité des ordres.

Le Projet CA.lcium hésita à revenir sur les questions sexuelles. Elle s’inquiétait pour la vie de sa Maman. Elle voulait être sûre que tous ses besoins étaient comblés. Donc elle remettait en question le fait que Scarlet préfère utiliser des esclaves plutôt que son inestimable mère. Mais Maman Rossa avait amené Miranda Forge dans la conversation. Ce qui devenait la nouvelle priorité. Miranda Forge était sensiblement plus importante que Maman Rossa. C’était une sorte de conflit d’intérêt. Miranda Forge avait cette espèce de statue de Déesse/Reine d’essaim.

« Ne perdons pas plus de temps. Si Miranda Forge a libéré du temps pour assister à ma performance, il faut tout faire pour la contenter. Car les retombées seront positives pour Maman Rossa. Oui, que Scarlet aille baiser pour qu’elle soit prête. Et Maman Rossa ? Doit-elle faire quelque chose avant la mission du Projet CA.lcium ? »

Scarlet s’amusa quand elle sentit une pointe d’agacement dans la voix de CA.lcium. Elle détestait l’idée qu’on la sous-estime. Finalement, elle n’était peut-être pas si amorale et inhumaine que cela.

« Mon rôle est de parer à toutes les éventualités, ma chérie. Mais nous n’avons aucun doute sur tes chances de succès. Sinon, nous n’aurions pas réuni toutes les huiles pour assister à ta démonstration. »

Aerith sourit, et caressa affectueusement les cheveux bleus de CA.lcium.

« Si j’avais le moindre doute sur tes chances de succès, je n’aurai pas donné mon aval. Tu sais combien je tiens à toi… »

Cela avait de quoi interpeller Scarlet, mais la directrice de recherche laissa pour elle ses interrogations. De toute façon, le docteur Rossa était une femme très spéciale… Pour elle, elle était un génie, mais aussi une fille un peu folle, qui ne semblait pas trop aimer l’idée d’avoir des liens avec d’autres. Elle n’avait pas d’enfants, et semblait considérer ses monstrueuses créations comme ses enfants. Scarlet aussi concevait des robots et des armes, mais elle n’en faisait pas toute une histoire.

« À part te faire passer un check-up, je n’ai rien à faire. Je comptais faire un peu de bureautique pendant que tu rejoindrais le lieu de ta mission. »

Scarlet acquiesça. Nul doute qu’il y aurait de la bureautique, mais aussi du sexe.

« Si tout a été vu… Je vous laisse vérifier que tous les systèmes de CA.lcium sont opérationnels, puis je t’attendrai dans mon bureau, Aerith. »

La doctoresse sourit doucement, et rougit même légèrement, puis hocha la tête. Elle conduisit ensuite Kazue jusqu’à une salle de laboratoire, où Kazue put se déshabiller et se coucher sur une table médicale. Aerith s’installa à côté, près d’un pupitre, et démarra l’analyse. Un énorme appareil cylindrique ressemblant à un gros tube bourdonnant se mit à recouvrir Kazue, ressemblant à une sorte d’IRM géant. L’appareil se mit à analyser le corps de Kazue. Kazue pouvait échanger avec Aerith par l’intermédiaire d’un microphone au sein du tube.

« Comment tu te sens ? Signale-moi toute éventuelle migraine que tu ressentirais, je ne veux pas prendre le moindre risque pour toi… »

Se pourrait-il que la froide Aerith s’inquiète pour le sort de Kazue ? Voilà assurément qui serait cocasse !

Le Projet CA.lcium n’avait aucune pudeur. Se mettre complètement nu fut fait comme elle levait un bras. Naturellement et sans y penser. Il pouvait même y avoir toute une classe d’une dizaine d’élèves en formation qu’elle se serait dévêtue de la même façon. Sans compter que ce n’était pas la première fois qu’elle entrait dans le tube de scan.

« Maman Aerith est trop inquiète. Les migraines ne sont rien. Je peux analyser et détourner ce genre d’informations pour ne plus en être incommodée. Je crois que Maman Aerith est plus inquiète pour moi. Je ne pourrais opérer si Maman Aerith est stressée. »

Pendant qu’elle parlait au Docteur Rossa, le Projet CA.lcium s’auto-analysait. Son corps était dans un équilibre parfait et en même très instable entre l’organique, le métallique et l’animalier. Ca permettait de régler des problèmes que les machines les plus pointues mettraient déjà une plombe à repérer et analyser.

« Je crois que Maman Aerith est stressée à cause de Miranda Forge. Je ferai tout ce que je pourrais et outrepasserais mes limites pour la contenter. Je ne serai pas la cause de tes échecs et de la perte de ton emploi, statut et réputation. »

Il y avait des défaillances mineures dans ses parties cyborg. Mais rien qu’elle ne pouvait régler toute seule en donnant les bons ordres aux nanorobots en elle. Voilà, la synchronisation était remonté à 99,9 %. C’était bien mieux que 98,7 %. Mais ce genre d’informations ne méritait pas d’être remonté. Le Docteur Rossa perdrait du temps en paperasse et ça l’inquiéterait et l’épuiserait beaucoup trop à un niveau émotionnel/opérationnel.

« J’ai également remarqué que Maman Aerith a rougi au dernier commentaire de Scarlet. Si Maman Aerith a besoin de une activité de type sexuelle pour exsuder son stresse et le faire redescendre à un niveau minimal, elle devrait y aller. Mon organisme est à un niveau très haut. Je suis dans de très bonnes conditions pour partir en mission et briller dans le succès. »

Aerith relia le corps de CA.lcium à son terminal à l’aide de connecteurs optiques, des câbles qu’elle inséra dans des ouvertures prévues à cet effet dans le corps cybernétique de Kazue. Elle lança ensuite les diagnostics, tandis que l’intéressée, nue et froide, lui signala qu’elle ferait tout son possible pour que l’opération soit un succès, et que le docteur Rossa n’ait aucun problème avec Miranda Forge.

« Ta sollicitude me touche, Kazue, mais ce n’est pas Madame Forge qui m’inquiète. Tu sais, pour être honnête avec toi, je continuerai à travailler au sein de GeoWeapon Corp., même si tu devais échouer. Non, c’est pour toi que je m’en fais. »

Elle lui sourit ensuite.

« C’est irrationnel, je sais, car tu n’as rien à craindre de ces simples bandits. Tu sais, tout ça n’est qu’une étape, je t’ai conçu pour récupérer Manhunt. Si tu arrives dans cette mission, tu partiras pour Night City afin de le retrouver. Alors, peut-être que je suis juste un peu triste à l’idée que tu ne sois plus sous mon toit. Regarde bien les optiques. »

Kazue leva la tête, et un gros tube avec un embout en forme de lunettes se posa sur ses yeux.  Aerith continua son diagnostic, jusqu’à arriver à la conclusion que tout allait bien. De son côté, elle faisait preuve d’un curieux attachement envers la jeune femme. Ce n’était pas dans son habitude d’être aussi sentimentale… Aerith sourit donc, puis débrancha tous les câbles reliant Kazue à sa machine.

« Bon, le check-up est satisfaisant. »

Quelqu’un ne tarda pas à toquer à la porte. C’était une militaire, la Lieutenante Ashley Peters.

« Bonsoir, Docteur Rossa… Et bonsoir à toi, Kazue. Si vous êtes prête, j’ai été chargée de conduire Kazue à l’emplacement de sa mission… »

C’était toujours compliqué de savoir quoi faire et quoi dire en présent de Maman Rossa. Il fallait être efficiente. Mais elle se devait aussi d’être sentimentale. Raison et passion ne pouvaient se conjuguer ensemble. Alors le Projet CA.lcium souffrait toujours de pertes d’énergie et de temps. Il fallait switcher de la raison à la passion. Revenir à la raison et recommencer le cycle encore et encore.

« Je peux copuler avec un homme pour donner une version variante de moi pour accompagner Maman Rossa lorsque je ne serai plus là. Moi et mon autre moi pourrons garder une forme de contact. Ainsi, je pourrais être là sans être là. »

C’était un sujet qui avait déjà été abordé. Ce n’était un secret pour personne que le Projet CA.lcium se reproduisait à la vitesse d’un cafard. Que ces progénitures étaient au mieux des clones déficients d’elle-même. Au pire des monstres informes qu’il fallait incinérer au plus vite. Certains dangereux car semblables à des bombes à retardements. D’autres à des monstres sans raison et d’une violence inouïe.

« Mais Maman Rossa n’acceptera pas cette solution. Nous nous connaissons toutes les deux. »

Alors le Projet CA.lcium se releva enfin de la table d’analyse. Elle s’avança sans aucune hésitation vers la Lieutenante Ashley Peters.

« Je suis prête, Lieutenante. Emmenez-moi là où vos ordres vous le dictent. Plus vite j’y serais, plus vite je reviendrais. Ainsi, Miranda Forge sera satisfaite de mon efficience. Et Maman Rossa sera soulagée de me voir revenir sous son toit. Je me dois de faire plaisir à toutes. C’est une de mes missions. »

Qui plus est, une certaine fièvre de combat commençait à couler dans ses circuits. Une sorte de mélange d’instinct bestial à se faire la guerre combinée à un esprit analytique 2.0 qui frémissait de déclencher des simulations en masse pour parvenir à un résultat exemplaire. L’association du guerrier-animal et du joueur d’échec, en d’autres mots.

Penthouse de Miranda Forge
Derniers étages de la GeoTower

« Alors, quand est-ce que nous aurons la connexion ?
-  C’est en cours, Maîtresse.
-  C’est que j’ai des invitées, moi… »

Sur l’écran géant, le message « EN ATTENTE DU SIGNAL » clignotait régulièrement. Miranda était couchée au milieu d’un grand lit dans l’une de ses suites. Pour la démonstration de CA.lcium, Miranda avait décidé d’organiser une petite fête. Scarlet était là, et elle embrassait tendrement l’une de leurs deux invitées. Deux jeunes femmes venant de la Terre qui faisaient du tourisme ici, et qui avaient avec Miranda une connaissance commune : une petite Slime rose, Mélona. Scarlet embrassait l’une des deux femmes, une belle rouquine avec des lunettes (Scarlet adorait les femmes avec des lunettes), Fönn Verrières. Miranda avait sur elle la silhouette rose et pleine de latex de la femme de Fönn, la charmante Lissandre Verrières. Miranda, qui aimait beaucoup sa Slime d’amour, avait naturellement accepté d’héberger ces deux humaines, et avait décidé de les inviter à cette petite séance cinéma en live action.

Entre ce double couple, il y avait l’une des esclaves de Miranda, la GeoDoll Ania. Elle était dévouée aux services du couple Verrières pendant leur séjour sur place. Enfin, le tableau se complétait par la Caporale Yllia Iribova, une soldate qui était chargée de la protection de Miranda, et qui était l’une de ses nombreuses amantes, ainsi que par le docteur Rossa, qui était assise sur un fauteuil à côté, embrassant et palpant les fesses de Mélona qui s’était assise sur elle. C’était une délicieuse orgie dans la pièce, qui comprenait un bar intégré. Ania s’y rendait régulièrement pour apporter des rafraîchissements. Pour terminer le spectacle, il y avait la capitaine Amina Vanah. Elle était assise sur le lit, et laissait Ania lécher son sexe tout en discutant avec ses interlocuteurs via son comlink :

« Hmmm… Le vaisseau se rapproche, Madame… Vous aurez bientôt la connexion.
-  Parfait, hmmm… J’espère que vous aimez les films d’action, vous allez être servies ce soir ! »

De l’autre côté de la tour, derrière le centre-ville, le quartier des Caligulas s’étirait paresseusement de l’autre côté du fleuve qui traversait Uatis City. La navette militaire se rapprochait d’un toit sécurisé, au-dessus d’un poste de police. Kazue était à l’intérieur, et la navette comprenait plusieurs soldates portant des armures de combat futuristes. La navette se posa sur le toit, puis Kazue pouvait aller voir, à travers sa visière, l’emplacement de l’entrepôt. C’était justement sa visière qui disposait d’une caméra intégrée, et on aurait presque pu se croire dans un jeu vidéo. La visière lui indiqua l’emplacement du repaire des Cyber-Tigres. Situé à proximité d’une usine, le Red Dirt était le bar des Cyber-Tigres, avec l’entrepôt accolé à ce dernier et d’autres bâtiments entourant le parking, comme un garage. La zone comprenait des dizaines de criminels, ainsi que des drones de combat, et sans doute d’autres joyeusetés, comme des netrunners qui pourraient tenter de parasiter Kazue lors de son attaque.

Une soirée qui s’annonçait particulièrement sanglante…

Le Projet CA.lcium se fichait des invités de Miranda Forge. Et elle savait qu’il y en avait. On l’avait déjà prévenu plusieurs fois qu’hacker le bureau de la « Déesse » de GeoWeapon Corp n’était pas bien. Et en même temps, c’était difficile de lui interdire complètement et définitivement. Grâce au Projet CA.lcium, les mesures de contre-piratage avaient évolué. Et, de toute manière, il était impossible de ne pas garder un œil sur Maman Rossa. Alors le Projet CA.lcium continuait de hacker encore et toujours. Bien que les orgies ne l’intéressaient pas du tout.

La navette militaire se posa sur un toit d’un poste de police. Le Projet CA.lcium s’en fichait. Ça aurait pu être le toit directement de ses cibles à abattre que ça n’aurait fait aucune différence. Elle n’avait pas besoin des forces de police. Elle n’avait pas besoin des soldates en armure de combat. Elle avait seulement besoin d’elle-même. Les autres étaient des poids qui la ralentissaient. Et une fois qu’elle aurait été validé par la « Déesse » de GWC, elle s’en irait traquer le Projet Manhunt. Inévitablement, elle serait seule. Alors elle ne voulait pas s’encombrer de scénarios qui ne lui serviraient à rien plus tard. Bien que, le Projet CA.lcium n’était jamais vraiment seule. Et pour affirmer cette pensée, sa main caressa le cafard qui avait élu domicile dans ses cheveux émeraude.

« Il est l’heure. »

Le Projet CA.lcium ne parla pas aux soldates l’entourant. Elle s’adresse belle et bien au cafard. Plus précisément à l’esprit collectif. Au sol, il y eut des cris de surprise et des cris de peur. Voir des files de cafards convergées vers le repaire des cibles à abattre n’était pas reluisant. Des milliers de petites pattes en action. Des créatures se fichant des lois de la gravité ou des portes blindées. Elles s’infiltraient partout.

« Initialisation de la cartographie. Initialisation du repérage des cibles à abattre. Recherche d’équipements militaires classifiés. Recherche des exosquelettes de combat. Recherche du prototype de combat lourd. Pourcentage de progression totale estimé à 12,67%... 15,26%... 19,08%... »

Le Projet CA.lcium est réputé pour sa grande efficacité. La comparaison avec une bête enragée qui rue sur ses adversaires est vrai. Mais uniquement parce que le travail en amont a été réalisé avec la toute-puissance de ces capacités de cyborg couplées à ceux des cafards. Quand le Projet CA.lcium entre en action, l’économie des gestes est optimisé. Chaque coup est porté avec un maximum d’efficacité. La « beauté » du combat n’existe pas. Seuls les One-Shot comptent.

« 23,23%... 32,97%... 44,61%... »

Les Caligulas abritaient un secteur industriel important. De très grosses usines qui étaient de plus en plus automatisées, mais où il fallait parfois encore de la main d’œuvre. Les hommes servaient essentiellement à travailler comme ouvriers, complétant les tâches des robots. Le Red Dirt était jadis l’un de ces bars où les ouvriers s’agglutinaient, avant que l’usine pétrochimique à proximité ne finisse par passer au tout-automatique. Les seuls humains en faction étaient des ingénieures qui venaient des autres quartiers de la ville et des agentes de sécurité lourdement armées. Le bar était ainsi tombé entre les mains des Cyber-Tigres. Ils étaient à vrai dire surtout là pour sécuriser les lieux et éviter que les agentes de sécurité de l’entreprise pétrochimique, PetroChem, n’ait à se mouiller. Un esprit plus cynique que celui de CAL.cium aurait ainsi pu voir dans ce « test » une manière de cibler PetroChem, en s’attaquant à l’un des gangs que PetroChem soutenait et finançait.

Tandis que CAL.cium se préparait, les Cyber-Tigres se détendaient donc. Certains jouaient au billard, d’autres mangeaient, écoutaient la télévision, ou couchaient avec des prostituées à l’arrière du Red Dirt, dans leur repaire. L’analyse des lieux révélerait qu’il y avait également une partie souterraine, reliée aux égouts de la ville. C’était ici que le quartier général se trouvait réellement, une installation faite dans l’un de ces bunkers de sécurité édifiés lors de la première invasion des Xénos, en cas d’attaque de ces derniers. Un bunker solide et grand, abritant les netrunners des Cyber-Tigres. Ceux-là risquaient de représenter pour Kazue une menace, car ils pourraient pirater à distance ses circuits électroniques. Ils pourraient ainsi perturber ses sens. Une solution serait donc de les attaquer discrètement, mais ils étaient au cœur du bunker. S’y rendre sans attirer l’attention restait une tâche presque impossible, car il y avait bon nombre de caméras de sécurité. De plus, avec le vol du prototype militaire, les Cyber-Tigres étaient sur la défensive.

Ledit prototype se trouvait justement dans le bunker. Miranda observait la scène avec amusement. Elle savait que CAL.cium pouvait remonter le signal, et elle avait toléré cela. Kazue pourrait ainsi voir que Miranda n’était pas dans la salle de crise en compagnie d’autres officiels, mais en galante compagnie.

« Vous croyez qu’elle va opter pour quelle approche, Scarlet ? La discrétion, ou foncer dans le tas ?
-  CAL.cium a envie de vous impressionner, elle va foncer dans le tas.
-  J’espère quand même qu’elle s’en sortira sans trop de casse. Je ne veux pas que mes invitées se fassent une mauvaise idée de ce spectacle. »

Scarlet se coucha sur Fönn, et la prit en missionnaire, déployant à son tour sa verge. La jeune femme gémit en ayant la tête penchée vers l’écran.

« C’est… Haaaa… Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de voir… Un snuff movie… »

Miranda sourit, et enchaîna en caressant les hanches de Lissandre, l’invitant à se retourner.

« Les Cyber-Tigres sont des raclures, ma belle. Ils asservissent des femmes pour en faire leurs esclaves, les droguent jusqu’à ce qu’elles perdent toute conscience d’elle-même, puis les vendent aux plus offrants. La police ne se risquera jamais à les affronter comme ça. Je ne fais qu’apporter un peu de justice dans ces quartiers déshérités, hmmm… »

Elle avait l’impression de sentir des tentacules roses s’enrouler autour de sa verge, une expérience aussi surprenante que jouissive… Tandis que, de son côté, CAL.cium allait bientôt passer à l’action ! Dehors, des Cyber-Tigres éméchés  se tenaient dans la cour, près de leurs voitures et de leurs motos…

100%. La cartographie était désormais complète. Le Projet CA.lcium allait passer à l’action. Elle avait un plan précis en tête. Un qui requérait plusieurs étapes. Certaines séquentielles, d’autres simultanées. Par exemple, elle allait éliminer toutes les cibles extérieures. Puis elle pénétrerait dans le bâtiment et éliminerait pièce après pièce toutes les cibles suivantes. Ensuite, elle s’en irait dans les profondeurs. Et, pendant qu’elle s’occuperait du dehors et du rez-de-chaussée, les cafards travailleraient. En simultanés avec le Projet CA.lcium. Infiltration. La moindre faille du bunker suffirait. Un cafard était petit. Increvable. Redoutablement efficace.

« Initialisation du mode Avion activé dans 5… 4… 3… 2… Activé. »

Désormais le Projet CA.lcium était en boucle fermée. Elle avait perdu la connexion avec la GeoWeapon Corp. Elle n’avait plus accès aux drones ou caméras qu’elle venait d’hacker. Cela voulait également dire qu’elle était à l’abri des netrunners du souterrain. Si le Projet CA.lcium n’appréciait pas cet état d’auto-aveuglement : elle avait suffisamment confiance en ses capacités, ses calculs et sa carte mentale pour se mettre en action.

Ce qu’elle fit.

Ses jambes cyborg étaient toujours repliées. Les déplier lui donnaient une taille d’environ 2,40m. C’était trop haut. Ca compliquait les relations avec les êtres humains. Ces derniers se sentaient rabaissés. Le Projet CA.lcium ne pouvait faire naître ses sentiments chez sa Maman, les collègues de sa Maman, les supérieures de sa Maman et surtout la Déesse de GWC. Bref. A la jointure de ses jambes repliées se trouvait des roues. Elle roula dessus à toute vitesse et se dirigea vers deux hommes qui fumaient à côté d’une voiture. Dépliant son bras droit noir cyborg, elle faucha deux tête en un seul mouvement. Découpant aussi une partie de la carrosserie sans provoquer énormément de ralentissement.

Quand le Projet CA.lcium entra dans le bâtiment, les alertes avaient à peine eu le temps de retentir. Il y avait eu peu de cris au-dehors. Une communication avait eu le temps de passer mais les réactions étaient trop tardives. Roulant dans la pièce principale, une tête roulait avec les boules de billard. Une autre tomba et « décora » une assiette qui ne serait jamais terminé. C’était dorénavant la télévision qui regardait les êtres humains. Même pas. Le Projet CA.lcium enfonça sa pique dans l’écran. Moins de bruits. Moins de distractions. Plus d’efficacité pour elle. Elle se rendit dans la première chambre à coucher et n’hésita pas un seul instant à transpercer les deux baiseurs. Les deux cœurs embrochés d’un seul mouvement. Romantisme morbide ? Jamais les deux cœurs n’auront été si proches. Sans parler de l’éjaculation post-mortem.

« Synthèse de la situation. Huit cibles sur huit dehors ont été éliminé. Vingt-trois cibles sur vingt-trois au rez-de-chaussée ont été éliminé. Stand-by pour communication avec la meute. La meute répond absent. Calcul internet pour déterminer si reconnexion avec le réseau nécessaire. 14,47 % En attente du résultat du calcul. 66,91% En attente du résultat du calcul. »

À l’intérieur du Red Dirt, l’attaque de CALcium n’avait pas encore été repérée. Elle avait coupé la connexion avec GWC. Des drones externes continuaient à filmer la scène, même si, à tout moment, les ingénieures de la firme pouvaient contourner le blocage de CAL.cium. Miranda n’avait qu’un ordre à donner à EVA, qu’elle ne donna pas, étant occupée à sentir sur elle le corps glissant et lubrifié d’une petite Terrienne en chaleur, qui alla l’embrasser avec passion. Personne ne se posait donc de questions, mais les morts laissés par CAL.cium finirent malgré tout par attirer l’attention des netrunners. Les cyber-implants neuronaux des Cyber-Tigres cessèrent en effet d’émettre. Le chef des Cyber-Tigres était en ce moment au Red Dirt, où il participait à une partie de billard arrosée d’alcool et de prostituées. Répondant au doux nom (probablement fictif) de Kroggan le Requin, Kroggan était un individu puissant. Il avait bénéficié de nombreux implants illégaux, des implants renforçant ses sens, sa force musculaire, mais le rendant aussi instable. S’agissant de plus de cyber-implants illégaux, tout ce « chrome » était dangereux, instable. Son précédent charcudoc s’était retrouvé la tête écrasée contre le mur après avoir conseillé à Kroggan de cesser de se greffer autant d’implants.

« Haha, vous êtes vraiment des petites bites ! »

Le dernier homme qui avait vaincu Kroggan au billard avait fini broyé sur place, sa colonne vertébrale arraché de son dos, le billard recouvert de son sang. Ses hommes avaient retenu la leçon. Kroggan était violent, nerveux, agressif, il était aussi un ancien milicien, un soldat qui avait servi contre les Xénos au nord. Il avait vu ses coéquipiers mourir sous ses yeux, et avait survécu en étant grièvement blessé. Depuis lors, Kroggan avait renoncé à une vie honnête, enterrant ses traumatismes sous des tonnes d’implants. Il était en train de frapper avec sa quille dans la boule blanche, quand il reçut un appel dans son comlink.

Depuis l’intérieur du bunker des Cyber-Tigres, il y avait Wasabi, son netrunner. Originaire d’Edoras, sa famille avait fui le royaume après la tentative de coup d’État raté sur la famille Kaguya, qui avait donné lieu à l’établissement d’une sévère législation discriminatoire à l’encontre des hommes.

« Vous en êtes où dans le hack du robot de combat ?
-  Ça progresse, patron, mais… On vient de détecter plusieurs pertes anormales de puces dans l’entrepôt et sur le parking.
-  C’est habituel, non ? Sûrement un bug, ou l’un de ces trous-du-cul qui a voulu tripatouiller son chrome !
-  Quand il y en a un ou deux, oui, mais là, c’est d’une vingtaine dont il s’agit. Patron, on nous attaque, et ce sont sûrement les forces spéciales. »

Le sang de Kroggan ne fit qu’un tour. Il se redressa, ne tirant pas encore sur sa bille. Surpris, l’un de ses coéquipiers se rapprocha.

« Tu veux que je le fasse ? »

Vingt mecs butés… Kroggan serra les dents, et frappa violemment avec sa quille le rebord de la table de billard, la perçant, puis attrapa le Cyber-Tigre à la gorge.

« MAIS QU’EST-CE QUE TU M’EMMERDES AVEC TA PUTAIN DE BOULE, TROU DU CUL D’ENFOIRÉ DE SUCE-BOULES DE MERDE ?!! »

À chaque insulte, Kroggan écrasait la tête de l’homme contre la table de billard, jusqu’à entendre un intense craquement sonore. Les mains couvertes de sang, Kroggan se redressa.

« On nous attaque ! Ces salopes de bouffeuses de chattes viennent récupérer leur matos ! Mettez-vous en position, ces gouines vont passer par là ! »

Il y avait un problème avec la meute. Le Projet CA.lcium hypothésa que les mesures de protection des criminels étaient au-deça des standards. Ainsi, les vols militaires n’étaient pas dû à une bande de racailles de bas-étage. Il y avait une vraie organisation et de vrais compétences. Intéressant se dit-elle. Et en même temps, ça augmenta son irritation. L’imprévisibilité du genre humain était une de ses pires forces. En somme, la raclure pouvait donner forme à des miracles. Le Projet CA.lcium n’aimait pas ça. Elle le redirait à ses supérieures.

En attendant, elle devait prendre une décision. Les cris hystériques de cette prostituée et le lancer de projectiles sous forme de coussins étaient parfaitement inutiles. Pourtant, le bras cyborg noir ressortit ensanglanté du corps de la prostituée. Elle était un dommage collatéral. Une vie humaine déjà gâchée à ouvrir les cuisses pour survivre quelques jours de plus. La situation se simplifiait grâce à ces meurtres-là.

Le Projet CA.lcium était sur le point de reprendre l’actualisation de son massacre quand un son l’immobilisa. Là, dans les affaires de celui qui besognait la prostituée. La main squelettique du Projet CA.lcium en ressortit un dispositif technologique d’écoute et de communication. Elle s’en équipa et suivit les manœuvres ennemis. Un dénommé Kroggan semblait être le leader. Un être esclave de vils émotions basiques, primaires et violentes. Ce serait donc lui la tête à couper. En superposant les blueprints et ce qu’elle entendant, le Projet CA.lcium en déduisit la localisation de Kroggan qui formait un barrage d’artillerie.

« Toi. Tu veux vivre ? »

Un groupe de prostituée s’était amassé dans un coin d’une pièce. Le Projet CA.lcium venait d’empaler la tête de celle qui lui avait donné pour toute réponse un cri suivi d’un « monstre ! ». La seconde fut plus coopérative.

« Vous prenez les clés des véhicules. Les plus gros que vous puissiez trouver. Ensuite, vous roulez à toute allure à l’intérieur du Red Dirt. Si l’une de vous réussit à tuer un certain Kroggan, je la tirerais de cette pauvreté grâce à la GeoWeapon Corp. Sinon, vous survivez. Ou alors vous mourrez. Mais vous pouvez aussi mourir maintenant de ma main. Je vous laisse l’illusion d’un choix. »

Le Projet CA.lcium n’ait pas empathique. Ca ne l’empêche pas d’avoir des ressorts de manipulation sur les êtres humains. Notamment la peur. Elle a lu des essais sur la peur, la violence, l’aggresivité, les meurtres et les cercles vicieux qui se créent. Comme quoi un héritage de sang se transmettait également de génération en génération. Mais le Projet CA.lcium s’en fiche beaucoup. Seuls les résultats comptent. Seul le plaisir de Maman Rossa compte. Et pour cela, il faut au final détruire le Projet Manhunt. Seulement ça compte. Le reste sera calculé en d’autres temps.