[Chroniques de Véda] Warren's Syndicate
Posté : 09 sept. 2024 01:10

Carrion est la plus grande ville de l’Hilvanie, l’un des États formant le continent Europa de la planète Véda. C’était une ville très avancée, à l’époque de l’âge industriel. Il fallait se rendre le long du secteur industriel pour voir les colonnes interminables de cheminées s’élevant à perte de vue. Chaque jour, le Danbeau, fleuve découpant la ville en plusieurs parties avec ses affluents, était envahi de bateaux marchands remontant le cours du fleuve pour amener des cargaisons à Carrion et en livrer d’autres dans le reste de l’Hilvanie.
Mélinda Warren était la riche fille du redoutable clan Warren. Son père, Reinhardt Warren, était un homme aussi riche qu’influent, qui était proche des cercles de politiques. Il avait usé son argent lors des dernières campagnes législatives pour aider à l’élection de plusieurs députés favorables à une baisse de la taxe et à un développement massif des usines. Les usines Warren fournissaient au clan Warren une richesse dont personne n’allait se priver. Homme dangereux, Reinhardt était aussi poursuivi par les autorités de Carrion, car il était soupçonné d’être proche de certains milieux criminels. À Carrion, l’activité sociale était régie par plusieurs forces obscures, les gangs de rues et les syndicats. Car les syndicats contrôlaient les ouvriers, et pouvaient arrêter le fonctionnement des usines et des entrepôts avec des mouvements de grèves. Dans ce contexte, Reinhardt était perçu comme un riche propriétaire terrien s’enrichissant grassement sur le dos d’employés sous-payés travaillant dans des usines dangereuses, ingurgitant chaque jour des produits toxiques.
De fait, il existait à Carrion une forte opposition entre les quartiers riches, très agréables, et les quartiers populaires, où vivaient les ouvriers, où les rues étaient encore sinueuses et étroites, non pavées, et sous le contrôle des gangs. Aujourd’hui, Mélinda assistait, en compagnie de beaucoup d’autres personnes, au discours introductif du député Leonard, réélu grâce au soutien d’industriels comme son père. La situation était tendue aux usines, car une grève avait lieu depuis plusieurs semaines suite à la découverte atroce de plusieurs ouvriers massacrés. On les avait lacérés, égorgés, et on avait retrouvé leurs cadavres dans les entrepôts, avec des traces de morsures sur le cou. Ils avaient été sucés, et, depuis lors, les syndicats reprochaient aux patrons de ne pas assurer la sécurité des employeurs.
Après des négociations houleuses, une grève générale avait été déclarée, avec un blocage des entrepôts et des usines, empêchant ainsi les ouvriers d’aller travailler à l’intérieur. La situation était explosive, et les gens comme Reinhardt pressaient le gouverneur de la ville, Maxim, de déployer la garde. Plusieurs batailles avaient eu lieu entre les forces de l’ordre et les ouvriers, mais n’avaient pas perdu de débloquer les usines, et avaient surtout offert aux journaux de magnifiques photographies pour vilipender la violence policière dans les journaux socialistes, que le père de Mélinda qualifiait volontiers de « papiers à chiasse ».
« …Et je puis vous assurer que le Parti Travailliste mettra tout en œuvre pour que ces anarchistes débloquent l’accès à nos usines ! Faut-il rappeler tout le bienfait économique de nos industries sur notre ville ? L’Hilvanie n’est pas le premier pays d’Europa pour rien ! »
Mélinda était assez éloignée de tout ça. Jeune adolescente ayant à peine 17 ans, elle était remarquée pour sa grande beauté. Elle avait hérité des yeux de sa mère, Elizabeth, qui était morte de la syphilis. Pour veiller sur elle, il y avait Zarya, son garde du corps. Mélinda étudiait à l’école privée d’Oxerfurt, riche école dans les beaux quartiers, bien éloignée des tensions sociales qui parcouraient la capitale.
« Nous ne laisserons pas des terroristes attenter aux pays ! J’en appelle à la responsabilité du Gouverneur Maxim, qui, malgré nos recommandations, n’a toujours pas daigné en recourir à la Garde Nationale ! »
Les meurtres d’ouvriers avaient été attribués à une créature folklorique, et la presse surnommait déjà le tueur en série… Il était le « Vampire ».
« Concernant ce Vampire… Là encore, le gouverneur démontre son incompétence ! Cela fait plusieurs semaines que ce monstre sévit. Les gens accusent à tort la haute bourgeoisie de couvrir cette créature infâme, mais ce monstre n’existe que parce que le gouverneur Maxim a préféré dilapider les fonds publics dans des programmes idiots de réurbanisation qui n’ont jamais abouti, plutôt que d’augmenter les effectifs des forces de l’ordre ! Amis ouvriers, je vous le dis… Votez pour un autre Gouverneur, votez pour le Gouverneur Reinhardt ! »
Les élections législatives permettaient d’élire les députés du Parlement, mais, au stade local, une nouvelle élection avait lieu, celle des Gouverneurs. Son père s’était proposé pour être gouverneur, défendant une ligne soutenue par le Parti du Travail, parti classé à droite, en faveur de la suppression du droit de grève. Leur principal opposant était le Parti Ouvrier, dont Maxim faisait partie. Au fur et à mesure que les siècles s’écoulaient, l’élection allait ressembler à un duel entre Reinhardt et Maxim. Et Reinhardt était prêt à toutes les bassesses, comme utiliser Mad Hog, un criminel qui travaillait pour lui, afin de saborder la campagne de Maxim.
Peu à peu, le Vampire était devenu un sujet central de la campagne. Maxim avait juré de l’appréhender, mais sans succès.
Mélinda se pinça doucement les lèvres, tout en tournant la tête vers la femme qui allait être à l’honneur ce soir… Car, après des années de célibat, Reinhardt comptait se marier. Il avait jeté son dévolu sur une jeune femme inconnue, Morgane, qui se tenait justement à côté de Mélinda. Une femme mystérieuse, très belle, même si Mélinda ignorait encore comment elle avait fait pour que Reinhardt la trouve à son goût, lui qui avais un cœur de pierre.
« J’espère que tout rentrera dans l’ordre, confia Mélinda. Même à l’école, les tensions sociales remontent…
- Vous pouvez faire confiance en votre père, Madame Warren, c’est un homme talentueux et fort. Si quelqu’un peut ramener de l’ordre dans cette ville, c’est bien lui. »
Mais était-ce vraiment de ça dont la ville avait besoin ? Pour Mélinda, il aurait plutôt fallu arrêter ce tueur en série, cet individu se faisant passer pour un vampire… Car Mélinda n’était plus une petite fille, elle savait que les vampires n’existaient pas, mais les mauvais hommes, eux, existaient, et, si on les laissait faire, ils pouvaient détruire de l’intérieur une société développée…