The Multiversity

- On touche au but, Sadgyra ! La récompense est à portée de main~

- Mouais, fit, d'un air peu convaincu, la Pécheresse.

- Ben quoi ? T'en fais une tête, dis donc ! Tu devrais pourtant t'en réjouir, ma Contractante ! Notre objectif se trouve juste derrière ces portes, j'en suis a-bso-lu-ment certaine.

L'Entourloupeuse, qui pour une fois semblait tout à fait honnête, pointait d'un doigt excité les lourdes portes ouvragées.
La démone et la djinn avaient traversé un véritable dédale avant de déboucher dans cette pièce poussiéreuse et haute de plafond. Si l'endroit leur avait, de prime à bord, paru quelque peu labyrinthique, elles n'avaient pas rencontré beaucoup de résistance face aux monstres qui s'y baladaient. Des espèces d'énormes chacals - d'au moins deux mètres de long - dépourvus de globes oculaires, avec un crâne de squelette en guise de casque et des crocs aussi longs que des dagues. Le "Myst" ou "Céo", cette énergie pourpre et maléfique propre aux djinns, n'en avait fait qu'une bouchée ! Les filles n'avaient pas eu besoin d'unir leurs forces pour défaire la "menace".
Peut-être était-ce là le détail qui dérangeait Sadgyra ?
La séduisante rouquine avait croisé les bras sur sa poitrine.

- Pousse-les donc si tu es si sûre de toi.

- C'est comme si c'était fait ! claironna la djinn en sautillant comme une gamine.

Comme les portes se situaient un peu en hauteur, au-dessus d'une poignée de larges marches, Reshaa-Mess bondissait un pied sur l'autre tout en les escaladant, sa longue tresse s'agitant dans son dos. Elle s'en amusa jusqu'à ce qu'un "clic" se fasse entendre et qu'une énorme hache dorée lui tombe dessus ! Les yeux ronds, son joli visage rond coupé en deux à la verticale à l'instar de tout son corps élastique, la Fine Djinn s'était figée comme une statue.
Pour ainsi dire : tout le contraire de celle qui avait pris vie sous le regard intéressé de la Pécheresse.

- Ah.

- Oh ?

Décroisant lentement les bras, Sadgyra Héra Anippe ne prêtait plus aucune attention à sa fidèle collaboratrice. Parce qu'elle n'avait pas de cœur du fait de son démoniaque lignage ? Pas exactement ; la Malicieuse n'était pas morte : son corps, décomposé en plusieurs amas de fumée pourpre, glissait lentement le long de la lourde lame incurvée pour se reformer paisiblement à côté.
Croisant le regard brûlant de la statue animée à tête d'aigle, la Pécheresse pencha légèrement la tête de côté, l'air de dire : "Et ensuite ? qu'est-ce que tu vas bien pouvoir faire ?"
La réponse ne se fit pas attendre : délaissant le génie en voie de reconstruction, le monument mortel aligna de lourds pas dans sa direction. Puis il brandit son énorme hache au-dessus de son crâne de rapace.
La démone ne prit pas peur. Sans sourciller, elle fonça sur son ennemi, le pied en première ligne !
L'impact - soudain, violent, électrifiant - repoussa la statue en arrière sur plusieurs pas. Un réseau de fines fissures s'était formé entre ses raides pectoraux.
La Pécheresse s'était rétablie comme si de rien n'était - elle avait même pris le temps de se recoiffer, la bougresse !
D'une main, elle invita le colosse de pierre à renouveler sa tentative.

- Allez, ne fais pas ton timide. Le prochain coup sera le bon, fais moi confiance...

Sans aménité, elle souriait.
Son rictus se dissipa aussitôt que son génie l'eut rejointe, la moitié inférieure de son corps auréolée d'une brume impossible.
 
- Tu ne vas tout de même pas t'amuser tout seule !

- Tu m'ennuies, lâcha sa Contractante. Ne viens pas me gêner alors que je commence tout juste à prendre mon pied, veux-tu ?

- N'exagérons rien ! Tu as vite fait de t'ennuyer, de toute façon~

- Pfeuh !

Redevenue agressive, la statue s'avança vers elles.
La garde levée, Sadgyra et Reshaa-Mess lui firent face.

Elle était entrée dans le manoir d’une vampire lui avait dit ses deux mamans. Elle ne comprenait pas tout mais sa nouvelle grande sœur était là et elle l’avait suivi. Et puis, ces deux mamans avaient le ventre rond. Elle allait bientôt être une grande sœur !

Sauf que voilà. Le petit groupe avait éclaté dans le manoir qu’elle ne connaissait pas. Et elle s’était vite retrouvée toute seule parce que tout le monde connaissait sa nouvelle grande sœur. Et que tout le monde semblait vouloir jouer avec elle. Le genre de jeu que Marmelade ne comprenait pas. Parce que ça impliquait d’être toute nue.

Alors elle avait erré dans les couloirs. Et puis elle avait trouvé une salle bizarre. Et sans trop comprendre comment ni pourquoi, elle était passée à travers une arche et voilà qu’elle était ailleurs. Et qu’en se tournant vers là où elle croyait être arrivée. Et bah, il n’y avait plus rien. Enfin, il y avait des choses. Mais il y en avait trop. Des espèces d’arches vides où elle pouvait voir à travers. Parce qu’avant, elle pouvait pas. C’était comme de la glace qui tournait avec de la lumière. Mais là, c’était juste le vide. Et il y avait plusieurs arches vides. Laquelle était la sienne ?

« Il fait sec ici. C’est tout plein de poussière. Mes mamans pourraient pas supporter cet endroit. Enfin, si. Elles aimeraient beaucoup toutes ces pièces couleur caramel. Mais moi j’aime pas trop. Ca se mange pas. J’ai déjà essayé. »

Il y avait du bruit quelque part. Mais ça semblait loin. Surement derrière des portes qu’elle ne voyait pas encore. Alors Marmelade commença à marcher. Il y avait vraiment beaucoup de choses qui brillaient qui auraient plu à ses mamans. Elle en ramasse deux pleines poignées qu’elle mis dans la poche centrale de son pull avec une capuche. C’était un vrai vêtement, ça. Contrairement à ses collants qui n’en étaient pas, masquant sa peau couleur saumon. Les collants étant les gaufrettes des glaces en cornet. Quand Marmelade levait les bras ou se baissait pour ramasser ou regarder un truc qui brillait, on découvrait qu’elle ne portait pas de sous-vêtement. Mais elle n’avait rien à cacher. C’était aussi lisse qu’une poupée Barbie.

Marmelade toqua contre les deux grandes portes qui étaient très hautes. Débilement hautes d’après elle. Mais elle parlait toute seule. Et personne ne lui répondait. Pas même après avoir toqué contre les portes. Il y avait des gens derrière qui jouaient. Elle aussi voulait jouer. Cette salle était nulle. Rien à manger. Et personne avec qui jouer.

Alors elle s’assit juste derrière les deux grandes portes. Quand les personnes derrière viendraient, elle leur demanderait :

« Je peux jouer avec vous moi aussi ? »

La statue à tête d'oiseau frappa comme une sourde ! Les deux pilleuses se dispersèrent. La hache d'or s'écrasa en bas des marches, soulevant des éclats de pierre. La Pécheresse, campée un peu plus loin, tournée vers le flanc droit du colosse, écarta les doigts. Des fils de Myst s'accrochèrent aux énormes poignets de son adversaire ; avec une force surprenante - contraire à son gabarit -, elle tira depuis l'autre bout, l'obligeant à la regarder. Dans le même temps, la djinn avait bondi en hauteur, juste derrière le crâne d'aigle. Ses mains entourées d'un halo de fumée pourpre n'avaient émis aucun bruit au toucher. Elles s'étaient comme enfoncées dans la boîte cranienne poussiéreuse. Quand elles en sortirent, la "brume" avait disparu. 

- Ta tête de piaf ne me revient pas !

La statue l'ignora, ses yeux de feu braqués sur la démone qui la provoquait déjà. Comme sur le poing de vomir leur haine incandescente, ils s'illuminèrent d'autant plus fort. C'était ce qui aurait sans doute dû se passer, oui ! Mais... non : l'énergie déployée s'était résorbée d'un seul coup avant d'exploser dans sa source.
La moitié de la tête d'aigle avait volé en éclats !
Reshaa-Mess souriait - plus largement que d'habitude.
N'importe quel œil extérieur aurait pu comprendre que cet "incident technique" était de son fait.

- Voilà qui est beaucoup mieux, siffla-t-elle.

- Quelle tristesse, soupira sa compagne.

Cette fois-ci, en tirant sur ses câbles, la Pécheresse n'eut aucun mal à déséquilibrer le gardien et à le faire basculer sur elle. La démone avait déjà pivoté les hanches en vue de l'accueillir comme il se doit. Dans un souffle sourd, son pied fendit l'air.
Le reste de la tête d'aigle explosa à l'impact !

- Et surtout, quelle faiblesse !

Pourtant, elle s'aperçut très vite que le géant remuait toujours.
D'un salto arrière, la démoniaque rouquine évita souplement les doigts disproportionnés qui avaient cherché à la saisir.
Considérant l'anormalité, la Fine Djinn avait atterri sans un bruit, avec une infinie légèreté, sur le dos du monument défensif.

- On dirait que tu rencontres quelques petits problèmes, ma Contractante ?

La concernée enchaînait les esquives, glissait habilement entre les phalanges meurtrières de leur adversaire...

- Pff ! Pas le moins du monde.

Entre deux mouvement rotatifs, elle lui fit sauter quelques doigts. Mais ce n'était pas ça qui allait l'arrêter !

- Toujours aussi belle dans l'effort, chantonnait la djinn, toujours aussi fière~

- Fais ce que tu dois faire, Mylh'nom, grogna la démone. Je m'impatiente !

- Toujours aussi bouillonnante de vitalité !

La statue aussi semblait s'en énerver. Sauf que sa rage était focalisée sur la Pécheresse, uniquement, la faisant suer dans l'exercice.

- Tu te paies ma tête ?

- Au moins est-elle encore entière ! pépia le génie.

- Si seulement je pouvais faire sauter la tienne...

- Notre Pacte nous l'interdit, lui rappela gaiement l'acrobate.

Les deux mains du géant décapité se refermèrent sur la démone. Celle-ci, vexée, se contracta. Libérant un cri, elle s'entoura d'une puissante aura magique. La consistante lumière fit se desserrer les doigts endommagés du colosse de pierre. Sadgyra poussa encore plus fort. Il y eut des éclairs rosés. Les bras de son adversaire se rompirent avant de tomber en poussière.

- Parfait ! s'exclama la djinn. Maintenant, frappe-le en plein centre !

- Je n'ai pas besoin de tes lumières !

Elle y alla tout de même. Son pied ainsi projeté percuta la poitrine du gardien manchot, creusant d'autant plus profondément les fissures qui s'y étaient déjà dessinées lors du premier assaut. Bientôt, elles s'effritèrent pour finalement s'ouvrir sur un joyau rouge de la taille d'un poing.

- Et toujours aussi réactive, termina joyeusement la djinn.

Non sans arracher le noyau à son support, qu'elle fit fondre sous l'influence du Myst tout en s'éloignant à reculons.
Ce qui restait de la statue s'immobilisa net avant de s'écrouler lourdement sur les marches.
De son regard d'aigle, Sadgyra survola cette lamentable chute de débris pour le poser sur les portes. Celles-ci avaient commencé à s'ouvrir comme par magie...

- Excellent travail, ma Contractante !

- Je sais, je sais, soupira-t-elle en dépassant son génie.

Arrivée en haut de l'escalier, elle dut néanmoins s'immobiliser.
Maintenant grande ouvertes, les portes lui exposaient autre chose de... très particulier.
Une créature vivante qui n'avait pas du tout l'air dans son élément et qui pouvait parler.
C'est quoi, cette chose ?
N'ayant pas perdu de temps, la dite "chose", montée sur des gaufrettes - oui, oui, des gaufrettes ! - et qui portait un pull à capuche sur le dos, leur demanda si elle pouvait jouer avec elles, elle aussi.

- "Jouer " ? renifla méprisamment la Pécheresse qui voyait, à tort, en cette formulation de phrase une basse provocation. Cet endroit abrite donc une seconde gardienne, hein ? (Elle sourit méchamment. Un sourire en coin qui n'écorchait en rien sa beauté de femme fatale.) Tu veux me faire barrage ? m'empêcher d'accéder au trésor ? Très bien, très bien... Mylh'nom !

La djinn ne répondit pas.

- ...Mylh'nom ?

Toujours pas de réponse.
Un peu surprise par son mutisme, Sadgyra jeta un coup d'œil par-dessus son épaule.
Pour une raison obscure, Reshaa-Mess ne se trouvait plus là.

- Mylh'nom, grommela la démone, agacée. Si tu m'entends, je t'interdis de te mêler d-

- Hé ! Mais c'est qu'elle sent drôlement bon, dis donc~

Sidérée, Sagdyra la découvrit penchée aux côtés de la créature qui voulait "jouer".

- ...On peut savoir ce que tu fais si proche de l'ennemie ? Mon ennemie, qui plus est !

D'une secousse de la main, Reshaa-Mess chassa ce commentaire digne d'une belliciste en puissance.
La djinn observait leur trouvaille avec un doux mélange de curiosité et de gourmandise. Elle se frottait songeusement le menton entre l'index et le pouce.

- Mais en quoi es-tu fait, au juste ?

La Pécheresse, qui n'était pas dépourvue de flair, huma l'air par réflexe. Ce qu'elle capta la laissa coi.

- ...Une odeur de sucre ?

Que signifiait cette diablerie ?

Marmelade ne comprenait pas tout. Elle essayait pourtant. Alors elle se forçait à ne rien dire et à utiliser ses yeux. Et ses oreilles. Et… euh, elle avait oublié. Parce qu’utiliser ses doigts ou le bout de son nez ne semblait pas très très utile. Ses yeux en premier. Ce n’était pas ses mamans. Ca, c’était certain. Il y avait une dame rousse en colère. Et il y avait une deuxième dame brune curieuse. La deuxième. C’était la deuxième qui voudrait surement jouer le plus avec elle. Elle le sentait fort fort en elle.

« Tu veux me goûter ? »

Marmelade bondit d’un seul coup pour se remettre debout. Elle essaya de sauter haut en relevant les jambes sous elle et en levant les bras. Elle avait vu ça à la télévision. Les gens qui faisaient ça semblaient très content. Ils souriaient tous. Alors elle sauta elle aussi. Et elle sourit elle aussi. Les deux étaient importants.

« Je veux bien que tu me manges un peu. Mais on pourra jouer ensemble toutes les deux après ? »

Marmelade croisa trop haut ses bras et essaya de froncer beaucoup les sourcils. C’était comme ça qu’on était impressionnante. C’était un peu comme quand les chats se mettaient sur le côté, devenaient tout hérissés et faisaient des bruits bizarres. Pour intimider l’autre. Alors elle le fit elle aussi. Son corps se transforma. Son dos devint mou comme du caoutchouc et déforma son pull. Sa « peau » se hérissa. Et il y a même une queue qui devint toute touffue qui apparut au-dessus de ses femmes. Marmelade hissa même !

Puis elle tourna le visage vers la dame brune qui voulait la manger et lui sourit. Comme si elle n’avait jamais été en colère. Comme s’il ne s’était jamais rien passé avec la dame rousse en colère.

« Moi je n’ai qu’un nom. Ca doit pas être facile d’en avoir autant. Je ne suis même pas sure de réussir à compter jusqu’à mille. Mille, c’est bien plus que cent, hein ? »

Et Marmelade commença à compter sur ses doigts. On pouvait l’entendre dire « un… deux… trois ». Puis elle changea de stratégie et marmonne « je vais compter par paquets de dix. Dix… Vingt.. Trente… ». Après avoir utilisé ses dix doigts et compté jusqu’à cent, elle se fit pousser un onzième doigt et ajouta « cent-dix… ».

Ses fins sourcils haussés, Reshaa-Mess inclina la tête de côté. Une odeur de sucre, avait déclaré sa Contractante avec circonspection. Juste avant que l'objet de leur curiosité rebondisse avec une question vraiment pas banale.

- Te goûter ?

La fille en pull - elle y ressemblait, d'une certaine manière - avait bondi souplement sur ses gaufrettes. Emparée d'une soudaine envie de gesticuler, elle s'était mise à lever bras et jambes dans une parodie drôlement bien imitée de quelque exercice de gym. La djinn dut s'écarter un peu d'elle au risque de se prendre un mauvais coup.

- Ah ha ha ! Hé, Sadgyra ! Qu'est-ce qui lui prend, tout à coup ? On dirait qu'elle est montée sur ressorts, notre curieuse amie !

- Où vois-tu une amie ?

En la voyant ainsi remuer, elle s'était très vite mise en garde. Sous son épaisse crinière bouclée, la démoniaque rouquine avait froncé les sourcils. Une mauvaise humeur qui n'était pas simplement due à ce qu'elle voyait, ou simplement à son caractère méfiant ; les oreilles de la Pécheresse avaient capté un bruit familier - un son riche et tintant - en provenance de la sauteuse.

- Ce n'est pas une gardienne, grommela-t-elle. Regarde sa poche ventrale : elle est pleine à craquer de nos précieux trésors !

- Ah ? Tu crois qu'elle nous a coupé l'herbe sous le pied ? Ce serait ballot !

Mylh'nom trouvait cela fort curieux : personne n'avait touché aux portes avant elles.
Comment cette étrangeté avait-elle fait pour se glisser dans la salle aux trésors sans éveiller la monstrueuse sentinelle à la hache ?
Malgré les richesses que contenaient la vaste pièce, la djinn ne quittait pas des yeux la fille-qui-ne-voyait-aucun-inconvénient-à-ce-qu'on-lui-croque-un-morceau.

- C'est très gentiment proposé mais... qu'est-ce qui te plairait, ma grande ? A quoi voudrais-tu jouer, exactement ?

Le bonbon ambulant s'immobilisa pour se donner un air plus dur - un peu comme une imitation de Sadgyra, cette fois-ci. Reshaa-Mess remarqua néanmoins qu'elle avait placé les bras un petit peu trop haut - presque sous son menton - et que ses sourcils, qui menaçaient de s'entremêler tant ils étaient froncés, avaient plutôt tendance à susciter l'effet inverse.

- Pffft... !

Les bras enroulés autour de son ventre nu, la djinn éclata de rire !
Yeux fermés, Mylh'nom riait si fort qu'elle ne vit pas la grande adolescente d'esprit se métamorphoser en une sorte de prédateur aux "poils" hérissés.
Spectacle d'épouvante auquel avait pu assister la Pécheresse !
Mâchoires serrées, celle-ci s'était contractée d'un bloc sous la pression.
C'est un monstre !
La raison pour laquelle Sadgyra ne répondait pas d'emblée à cette "provocation" ?
La proximité de la djinn qui continuait à se fendre la poire comme la reine des demeurés !
Le visage révulsé, Sadgyra brandit un poing à son attention.

- Tu vas cesser de te marrer, oui ?! J'te signale que l'autre est en train de muter juste à côté de toi, maudite imbécile !

- Pardon ?

Mais il était déjà trop tard pour qu'elle se rendisse compte du phénomène : tout sourire, l'anonyme avait recouvré son aspect initial et lui souriait joyeusement comme si absolument rien de fou ne s'était passé.
L'innocence de cette créature était proprement... redoutable.
Et déconcertante aux yeux de la Pécheresse, qui hésitait toujours à user de la violence.
D'ailleurs, celle-ci avait eu l'occasion de s'étonner de la résistance de ce survêtement que portait la mutante en sucre. Contre toute logique, aucune de ses coutures n'avait craqué suite à son soudain gonflement. Et surtout, pas un trésor n'était tombé de la poche kangourou !
...Une illusion ?
Sous l'effet de la confusion et du stress, une goutte de sueur avait glissé le long d'une de ses tempes.
Elle s'aperçut que Reshaa-Mess la regardait bizarrement.

- Qu'est-ce que tu racontes, ma Contractante ? Notre amie n'a pas changé d'un poil ! (Elle huma l'air en direction de la chevaucheuse de gaufrettes.) Et son parfum est toujours aussi exquis~

Stupéfaite, Sadgyra jonglait du regard entre les deux personnages.
Est-ce que je deviens folle ?
Elle fixa la drôlesse qui s'intéressait désormais au surnom de la djinn. La Pécheresse n'avait jamais rencontré d'adversaire de cette trempe ! Sa présence, pour ne pas dire son hostilité, ne semblait guère atteindre l'esprit - trop pauvre ou trop complexe ? - de cette incompréhensible étrangeté.
Sadgyra n'était pas sûre de ce qu'elle ressentait à son égard. De la peur ? de la surprise ? de l'embarras ?
Il y avait certes une petite ressemblance morale avec l'une de ses récentes connaissances, la dénommée Aynaëth, véritable gamine dans l'âme que les trésors n'intéressaient qu'à titre de divertissement, cela dit...
La Pécheresse secoua la tête.
Il y a autre chose !
Et l'autre inconsciente du Myst qui s'était penchée sur les doigts couleur saumon de sa curiosité du moment alors que celle-ci comptait dessus d'un air distrait...

- Cent-vingt... cent-trente... Hé, c'est pratique ça ! Laisse-moi te filer un petit coup de pouce~

Alors que l'intruse s'était fait pousser des doigts supplémentaire en vue d'atteindre le chiffre mille, Mylh'nom la suppléait avec sa brumeuse magie. Des appendices pourpres s'ajoutaient à la comptabilité. Les lèvres amusées de la djinn remuaient en rythme.
Consternée, les épaules et le dos voûté, Sadgyra les observait faire comme une parfaite ahurie.
Elle finit tout simplement par décrocher.

- Trop de bizarreries d'un coup, marmonna-t-elle en agitant négligemment une main dans leur direction.

Les abandonnant à leur jeu stupide, la Pécheresse, en contournant les participantes, s'en alla se remplir les poches.
Et là, il y avait là largement de quoi lui remonter le moral !

« Deux cents… deux cents dix… »

Marmelade aurait surement arrêté de compter s’il n’y avait pas eu Madame-trop-de-nom qui avait fait un tour de magie à côté d’elle. La couleur était proche de la sienne. Et puis, sa curiosité était piquée. Et puis, aussi, c’était une forme de jeu. Alors elle continua à compter.

« Deux cents quarante… deux cents cinquante… »

Sauf que voilà, ça perdait de son aspect rigolo. Et puis, Marmelade arrêta de se créer des doigts. Elle n’avait même pas envie de compter combien il y en avait. Et… elle avait pensé à quelque chose. A quoi déjà ? Ses sourcils se froncèrent. Puis sa bouille devint soudain contente. Le souvenir lui était revenu. Et puis elle refronça les sourcils.

« Je ne sais même plus pourquoi on compte toutes les deux. Hey ! Tu sais que mes mamans aiment bien tout ça ? J’en ai déjà récupéré un peu pour leur faire plaisir. Mais… je ne sais pas comment je vais pouvoir leur donner. »

Délaissant sans aucune culpabilité la dame aux cheveux bruns, Marmelade s’en alla à toute vitesse rejoindre la dame aux cheveux roux. Les mains croisées derrière le dos, elle s’approcha. Elle s’approcha trop près. Elle aurait presque pu poser son menton sur son épaule. Quoique, elle devait être plus grande qu’elle, non ? Pas grave. Elle n’aurait eu qu’à grandir. D’ailleurs, elle le fit. Elle ajusta sa taille pour pouvoir avoir la possibilité de regarder par-dessus son épaule.

« Mais moi j’aime pas trop. C’est trop froid. C’est bien seulement parce que je peux les donner à la dame derrière le comptoir. Après, elle me donne des croissants et des pains au chocolat. Je dis merci et je peux manger. Ca c’est bien de manger ! Surtout des pains au chocolat. Ou des éclairs ! Au chocolat ! Non ! Peut-être à la fraise ? C’est joli le rose de la fraise. »

Marmelade se tourne vers l’autre dame. C’est elle qui lui a proposé de jouer à un jeu, oui ? Oui. Il faut qu’elle lui réponde. Alors elle lui répond en se tournant tout son corps dans sa direction.

« Et pourquoi pas un cache-cache ? La pièce est grande grande comme ça. »

Elle écarta ses bras pour mimer une mesure imaginaire entre ses deux bras. Et ses bras s’allongèrent d’un mètre chacun pour dire à quel point la salle aux trésors était immense.

« Toucher ! C’est à toi de nous trouver ! Mais tu dois nous donner une minute pour qu’on ait le temps de trouver une bonne cachette ! »

Et Marmelade s’en va dans le fond de la salle au trésor à la recherche d’une bonne cachette.

Elle n'avaient fait qu'un quart du chemin que déjà la sucrerie ambulante éprouvait de la lassitude. Reshaa-Mess, pour qui le temps ne représentait pas grand-chose, s'était arrêtée à trois cent tout rond avant de remarquer le désintérêt de sa compagne de jeu qui, à force de se créer des doigts un peu partout sur le corps, ressemblait presque à un hérisson.

- Eh bien ? Un problème ? On manque de ressources ?

Elles souriaient pareil, toutes les deux ! Ce simple point commun attirait la djinn comme une mouche sur une biscotte couverte de confiture. En vérité, elle trouvait cela agréable, une compagnie aussi souriante et enfantine. Cela la changeait radicalement d'une Sadgyra toujours encline - pour ne pas dire prompte - à la baston, aux plaisirs pour adultes, aux profanations et aux pillages en tout genre.
Miss diabète évoqua soudain ses "mamans" et leur amour prononcé pour les trésors.

- "Tes" tutrices ? répéta le génie que la nouvelle surprenait quand même un peu. Tu les as perdues en chemin ? Tu leur as faussé compagnie ? Tu sais, ce serait beaucoup plus simple si tu me disais d'où tu viens.

Elle avait à peine terminé sa phrase que déjà sa locutrice s'en était allée rejoindre la Pécheresse !

- Ce n'est peut-être pas une bonne idée...

De toute évidence, la grande enfant s'en fichait ! Elle ne réfléchissait pas avant d'agir ; elle fonçait bille en tête, le sourire aux lèvres et les membres en perpétuel mouvement. En la voyant se déplacer ainsi, la Malicieuse savait qu'elle n'était pas une gardienne de trésors ; cette drôle de fille ne pouvait tout simplement pas rester en place à la manière d'une statue.
La Fine Djinn gloussa en douce.

- Bonne chance, Sadgyra~

Trop concentrée sur les objets rutilants qu'elle ramassait, l'intéressée n'avait pas vu la créature parasite approcher. Non, ce qu'il l'interpella fut surtout son ombre, devenue soudain plus élancée, qui avait commencé à la recouvrir... alors qu'elle était en train de bosser, nom d'un bordel !

- Hein ?

Elle en avait lâché une de ses trouvailles. Assez lourde, qui plus est ! Et sur son pied. Sadgyra dut serrer les dents, se retenant de pousser un petit cri idiot susceptible de la hanter jusqu'à la fin de ses jours.

- Putain de... Hrgnnn...

Et l'autre qui lui racontait - presque à l'oreille - son insignifiante existence bourrée d'innocence !
Bien malgré elle, la Pécheresse entendit toutes ces bêtises et les enregistra automatiquement. Elle comprit alors, derrière le voile de colère qui sourdait entre ses tempes, que cette fille ne jouait pas un rôle : elle avait vraiment l'intellect d'un enfant ! Ce qui faisait d'elle une créature malléable, manipulable à souhait...
Cette pensée, plus productive que cette bouffée de haine qui menaçait à chaque instant d'emporter tout le reste, lui fit reconsidérer ses propos :

- Attends une minute. Tu... tu te gaves de sucre ? Est-ce ainsi que tu es devenue cette espèce de tr-... ce que tu es ? (Elle la regardait de haut en bas, de bas en haut...) Dis voir... Ce ne serait pas une forme de cannibalisme, ça ?

Mais la tête de la concernée ne l'observait déjà plus. Elle avait fait un demi-tour contre nature pour se tourner vers la djinn peu de temps avant que son corps ne suive le mouvement.
Sadgyra commençait tout juste à se demander si le corps de cette chose était seulement destructible... ?
La dite chose réclamait maintenant un jeu à Mylh'nom.
Celle-ci était bien disposée à l'écouter. Pire encore, elle s'en approchait tranquillement, sereinement...

- Un "cache-cache" ? C'est un jeu vieux comme le monde, et qui ne se démode pas ! Moi ça me botte bien~

En entendant cela, la pécheresse secoua la tête d'un air désabusé.

- Faites ce que vous voulez. Moi, j'ai des poches à remplir et...

"Toucher !", s'était écrié la joueuse en pâte à modeler. Sadgyra manqua faire un bond ! Cette tape sur l'épaule lui avait fait lâcher un autre de ses trésors. Par bonheur, il ne lui avait pas atterri sur le pied. Elle décocha un regard furibond en direction de cette effroyable gamine qui, encore une fois, était déjà partie - pour se planquer, cette fois-ci.

- Ouh ! Je vais te la...

Décrispant les doigts de sa main vindicative, Sadgyra souffla un bon coup pour se calmer. Son regard accusateur se fixa sur son génie. Elle lui fit signe de la rejoindre pour mieux lui glisser :

- Je meurs d'envie de la zigouiller, Mylh'nom ! Et c'est vraiment ce que je vais finir par faire si jamais elle continue à me casser les-

Sadgyra manqua s'étouffer de rage. La djinn lui avait déposé un doigt sur les lèvres. La Pécheresse était sur le point de chasser sa main d'un violent revers quand quelque chose dans son regard couleur noisette neutralisa ses envies malsaines.

- Ne te comporte pas en imbécile, la prévint-elle, à voix basse mais avec une certaine autorité. Ne comprends-tu pas la manœuvre ? Cette créature insolite, nous avons le pouvoir de l'amadouer ! Tout ce qu'elle attend de nous, c'est de l'attention. Et c'est justement ce que nous allons lui donner. Pour que, plus tard, elle nous mange dans la main.

La djinn retira son index.

- Elle a l'air aussi immature qu'incontrôlable, cracha la démone. Comment comptes-tu la canaliser ? Ça va être un vrai cauchemar, te dis-je !

- Un challenge, possiblement, rectifia la brune en secouant une main devant son visage. Ne te fais pas de bile pour ça, ma Contractante ! Je sais ce que je fais, va ! (Pivotant souplement sur ses pieds, elle s'éloigna d'elle tout en la pointant de ses index.) C'est toi l'chat, Sadgyra ! Profite du peu de temps qu'il te reste pour amasser quelques bijoux. Trouve-nous et je te filerai un coup de main~

- Hé, non, attends !

Dans un souffle de vapeur, Reshaa-Mess disparut de son champ de vision.
Impuissante et éberluée, Sadgyra laissa retomber mollement sa main bleue-verte. Puis elle se claqua le visage avec.

- Quand le Diable m'a faite, il m'a maudite, grommela-t-elle, en désespoir de cause, entre ses doigts.

Il fallait qu'elle accepte son destin. Destin lié à celui de cette djiin mille fois capricieuse et qui s'était dérobée à son foutu devoir de pilleuse au bénéfice d'une partie de cache-cache avec une joueuse étrange. En attendant la fin du décompte - elle était partie sur quarante secondes en s'imaginant en avoir déjà épuisé vingt durant son conciliabule avec Mylh'nom -, la Pécheresse s'empara des petites richesses qui trainaient par terre.
Suite à quoi, elle se résolut, à contrecœur, à mettre la main sur ces deux enquiquineuse qui s'étaient donné le mot pour la ralentir dans l'une de ses rares raisons d'exister !

- J'arrive pour vous mettre la pâtée, annonça-t-elle à haute et intelligible voix.

Son qui se réverbérait facilement entre les murs de la salle aux trésors.
La Pécheresse avait des yeux de lynx et une ouïe d'enfer !
Trouver ces deux pimbêches ne devrait pas être si compliqué que ça, pas vrai ?

Marmelade avait trouvé de nouvelles copines ! C’était tout ce qui importait maintenant. Comme une enfant, elle oubliait vite. Oui, comme une enfant, le passé ne se collait pas à elle. Marmelade était une créature de présent. Et elle courait. Vite. Loin. Avec un grand sourire. Elle se fichait d’où elle allait. Elle était juste trop contente d’avoir trouvé deux nouvelles copines pour jouer à cache-cache dans ce lieu plein de cachettes.

Elle courait mais elle était gênée. Alors sans perdre trop de temps, ses mains plongèrent dans la poche ventrale de son pull à capuches et jeta à gauche et à droite les pièces. Il n’y avait pas de boulangerie-pâtisseries dans lequel utiliser les petits disques jaunes de toute façon. Les richesses n’étaient pas importantes. Et elle pourrait en reprendre d’autres après. Quand elle aurait fini de jouer. Quand… elle s’en fichait d’après et pour qui : elle jouait !

Oui, Marmelade avait fait grand bruits en jetant les pièces d’or. Mais elle avait encore pleins de secondes comme ça, se dit-elle en montrant ses doigts dressés à la personne devant elle. Sauf qu’il n’y avait personne. Et qu’elle avait trop de doigts à ses mains. Elle se concentra vite fait pour supprimer ceux en trop et retrouva des mains « humaines » normales.

« Oh ! Ca pourrait être rigolo, ça. »

Marmelade retira son pull à capuche et se dépêcha de le passer autour du cou de la dame. Elle faisait à peu près sa taille. Elle était de la même couleur que les disques jaunes qu’elle avait jeté juste avant. Et puis, elle avait d’autres trucs qui brillaient. Et puis, comme elle, elle avait les seins à l’air. En plus d’être rigolo pour tromper la dame aux cheveux bruns, elle faisait une bonne action en l’habillant. Sans réaliser qu’elle était de nouveau « nue ». Si tant est que cela veuille dire quelque chose pour une slime au sexe aussi lisse et inexistant qu’une poupée Barbie. Et puis, mieux valait qu’elle soit un minimum habillé. Car, étant une slime, elle avait un corps transparent. Et on pouvait maintenant voir des choses étranges flottant au sein d’elle. Comme des parodies d’organes et de structure osseuse.

Elle passa devant tout plein de trésors différents. Et, si ça ne la dérangeait pas elle, ça dérangerait assurément ses mamans. Il y avait tant de bazar ! Là, dans la pile effondrée, un collier très lourd avec pleins de pierres. Là-bas, dans une autre pile, il y avait une petite dague dont la garde était faite dans une pierre précieuse qui lui firent perdre quelques secondes. C’était comme s’il y avait des étoiles emprisonnées au-dedans. Waouh !...

« Mince ! Je n’ai plus de temps ! »

Alors Marmelade ouvrit un coffre qui était aussi large qu’un clavier d’ordinateur. Un vrai petit trésor de pirate. A demi rempli. C’était parfait. Elle mit un pied au-dedans et commença à « couler ». Couler oui. Une slime est fait d’une sorte de matière potentiellement liquide. Et, tout comme l’eau, elle prenait la place et s’adaptait au contenant. A savoir un coffre aux trésors remplis notamment de pièces d’or.

Signes distinctifs de la présence de Marmelade au-dedans ? Le coffre était ouvert. Une substance liquide couleur fraise. Et deux yeux vivants qui bougeaient.

Alors qu'elle commençait tout juste à chercher, la Pécheresse entendit le tintement si familier des pièces. De chaque côté de son crâne richement chevelu, ses oreilles pointues s'étaient dressées en conséquence. Un peu plus loin, les bruits s'étaient multipliés. Il n'y avait pas besoin d'être un génie - ou un djiin - pour comprendre que la sucrerie ambulante s'éloignait de celle qu'elle avait désignée comme étant le "chat".
J'ai hâte de voir son sourire de simplette s'effacer de son visage.
Le rictus de cette diablesse de Sadgyra n'avait rien de rassurant !
Renonçant à toute distraction, elle s'était plongée dans le jeu. Très vite, la démone trouva les premières pièces d'or abandonnées par la gélatineuse demoiselle. Il y en avait une qui tournait encore sur sa tranche. Sadgyra ne prit pas le temps de les ramasser. Les richesses n'allaient pas disparaître, de toute façon ! Ses sacs, elle les remplirait plus tard.
Ôtons-lui d'abord cette envie d'emmerder son monde.
Reshaa-Mess s'était planquée elle aussi. Sa contractante espérait ne pas la retrouver dans ses pattes au pire moment possible. D'ailleurs, juste pour l'embêter, elle comptait bien la faire attendre un maximum. C'était aussi par pur esprit de contradiction car, même si la djinn lui avait promis de l'aider dans son ramassage, Sadgyra n'acceptait tout simplement pas l'idée que tout puisse aller en son sens.
Il faut aussi lui apprendre là vie, à celle-là.
La piste était vraiment des plus grossière. Avait-elle vraiment besoin de courir ainsi après ce drôle de bout de femme ? Même en marchant, la Pécheresse était sûre de pouvoir lui mettre la main dessus ! Alors elle ralentit intentionnellement le pas... jusqu'à s'immobiliser complètement devant cette statue en or qu'on avait habillé d'un pull à poche ventrale.

- ...

Sadgyra trouvait cette mise en scène affligeante de stupidité. Elle s'approcha de l'effigie humaine et, dressée sur la pointe des pieds, récupéra le survêtement. Elle le renifla avant de le tenir à bout de bras - il s'entait bien évidemment le sucre. L'enroulant sous son bras droit, la démone repartit d'un pas moins sonore.

Sa cible n'était pas loin - la Pécheresse le sentait. La grande gamine n'avait pas pu s'empêcher de jeter un œil sur quelques-unes des richesses qui trainaient çà-et-là. Telle un enfant curieux, elle avait bien entendu été attirée par les objets les plus singuliers. A proximité de ceux-là, son odeur se faisait plus forte. Sadgyra respirait ses "vapeurs" comme un chasseur se fie aux fumées des animaux. C'était un peu de la triche mais, dans un certains sens, il n'y avait pas grand mal à cela : la Pécheresse n'avait pas eu son mot à dire avec cette fichue partie de cache-cache ; l'autre avait osé la toucher avant de la désigner niaisement.

- La défaite te guette, ma petite !

...Une petite minute !
Sadgyra s'accorda un rapide moment d'introspection.
S'amusait-elle ? Eprouvait-elle du plaisir en s'imaginant la trouver aussi facilement ?
Pfff ! Balivernes. Ce jeu n'a aucun intérêt à mes yeux et...
Ses yeux bleus s'arrêtèrent sur un coffret. Le contenant était ouvert, comme si quelqu'un en avait soulevé le couvercle et oublié de le refermer.
Hum ! "Quelqu'un", hein ?
Sadgyra s'était abstenu de sourire. Au beau milieu des pièces, un liquide insolite, bien plus clair et épais que le sang frais, évoquait la présence de la créature qui en avait fait sa planque.
La Pécheresse fit comme si elle n'avait rien remarqué. En premier lieu, elle promena son regard un peu partout dans le périmètre. Avec des gestes exagérés, elle farfouilla tout autour pour, finalement, se poster derrière la fameuse boîte, les mains sur les hanches.

- Mais où diable s'est-elle cachée ?

De la pure comédie, ça oui !
Faisant mine d'agacement, Sadgyra décocha un coup de pied dans le couvercle qui se referma sur son contenu.

- Elle ne se trouve pas ici... Pas grave ! Je ne vais pas repartir les mains vides pour autant : j'embarque le coffre. Après tout, Mylh'nom a toujours eu un petit faible pour ces objets là.

Glissant le coffret sous son bras gauche, elle fit comme annoncé. Et durant la marche, la bougresse allongea bien volontiers les foulées ! Pour la passagère liquide, le voyage devait être aussi désagréable que possible ; la Pécheresse en faisait une affaire personnelle. Elle espérait que la mutante souffrirait d'un mal de mer ou d'une connerie dans le genre. Son étonnante bonne humeur ne se justifiait que par ses noires intentions, oui ! Quant au jeu en lui-même ? Ha ! Il n'y était pour rien, non.

- Patience, les filles. Patience, marmonnait la démone en bondissant un pied sur l'autre. Je ne vous décevrai pas, croyez-moi.

Quelle garce.
Très belle sur le plan physique, assurément, mais une vraie connasse à l'intérieur !

C’était rigolo de voir la dame aux cheveux roux lui tourner autour. Sa cachette était trop géniale ! Et bien sûr que Marmelade ne réalisait pas que les gestes étaient exagérées. Elle jouait. Et elle trop innocente pour remarquer une pareille supercherie. Etait-il possible de sourire en étant une flaque baignant dans un coffre aux trésors ? La réponse était oui. Mais mieux ne valait pas regarder. Il y avait un côté monstrueux à cette bonne humeur affichée…

Autre information. Mieux valait que Marmelade continue à jouer le jeu à être bien cacher. Donc à ne pas parler. Parce que si la dame aux cheveux roux croyait l’embêter à bouger dans tous les sens : elle se trompait. Au contraire ! Marmelade s’amusait beaucoup beaucoup. Ca bougeait dans tous les sens. C’était un peu comme faire une attraction de vitesse dans les voitures sur rail dans un parc d’attraction où elle allait parfois avec ses deux mamans. (REPRISE DE la respiration. Expiration. Oui, Marmelade écrirait comme elle parle. Comme une enfant. Sans beaucoup de ponctuations)

Et comme une enfant, Marmelade était facétieuse. Avait aussi la bougeotte. Et cette détestable aptitude à ne pas tenir en place et à disparaitre. Entre les lames de bois qui constituaient les pans du coffre à trésor, il y avait plus ou moins de vide. Pas de quoi passer un doigt. Pas de quoi faire tomber une pièce d’or. Mais une slime ? Assurément. La terrible dame aux cheveux roux qui grognait tout le temps pour du faux (bah oui, sinon elle ne serait pas une bonne copine de jeu) laissa donc dans son sillage une traînée couleur sirop de framboise.

Très vite, Marmelade reprenait un corps humanoïde d’enfant de peut-être environ huit ans avec une petite poitrine et deux fraises sur la tête. De nouveau sur ses deux jambes, elle regarde autour d’elle. Où est-ce qu’elle va aller maintenant ? Ce serait quoi une bonne cachette suivante ? Puis elle tape de son poing dans son autre main ouverte. Mais bien sûr ! Et elle se dit « chut » à voix basse pour ne pas faire de bruit. La dame rousse n’a pas trouvé la dame brune. Marmelade doit trouver la dame brune avant la dame rousse. Donc c’est quoi ? Une sorte de cache-cache dans un cache-cache ? Ça semble rigolo.

Marmelade ne voit rien avec toutes ces piles de trésors. Et puis il y a trop de trucs qui traînent un peu partout. Et puis c’est joli. Ca attire ses yeux. Tous ces reflets et toutes ces couleurs. C’est vraiment joli ces petites pierres précieuses incrustées. Ca lui fait penser à des pâtisseries aux couleurs fluo. A de la crème pâtissière. Celle des éclairs de toutes les couleurs et de tous les parfums. Hum… C’est que Marmelade commence à avoir faim. Elle secoue la tête. Elle ne doit pas penser à ça maintenant. Elle doit d’abord finir le jeu.

Ses jambes deviennent alors une masse informe. Et en se rapprochant d’un pilier de pierre, la masse informe devient une sorte de queue. Une sorte de limace de couleur rose bonbon qui commence à grimper sur le pilier en colimaçon. Elle pourrait ne pas laisser de trace derrière elle. Mais ce ne serait pas rigolo. Alors elle « bave » et elle grimpe. Tranquillement. Ses yeux cherchent la dame aux cheveux bruns. Elle voit où se trouve la dame aux cheveux roux et doit se couvrir la bouche pour ne pas rire. Elle croit toujours qu’elle est dans le coffre, l’idiote !

Tout en surveillant la progression de sa Contractante, Reshaa-Mess riait intérieurement. Elle savait que Sadgyra avait trouvé et capturé la joueuse à l'odeur sucrée. C'était prévisible de la part d'une pilleuse de son calibre ! Dans ces ruines, rien ne pouvait échapper à sa vigilance. Rien ou presque.
Tiens ! 'y a une fuite.
De ce joli coffret que la Pécheresse promenait énergiquement sous une aisselle s'écoulait un liquide vermeil. Liquide qui avant tendance à s'éloigner de la démone qui, pour de vrai cette fois, n'avait absolument rien remarqué d'intrigant...
Et quand elle s'en apercevra, il lui faudra tout recommencer à zéro !
Mylh'nom en savourait l'idée. C'était là une excellente leçon d'humilité pour cette furieuse rouquine ! Elle qui pensait tout savoir de la vie, qui ne vivait déjà plus que pour satisfaire ses propres lubies avec à peine un soupçon de curiosité pour ce vaste monde qui l'entourait - en dehors des trésors et des ruines piégées.
J'ai hâte de l'entendre ronchonner de désespoir~
Mais avant d'assister à ce spectacle, la djinn s'intéressait à un autre. Celui de la femme-slime qui se reformait avec insouciance. Reshaa-Mess l'observait attentivement. Elle la vit réfléchir, aligner les mimiques appropriées à la manière d'un personnage de cartoon, puis s'en aller en quête de quelque chose.
Une autre cachette ? Ou bieeeeeen...
Son observatrice, qui demeurait invisible grâce à ses pouvoirs de djinn ?
L'Entourloupeuse avait déjà gagné la partie. Même sa Contractante ne pouvait pas la voir ou la localiser grâce à ses sens aiguisés. Il n'y avait là aucun défi. Seul le plaisir de zieuter les autres sans qu'ils ne le sachent motivait Reshaa-Mess à poursuivre cette grande farce.
Non loin d'elle, la grande gamine pétillait des yeux devant des joyaux presque aussi gros qu'un poing. Un instant, la djiin eut même l'étrange sentiment qu'elle allait croquer dedans.
Elle mangerait des minéraux ?
Non, elle avait très probablement du faire travailler son imagination durant cet instant de contemplation.
Après un mouvement de dénégation, l'observée avait opté pour une nouvelle stratégie. Moitié limace moitié... ce qu'elle était habituellement, l'insatiable joueuse grimpa le long d'un pilier haut comme dix personnes qui ce seraient monté sur les épaules. Toujours invisible, Reshaa-Mess la suivit en silence jusqu'à ce qu'elle ait obtenue une vue d'ensemble sur toutes les richesses que renfermait cette pièce immense.
Plus loin, la Pécheresse continuait de sautiller de façon totalement exagérée - non sans secouer le coffret avec les deux mains.

- Ah ! Si seulement elle savait..., soupira Mylh'nom à l'oreille de celle qui - elle avait compris - la cherchait aussi.

L'Entourloupeuse était si proche et si loin à la fois ! Même en se retournant, la sucrerie ambulante ne pouvait point la voir.
On percevait toutefois un sourire dans sa voix désincarnée.

- Elle s'imagine te mener en bateau alors que c'est toi qui te joues d'elle ! Rien que pour cela, je te félicite, ma glissante amie~ (Son gloussement se propagea dans l'air.) Mon cœur est avec toi. Mais en ce qui concerne mon enveloppe, il faudra encore que tu patientes avant de la voir apparaître. Et c'est justement là où ça devient amusant ! (Nouveau rire, avec une légère note de machiavélisme.) Alors écoute donc le marché que je te propose ; je ne me montrerai à tes jolis yeux uniquement qu'en cas d'approbation.

Autant dire qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Sauf si la slime comptait s'éterniser avec cette partie de cache-cache et finir par sombrer dans un ennui mortellement profond.

- Lorsque notre diablesse de rouquine fera demi-tour en apprenant que tu as réussi à te faire la malle et qu'elle se tiendra au pied de ce pilier, je veux que tu lui fasses la surprise en lui tombant dessus ! Comme ça - d'un coup ! - dans un grand "SPLATCH !" (Dans sa voix, l'excitation se faisait ressentir.) Je veux la voir trempée et toute collante de la tête aux pieds, oui ! Après cela, tu auras le droit de clamer ta victoire haut et fort. J'approuverai, bien entendu ! Et j'y ajouterai même une récompense. Tout ce qui te plaira !

Du côté de la Pécheresse, on entendit alors un "Merde !" sonore.
En l'absence de plainte de la part de son bagage liquide, elle avait sans doute perdu patience et fini par ouvrir le coffret plus tôt que prévu.
Toujours à l'oreille de sa partenaire de jeu, la djiin glissa :

- Regarde ! Elle revient sur ses pas... Je compte sur toi pour bien jouer le jeu~

C'était à l'intéressée de se décider.
Deal ou pas deal ?
En contrebas, la Pécheresse, frustrée, soucieuse, se déplaçait d'un pas plus vif.

C’était trop bizarre. Elle était tout là-haut sur son poteau. Et pourtant, il y avait la dame aux cheveux bruns qui lui parlait. Mais elle n’était pas là. Marmelade n’arrête pas de tourner la tête de tous les côtés. Mais, définitivement, il n’y a qu’elle tout là-haut.

« Est-ce que tu es l’araignée qui me regarde depuis sa toile d’araignée là ? »

Non, elle n’est pas l’araignée. Elle parle d’une enveloppe. Marmelade ne comprend pas. Elle n’avait pas pensé que la dame aux cheveux bruns pouvait elle aussi se transformer. Et encore moins en une enveloppe. Ca doit être une malédiction. Et si ça peut être utiliser pour faire quelque de bien (pas épique, impossible que ce soit épique) alors… mince, elle ne sait plus ce qu’elle pensait. Ah si ! Une enveloppe. Pourquoi se transformer en un bout de papier plier origami pour accueillir une lettre et voyager ensuite via le réseau mondial des boîtes à lettres. Marmelade ne comprend pas. Mais elle doit se concentrer. L’autre continue de parler. Elle est bavarde.

« Je veux bien lui tomber dessus. Ca va être rigolo. Après, je ne suis pas sûr qu’elle sera mouillée et collante. Je veux dire, je ne suis pas une sorte de sirop de fruit mélangé dans de l’eau. Et puis, c’est mieux de le mélanger dans de la limonade. Il y a un petit goût en plus. Et puis il y a des bulles aussi. »

Elle parle toute seule et avec le sourire. Elle parle aussi en chuchotant dans le vide. De toute façon, elle ne sait pas où parler vu qu’il n’y a personne. Et elle ne parle pas trop fort pour ne pas attirer l’attention trop vite de la dame aux cheveux roux qui grommelle encore et qui remonte ses traces de bave. Peut-être qu’elle n’aurait pas dû baver. Mais c’était rigolo de le faire à ce moment-là !

La dame aux cheveux bruns invisible a trop parlé. Marmelade a déjà oublié tout ce qu’elle a dit au début. Elle se souvient qu’elle doit faire une onomatopée. Et elle a parlé de récompenses. Alors elle réfléchit à sa récompense. Sa bouille montre une expression d’enfant très concentré qui réfléchit fort fort. Qu’est-ce qu’elle veut ? Elle était toute seule et elle ne voulait plus l’être. Et les deux dames sont venues. Elle s’ennuyait, elle voulait jouer et elles sont en train de jouer. Alors quoi ? Marmelade est comblée. Quand soudain son estomac de slime vibre et grogne.

« Je veux à maAAANNNGGGeeerrr ! »

A peine aura-t-elle commencé sa phrase qu’elle se sera laissée tomber sur la dame aux cheveux roux qui regardait sa bave tout près du poteau. Un instant de plus, elle levait la tête et la découvrait. Là, elle lève la tête. Mais Marmelade est déjà tout près d’elle. Avec un grand sourire. Les bras grands écartés comme si elle voulait un câlin. Elle le veut, même. Et puis c’est l’IMPACT.

(SPLATCH !)

« T’as vu ? J’ai fait SPLATCH comme elle m’a dit de le faire. »

Est-ce le bruitage de sa chute qui a fait SPLATCH. Est-ce elle qui l’a dit au moment de l’impact ? Ce serait une capacité très cartoonesque que d’être capable d’un tel prodige si inutile. Et donc Marmelade est tombé dans le mille. Mais pas la dame aux cheveux bruns qui a trop de noms. Elle n’est pas tombée dans mille tous les noms. Mais dans l’autre. Et elle est toujours sur elle. Il y a de la Marmelade qui coule un peu partout. En fait, tout le corps de Marmelade est informe et la revêt comme une sorte de manteau vivant. Comme sa sorte de sœur Mélissandre. Mais elle est loin là tout de suite maintenant.

« Je t’ai trouvé ! »

Sauf que ce n’était pas à elle de la trouver. Mais sa tête vient de se matérialiser dans son dos. Avec un bout de torse et un bras avec une main au bout qui se pose sur son épaule. Virtuellement, Marmelade est impossible à retirer. De quoi bien énerver la dame aux cheveux roux qui grogne tout le temps, oui ? Alors Marmelade cherche de ses yeux l’autre dame pour savoir si elle a tout bien réussi, qu’elle va avoir sa récompense, et que qu’elle veut à manger.

Mylh'nom était satisfaite par avance. La slime l'avait écoutée. Elle n'avait peut-être pas tout compris, certes, mais la djinn supposait qu'elle avait intégré l'essentiel des informations. Désormais, leur objectif se trouvait en bas du pilier. Et son regard - les yeux bleus de la Pécheresse, oui - grimpaient lentement le long de la colonne en suivant ces fameuses traces de bave jusqu'à ce que...

- Je veux à maAAANNNGGGeeerrr !

- Quoi ?!

En gros plan lui apparut le visage de l'heureuse sucrerie ! Sadgyra ne put rien faire. Elle avait beau être vive et puissante, ce placage fut trop soudain - même pour ses sens affutés. Elle ferma les yeux au moment du choc mais, bizarrement, l'impact ne l'ébranla pas autant qu'escompté. Et ce "SPLATCH!" assourdissant qui lui avait traversé les oreilles avant que celles-ci ne se retrouvent bouchées par cette substance de...

- Mais... Hé-là !

Alourdie par de la... marmelade (?), Sadgyra remuait sur place avec difficulté. Il lui était impossible, dans ces conditions, de bouger les bras, de ne serait-ce que les décoller de son corps. La Pécheresse était comme prisonnière d'un bloc de gélatine, à la différence près que ce "bloc" n'était pas carré et qu'il s'écoulait de sa silhouette sous forme de gouttes étonnamment grasses.

- Qu'est ce que c'est que ce cirque ?! s'insurgea-t-elle. Comment ça tu as fait "SPLATCH" ?! Qui t'as demandé de... Oh, putain ! MYLH'NOM !!!

L'Entourloupeuse, qui faisait bien honneur à son titre, ne tarda pas à exploser de rire. Un rire aérien et désincarné, de plus en plus audible au fur et à mesure qu'il se rapprochait de la Pécheresse et de son manteau vivant.
En chair et en os, Reshaa-Mess réapparut à même les dalles.

- Tu t'es fait avoir, ma pauvre Contractante !

- Et tu trouves ça drôle ?!

Avec Marmelade sur le dos, Sadgyra n'arrivait pas à recourir au Myst - l'énergie mystique propre aux djinns. Elle avait rougi de colère. Ce qui, même si cela faisait toujours d'elle une grande conne, ne nuisait point à sa redoutable beauté. Un simple détail aux yeux de son génie farceur.

- Assurément ! Mon plan était bien rodé. Son succès m'amuse énooooooooormément~

- Tu mérites que je te fasse la peau !

- Cela nous est interdit à toutes les deux.

- Je m'en fous !

- Dommage. Mais ça ne changera rien.

- Argh ! Je vais péter un caaaaaaable !

Reshaa-Mess lui tapota gentiment la tête. Sadgyra tendit le cou dans l'espoir de la mordre. Tout était vain.

- Bien ! Trêve de plaisanteries douteuses~

Si la Pécheresse ne pouvait pas se défaire toute seule de la trop attachante slime, la Fine Djinn était tout à fait en mesure de la soustraire à cette étreinte aussi enfantine que sucrée. Avec ses pouvoirs, Mylh'nom, la main tendue, aspira la gélatineuse demoiselle. Il n'était pas question d'une assimilation, non. La grande fille se détacha simplement de son hôte pour prendre la forme d'une sphère parfaite dans laquelle flottaient toujours autant de grumeaux.
Quand Reshaa-Mess eut abaissé la main, Marmelade retrouva aussitôt forme "humaine" - récupérant notamment ses fameuses jambes en gaufrettes !

- Sadgyra, je souhaite adopter cette adorable créature ! déclara-t-elle de but en blanc. En commençant bien sûr par la nourrir comme il se doit, conformément à cette nouvelle alliance riche en sucre.

- Est-ce que tu débloquerais pas un peu ?

- Tiens donc ? Tu t'imagines que mes pouvoirs me montent à la tête comme les tiens ?

- Dans ces ruines, je suis la seule femme saine d'esprit !

Son aura éclata ! Nerveuse, voltaïque, pourpre avec quelques nuances vertes, elle brûlait avec force tout autour de la démone.
Des vibrations alarmantes se faisaient ressentir. De la poussière s'était mis à tomber du plafond.
Reesha-Mess y jeta un vague coup d'œil avant de dire :

- Tu commettrais pareil impair sous le simple coup de la colère ? C'est décevant. 

Non loin d'elles, la colonne de pierre protestait bruyamment.

- De quoi tu parles ?!

Mains sur les hanches, la djinn soupira par le nez.

- De nos trésors, peut-être ? Que tu risques fort d'engloutir sous des tonnes et des tonnes de sable par simple caprice...

Même en colère, Sadgyra dut bien admettre que son génie parlait d'or - littéralement. L'effet de ses paroles fut immédiat : l'énergie dégagée par la Pécheresse réintégra sa silhouette de rêve. Son épaisse crinière rousse bouclée retomba sur son dos et ses épaules. Elle lâcha un juron avant de se détourner complètement des autres.
Comme si absolument rien de perturbant ne s'était passé, la Fine Djinn posa son regard tranquille sur la slime.

- Dis-moi... avant que nous ne t'emmenions avec nous dans un endroit où manger un bout, serait-il possible que je t'en croque un, de morceau ?

Partie en quête d'un angle favorable à ses projets, elle s'était mise à lui tourner autour et à l'étudier de pied en cap.

- Malgré toute cette poussière, ton odeur est la plus entêtante d'entre toutes ! Et, de mon vivant, je ne me souviens pas d'avoir jamais goûté à quelque chose comme toi - d'où mon intérêt si prononcé. D'ailleurs, si tu veux bien me révéler ton nom, je pense que ce serait une bonne chose~

Se faire croquer un morceau puis se présenter ? Se présenter puis se faire croquer un morceau ?
Au yeux de la djinn, l'ordre n'avait pas grande importance !

Ses grands yeux innocents (vraiment ?) ouverts, Marmelade assiste à l’échange de mots entre les deux dames. Elle a déjà assisté à des disputes avec ses deux nouvelles mamans. Mais avec les deux dames, c’est différent. Surtout avec celle à la peau verte… ou bleue ? Elle ne sait pas vraiment. Mais en tout cas, elle est capable de se faire dresser les cheveux sur la tête et de s’entourer d’une sorte de feu de puissance pour gronder les gens ? Marmelade ne comprend pas tout. Et voilà déjà que d’autres mots font qu’il n’y a plus ce feu bizarre autour de la dame aux cheveux roux.

« Marmelade. Je ne sais pas pourquoi mon prénom serait une bonne chose. Pour moi, une bonne chose, c’est quelque chose de bon à manger. Comme un éclair au chocolat. Ou une brioche vendéenne. Mais pas celle des magasins de grande surface. Ceux-là sont bonnes mais pas trop par rapport aux vrais de vrais. »

Elle avait dit quoi avant ? Ce n’est pas facile de se concentrer alors qu’elle joue à un jeu dont elle ne connait pas les règles. Parce que les adultes ne font pas de pareilles choses. Ils ne tournent pas pour rien autour des gens sans raison. Ils font toujours des choses avec une raison. Ils bougent toujours pour aller à un endroit spécifique. Ils ne sont plus des enfants. Ils ne font plus des choses pour rien. Parce que pour rien, c’est ça qui est amusant. Mais les adultes ne comprennent plus.

Alors quoi ? Alors Marmelade se met à tourner autour de la dame aux cheveux bruns qui tournent autour d’elle. Ça donne une sorte de danse pendant un temps. Le temps qu’elle se souvienne. Et quand elle se souvient. Elle s’arrête.

« C’est vrai que l’endroit est très sec. Et très sale aussi. Les gens devraient passer plus de balais et de serpillères. On ne pourrait pas manger par terre sans avoir des grains de sable dans notre manger. Donc je ne peux pas te proposer le bout de ma jambe enrobée de gaufrette. Tu peux croquer dans mon épaule si tu veux. Oh, ou alors croquer un bout de ma fraise dans mes cheveux. Tu peux même faire les deux. Séparés. Ou ensemble. Comme tu veux. C’est bien de mélanger quand les mélanges se mélangent bien ensemble. »

Une personne plus sensée serait revenue sur le fait de pouvoir être transformée en boule sans son consentement. Ou elle aurait utilisé à bon escient l’information que recouvrir une personne grognon l’empêche de bouger et d’utiliser ses pouvoirs. Mais Marmelade est Marmelade. Et ce paragraphe n’a pas de raison d’exister à ses yeux.

Puis, l’espace de quelques secondes, elle devint monstrueuse…

« Il y a longtemps, je crois que j’ai mangé ma première maman… Et puis il n’y a pas trop longtemps, j’en ai eu deux nouvelles. Des supers… Alors je crois que je peux bien me faire adopter une nouvelle fois… »

Et comme si rien ne s’était passé, Marmelade cligne des yeux et affiche un grand sourire idiot.

« Je sais plus ce que j’ai dit. »

Elle hausse les épaules.

« Pas grave. Hi hi ! »

En haussant les épaules, elle se souvient qu’elle a proposé cette partie de son corps à manger. Alors elle attend d’être goutée.

Marmelade était une grande bavarde. Un détail insignifiant aux oreilles de la djinn qui ne cherchait pas à décrypter ses paroles quand elle les estimait parfois un peu trop profondes - oui, oui! - par rapport à sa culture d'un autre temps. Il lui fallait donc faire le tri entre ce qu'elle devait ignorer gentiment et le reste qu'elle parvenait plus ou moins à comprendre, et donc qui méritait sa considération.

- L'endroit manque cruellement de personnel, il est vrai !

Inutile de préciser que le personnel en question était majoritairement composé de monstres, à l'origine. Et que la Pécheresse et sa brillante djinn ont, à leur manière, passé un grand coup de kärcher suffisamment puissant pour, à défaut d'assainir totalement les lieux, en écarter tous les dangers potentiels.
Mais bref ! La slime se montrait très ouverte à la consommation. En l'occurrence, elle avait proposé à cette goinfre de Mylh'nom de se délecter d'une épaule ou d'un bout de ces grosses fraises qu'elle avait de collées dans son épaisse chevelure semi-liquide.

- Alors je peux vraiment ? Ah, Marmelade ! je ne sais pas qui sont ces mamans qui t'ont élevée mais une chose est sûre : il ont fait du bon dieu de bon travail~

Puis quelque chose se produisit chez la "bonne fille à ses mamans". Un changement de voix et d'attitude. Comme un avertissement soufflé par une personnalité plus sombre, et plus imposante que celle de la trop aimable Marmelade ! Reshaa-Mess s'était interrompue pour la contempler avec une curiosité renouvelée. Le temps de cligner trois fois des yeux, la monstrueuse slime avait récupéré son insouciance enfantine.

- Eh bien... ?

Cette fois-ci, c'était Sadgyra qui n'avait rien vu. Pour le coup, Mylh'nom comprenait un peu mieux la réaction de sa Contractante. Même si cela n'excusait pas tout !
La Fine Djinn, qui ne s'était pas départie de sa posture relâchée, haussa les épaules et rit de bon cœur avec l'adoptée.

- Tu viens de le dire : c'est pas grave, donc on s'en fiche~

Puis elle sautilla comme une gamine. Ceci jusqu'à se retrouver extrêmement proche de son nouveau centre d'intérêt qu'elle ne put s'empêcher d'humer à pleins poumons.

- Je-n'y-tiens-plus ♫

D'abord cette épaule, dans laquelle Mylh'nom croqua comme une fieffée gourmande ! Les joues pleines au point d'en être déformées, elle mâcha bien, s'imprégnant des délicieuses saveurs d'une créature mystique mais bel et bien vivante. Lorsque le tout descendit dans sa gorge, un œil extérieur aurait pu croire qu'il allait rester coincé à mi-chemin et l'étouffer. Mais l'organisme de la djinn représentait, de manière certes moins transparente que la slime, un cas particulier, hors norme.
Hochant longuement la tête, elle leva une main en dessinant un rond entre son pouce et son index, l'autre lui servant à se masser l'estomac.

- Sen-sa-tio-nnel ! exulta-t-elle en louchant alors sur une fraise qui trônait sur la tête de Marmelade. Je n'avais encore jamais rien goûté de pareil !

Elle jeta un coup d'œil du côté de la Pécheresse. Aidée par le Myst, cette dernière rassemblait les trésors en d'énormes monticules qu'elle comptait, plus tard, faire passer à travers un portail magique de leur conception. Un art inspiré de celui des jumelles draconiques, avec lesquelles Reshaa-Mess et Sadgyra avaient passé un contrat sur le long terme.

- Hé, Sadgyra ! Tu devrais venir lui manger un morceau, toi aussi. Je t'assure que c'est su-per-bon~

- Même pas en rêve ! Et puis 'y en a au moins une qui bosse, ici, je te ferai remarquer. Alors tâche de lui foutre la paix, un peu.

- Quelle rabat-joie, soupira la djinn en roulant des yeux au plafond. Je vous jure ! Si elle n'avait pas ce physique de rêve, elle aurait terminé sa vie jeune fille. (Elle regarda Marmelade.) Pas grave ! Au moins, je ne partagerai pas ma portion de fraise~

Pour décrocher son offrande, elle dut se hisser sur la pointe des pieds et lever les deux mains bien haut. Suite à quoi elle l'eut enfoui dans sa grande bouche, produisant lors de sa dégustation de grands bruits de mastication et de pure satisfaction.
C'était à ne pas douter un vrai régal pour la djinn !

« Je suis trop contente que tu me trouves délicieuse ! »

Ça ne lui fait pas mal. Elle ne tressaille même pas quand les dents de la dame aux cheveux bruns récupère un morceau d’elle. C’est rigolo le verbe tressaillir. Il y a « aie ! » dedans, vous avez vu ? Mais elle n’a pas fait aie, donc elle n’a pas tressAIEllie. Hi hi !

« La dame aux cheveux roux a failli avoir le même pouvoir que moi ? Moi aussi je reste une jeune fille. Et je crois que ça fait longtemps. Je crois que si on compte en siècle, ça fait plusieurs doigts de ma main. Et une main normale, hein ! Pas une main qui essaie de compter tes mille noms. C’est trop long mille à compter. Ce n’est pas rigolo. »

Son corps ne se régénère pas. Les trous ne sont pas comblés. Marmelade ressemble bel et bien à une pâtisserie vivante qui aurait été goûté. Son attention est maintenant porté sur la dame aux cheveux roux qui « travaille ».

« Toi tu es rigolote. Elle non. Pourquoi elle préfère utiliser des mots pas rigolos comme travailler ? Ah ! Même dans travailler il y a AIE ! C’est pour ça que je n’aime pas ce mot aussi. Et puis, toutes les petites pièces jaunes, ça ne se mange pas. Ça permet de manger, mais il faut trouver des pâtisseries. Et je n’ai pas l’impression qu’il y en ait beaucoup autour de nous, hein ? »

Croisant les mains dans son dos, elle s’en va rejoindre la dame aux cheveux roux en faisant de petits bonds. Un peu bizarre ces bonds. Il y a quelque chose d’anormal. Comme si ça dépassait les lois normales de la physique. En fait, Marmelade ressemble un peu à un toon.

« Dis, tu donneras de tes pièces pour que j’ai à manger dans une pâtisserie ? »

Comme s’il y avait besoin d’illustrer ses mots, son estomac gronde. Fort. Alors qu’elle n’a pas vraiment d’estomac. On peut voir des espèces d’agglomérats au travers de son corps couleur fraise transparente. Mais elle n’a pas d’estomac au sens physiologique d’un être humain.

« Parce que j’ai faim. L’autre dame a mangé un bout de moi. Et même si c’est cool que je sois délicieuse, ça me donne encore plus faim. »

L’estomac gronde encore une fois. Il fait trop de bruits. Ce n’est pas normal, ça non plus.

« J’ai faim. »

Sa main attrape le bras de la dame aux cheveux roux. Et comme un enfant, elle commence à tirer dessus.

« J’ai faim ! »

Pour le moment, c’est mignon. Enfin non, c’est agaçant comme un enfant qui réclame trop de fois et trop rapidement. Mais… il y a quelque chose dans l’invisible. Des micro-expressions ? Des micro-changements dans son corps de slime ? Il y a quelque chose de sombre qui pourrait se manifester si on n’accepte pas son « caprice »…

S'il y en avait qu'une qui bossait, il y en avait moins deux qui s'éclataient en compensation ! Et l'une d'elle, tout de guimauve, se disait forte d'une éternelle jeunesse. D'un intellect d'enfant, certes, mais d'une vie qui s'étirait sur plusieurs milliers d'années ! Mylh'nom trouvait cela formidable. Une raison supplémentaire de se rapprocher de cette créature insolite ! La Djinn n'était clairement pas aussi coincée que sa sombre Contractante.

- Sadgyra ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui sans mon soutien légendaire, ma bonne Marmelade ! Mais ne lui en voulons pas : de manière générale, elle a toujours été dure avec ceux qui l'entourent. Considère ceci comme une petite mise à l'épreuve, ma douce sucrerie montée sur gaufrettes~

- Ne lui donne pas de mauvaises idées, Mylh'nom ! Vous pourriez toutes les deux en concevoir une très lourde déception.

L'écoutait-on parler, au moins ? La Pêcheresse nourrissait quelques doutes - surtout concernant la slime. Quant à Mylh'nom, elle la connaissait suffisamment bien pour prétendre que la djinn s'amusait à ses dépens. Et l'idée lui paraissait hautement désagréable.
D'un index imprégné de magie, Sadgyra traçait un motif complexe à même le sol quand elle entendit la fauteuse de trouble s'approcher un peu trop près à son goût. Elle grommela quelque chose dans sa barbe avant que Marmelade puisse comprendre le sens de ses ruminations, guère faites pour un esprit aussi étriqué que le sien.

- Des pièces pour que tu puisses t'empiffrer sur mon dos ? s'enquit la Pécheresse. Tu me prends pour qui, au juste ? Pour ta mère ? Tch ! On aura vraiment tout entendu...

Non, pas tout. En tout cas, Sadgyra n'avait encore jamais ouï un grognement aussi désagréable et puissant que celui du "ventre" d'une slime affamée à qui une inconsciente a déjà croqué deux bouts.
Incommodée, la démone grimaçante dut s'interrompre dans sa tâche.
Marmelade se disait rongée par la faim. Ce qui était d'autant plus vrai depuis que Reshaa-Mess s'était fait un festin de son épaule et d'une moitié de fraise qui trônait sur sa tête gélatineuse.
Bordel ! je savais que ce n'était pas une bonne idée.
La petite peste se montrait insistante. Tant et si bien que cela en devenait méchamment alarmant.
Marmelade, dans le genre très envahissant, s'était agrippée fermement au bras travailleur de la Pécheresse.

- Hé ! Tu vas me lâcher, oui ?!

Sauf qu'elle n'écoutait rien - pour de bon, cette fois-ci !
En désespoir de cause, Sadgyra jeta un regard courroucé à la djinn dont l'expression s'était quelque peu assombrie.

- Tu voulais l'adopter, non ? Alors prends tes responsabilités et nourris cette pimbêche avant que je ne la... Qu'est-ce qu'elle est en train de nous faire, là ?

Elle avait bel et bien senti quelque chose de perturbant chez cette slime en mal d'attention. Quelque chose que la Malicieuse, plus attentive qu'elle en donnait l'air, avait perçu légèrement avant qu'elle ne le remarque.
Reshaa-Mess rejoignit promptement Marmelade, sur l'épaule - l'entière ! - de laquelle elle déposa une main maternelle.

- Cela me fait mal au cœur mais je dois te demander un petit peu de patience, gentille Marmelade.

Dans son immense sagesse, elle avait prévu un petit quelque chose pour gagner son obéissance. Un bienfait que la djinn conservait entre les doigts serrés de sa main gauche, elle-même dissimulée dans son dos. Avec son Myst, Mylh'nom s'employait à former en douce une poignée de "bonbons magiques" de sa conception. Les synthétiser - et les rendre mangeables, surtout - réclamait une certaine concentration.
Heureusement qu'elle avait commencé à bosser dessus dès l'instant où la slime s'était écartée d'elle pour aller solliciter Sadgyra !

- Regarde un peu ce que j'ai trouvé qui trainait au fond de ma poche~

Elle lui exposa le contenu de sa main. Les sucreries violettes en forme de fleur sentaient bon la violette ! Il n'y en avait pas énormément, certes, mais elles paraissaient très savoureuses...

- Je veux bien te les céder volontiers ! Mais pour cela, il va falloir que tu lâches le bras de Sadgyra.

Elle s'approcha d'une "oreille" de Marmelade pour lui souffler, sous le couvert de sa main libre, à la manière d'une confidence :

- Elle est en train de tracer sur le sol un dessin magique qui nous permettra toutes les trois, en compagnie de nos trésors, de retrouver la civilisation. Et qui dit "civilisation" dit aussi "pâtisseries à foison" !

Comme pour ponctuer ce secret qui n'en était pas vraiment un, Mylh'nom lui adressa un clin d'œil complice.

Marmelade ne connaît pas de Sadgyra. C’est qui cette Sadgyra ? Elle n’arrive pas à réfléchir. Son estomac fait trop de bruits dans ses oreilles. Même quand son estomac ne grogne pas pour être entendu de la dame aux cheveux et de la dame aux cheveux roux. C’est difficile d’écouter les gens quand elle a faim. Et là, la faim c’est comme si elle mange son estomac. La faim se donne faim. Et après, Marmelade fait comme une sorte de dodo. Souvent, quand elle se réveille toute contente, les gens sont tristes ou en colère. Parfois, il manque des gens. Parfois, ce sont des bâtiments à qui il manque des morceaux.

« Oh ! Des bonbons ! »

Rapidement, Marmelade récupère tous les bonbons. Il n’y en a pas vraiment beaucoup, selon elle. Mais il y en a déjà. Et c’est le principal. RHOOO ! Pourquoi elle lui parle encore. Elle veut manger !

« C’est vrai de vrai ? On s’en va vraiment d’ici ? Oui ! »

Le premier bonbon, elle l’avale sans le sucer ni le croquer. Celui-là, on peut d’ailleurs le suivre dans ce qui ressemble à ses « organes » informes au centre de son corps slimesque de couleur fraise-framboise. Le petit bonbon, au fur et à mesure qu’il suit le chemin des organes, est comme dissous pour se répandre dans l’organisme particulier de Marmelade.

La taille de Marmelade change, d’ailleurs. Elle rétrécit. Et en devenant plus petite, la fraise sur sa tête se recomplète. Tout comme elle retrouve deux épaules entières. Mais elle est plus petite, s’extasie devant un bonbon qu’elle fait jouer avec le feu d’un brasera avant de le mettre dans sa bouche. Elle est complètement hypnotisée par la petite sucrerie. Pendant ce temps, elle ne fait pas de bêtises. Et elle n’ennuie plus personne.

Son estomac fait beaucoup moins de bruits tandis qu’elle suçote le troisième bonbon. Elle se met même à chantonner derrière ses lèvres closes. Elle recommence à sautiller, à faire de petits bons autour du dessin qui prend forme sur le sol dallé.

« Je peux avoir un crayon moi aussi ? Je pourrais dessiner une marelle comme ça. »

Comme si le jeu était déjà tracé, Marmelade saute sur les cases. Elle lance un bonbon par terre, sautille sur des cases invisibles, récupère sur un pied en équilibre le butin sucré et le montre fièrement de son bras dressé aux deux dames. Avant de mettre la friandise dans sa bouche.

« Je me demande à quoi d’autre on pourrait jouer en faisant des dessins sur le sol ? »

Mais Marmelade vient déjà auprès de la dame qui lui a donné des bonbons. Elle tend sa main vers elle.

« Il n’y en a plus qu’un. Et j’en veux encore. J’espère que la dame a autant de poches qu’elle a de prénoms ? »

Libre ! L'insupportable gamine collante lui avait lâché le bras. La stratégie de la Pécheresse avait porté ses fruits. Du coup, la slime savourait ses friandises mystiques. Elle n'allait plus l'embêter avant un petit moment. Enfin... normalement ?
Et qu'est-ce qui est normal, chez cette fille-là, au juste ?
Rien ! Elle était dangereuse. Sadgyra l'avait senti. Et elle le sentait toujours, d'ailleurs. Un pouvoir absolument titanesque sommeillait chez cette créature enfantine. Une énergie plus sombre encore que celle qui la liait à la djinn, oui ! Si la Pécheresse n'avait pas encore usé de violence sur Marmelade, c'était pour la simple et bonne raison qu'elle doutait de ses chances de victoire...
Finalement, nous avons peut-être bel et bien affaire à une Gardienne. Cette étrangeté représente un obstacle qu'il est toutefois possible de contourner. Reshaa-Mess en a parfaitement conscience, je le devine ! Elle s'évertue à l'amadouer, à la divertir, pendant que j'essaie de nous tirer de ce mauvais pas...
Et de rendre son groupe toujours plus riche - encore plus riche !
La Pécheresse devait se concentrer un maximum pour tracer ce motif complexe supposé leur servir de téléporteur magique jusqu'à leur cache aux trésors. Là bas, dans leur espace de stockage infiniment plus grand que cette salle pourtant spacieuse, un autre motif dans le genre - déjà tracé - les attendait pour un dernier transfert...


La Fine Djinn s'émerveillait de découvrir les capacités régénératrices de Marmelade tandis qu'elle faisait disparaître les bonbecs. Si ses morceaux manquants se résorbaient ou se reconstituaient, le reste de son corps gélatineux, lui, avait plutôt tendance à rétrécir. Et en devenant plus petite, la slime devenait naturellement plus mignonne. En plus de se comporter sagement alors qu'elle suçotait les sucreries de sa nouvelle fournisseuse. L'esprit de Mylh'nom vagabondait déjà en quête d'idées pour les prochaines douceurs à venir. Elle savait que Marmelade en réclamerait d'autres très bientôt, et qu'elle ne saurait se contenter du même aspect/goût.

- Un crayon ? Oh ! Facile, facile ! Il n'y a qu'à demander, mon p'tit cœur en sucre~

Un crayon, des bonbons... Pourquoi ne pas tout de suite mélanger ces deux éléments ?
Un œil extérieur et imaginatif aurait pu voir une ampoule apparaître au-dessus de la tête de la djinn !
Cette idée, elle n'avait pas mis longtemps à poser le doigt dessus...
Elle s'y affaira promptement tandis que Marmelade avait pris les devants en sautillant au beau milieu d'une marelle invisible. Il fallait qu'elle fasse vite, oui ; la slime ne disposait plus que d'une seule confiserie - celle qu'elle s'amusait à lancer avant de bondir sur la case désignée.
Alors que Reshaa-Mess se tenait dos à la joueuse et malaxait fébrilement son énergie, sa langue tirée de côté sous l'effort mental, la main de l'insatiable Marmelade se présentait déjà à elle.

- Oui, oui... encore un tout petit instant et...

*POUF!*

L'impensable se produisit à nouveau !
Avec un sourire jusqu'aux oreilles, Mylh'nom pivota sur ses pieds pour exposer le contenu encore légèrement fumant de ses mains pleines. De gros feutres, tous épais et longs comme trois pouces collés, brillaient sous le regard de l'immature créature.

- Taaa-daaaaa ! claironna la djinn. Contemple, Marmelade ! Des "Crayons-Bonbons" imprégnés de différents parfums. Tu peux dessiner avec dans un premier temps, et les ouvrir pour en manger le contenu dans un second temps. En revanche, il faut que tu saches qu'il n'est pas très recommandé de croquer directement le crayon en lui-même. Parce que c'est un emballage, vois-tu ? Et que, par définition, ce n'est pas bon à la consommation.

Malgré la mise en garde, la Fine Djinn paraissait fière de sa création !
Marmelade sera-t-elle assez intelligente et patiente pour l'écouter jusqu'au bout ? C'était à découvrir !
En attendant, Sadgyra reproduisait d'une main de maître le symbole de téléportation qui serait lié à son jumeau d'une contrée plus éloignée. A son activation, c'est un magnifique halo de lumière pourpre qui émergerait du grand cercle jusqu'au plafond.

« Des crayons-bonbons ? Ca a l’air trop génial ! »

Si ça avait été possible, il y aurait eu une étoile apparue dans chacun des deux yeux de Marmelade. Mais son grand sourire et son empressement à récupérer son nouveau butin était tout aussi évocateur.

Accroupie, Marmelade étale tous ses crayons au sol devant elle. Elle veut savoir toutes les couleurs qu’elle possède. Et pendant ce temps, elle n’embête plus personne. Parce qu’en plus de compter les couleurs, elle réfléchit à quel jeu elle veut jouer. Mais aussi qu’elle peut faire des dessins. Mais quels dessins ? Et aussi ! Il y a tant de choses à faire avec des crayons-bonbons que la petite tête de l’énergique part dans tous les sens. Et aussi, donc, il y a des bonbons à manger !

« Mais pas les crayons, elle a dit. Il faut les ouvrir qu’elle a dit. Et, hum… »

La langue sortie dehors et plaquée sur le côté de sa bouche, Marmelade fait un effort pour faire « pop ! » au bouchon. Mais ça ne vient pas. Alors elle force encore. Et puis, et puis, elle se dit qu’il faut peut-être faire autrement. Dévisser !

« OUIiii ! En plus c’est trop bon. Ils sont tout mignons les petits bonbons dans les crayons. »

Dessiner sur le visage de la dame toujours bougonne ? Ça semble rigolo comme nouveau jeu. Mais en même temps, elle veut savoir si une autre couleur a un autre goût. Et puis, alors qu’elle ouvre un crayon-bonbon de couleur violet, il y a le dessin de l’autre dame trop gentille et très généreuse qui brille soudainement d’une couleur qui ressemble à son crayon-bonbon. Marmelade avale ce qu’elle a dans la bouche et se rapproche du phénomène de lumière.

« C’est la sorte de porte pour aller manger des choses sucrées et délicieuses ? C’est maintenant qu’on va toutes les trois acheter tout plein de choses dans une pâtisserie avec toutes les pièces que la dame grognon récupère ? J’ai trop envie ! On part maintenant ? Dis, on part maintenant ? »

Marmelade rue sur la dame grognon et se met à lui secouer de nouveau le bras. Peu importe qu’elle transporte quelque chose. C’est même plus rigolo si ça fait une pluie d’or qui ricoche sur le sol et qui fait une sorte de musique.

« On y va ? Dis, on y va ? »

Aussi vite attirée par la dame grognon, Marmelade revient vers la dame aux bonbons.

« On va dans une pâtisserie en premier, hein ? Tu as dit un mot compliqué qui rimait avec quelque chose que tu as accolé au mot pâtisserie. Je ne me souviens plus lequel. Mais je me souviens très bien que tu as dit qu’il y aurait des pâtisseries. Au pluriel ! Et je veux goûter à quelque chose dans TOUTES les pâtisseries. Tu as promis, hein ! »

Comme si on lui a dit de ranger sa chambre, Marmelade accourt vers tous les crayons-bonbons qu’elle a laissé éparpiller sur le sol. Elle les récupère et les stocke dans ses bras. Mais ce n’est pas pratique. Alors elle réfléchit avec les sourcils froncés. Et puis elle lève un doigt et fait un clin d’œil, heureuse d’avoir trouvée une solution. Sauf qu’en faisant ça, les crayons-bonbons tombent. Elles les récupèrent et les collent sur son bas-ventre.

« Comme ça, j’ai une ceinture avec pleins de trucs comme Batman. Sauf que lui, il n’est jamais content. Et il est habillé tout triste en noir. Alors, on y va maintenant ? On y va, hein ! »