The Multiversity

Le Père Noël est mort.

…

La magie de Noël est en voie d’extinction.

…

Le Chalet erre parmi les étoiles. (bien que, techniquement parlant, ce soit le cosmos qui erre autour du Chalet. Mais le temps à la philosophie et la métaphysique n’est pas pour cet instant)

Mrs Claus se tient droite aux abords du vide. Son monde n’est plus une sphère. Son monde a une limite et cela l’agace à chaque fois de repenser aux platistes. Si seulement ils savaient qu’ils pouvaient avoir raison (d’une certaine sorte). Mais cela n’est pas important. Comme à peu près toutes les pensées qui lui passent par la tête. Rien n’est important alors que Mrs Claus est seule. Parfois, elle repense à Bayonetta. Elle se demande si elle va bien. Et puis observer le grand vide et les ténèbres infinis la font penser à autre chose. Ou carrément à rien. Il faut dire que se tenir au bout de son « île flottante » dans le cosmos a de quoi ébranler même la personne étant réputée pour son sang-froid.

« Et maintenant ? Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je dois rechercher le Père Noël ? Est-ce que je dois retrouver Krampus en priorité ? Je n’en sais rien… »

Pour amorcer le moindre plan, il faudrait avoir une marge de manœuvre. Mais Mrs Claus est à la merci de la dérive stellaire de son « vaisseau ». Ce bout de planète arraché à la Terre et jeté loin, très loin de la Machination Finale dont elle a été la victime. S’il reste de la magie de Noël pour contenir le trop grand nombre d’étages souterrains du Chalet, il n’y en a pas assez pour faire apparaître (comme par magie) une sorte de gros réacteur au cul de l’île flottante pour le transformer en vaisseau.

« Et puis, même si je pouvais faire naviguer mon micro-monde, où est-ce que j’irai ? Je n’ai pas de carte. Je ne sais pas où je me trouve. Et je ne sais pas où aller. »

Même les lutins ont pris un sacré coup dans leur moral. La bonhommie de Décembre n’est plus. Il y a des lutins dépressifs. Il y a eu quelques lutins suicidaires… Certains lutins ont essayé de faire rire Mrs Claus : sans succès. L’humeur général n’est pas bonne. Il faudrait un événement extérieur pour donner un coup de pied aux culs de toute cette ménagerie complètement perdus et au fond du trou. D’ailleurs, certains lutins se noient dans l’alcool. Tandis que d’autres consomment du sucre à outrance, faisant des desserts une nouvelle drogue. Non, décidément, plus rien ne va. Et si pour le moment, l’intérêt est seulement porté sur le bien-être de Mrs Claus et de ses lutins. Bientôt, il faudra se pencher sur les conséquences de la probable disparition de Noël…

« Nom d’un petit Gordanien farci ! » s’étrangla Ulrik quand l’un des vaisseaux de la transaction explosa violemment.

Le souffle de l’explosion repoussa le vaisseau d’Ulrik, qui en tomba de son siège. Toutes les alarmes du vaisseau carillonnèrent dans tous les sens, et il se releva péniblement après plusieurs loopings, heurtant les murs du vaisseau. Ce qui n’aurait dû être qu’une simple transaction avec plusieurs vaisseaux, lui venant fournir des épices, venait de subitement tourner au cauchemar. Ulrik se releva difficilement, et rejoignit le siège, tandis que les alarmes continuaient à lui vriller le cerveau.

« Bordel, bordel, mais fermez-là ! »

Sur l’un des écrans, on lui signala que les boucliers étaient mis à rude épreuve. Il appuya sur un bouton, et commença par remettre sa ceinture, puis se déplaça. Devant lui, il y eut plusieurs explosions supplémentaires, et il décrocha, s’éloignant du champ de bataille. L’un des premiers vaisseaux-cargo avait explosé, et le second s’efforçait de s’éloigner, tandis que le monstre spatial qui avait émergé du Warp, un Équarisseur Cosmique, se rapprochait lentement. Les tirs et les torpilles du second vaisseau-cargo peinaient à entamer l’épaisse cuirasse de l’Équarisseur, qui déploya des tentacules mortels pour perforer le vaisseau qui lui faisait face. Ulrik tenta de s’éloigner, et accéléra encore, déclenchant le moteur à hyperdrive. Toutefois, alors qu’il filait, l’Équarisseur projeta sur lui une spore qui toucha l’un des moteurs. Le vaisseau se mit à tanguer, et fit un bref saut quantique, l’éloignant d’une parsec.

Ulrik chavira sur place, et le vaisseau se transporta encore, rejoignant alors un champ d’astéroïdes.

« Bordel !! »

Le bourlingueur s’extirpa de son fauteuil, et rejoignit un panneau d’alimentation. Il se dépêcha d’arracher rapidement des câbles, afin que l’énergie soit reconvertie vers les déflecteurs et les boucliers, puis retourna sur le siège de pilotage. Ulrik s’efforça de s’éloigner, tandis que son radar l’avertit. L’Équarisseur le poursuivait, ses tentacules frappant avec force les météorites, les faisant exploser. La gueule monstrueuse de l’Équarisseur commença alors à aspirer la matière autour de lui, gobant dans son horrible gueule de multiples astéroïdes, qu’il recracha ensuite. Ce souffle fulgurant frappa le vaisseau d’Ulrik, qui bascula en avant. Son crâne heurta violemment le tableau de bord, et le vaisseau partit encore dans l’hyperespace.

Ulrik tomba au sol, et le vaisseau tournoya encore, tremblant dangereusement. Quand il termina sa course, Ulrik se releva lentement, sonné, et regarda à travers le cockpit. Il s’était légèrement ouvert le crâne. Une blessure superficielle, mais le sang coulait, ce qui n’était toutefois pas le plus surprenant qu’il put voir, et ce de loin.

Depuis son cockpit, il voyait une maison qui flottait dans les cieux, reliée à un morceau de terre. Son vaisseau avait atterri sur le perron, à l’entrée de la maison.

« Que… ? »

Puis Ulrik tomba à nouveau au sol.

Les chaînes de production de Noël tournaient au ralenti. Il fallait dire qu’exiler dans l’espace, loin des cheminées et des enfants : la motivation à continuer de créer les jouets pour la nuit de Noël était sérieusement remise en question. Une remise en question en amenant une autre. Les lutins mais aussi Mrs Claus se demandèrent si tout cela n’était pas absurde au lieu d’être une magie… magique. Au sens « la magie de Noël » qui équivaut au bonheur. Parce que les lutins et Mrs Claus devaient bien réaliser qu’avec des concurrents comme Amazon et toutes les chaînes de production pour nourrir la société de consommation…

« Non ! Stop. Il ne faut plus que je pense à ça. »

Une nouvelle fois, Mrs Claus parlait toute seule. Et si la question de la motivation à créer des jouets pour une des dernières nuits de Décembre avait été relevé : c’était en rapport avec ce qui allait suivre. Une rencontre plutôt… sauvage entre un Chalet dérivant et un vaisseau spatial. Improbable. Tout comme il était improbable de voir quelques lutins sortir par la porte pour se masser derrière Mrs Claus pour observer la cause de ce raffut.

Il y en avait avec une bouteille de whisky d’une taille impressionnante mais quasiment vide. Il y en avait un autre qui riait nerveusement. Son mental n’avait pas supporté le choc de la fuite du Chalet. Un autre riait mais pour une autre raison. De la poudre blanche traînait sous ses narines. Il y en avait même un qui avait une capote pleine qui ne tenait qu’au bout de son gland.

Mrs Claus aurait dû s’énerver d’une pareille agression. Elle aurait dû monter dans les tours et protéger ce qu’elle avait toujours protéger à la force de ses poings. Mais… il n’y avait plus d’intensité dans cette femme. Ce corps capable de rivaliser avec un Schwarzenegger au sommet n’était plus qu’une coquille vide.

« TOI ! »

Imaginer Mrs Claus sortir un super balai et nettoyer son perron d’un vaisseau inconnu aurait été une scène formidable ! Une combinaison de femme forte, de magie de Noël saupoudré d’aventure spatiale.

« Ne reste pas planqué là-haut. Descends ici. »

Mrs Claus n’avait qu’une seule question à poser à cet étranger.

« Est-ce que tu as une version de Noël, toi ? »

Ulrik se releva lentement, encore sonné. Le choc avait été plutôt violent, et un Equarisseur cosmique était toujours un rude combattant. Outre les attaques physiques, l’Equarisseur émettait des attaques psioniques qui pouvaient vous faire perdre le contrôle, s’insinuant dans votre esprit. Ulrik en avait eu un début de migraine, ce qui fit qu’il se demandait s’il n’était pas en train d’avoir une vision… Car il lui semblait bien voir devant lui une femme géante, avec des pectoraux gros comme ses cuisses, entourés de lutins défraichis. L’un fumait, l’autre buvait, un autre avait le zob’ à l’air… Un bien curieux assemblage. Ulrik s’écarta lentement, et récupéra une arme qui traînait dans un casier, un fusil plasma. Il enfila une veste en cuir, et entendit la femme lui parler quand il sortit. Le pont latéral descendit vers le sol et il sortit ensuite.

*Noël ?*

Ulrik observa la curieuse troupe. Il conservait son fusil baissé, et, estimant qu’ils ne représentaient pas une menace, le mit en bandoulière dans son dos.

« Okay, les comiques… Je m’appelle Ulrik, j’ai échoué par inadvertance après avoir été attaqué par une de ces saloperies d’Equarisseur sur votre… Charmante petite station. »

Il descendit à l’entrée du manoir, notant les regards curieux de certains lutins pour son vaisseau.

« Mon vaisseau n’est pas en état de repartir, je vais donc devoir vous demander l’hospitalité le temps de le réparer… »

Ulrik regarda la femme musclée. Elle avait l’air puissante, mais il lisait aussi dans ses yeux une profonde fatigue, qui n’avait rien de physique.

« J’ai entendu parler de… Noël… Un genre de… De fête annuelle. Là d’où je viens, les choses ne fonctionnent pas comme ça… Ou plus. Mais… Vous êtes qui, exactement ? Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous faites là ? »

Un « Hey ! » provenant de plus bas que la hauteur de Mrs Claus et Ulrik attira l’attention de ce dernier. C’était un lutin torse nu. Enfin, il portait un long manteau de cuir marron avec une fourrure blanche. Mais il faisait exprès qu’on puisse voir ces petits abdominaux de lutins. Il portait aussi une paire de lunettes de soleil et se présenta comme étant Goggles.

Goggles : « Qui on est ? Bah on les lutins de Noël ! Ou si tu préfères une version moins magique, et c’est malheureusement ce qui est en train de nous arriver, on est un petit-peuple travaillant à la chaîne pour produire des jouets en masse pour les enfants. Et les enfants, ça s’arrête de plus en plus tard maintenant. Avec tous ces adultes qui collectionnent les jeux vidéo et les figurines. »

Un lutin plus petit (oui, je crois qu’on a le droit d’écrire cette phrase ; on peut rétrécir davantage encore les petites choses) attira le voyageur cosmique de sa voix enfantine. Parce que c’en était un, un enfant. Il avait un nounours en peluche dans une main, et le pouce de son autre main qui quittait la bouche pour pouvoir parler. Lui, c’était Gamin.

Gamin : « Parfois, Maman Boss ne nous parle plus. Ca lui arrive souvent ces derniers temps. Elle ne nous parle plus. Elle ne s’occupe plus de nous. Elle regarde les étoiles les bras croisés. Parfois, elle va s’enfermer tout en bas avec le monsieur qui dort et qui ne se réveille plus. »

Goggles reprit la parole. Fait étrange, il ne portait plus de lunettes de soleil mais des lunettes rondes avec une armature très fine.

Goggles : « Et vous alors, vous êtes une sorte de boucher. Equarrir, Equarisseur, c’est bien un terme de boucher, non ? Ca veut que vous êtes comme nous. Nous, on a une ligne de production de jouets dessous le Chalet. Et vous, vous avez une espèce de ligne de dépeçage dans votre vaisseau spatial ? »

Gamin regarda le vaisseau spatial avec des grands yeux émerveillés. C’était un des derniers lutins à ne pas boire, se droguer, se branler ou désespérer. Très probablement parce que ce n’était pas un lutin adulte. Et, comme tout enfant, le gros fusil d’Ulrik lui faisait envie. Il voulait le toucher. Il voulait le soulever. Et si seulement il pouvait le diriger vers les étoiles et puis faire des PIOU PIOU PIOU ! et aussi faire exploser des trucs méchants.

Et pendant ce temps, Mrs Claus n’avait rien dit. Les bras toujours croisés, elle paraissait presque ailleurs…

Drôle de petite troupe. Les « lutins de Noël » semblaient en bien triste état, et il ne fallait pas être un génie pour constater que cette troupe était brisée. Du laissez-aller chez les lutins, et sur cette femme géante, qui était totalement absente. Elle fixait l’espace, tandis que l’un des lutins avait décidé de prendre les devants. Goggles. Un autre lutin, probablement l’un de leurs gamins, lui parla également de la femme musclée… « Maman Boss ». Ulrik resta silencieux pendant leurs explications. Son fusil se trouvait en bandoulière, et il pouvait voir que le petit lutin le regardait avec de grands yeux béats, notant surtout son fusil. Ulrik tiqua quand Goggles lui demanda s’il n’était pas boucher.

« J’ai l’air d’être un boucher ? Nan, je suis un transporteur. J’accomplis des missions qui consistent à délivrer des objets d’un point A à un point B. Un Équarrisseur… C’est le nom qu’on donne à un monstre spatial. Il a attaqué le point de livraison, et m’a poursuivi. J’ai réussi à déclencher l’hyperdrive, mais l’Équarisseur a abîmé mon vaisseau. Je me suis retrouvé ici un peu par hasard, et, si vous ne voulez pas qu’il débarque ici, il faut que je remette en marche mon vaisseau. »

Malheureusement pour eux, Ulrik n’était pas du genre altruiste. Il pensait avant tout à lui et à sa propre survie. Néanmoins, il se demandait bien ce qui avait pu mener l’Équarrisseur sur le lieu de rendez-vous.

« Je convoyais de l’épice de contrebande… Une épice produite depuis les mines de Kestiel. Ces épices sont taxées, alors les syndicats de mineurs de Kestiel vendent le surplus au noir. Deux vaisseaux-cargos sont venus. Moi, je pensais que je devais convoyer des caisses de crédits pour que ces crédits soient blanchis… Mais je me demande si… »

Ulrik soupira alors, et retourna précipitamment vers son vaisseau. Il ouvrit une porte latérale, et rejoignit la soute. Il grimpa dedans. Les valises et les mallettes étaient tombées dans tous les sens. Il ouvrit plusieurs mallettes, notant la présence de crédits, et chercha surtout une grosse mallette dont la taille l’avait un peu interrogé quand les clients des mineurs de Kestiel avaient déposé ça. Quand il le trouva, Ulrik attrapa la mallette, et l’ouvrit.

« Bordel ! »

À l’intérieur, il y avait… Un curieux artefact. Ulrik attrapa le collier en argent, et vit que l’artefact comprenait une sorte d’émeraude. Ulrik regarda l’artefact, qui se mit à lui parler… À murmurer des choses. Ulrik observa encore l’artefact, et l’émeraude se mit à s’illuminer, brillant d’une lueur chaude, envoûtante… Le collier voulait qu’on le porte, et il murmurait à Ulrik de l’enfiler…

Goggles : « Je crois qu’on devrait se débarrasser de ce type. Vous avez entendu ce qu’il nous a dit ? Il a parlé de contrebande ? Et de blanchissement d’argent ? Ce type ne peut rien nous apporter de bon. On a déjà assez de problèmes comme ça sans l’ajouter lui en plus. »

Il y avait maintenant un collier aux lunettes. Le genre que les vieilles personnes ajoutent pour ne plus les perdre. Celui du lutin Goggles était fait de perles blanches. Et il se mit à essuyer les verres, en attendant de voir quel autre lutin prendrait la parole. Il avait un peu compté sur une réaction de Mrs Claus, mais cette dernière avait toujours la tête dans les étoiles.

Gamin : « On peut aller dans le vaisseau ? Dites ! On peut aller dans le vaisseau ? Ça doit être trop génial à l’intérieur. Et puis, je pourrais peut-être jouer avec ces jouets. Je voudrais trop essayer son piou-piou ! On peut y aller ? On peut y aller ? On peut y aller ? »

Un autre lutin s’ajouta au troupeau. Ce dernier portait un Perfecto. Ce blouson de cuir noir qui donnait un aspect badboy. On pouvait apercevoir un tatouage sur sa poitrine verte, vu que le blouson était ouvert. Au niveau des épaules, il y avait des piques en acier. Mais les piques n’étaient pas attachés au blouson. Ils étaient implantés directement dans ses épaules, comme on pouvait en voir au niveau de ses sourcils ou de ses oreilles. Ce lutin se faisait appeler Turbo.

Turbo : « Je suis d’accord avec Gamin. On monte là-dedans. Ca doit être trop fendard de conduire ce truc ! Vous imaginez à quelle vitesse ça doit aller ce machin ? »

Turbo est un lutin connu pour être le spécialiste des véhicules. Le kart en plastique. La moto rose de Barbie. Ou même la trotinette qui ne cesse de gagner des adeptes. Turbo maîtrise et pas seulement la version enfantine qui est offerte à Noël. Turbo les améliore. Pas étonnant qu’il soit un grand fan de la saga Fast and Furious. Aucun des véhicules trafiqués par Turbo ne doit jamais tomber entre les mains d’un enfant ! Ce serait provoquer sa mort…

Goggles : « Non. On ne va pas s’acoquiner avec ce criminel. Hors de question. »

Turbo : « Mais tu imagines si on remplaçait notre vieux traîneau tout pourri par ce genre d’engin ? »

Goggles : « Tu es en train de me dire que tu penses à Noël avant tout ? »

Turbo : « Euh… ouais. Ouais, ça doit être ça. Je veux dire, bien sur que c’est ça ! Et puis c’est aussi pour faire plaisir à Gamin. Notre job c’est de plaisir aux gosses, oui ou non ? »

Goggles : « Euh… oui. Bon, OK. Si c’est pour Noël, la Boss et Gamin. Alors OK. »

Gamin : « OUAIS ! »

Et le troupeau de lutin entra dans le vaisseau d’Ultrik. Tandis que Mrs Claus regardait ses employés sans rien dire ni rien faire…

Il était comme Frodon face à l’Anneau Unique. UIrik contemplait cet artefact, cette sphère verdâtre qui se mettait à luire, et qui murmurait des sons inintelligibles dans son oreille. Décrire ce qu’il entendait lui semblait impossible, l’artefact parlait dans une langue inconnue, mais dont il saisissait malgré tout la tonalité et les intonations. Il rapprochait ainsi le collier de son cou, sans se douter que les lutins se rapprochaient. L’un d’eux était dans la soute, tandis que les autres avaient rejoint le pont de commandement. Les moteurs étaient au repos, tandis qu’un diagnositc interne du vaisseau était en cours. Et, quand l’un d’entre eux appuya par inadvertance sur un bouton, les moteurs s’illuminèrent brusquement. Un bruit fort qui surprit le lutin dans la soute, qui heurta des valises. L’une d’eux tomba sur la tête d’Ulrik, qui grogna en tombant sur le sol, s’arrachant du coup à l’influence néfaste du collier.

« Argh ! »

Surpris, il se retourna, et vit le petit lutin – Gamin – qui se tenait là. Ulrik pensa brièvement au collier qu’il tenait dans sa main, et qu’il se dépêcha de glisser dans la poche de son short.

« Tes potes sont dans la cabine, hein ? Bordel… »

Ulrik se dirigea vers le fond de la soute, et appuya sur un bouton. Un escalier se déverrouilla, et une trappe s’ouvrit, lui permettant de rejoindre le pont principal. Son vaisseau était somme toute assez petit, avec un couloir central menant au cockpit. La chambre était au fond du couloir, avec une pièce pour les sanitaires, et une autre comprenant une trappe menant vers le moteur. Les lutins se retournèrent vers lui.

« Ne touchez pas aux commandes ! »

Se massant l’arrière du crâne, il se rapprocha du cockpit. En s’écartant précipitamment, l’un d’eux appuya encore sur un bouton, ce qui généra au milieu du cockpit un hologramme. Une fille sexy apparut sous forme holographique, nue, remuant lascivement.

« Souhaitez-vous un massage pendant votre vol, Maître ? » demanda-t-elle d’une douce et irrésistible voix sensuelle.

Goggles : « OH Putain ! Dites-moi que je n’ai pas besoin d’un rendez-vous chez l’ophtalmo, les gars. Vous voyez ce que je vois ? »

Par quelle diablerie, Goggles parvenait à changer de lunettes ? Certains argueraient « magie de Noël ». Mais cette dernière est mourante, n’est-elle pas ? Ou changeante ? Dans tous les cas, la nouvelle paire de lunettes de Goggles est celle ridicule où il n’y a pas de carreaux et des mini-bites sur ressort.

Turbo : « Je la vois sacrément bien, moi aussi. Sacrée belle machine ! (sifflement !) Elle me fait perdre la tête. Vous vous rendez compte les gars, je ne sais même plus ce que je veux ? Conduire notre nouveau traîneau 2.0 ou faire un check-up complet de ça ? Sans déconner, vous avez vu le pare-choc ? »

Ce qui était sûr, c’est que toute la bande de lutins était soudainement hypnotisé par l’attraction holographique d’Ulrik. Et parmi cette bande de lutins, il y avait celui qui avait accueilli Ulrik avec une capote pleine au bout du gland. Le plus incroyable ? Elle y était toujours. Et elle tenait toujours alors que le lutin trompait sa main droite avec l’hologramme.

Mais bon, toute la bande de lutins ne fixait pas les courbes nues. Il y en avait un en particulier qui regardait autre chose : Gamin. Le petit lutin tenait son nounours à côté d’Ulrik. Peluche qui ne resta pas longtemps en place car il fut propulsé sans aucune forme de procès vers le visage du criminel spatial.

Gamin : « Attrape Nounous ! »

Sans plus attendre, Gamin se précipita sur la jambe d’Ulrik. Tel un chat, son objectif était de grimper sur l’humain. Mais pas seulement parce qu’il était « trop petit » et qu’il ne « voyait rien ». Gamin avait vu la manœuvre d’Ulrik. Ce n’était pas parce qu’il était petit qu’il fallait le sous-estimer. Il avait très bien vu qu’on avait essayé de lui cacher quelque chose. Et maintenant, il voulait savoir ! S’il le cachait, c’est que c’était important. Un nouveau jouet ! Gamin voulait avec. Peu importait ce que c’était. Alors il grimpa sur la jambe d’Ulrik. Parlant sans cesse. Qu’il était trop petit. Qu’il fallait faire attention à Nounous. Si la madame était la femme d’Ulrik. S’il pouvait aller sur ses épaules. S’il pouvait essayer son arme. Et pendant qu’il abreuvait Ulrik de question, sa main, telle celle d’un voleur, fouilla la poche à la recherche de l’artefact.

Goggles : « Si ça se trouve, son terrible monstre c’est ça. Peut-être que le grand costaud n’est pas poursuivi par un monstre de l’espace impossible tout plein de dents. Mais par une femelle en colère ? Ah ah ah ! »

Turbo : « Bon allez, trêve de plaisanteries. Je vous laisse la donzelle, moi, ce siège me fait de l’œil. Chacun sa came, les gars ! »

Réajustant son Perfecto en tirant de ses doigts au niveau de sa poitrine (un geste parfaitement inutile, mais le lutin se croyait pour un héros d’un film d’action), il s’en alla vers le siège de pilotage. Et, contrairement à Gamin qui voulait jouer : Turbo voulait bel et bien faire rugir les moteurs ! Et plus si la possibilité lui était offerte.

Ulrik regarda les lutins avec circonspection tandis qu’il était incapable de couper l’hologramme… Encore une facétie de l’ordinateur de bord ! Les moteurs étaient dans un sale état, après tout.

« Putain, vous avez jamais vu de femmes ou quoi ?! »

Par l’intermédiaire de son écran de bord, il vit, à travers la vitre, la silhouette solitaire de Mrs Claus.

« Enfin, à part ce grizzly, là… C’est qui cette nana, d’ailleurs ? C’est votre épouvantail local ? »

Il s’était retourné vers eux, et se reçut alors un ours en peluche en pleine tête.

« Hey, bordel de merde ! »

Ulrik sentit alors le mini-lutin s’agripper à sa cheville, grimper sur son bassin, puis sauter sur ses épaules. Ulrik reposa Nounous à côté, et, quand Gamin essaya de tripoter son fusil d’assaut, Ulrik gigota en lui disant d’arrêter. Des vrais diablotins, ces lutins ! Ils étaient en train de mettre un souk incroyable dans son vaisseau, et ce dernier n’avait pas besoin de ça. Gamin abaissa un levier du tableau de bord, et les turbines du vaisseau s’enclenchèrent alors, faisant trembler tout le vaisseau. Ulrik se retourna rapidement pour désactiver les turbines, et Gamin en profita pour attraper la chaînette en acier de l’artefact.

« Hey ! Non, ne touche pas à ça ! »

En essayant de récupérer le collier, Ulrik renversa Gamin, qui tomba sur les fesses au sol, et l’artefact glissa de sa paume. L’objet infernal se mit à rouler jusqu’aux pieds de l’un des lutins, qui baissa les yeux sur lui. Et, quand son regard croisa celui de l’artefact, ce dernier se mit brusquement à s’illuminer, venant tenter le lutin, l’envoûtant de ses murmures inintelligibles, mais que lui seul pouvait entendre et en percevoir le sens, quand bien même ce dialecte ancestral, guttural, lui était inconnu…

Cacophonie de lutins : « HEY ! Tu respectes la Boss !! »

Les lutins n’avaient pas du tout apprécié qu’Ulrik traite Mrs Claus de « nana » et « d’épouvantail local ». En soi, grizzly n’avait pas été un problème. Après tout, chacun sa culture. Par contre, ce qu’ils avaient tous appréciés d’un grand sourire : ça avait été l’attaque de Gamin avec sa peluche du nom très original de Nounours. Bon, Gamin n’avait pas fait ça pour le respect de Mrs Claus. Mais un peu quand même après coup.

Gros bordel. Levier. Accélération statique. Artefact nuisible qui roule et finit entre les mains d’un lutin influençable.

{Tu es le plus grand, le plus beau des lutins…}

Cette voix était extraordinaire ! Elle résonnait directement dans son esprit. Le lutin était extatique. C’était encore meilleur que le dernier cocktail de drogues qu’il avait sniffé. C’était… c’était… comme rencontre son âme-sœur ! Les mots. Le ton. Tout lui parlait directement à lui et à lui seul.

Alors il serra les mains autour de l’artefact et plongea son regard dans « l’œil vert ».

{Toi seul mérite de m’avoir. Mais les autres vont vouloir m’arracher à toi. Alors il faut que tu trouves une solution. Et tu connais déjà la solution…}

Le lutin ne comprenait pas. Il n’y avait que des amis autour de lui. Sauf cette espèce d’humain bizarre qui jouait avec des femmes qui n’existaient pas. Mais ce n’était pas si grave. Lui et ses copains lutins s’étaient bien mis en cercle avec tout un tas de super magazines pornos au centre. Bref !

*Pourquoi il me regarde comme ça Goggles ? Qu’est-ce qu’il me veut ! Il veut me piquer mon âme-sœur ?! HORS DE QUESTION ! *

Alors il fit la seule chose qu’il y avait à faire. Il n’y avait qu’une unique solution pour soustraire l’artefact à la convoitise de ses faux-frère et de cet humain voleur. Le lutin avala l’artefact ! Très vite, ses yeux virèrent au noir encre. Son visage lisse et vert devint plus fade, gris et tout plié de rides. Une crinière blanche et hirsute grandit. Son dos se baissa. Il avait l’allure du Quasimodo de Paris.

*Et… *

« maintenant ? »

*PARLE- *

« MOI ! Qu’ »

*est-ce *

« que je »

*dois *

« faire ?! * »

La Boss, donc… Ulrik sourit doucement en voyant les lutins faire front commun pour dé »fendre l’honneur de leur cheffe.

« Ça va, ça va les comiques, je déconnais, en vrai votre patronne est plutôt pas mal. Elle est libre ? »

Ulrik ne devrait jamais avoir la réponse à cette question, car, tandis qu’il la posait, le petit nain jeta sur Ulrik un ours en peluche. Ce dernier s’écarta, et l’objet heurta un levier, déclenchant une brusque poussée du vaisseau. Ulrik glissa, et sa tête heurta douloureusement le rebord du pupitre. Il gémit en tombant sur le sol, sentant une vive douleur à l’arrière du crâne.

*Bordel d’enculé d’enfoiré de mioche ! grommela Ulrik en se massant l’arrière du crâne. Ce petit con a failli m’ouvrir le crâne !*

Le bourlingueur se redressa lentement, et constata avec effroi que l’artefact avait gliossé de sa poche, et que l’un des nains l’avait attrapé.

« Hey ! Putain non, relâche ça, petit, tu… »

Le nain avala alors brusquement l’artefact. Ulrik écarquilla les yeux et se releva brusquement.

« Putaion, mais il est con ou quoi ? Recrache ça, merde, ce truc est dangereux ! »

Faisant fi des nains qui gesticulaient, Ulrik se dirigea vers le nain qui étairt en train de blêmir, et essaya d’attraper la chaîne. Impossible pour lui d’avaler tout de go un truc aussi gros ! Ulrik chercha à le lui faire recracher, mais le nain se tortilla alors, et dégagea autour de lui une puissante projection de force. Ulrik fut soufflé en l’air, et retourna encore sur son tableau de bord. Il heurta la baie vitrée, rebondit sur le tableau, puis grogna en tombant sur le sol. Des tentacules jaillissaient du dos du lutin, et un troisième œil s’ouvrit sur son front, au-dessus de ses deux yeux.

« Fhtagn ! Y' fhtagn nog ymg' ah'n'gha ! Fhtagn ! »

Une voix gutturale et caverneuse lui vrilla le cerveau, et Ulrik sentit sa tête lui donner l’impression d’imploser. Le lutin sortit alors précipitamment, et Ulrik se releva lentement.

« Bordel, il faut lui retirer ce truc, il va attirer l’Équarisseur cosmique ! »

Les lutins étaient toutefois en triste état. Ulrik sortit donc, et se dirigea vers la femme géante.

« Hey, toi, la femme géante ! Remue-toi le cul, l’un de tes employés va nous attirer une calamité cosmique sur la gueule ! Sors-toi les doigts du cul, et aide-moi à le retrouver ! »

Une voix désagréable, comme étouffé derrière quelque chose, perturbe Mrs Claus. Quoique… pour être perturbée, il faudrait faire quelque chose. Qu’est-ce que Mrs Claus est en train de faire ? Petit à petit, les questions se posent et s’enchaînent. Le regard se fait moins vide. Bien qu’il fixe toujours les étoiles. Elles sont si nombreuses. Il semble même à Mrs Claus que c’est la première fois qu’elle en voit autant. Et pourtant, elle a vécu dans le Chalet avec le Père Noël. Là où le ciel était parfait.

Le Père Noël…

« BORDEL ! Quoi ? »

D’un seul coup, Mrs Claus fait volte-face et vient se positionner devant Ulrik.

« Qu’est-ce que tu veux faire avec mon cul ! Retrouver qui ?! »

Il y a des lutins partout. Oui, présenter ainsi, c’est parfaitement normal. Ce sont les employés de la légendaire nuit de Noël. Mais là, il y en a partout d’une façon anormale. Ca court dans les tous les sens. Ca recherche. Ca met la main en visière pour observer. Ca met les mains en porte-voix pour appeler. Qui ? Un de ses précieux lutin ?!

Une paire de lunettes futuristique. Un design argenté couplé à la « peau » d’une boule de disco. Mrs Claus n’a jamais compris comment Goggles parvenait à changer de lunettes. Même lui ne semble pas comprendre. Il le fait, c’est tout.

Goggles : « Boss ! On a un problème. Ce criminel a donné à bouffer un poison à l’un des nôtres. Soudainement, il racontait n’importe quoi. Ses yeux sont même devenus tout noir ! »

Et comme si ça ne suffisait pas pour enfoncer Ulrik aux yeux de Mrs Claus, le petit lutin à l’ourson arriva en renfort. Lui non plus n’était pas content. Il faisait les yeux noirs au voyageur cosmique.

Gamin : « Il ne veut pas prêter ses jouets ! Et il y a une femme toute nue dans son traîneau ! »

Les poings de Mrs Claus craquèrent en se refermant pour devenir des masses d’armes. Les muscles de ses bras se contractèrent. Ulrik pouvait être fier d’une chose. Il avait réveillé leur Boss à tous. Par contre, ça n’avait rien à voir avec de l’amour ou la magie de Noël : c’était la terrible colère qui dévore depuis l’intérieur. Celle qui aveugle et fait perdre toute lucidité.

« C’est quoi toutes ces conneries ? Explique-moi ce bordel. Rapidement et de façon concise. Ou je te jure que la Petite Souris aura de quoi t’apporter une petite fortune. »

Les chats faisant rarement des chiens, le réveil de la matrone allait sûrement prouver à Ulrik que cette joyeuse bande de débiles avaient pour mère une femme qui avait dans les muscles ce qu’elle n’avait pas dans le cerveau. En effet, Ulrik pensait que Mrs Claus était la mère de tous ces lutins braillards. Elle s’interposa entre lui et le lutin chapardeur, et exigea des explications, tandis que, sortant du vaisseau, les lutins le chargèrent. Ulrik, qui sentait la migraine pointer, soupira longuement.

« Fermez-là, bande de crétins, c’est votre lutin idiot qui a pris ce collier après avoir tripatouillé mes commandes ! »

Il regarda la femme, qui était jusqu’à présent totalement absente, et n’avait donc pas écouté le début de cette histoire de fous furieux.

« Bon, écoutez, j’ai rien à voir dans votre petit trip yiddish cosmique, moi. Je suis bourlingueur dans l’espace, mais j’ai fait une mauvaise rencontre. Un… Un Équarrisseur cosmique a attaqué mon vaisseau lors d’une transaction, et j’ai dérivé dans l’espace, jusqu’à atterrir chez vous. Je ne demande qu’à quitter cet asile de cinglés, mais l’un de vos gosses s’est emparé d’un artefact qui faisait partie des objets que je devais convoyer… Et, vu ce que ce truc a fait, c’est un collier sacrément dangereux ! Donc, avant que votre gosse nous fasse une syncope, il faut absolument le retrouver, et il s’est tiré dans votre baraque ! »

Le résumé était un peu haché et raccourci, mais, au moins, l’essentiel avait été dit ! Maintenant, il fallait vite retrouver ce sale mioche !

« Je ne comprends pas grand-chose à tout ce que tu me racontes. Les étoiles étaient pour moi le décor parfait de Noël. Pas un endroit où on erre indéfiniment et où des choses chassent. »

Quel était le dessein du Chalet d’aller se perdre dans un tel endroit ? Mrs Claus n’arrivait toujours pas à esquisser une réponse. Fuir un danger trop grand, ça elle comprenait. Mais quel intérêt de fuir là où on ne pouvait que baisser les bras et se laisser lentement dépérir ?

« Et puis tu vas arrêter de prendre tes grands airs et de raconter n’importe quoi. Ce n’est pas une vulgaire baraque. C’est le Chalet du Père Noël. Là où les lutins travaillent durs pour offrir plus que des cadeaux à tous les enfants de la Terre. Des sourires. Des moments de complicité avec des parents peu souvent à la maison. Bref, la Magie de Noël. »

Mrs Claus tiqua. Si la tirade était sortie toute seule et avec une énergie qui lui faisait dorénavant cruellement défaut, l’après-coup la faisait revenir au bord de l’abime. La Terre ? Elle n’y était plus. D’ailleurs, il n’y avait peut-être pas qu’une Terre. Non, c’était certain, ce type arrogant venait d’une autre planète. Donc… son travail avec le Père Noël semblait tout de suite moins unique. Plus banal.

« Et puis ce ne sont pas mes gosses. Sérieusement, tu as vu leur tête ? Leur taille ? Tu ne vas quand même pas me dire que tu n’as jamais vu une seule image du Père Noël ? Un type avec une grande barbe blanche ? Un embonpoint de trop goûter les recettes ? Bref, je ne suis pas leur mère. »

Cet Ulrik ne cessait de remuer la merde. Mrs Claus avait bien sur eu des rapports sexuels avec le Père Noël. Mais elle réalisait qu’elle n’avait jamais donné la vie. C’était un constat qui lui faisait l’effet de recevoir un coup de poing. Et en même temps, elle comprenait. Parce que qu’elle intérêt de créer un Père Noël Junior ? Quel intérêt d’élever un enfant là où tous les jouets étaient fabriqués. Ça aurait été défoncer son innocence. Comment cet enfant aurait-il pu grandir ? Alors… mais alors quoi ? Et maintenant ? Cet homme… est-ce qu’elle devait… non ! Elle n’allait pas donner la vie à un futur Père Noël. Cette idée était sacrément débile !

« Il est hors de question que tu rentres dans le Chalet de toute façon. C’est un lieu unique. Je ne te connais pas. Il n’y a aucune confiance entre nous deux. Alors tu vas rester sagement ici. Je vais te garder à l’œil, moi. »

Mrs Claus redevint la Boss. Elle donna ses ordres aux lutins les plus responsables. Ceux qui ne dérivaient pas dans les affres de la boisson, drogue, sexe ou dépression. Il fallait former des groupes. Retrouver la trace du lutin à l’artefact.

Quand les ordres furent donnés, Mrs Claus croisa les bras. La pauvre femme à l’esprit dans les étoiles n’était plus. Si Ulrik voulait passer et retrouver sa précieuse livraison lui-même, il lui faudrait passer ce mur de muscles à l’œil à l’affût.

Noël ? La magie de Noël ? Un gros lard habillé en rouge ?

*Elle a picolé ou quoi ?*

Ou alors, c’était une forme d’ethnocentrisme. Les races primitives fonctionnaient ainsi, pendant que tous leurs rituels et cérémonies locales étaient connus de tout le Cosmos. Au sein de l’Empire de Gordan, il y avait bien longtemps qu’on ne raisonnait plus à hauteur d’une simple planète. Dès lors qu’une civilisation s’étirait au point de coloniser sa propre galaxie, il était inutile de se référer par rapport à l’astre solaire. Il y avait au sein de l’Empire un calendrier galactique qui se jugulait avec des calendriers stellaires, pour tenir compte des différences temporelles en raison de l’attractivité des étoiles.

« Je vois… Écoutez, Madame, je ne veux pas paraître… Condescendant… Mais vous êtes visiblement originaire d’une civilisation de type 1. Moi, je viens d’un type 3, une civilisation qui ne se résume pas qu’à une planète ou à un système solaire. Votre fête locale, je n’en ai jamais entendu parler. Je sais que les Type 1 continuent à célébrer la rotation annuelle de leur planète. Vous pouvez vous permettre de raisonner ainsi, de croire que le temps est une simple ligne qui va de l’avant… Mais le temps est bosselé. Tout ça pour vous dire que ce n’est pas le moment de me sortir votre numéro, chérie. »

Elle semblait intimidante, à n’en pas douter. Ulrik savait qu’il ne valait mieux pas vexer les pécores.

« Écoutez, votre pote, là, il a pris un artefact très dangereux. C’est pas vraiment le moment de se demander qui a la plus grosse ! Je sais pas ce que vous planquez dans cette maison, mais je m’en fous. Ces enfoirés m’ont fait transporter un artefact eldrichtien ! Vous comprenez ce que ça signifie ? Non seulement il risque d’attirer toutes les saloperies cosmiques de la région, mais ça peut aussi lui griller le cerveau ! Il faut qu’on le retrouve ! Vous les avez pas pucés, vos amants ? »

Si les nains n’étaient pas ses enfants, peut-être qu’ils formaient sa garçonnière ? C’était curieux d’imaginer une femme aussi musclée avec des nains de jardin, mais Ulrik n’allait pas critiquer.

Cet homme… cet homme… cet homme ! RHaaA ! Mrs Claus ne savait quoi en penser. Il était chiant. Tous ses gestes et tous ses mots semblaient être la manifestation d’un drapeau qu’on agitait. Le genre de drapeau qui avait pour message « Baffez-moi ! Claquez-moi ! ».

Mais il était bien plus qu’une espèce de badboy qui voyageait parmi les étoiles. Déjà il y avait ça. Si elle voyageait avec les étoiles comme une espèce de plafond. Lui slalomait carrément entre elles. Rien que ça mettait un abyme entre eux deux. Et il y a tout ce qu’il disait. Type 1 ? Type 3 ? Elle ne comprenait pas. Par contre, fête locale et célébration de la rotation annuelle de la planète Terre : ça, elle voyait. Et de la façon dont il le disait, elle se sentait comme une arriérée.

De là à remettre en question la magie de Noël et la pertinence à la sauvegarder…

« Hey ! Oh ! Tu vas te calmer. Ils ne sont pas pucés. Ce sont mes employés. Et si certains sont loin d’être habillés décent, je ne couche pas avec. Espèce de- ! »

Elle en avait profité quand elle était jeune. Du sexe avec les lutins. Mais ça faisait bien longtemps que la masse phénoménale administrative avait tué sa libido. En tout cas, Mrs Claus avait su ravalé les jurons qu’elle allait déballer. L’intelligence du voyageur était supérieure à la sienne. Ou, à moins de parler d’intelligence, il fallait parler de connaissances ? En tout cas, il avait une vision plus large.

« C’est quoi un artefact eldrichtien ? Ca parait dangereux. Et je n’ai pas du tout envie que ce truc finisse de détruire ce qu’il reste de ma maison et de la magie de Noël. Alors vas-y, explique-moi ce que ça veut dire. De toute façon, je sens que je ne vais pas avoir le choix que de te chaperonner en te laissant entrer chez moi. »

Ca ne lui plaisait pas. Pas du tout ! Le Chalet était une espèce de coffre-fort normalement. Un endroit de légende que tous connaissaient mais dont personne ne pouvait entrer au-dedans. Ou alors quelques rares enfants qui parvenaient à trouver des espèces de « ticket d’or », se perdaient ou parvenaient à trouver une porte grâce à la magie des rêves. MAIS ! en règle générale, le Chalet n’était vu que de l’extérieur. On ne rentrait pas à l’intérieur.

Mrs Claus était gênée. Elle voulait poser une question mais… oui, face à cet Ulrik, elle se sentait vraiment comme une attardée. Ca ne lui plaisait pas du tout.

« Je suppose qu’il est hors de question de taper à poings nus sur ces saloperies cosmiques ?... »

Soudainement, elle se rappelait de la Baleine et de Bayonetta.

Ulrik devait s’efforcer de ne pas paraître trop méprisant… D’un autre côté, avec ce grizzly sur pattes, il avait aussi le sentiment que, s’il se montrait sympathique, elle prendrait cela comme de la faiblesse. Les bouseux préhistoriques réagissaient souvent comme ça. Néanmoins, Mrs Claus était décidée à faire une concession, tout en interrogeant Ulrik.

« Je ne suis pas expert en la matière. Ces artefacts sont des objets maudits, souvent infusés par une magie noire maudite, une magie si sombre et néfaste que même les adeptes de magie noire traditionnels se refusent à l’utiliser. C’est pour ça qu’on parle de ‘‘magie eldrichtienne’’. »

Ulrik se dirigea vers le perron.

« Eldricht… Vous n’en avez jamais entendu parler, chez vous ? C’est sans doute mieux. C’est un terme générique qu’on utilise pour désigner une très ancienne race, probablement la plus ancienne qui soit. Une race qui est éteinte, qui vit en-dehors de la réalité, et qui aspire à revenir. Elle a laissé ses marques dans le Cosmos, et elle influence ceux qui croient en ses mensonges. Ils maîtrisent une forme de magie unique en son genre, et leurs adeptes reçoivent une fraction de ce pouvoir. Là d’où je viens, les Gordaniens traquent et massacrent impitoyablement ces sectes. Si j’avais su que ces enfoirés m’amenaient à transporter l’un de leurs artefacts… »

Ulrik soupira en mettant ses mains sur les hanches, puis se retourna vers la femme.

« Je vous ai mis en danger, vous et votre bande de… Voyageurs cosmiques. Votre pote est en danger, ce machin vous fait voir des trucs, il vous retourne le cerveau. Vous pouvez utiliser vos poings. S’il y a bien quelque chose d’universel indépendamment des niveau technologiques, c’est bien l’usage de la violence pour résoudre les problèmes extrêmes. »

Le duo pénétra dans le hall vide du Chalet.

« L’artefact s’est éveillé, cela veut dire qu’il a senti un puits magique ici… Sûrement ce qui permet à votre sympathique bicoque de flotter dans les airs. Il va chercher à la dévorer, à la pervertir. Alors, il faudrait que vous nous conduisiez au cœur du Chalet, là où la source magique se trouve. Sinon, votre sympathique bicoque de vacances risque de se transformer en manoir hanté. »

Autant dire que la situation risquait de vite se compliquer !

« Le Chalet est suffisamment brisé comme ça. Hors de question qu’une espèce de cadavre qui se cache derrière les étoiles finissent de détruire ce qui reste de ma vie ! »

Alors Mrs Claus sut qu’elle avait pris une décision ; cet inconnu rustre aux connaissances plus larges que les siennes : cet Ulrik pénétrerait à l’intérieur du lieu de légende.

« C’est d’accord. Viens avec moi. Je te conduis au Cœur du Chalet. Mais je te préviens, je te garde à l’œil et j’ai le poing facile. »

Sur cette provocation potentiellement inutile, Mrs Claus conduisit Ulrik à l’intérieur du Chalet. Elle lui fit prendre l’ascenseur et appuya sur le bouton pour descendre tout en bas. Beaucoup trop en bas par rapport à la taille de « l’astéroïde » que le voyageur cosmique avait pu voir avant de s’écraser. Inévitablement, il y avait de la magie à l’œuvre.

Il y avait aussi autre chose car il ne fallut pas longtemps avant que l’ascenseur ne s’arrête. Bien loin du Cœur. Il faisait plus sombre. Plus froid. Il y avait quelque chose qui traînait dans l’atmosphère et ça n’avait rien à voir avec le fait de descendre en profondeur.

Les portes de l’ascenseur cherchaient à s’ouvrir mais elles se bloquaient sitôt atteint le deuxième centimètre. Elles se refermaient. Se rouvraient. Et continuaient leur manège. De cet interstice provenait un grondement. Celui d’une masse mécontente. Il n’en fallut pas plus à Mrs Claus pour ouvrir de la puissance de ses biceps les deux portes… et découvrir qu’une espèce de syndicat gueulait.

« C’est quoi encore ce bordel… »

Non. Ce n’était pas son genre de maugréer dans sa moustache, alors :

« C’est quoi encore ce BORDEL ?! »

Voilà. Ainsi l’attention de tous les lutins se tournèrent vers elle. Un brouhaha incompréhensible l’assaillit. Mais les masques de colère associés aux pancartes permirent de comprendre. Les lutins de Noël se rebellaient. Il n’y avait plus de contrat qui tenait depuis qu’ils n’étaient plus sur Terre. Il n’y avait plus de travail à accomplir. De toute façon, il n’y avait plus assez d’énergie ni de motivation. Et encore moins de clients (d’enfants) à servir. Tout devenait inutile. Absurde. Cela devait cesser !

Mrs Claus se retourna vers Ulrik.

« Dans la logique, je pourrais dire qu’ils ont raison. Mais ce que j’ai ressenti dans l’ascenseur, ce n’était pas normal. Quoi qu’il en soit, nous sommes pressés et j’ai l’impression qu’on va devoir en passer par cette révolte, syndicat ou quoi que ce soit. »

« Ne t’en fais pas, poupée, moi aussi, je vais garder un œil sur toi ! »

Ulrik n’en ratait jamais une, et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne gardait pas sa langue au fond de sa poche. Il suivit donc la femme géante à l’intérieur du « Chalet ». L’endroit était assez délabré, avec des fissures partout, des vases renversées, des tableaux renversés.

« Vous n’avez pas un androïde pour passer le ménage ? »

Après tout, il ne fallait pas s’attendre à moins, de la part d’espèces primitives. Il suivit la géante jusqu’à un ascenseur qui les rapprocha du centre du chalet. Le Chalet était en tout cas plus vaste que ce qu’il pensait. L’ascenseur commença donc à descendre, et Ulrik constata que le Chalet s’enfonçait surtout dans les profondeurs. Ce qu’il avait pensé pour un énorme bloc de roche recouvrait en réalité une grande structure souterraine. À la surprise de Mrs Claus, l’ascenseur s’arrêta en arrivant au niveau -2. Surpris, Ulrik porta la main à sa ceinture, et décrocha son pistolet-laser de son holster. Il se mit en vigilance, s’attendant à devoir affronter de potentiels ennemis. Les battants de l’ascenseur s’ouvrirent péniblement, et le duo fit irruption dans un grand entrepôt. Ulrik pointa naturellement son arme… Et écarquilla les sourcils en voyant une tripotée de lutins en colère.

« LUTINS EN COLÈRE ! » pouvait-on lire, ou encore : « LE SEUL VRAI CADEAU QUI EXISTE : LA LIBERTÉ ! ». Ou encore : « CE SONT LES SAPINS Qu4IL FAUT ENGUIRLANDER, PAS LES LUTINS ! ». Visiblement, Mrs Claus avait un petit problàme de personnel.

« C’est pour ça que la manutention a été robotisée à Gordan… »

Les lutins braillaient dans tous les sens. Cela risquait de rendre la progression compliquée. En soi, Ulrik n’avait pas une révolte à gérer, mais l’ascenseur était bloqué.

« Vous faites ce que vous voulez, patronne, mais vous devriez négocier avec eux. Toute cette colère, cette agitation, ce sont des émotions négatives qui risquent de renforcer la puissance de l’Artefact, et de les influencer à être de plus en plus agressifs. »