Bien que troublée et désorientée, Gine n'était pas stupide. Aussi ne s'arrêta-t-elle pas bien loin du campement de la rébellion. Ce fut la présence d'un petit cours d'eau qui l'incita à mettre pied à terre... ou plutôt pied à l'eau. Une eau claire, fraîche et accueillante. Le ruisseau produisait un son apaisant - pile ce dont la femme à queue de singe avait besoin.
Ne dévoûtant pas les épaules, elle s'installa sur une pierre moussue avant de poser ses coudes sur ses genoux et de laisser tomber son menton entre ses paumes transpirantes.
- C'est... dur.
Le mot était faible. Autant que l'impression qu'elle se renvoyait à elle-même, amplifiée par le rabrouement sévère de Courroux ET Kamiye. Car Gine avait commencé à se faire à l'idée que ces deux personnalités bien distinctes s'entrecroisaient au sein d'une même tête, et qu'en tant que combattante de rang inférieur, elle ne pourrait rien y faire, à ce stade.
- C'est tellement dur...
Elle évacua un lourd soupir.
L'envie de pleurer lui était passée. Cela lui avait fait du bien, d'un côté. Même si, de l'autre, Gine se sentait ridicule et vulnérable - plus encore qu'auparavant.
- Ha ! Elle a bonne mine, la révolutionnaire...
"Pathétique" était le mot. Gine se sentait minuscule à côté de l'entité à la puissance miraculeuse qu'était devenu le garçon qui les avait tous guidés hors de ce château. Un être qui s'était auto-proclamé brisé mais qui possédait une force capable de fendre la roche et faire ployer l'acier. En pensant à
lui, le cœur de la Saïyajin avait tendance à s'emballer.
Ce constat, auquel elle n'avait prêté que peu d'attention jusqu'à présent, la fit rougir.
Qu'est-ce qui m'arrive ? A quoi suis-je en train de penser ?
Ah, le malaise !
Bien que seule, la Saïyajin enfouit son visage entre ses mains.
Maintenant que je ne me sens plus de taille à le protéger, j'aurais développé une attirance pour lui ?!
Quel embarras ! Quel embarras ! Quel embarraaaaas !
Mal à l'aise, Gine s'agitait sur place.
- Argh ! C'est vraiment n'importe quoi !
Elle glissa volontairement de son rocher et plongea son visage brûlant dans l'eau. Elle n'avait pas trouvé de chose plus intelligente à faire. Pas grave ! Cela lui fit tout autant de bien que d'avoir pleuré en public.
La Saïyajin ramena la tête en arrière...
- Pfaaah !
S'ébroua comme un chien...
- Pfffffh !!
...Puis se claqua simultanément les deux joues.
- Cela m'est douloureux d'avoir à le reconnaître mais Kamiye a raison : il faut que je me trouve une raison de poursuivre cette existence !
Son poing, jusqu'alors tremblant, se raffermit ; forte de pensées moins attristantes, Gine le serrait avec une résolution nouvelle.
Comment de temps allait-elle lui permettre de tenir le coup ? Mystère !
Mais la Saïyajin n'avait pas le choix : elle ne pouvait ni s'abandonner à sa condition de faiblarde, ni abandonner ceux avec qui elle avait combattus.
- Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
Elle se redressa, contemplant le carré de ciel qui se découpait dans les branches basses, avant de s'envoler rejoindre les autres. Gine dut faire un détour sans trop s'en apercevoir car elle découvrit un petit sentier qu'empruntaient des hommes mal fagotés et épuisés. Non, c'était même pire que ça : les types en question étaient des esclaves blessés qui trainaient douloureusement la patte, avec à leur tête...
- Spartacus !
Le meneur d'hommes leva les yeux. Il était lui aussi dans un bien piteux état. Un filet de sang séché avait coulé le long de son front. Quelques hématomes et petites plaies encore fraiches barraient ses chairs étirées par une musculature travaillée par le maniement des armes.
- Ah ! C'est toi... Tu pourrais arrêter de me héler de la sorte ? J'ai bien failli me faire dessus.
- Toujours aussi charmant, ronchonna Gine.
Que vous est-il arrivé ?
- J'pensais que ça se verrait... (Il toussa.)
'Y a qu'on a essuyé un revers, ma p'tite. Le Roi était salement accompagné, quand on est venu lui rendre visite. Il a monté une escouade dirigée par le type le moins net que j'ai jamais vu de toute ma putain de vie ! (Nouvelle toux.)
Lady Fita ? C'était qu'un gros tas de bouse à côté ! Le capitaine des Chiens Noirs ? C'est le croisement entre un démon et un putain de primate.
Gine, se sentant vaguement insultée par la remarque, eut plusieurs spasmes en travers d'un sourcil.
Elle se pencha de côté pour observer les suiveurs de Spartacus. Il ne restait qu'une pauvre poignée de gueux dépenaillés.
- Tous les autres sont... morts ?
Elle déglutit.
Spartacus prit une grande inspiration, regarda ses "hommes", puis hocha la tête.
- Ils ont été taillés en pièces ! Certains se sont fait littéralement défoncer le cul après avoir rendu les armes. On ne leur a laissé aucune putain de chance, Gine ! (Il enrageait.)
Je ne pensais pas réussir à vous retrouver dans mon état, mais maintenant que c'est fait... (Il prit la Saïyajin par les épaules, la regardant droit dans les yeux comme seul un désespéré l'aurait fait dans cette situation.)
Il faut que tu dises aux autres de dégager d'ici au plus vite ! Ces sales batards sont déjà sur vos traces. La rébellion... ils vont la saigner... à blanc... argh!...
Il s'écroula dans ses bras.
La Saïyajin, blême et muette, s'était figée face aux survivants de ce maigre troupeau.
Les Chiens Noirs ?
Une meute de malades suffisamment puissante pour avoir défait Spartacus et sa troupe ?
C'est très, très, très fâcheux !
Gine sentit le stress revenir en cascade.
Elle dut prendre sur elle avant de s'adresser aux rebelles paniqués.
- Ecoutez-moi, vous autres ! (Ses prunelles noires survolèrent chaque visage crasseux ou sanguinolent.)
Si vous voulez vivre, vous allez devoir me suivre - et en silence !
Aucun n'était en état de la contredire ou de se défiler. Et de toute manière, Gine n'avait pas le temps de se soucier des possibles déserteurs.
Avec le poids de Spartacus sur ses épaules, la Saïyajin, les mâchoires serrées, se dirigeait d'un pas lourd vers le campement.