The Multiversity

Okayama, Japon

Ce soir, Karen était de patrouille au Japon. Elle avait arrêté un chauffard alcoolisé en stoppant sa voiture, détruisant celle-ci au passage, mais permettant d’éviter un drame. Elle avait également neutralisé deux jeunes hommes qui, en sortant d’un bar, avaient tenté d’agresser sexuellement leur amie. Une nuit somme toute plutôt calme, qui laissait à Power Girl le temps de réfléchir. Elle s’était posée au sein du Kōraku-en, à Okayama. C’était l’un des plus beaux jardins du Japon, faisant partie d’un triptyque de jardins très connus au sein de l’archipel. Île de verdure au cœur de la métropole, Karen comptait inscrire ce jardin dans le voyage de noces qu’elle comptait faire avec Helena Wayne. Un voyage qui consisterait à visiter chaque pays du monde pour lui faire l’amour dans les monuments et paysages les plus beaux et les plus connus. Il était situé le long du fleuve Asahi. Karen profitait donc de son service pour faire un peu de tourisme.

Elle et Helena n’étaient pas des membres permanents de la Justice League, mais Power Girl en faisait partie. Elle était après tout une Kryptonienne, et, même si initialement elle avait souhaité rester isolée, elle n’était pas du genre à passer inaperçue. Elle et Helena avaient donc rencontré leurs « parents », Superman et Batman. Elles venaient d’une autre dimension, Earth-2, une dimension où Karen était arrivée de nombreuses années après son cousin Kal-El, qui l’avait adopté comme sa fille. Helena, elle, était la fille de Batman et de Catwoman. Les deux filles avaient grandi ensemble, et, quand Darkseid avait envahi Earth-2, leurs parents les avaient envoyé dans une autre dimension. Depuis ce jour, Power Girl avait développé des technologies pour retourner sur Earth-2, tout en menant une nouvelle vie sur Terre. Elle était la PDG de Starr Industries, une corporation richissime, comparable à Tesla, grâce à l’usage de sa technologie kryptonienne. Une fortune telle qu’elle avait réussi à obtenir du gouvernement japonais une concession territoriale en installant le siège social de Starr Industries sur une île vierge que le gouvernement japonais lui avait loué.

Helena, sa conjointe et future femme, n’était pas femme au foyer. Elle avait rencontré des personnes haut en couleur, comme Ishtar Naviento… Ou Shayne Hannigan. Elle avait rencontré celle-ci à plusieurs reprises, dans des communes s’appelant Franklin.

*Comme quoi, je ne la surveille pas trop…*

Karen avait retrouvé Helena suite à sa dernière rencontre avec Shayne dans sa villa, en train de se masturber, et en appelant Shayne « Maman Shayne ». Elle jouait alors avec un plug offert par Shayne, capable de changer de forme. Karen ne connaissait pas trop les détails, Helena lui avait sauté quand elle avait toqué à sa porte, puis elles avaient fait l’amour. Helena était alors très énergique, avec une grosse soif à combler. Le lendemain, Helena n’avait pas souhaité en parler, et Karen n’avait pas insisté.

Karen continuait à songer à ce qu’elle allait faire, quand ses sens surnaturels perçurent alors un signal. Elle avait appris avec son père à contrôler ses sens. Il lui avait fait porter des casques d’insonorisation sonore pour qu’elle éduque ses sens, et filtre tout ce qu’elle pouvait entendre.

À proximité de Kōraku-en, il y avait un énorme centre commercial, AEON Mall Okiyama. Un cinéma était attenant à ce grand centre commercial. Il comprenait plus de 70 boutiques répartis sur plusieurs étages. Son toit était un vaste parking aérien accessible depuis un autre bâtiment. Le centre commercial fermait à 21 heures.

Une alarme de sécurité venait de signaler une effraction. Karen aurait pu laisser les agents de sécurité agir, mais…

*Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, comme dirait l’autre.*

Karen rejoignit en quelques secondes le toit du centre commercial, et commença à utiliser sa vision à rayons X. Les agents de sécurité étaient regroupés dans le sas de sécurité, et elle vit une patrouille se rapprocher près de l’alarme. Karen remonta son regard, cherchant les intrus…

Jeannie incarne:



Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

J’ai affronté des dieux. Des demi-dieux. Des horreurs cosmiques et des terreurs sans nom. J’ai connu l’abysse de la folie, la douce caresse de la mort, la bénédiction de mon seigneur et maitre, le Chaos. J’ai fait énormément de choses, belles et terribles, j’ai vu des empires naitre et s’effondrer… Et malgré un vaste intellect et une prodigieuse expérience de vie… Je ne sais toujours pas comment élever ma fille adoptive, dont je tairai le nom, efficacement. J’ai lu. J’ai pris des cours. J’ai consulté des spécialistes. Et tous les conseils que j’ai eu fonctionnent… Avec un enfant « normal ». Et ma fille adoptive n’est pas « normale ». Déjà, elle vient d’un autre monde ou d’une autre version de la Terre où elle n’a pas eu une enfance saine. Ensuite, elle maitrise les trois grands ordres naturels. Le vert. Le gris. Et dans une moindre mesure, le Rouge. Donc autrement dit…

« Va dans ta chambre », quand en colère elle pourrait juste tout détruire avec des minéraux ou des végétaux… Pas trop optimal, on va dire ça comme ça. Aussi, autre problème, les gens adoptent en général de jeunes enfants, rarement des enfants âgés ou des adolescents. J’ai adopté une adulte. Ah je vous garantis que l’enfance est loin derrière elle. Et c’est difficile d’être un bon parent quand vous n’avez pas eu de parent donc pas de référence claire. J’ai une créatrice. Et je sais qu’elle a rencontré la personne que je viens rencontrer. Je sais aussi que ma sœur a rencontré une alliée potentielle de cette même personne que je viens rencontrer. Il s’agit de la femme d’une mortelle pour laquelle j’ai développé une certaine dose… D’affection? Je ne sais pas. Helena Wayne. Si nous devions nous affronter, j’hésiterais avant de lui donner la mort ou des blessures graves… Mais bref… C’est…

C’est de Power Girl dont je parle. Je me dis : une femme de son intellect doit avoir au moins une petite idée du casse-tête auquel je me heurte. Naturellement, je ne peux pas juste me pointer chez elle ou dans une des compagnies qu’elle dirige et dire : coucou, j’ai besoin de conseil. En passant, j’ai causé certains tourments à ta femme donc prière de ne pas me casser la gueule. Non. Je dois montrer que bien que je sois techniquement une super criminelle, je ne cherche pas la confrontation. Juste son attention. Et donc c’est simple, je l’ai étudié. Espionné. J’ai les ressources pour et les gens de talent allant avec. Et donc, j’ai sélectionné ce centre commercial spécifiquement sachant qu’elle serait dans les parages. Et avant de m’accuser de vandalisme, je vous assure que je n’ai rien brisé. Juste une entrée par effraction pour attirer l’attention de la sécurité et son attention à elle. Et justement…

Parlant de sécurité, je me dirige nonchalamment vers la salle de sécurité et j’entre en leur disant qu’il est l’heure de dormir… Avant de répandre un gaz endormant dans la pièce. Je vérifie le pouls de chacun d’entre eux : aucune difficulté respiratoire mais ils vont dormir pendant un moment. Même que je suis gentille, je les couche sur le sol et je leur mets une couverture avant de me diriger vers un espace ouvert où Power Girl n’aura aucun mal à me voir, encore moins me trouver. Mes mains sont bien en évidence. Je ne suis pas armée. Je n'ai pas besoin d’arme, considérant mes pouvoirs mais disons que ne faire ni morts ni blessés ni dommages matériels… On peut raisonnablement se demander de quoi il retourne. Je n’en ai encore parlé à personne… Et encore, à qui pourrais-je en parler mais… Récemment, tuer ne m’apporte aucun plaisir. J’ai envie de dire que c’est alarmant et anormal mais… Je ne suis pas ici pour parler de ça…

« Je sais que tu es là et que tu peux m’entendre. Je veux juste parler. Rien d’autre. Et si tu as besoin de… Références… J’aurais pu tuer Helena un grand nombre de fois ou lui faire des choses horribles mais aux dernières nouvelles, elle est vivante et en bonne santé. D’ailleurs, cette rencontre est en partie possible grâce à Helena. Maudite soit-elle pour avoir réussit à me convaincre, à sa façon, de ne pas juste traiter les humains comme mes jouets… »

Visiblement, le centre commercial d’Okayama n’allait pas être détruit. Karen constata que les agents de sécurité s’étaient effondrés dans le poste de sécurité. Un rapide examen lui confirma qu’un gaz soporifique avait été répandu dans la pièce, les endormant profondément. Power Girl retrouva ensuite l’intrus en plein milieu du centre commercial, aux pieds d’un grand hall montant jusqu’au plafond. Karen était naturellement méfiante, s’attendant à un quelconque piège. Elle se rapprocha depuis un étage supérieur, et se mit à flotter dans les airs, survolant Shayne. Elle ignorait qu’il s’agissait à ce stade de Shayne, ne l’ayant jamais rencontré, mais frémit quand la femme indiqua avoir rencontré Helena, et avoir pu la tuer. Les yeux de Karen se mirent à rougeoyer brièvement, puis elle se posa devant la femme. Elle était plutôt bien roulée, avec une peau basanée, des cheveux argentés coupés courts, et même partiellement rasés.

*Elle l’a appelé Helena, pas Huntress…*

Karen pensa instinctivement à une Naviento, comme Ishtar. Elle savait qu’Ishtar était possessive. Voulait-elle en finir une bonne fois pour toutes ? Ishtar était puissante, de ce que Helena lui avait dit. Karen n’avait repéré aucune trace de kryptonite. Autant dire que Power Girl était sur la défensive.

« Et qui êtes-vous, exactement ? Comment connaissez-vous Helena ? Et… Qu’est-ce que vous me voulez ? »

Jeannie incarne:



Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

« Si elle ne t’a pas parlé de moi, elle doit avoir ses raisons. Mais je suspecte que tu as dû l’entendre au moins une fois m’appeler Maman Shayne quand elle a profité du petit cadeau que je lui ai fait. Si tu veux davantage de détails, tu lui en demanderas. Et si tu veux une introduction formelle… Shayne Hannigan, demi-déesse chaotique. Et non, je ne suis pas ici pour te piéger, te faire du mal ou autre, en fait.

Je sais que c’est difficile à croire. Et que tu as toutes les raisons du monde de ne pas me faire confiance. Mais si j’étais venue pour me battre, un, mon entrée aurait fait significativement plus de dégâts et de morts et deux, je serais venu avec ceci. Tu vois dans ma main, je viens de créer de la kryptonite… Et maintenant, je la fais disparaitre. Enfin. Ce serait plus exact de dire que je la démolécularise … On s’en fout, en fait. »

Une pointe d’irritation perce dans ma voix mais je serre les points et je me calme. Je me dirige vers une distributrice non loin et oui, je mets des pièces dans l’appareil avant d’acheter deux cannettes de thé glacé. J’en offre une à Power Girl. Libre à elle d’accepter ou non et je jure de ne rien avoir modifié dans son breuvage. Je ne sais pas si elle est capable de déceler les intentions en écoutant les battements de mon cœur ou autre mais je ne suis vraiment pas ici pour me battre. Là vous allez dire : mais Shayne, tu es chaotique et tu adores la destruction! Être ici de façon pacifique, c’est faire le bien! Alors je vous rappelle d’une chose : je peux faire le bien tant que je peux par raisonnement le faire passer pour un acte purement égoïste. En ce moment, je ne me bats pas contre Power Girl parce que je veux avoir des réponses concernant toutes ces histoires de « parenting ».

Donc, grâce à cette justification parfaitement logique, je peux faire quelque chose de « bien » car être égoïste, c’est « mal ». Et à ceux qui voudraient dire que c’est stupide, je réponds : vos gueules. Vous oubliez que Jeannie était une génie avant d’être une déesse donc la précision des mots se reflète dans tout ce qu’elle crée. Oh je me fais une joie sadique de toujours chercher comment contourner ce qu’elle a établi comme décret. Ce qui nous ramène à ici et maintenant. Ce qui nous ramène à moi en quête de réponses. Et parlant de réponse, j’ai répondu à deux des trois questions de Power Girl. Un oubli que je compte rectifier immédiatement. Pourquoi je désire lui parler ou interagir avec elle, tout simplement. C’est extrêmement simple à dire… Quant à savoir si elle va me croire, par contre…. C’est une toute autre histoire que j’appréhende un peu d’ailleurs.

« Quant à ce que je te veux… Des conseils. Tu es une femme dont on vante l’intellect et par respect pour Helena, je ne te ferai aucun mal à moins que tu me donnes une raison valable de le faire. Tu peux refuser de répondre, te moquer de moi, me juger, peu importe. Tant que tu acceptes d’entendre ce que j’ai à dire. Et même si tu n’acceptes pas… Un méchant qui monologue, ce ne serait pas nouveau, tiens…

J’ai depuis un certain temps une fille adoptive. Une femme adulte, s’il faut clarifier. Et non, tu n’auras pas son nom ou quelque détail qui te permettrait de l’identifier. Et donc j’essaie d’être une bonne mère pour elle. Seulement voilà : je n’ai pas l’impression de réussir convenablement. Oh si elle veut quelque chose et que c’est raisonnable, matériellement, je fournis. Et j’essaie d’être là pour elle quand je peux mais… Tu m’écoutes? »

Maman Shayne…

« Ah… C’est donc toi. »

Ce surnom, Karen l’avait déjà entendu… Quand elle avait retrouvé Helena la dernière fois que celle-ci avait rencontré Shayne. Le reste, Karen n’en savait trop rien. Elle savait que Shayne pouvait modifier la matière, ce qu’elle avait fait avec le sex toy qu’elle avait offert à Helena. Karen n’avait pas voulu bombarder Helena de questions concernant Shayne. Elle se présenta donc comme Shayne Hannigan, « demi-déesse chaotique ». Elle lui assura cependant être venue en paix, et en fit la démonstration à sa manière en générant de la kryptonite. Karen fronça les sourcils, mais Shayne volatilisa la kryptonite avant que Karen ne puisse en ressentir les effets. Shayne lui offrit ensuite du thé glacé. Karen hésita un peu, et l’attrapa. Shayne souhaitait discuter de parentalité. Elle voulait des conseils.

*C’est une blague ?!* songea Karen en écarquillant des yeux.

Mais non, Shayne semblait très sérieuse ! Elle lui expliqua qu’elle avait adopté une fille turbulente. Karen se souvenait vaguement de cela quand elle avait fait l’amour avec Helena, celle-ci avait mentionné une « sœur ».

« Donc, tu veux des conseils… Pour élever ta fille ? »

Karen réfléchit un peu, en fronçant les sourcils. Tout ça pouvait bien sûr être un piège, ce ne serait pas la première fois que Karen rencontrerait un super-vilain optant pour des plans alambiqués pour la piéger.

« J’en déduis qu’Helena t’a dressé un portrait très flatteur de moi. »

Sauf à ce que Shayne ait changé de forme, Karen ne l’avait jamais rencontré. Une femme « dont on vante l’intellect »… C’était déjà ça, oui, même si, sur les réseaux sociaux, on commentait surtout la plastique de Power Girl !

« Mais, même si je cherche à avoir des enfants avec elle, nous n’en sommes pas à ce stade-là. Qu’est-ce qui te fait croire que je pourrais réussir à te conseiller là-dessus ? Mon intelligence supérieure, comme on te l’a vanté, m’a surtout servi à concevoir des inventions mélangeant la technologie kryptonienne et la technologie humaine. Mon expérience en matière de parentalité est… Assez inexistante. Alors… Qu’est-ce que tu attends de moi là-dessus ? »

Jeannie incarne:



Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

J’aurais envie de lui crier dessus que je sais bien qu’elle n’a aucune expérience pour élever des enfants et que je ne suis pas ici pour l’entendre dire ce qui est évident… Mais je me retiens. Non Shayne. Captain Obvious en face de toi a simplement clarifié les choses entre vous. C’est tout. Pas la peine de s’énerver. Et elle a raison sur toute la ligne. C’est plus… Un esprit scientifique, à la base. Seulement voilà. Peut-être qu’il y a des impératifs biologiques, neurologiques, psychiatrique (ou est-ce psychologique? J’ai parfois du mal à différencier les deux…) ou au niveau de la science qui m’échappe. Oui c’est bien beau de regarder les choses avec empathie et tout le reste… Mais il y a peut-être… Quelque chose m’échappe. Je le sais, c’est tout. Quelque chose m’échappe. Je ne sais pas quoi et cela est en train de gruger ma santé mentale, petit à petit…

« Tu as donc un esprit scientifique. Est-ce qu’il y a… Quelque chose… Biologique, chimique, neurologique que je peux faire pour mieux… Je ne sais pas… Connecter, comprendre ma fille adoptive? Nous pouvons avoir des conversations ensemble et nous avons une relation parfois… Épineuse mais la plupart du temps, les choses vont bien entre nous. Ce n’est pas facile élever un futur quart de déesse, ça je peux te le dire…

Il doit y avoir quelque chose de mesurable, de quantifiable, de rationnel… On m’a dit un jour que les mathématiques peuvent expliquer tout ce qu’il y a dans l’univers. Quelle est la formule pour être un bon parent, je me demande… Et en plus, tu es une super héroïne. Tu en as sauvé plein des enfants, des parents… Tu as des super sens, tu dois en entendre constamment. Et si tu veux des enfants dans ton couple, tu dois avoir une idée…

Mieux. Tu as eu des parents. Tu sais comment ils t’ont élevé. Moi j’ai été créé par accident et ma chère créatrice, Jeannie, cherche à m’éliminer via la petite sœur qu’elle m’a créé, Alix et je… Bordel pourquoi je te parle de ça? Je suis ici pour ma fille adoptive, pas mes problèmes de famille… BREF. Même si tu n’as pas d’expérience directe, tu as au moins de l’expérience indirecte, j’en suis sûre. Et tu fais partie des gentils, en plus donc…

Vous avez instinctivement l’empathie et la compassion, non? Le désir de faire le bien et les bonnes choses. Donc, logiquement, une prédisposition à être parent… On ne va pas se mentir, j’avais deux choix. Tenter de trouver des réponses à comment être un bon parent ou commettre des actes terroristes pour me changer les idées. J’espère que tu ne vas pas me faire considérer la deuxième option avec des réponses insatisfaisantes… »

Bordel, Shayne, tu avais dit que tu ferais attention… Ne pas menacer les gens, cela n’encourage pas la collaboration. Encore moins quand ce sont des super héros… Je serre les points et je compte à voix basse de un à dix pour me calmer. Tu ne veux pas de confrontation. Tu ne voudrais pas faire de peine à Helena, n’est-ce pas? Stupide humaine qui a causé des fissures dans l’armure… Non. Ce n’est pas le temps de penser à cela. Personne n’est mort. Personne n’a été blessé. J’ai été très prudente et modérée dans mes actions et le plus possible dans mes paroles… Tout devrait bien aller. Reste calme, Shayne, tu ne dois absolument pas t’énerver, cela n’amènera rien de bon si tu le fais. Tu discutes avec Power Girl. Tu ne cherches pas la confrontation. Tu fais tout ça pour ta fille adoptive. Parce que tu veux être une bonne mère. Concentre-toi là-dessus…

C’était bien la première fois qu’on faisait appel à Power Girl pour des conseils matrimoniaux. Celle-ci croisa les bras tandis que Shayne lui exprima tous ses doutes, ses craintes d’avoir à éduquer sa fille.

*Je suis une super-héroïne, une super-patronne, une super-scientifique… Mais je n’ai pas encore d’enfant, comment suis-je supposée l’aider ?*

Ce sentiment d’être face à une caméra cachée continua à lui traverser l’esprit quand Shayne laissa entendre que, si Karen n’arrivait pas à la rassurer sur son rôle de mère, elle reprendrait ses activités terroristes. Elle dit qu’elle voit pas le rapport, aurait-elle pu répondre en singeant « La Cité de la Peur ». Elle n’était toutefois pas sûre que Shayne saisirait le second degré. Elle choisit donc d’être honnête.

« Eh bien, tu vois, je peux accomplir beaucoup de miracles. Je peux voler dans l’espace, faire le tour de la planète, soulever des camions, résister à des explosions atomiques… Mais, pour être honnête, je n’ai aucune idée de comment on élève des enfants. »

Karen ne pouvait pas nier l’évidence !

« S’il existait une formule algorithmique pour élever des enfants, je crois qu’on l’aurait déjà trouvé depuis longtemps. Je ne te cache pas que cela m’inquiète un peu, moi aussi. Moi et Helena, on souhaite avoir des enfants. Serais-je une bonne mère ? C’est si difficile à dire… Est-ce que mon enfant m’aimera, ou est-ce qu’elle me jalousera en pensant être un fardeau ? Je n’en sais rien. Tu vois, j’ai eu deux familles, celle sur mon monde de naissance, Krypton, puis celle qui m’a accueilli, sur ma version de la Terre. J’ai découvert sur Terre la puberté et mes supers-pouvoirs kryptoniens, et j’ai été élevée par mon cousin, que j’avais connu comme étant bébé sur Krypton, et qui était devenu un adulte sur Terre. C’est lui qui m’a formé, qui m’a éduqué, je le considère autant comme mon père que comme mon mentor. »

Cela n’allait sans doute pas beaucoup aider Shayne. Karen se déplaça un peu, semblant réfléchir.

« Je pense que le critère décisif est de savoir si tu aimes ta fille adoptive ou non, Shayne… Est-ce que c’est le cas ? »

Jeannie incarne:



Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

« Au début, c’était juste une petite chose brisée de plus pour ma collection. J’adore les petites choses brisées, c’est pratiquement un hobby. Ensuite, j’ai vu qu’elle avait un vrai talent et je me suis dit que je pourrais en faire une de mes élues, puis mon héritière… Est-ce que je l’ai… Aimé d’un amour maternel au début… Non. Elle ne se conformait pas à ce que j’attendais d’elle et je trouvais qu’elle représentait une dépense.

Je ne saurais dire exactement quand les choses ont radicalement changé et que j’ai vraiment commencé à réviser ma façon de penser. Avant, je l’aurais sacrifié sans hésiter. Puis c’est devenu 50 – 50. Maintenant… Honnêtement je ne peux pas dire que je ne la sacrifierais pas en cas de force vraiment majeur. J’aimerais le dire. Mais je ne compte pas mentir à moi-même. Ce que je sais par contre c’est que si quelqu’un me prend ma fille adoptive…

Il n’y a aucune force qui existe qui sera capable de protéger ce monde de ma colère. Est-ce que j’aime ma fille adoptive… Vaste concept que l’amour, n’est-ce pas? Est-ce que j’ai envie de la voir grandir, s’épanouir, réaliser son plein potentiel… Certainement. Définitivement. L’aimer… C’est difficile à conceptualiser. Je suis un concentré d’émotions négatives et de Chaos. Les sentiments positifs… Ne sont pas quelque chose dont je suis…

Réellement capable. Je veux dire… Tant que j’arrive à le faire passer pour un désir égoïste, purement personnel, cela ne contrevient pas à ma nature. C’est Helena qui m’a mise sur la bonne voie… Au moins en partie… Pour le coup. Pour dire que j’aime ma fille adoptive, il faudrait que je sois capable de vraiment m’approprier le concept de l’amour puis de trouver une façon d’en faire quelque chose d’égoïste et ensuite de l’appliquer. C’est…

Compliqué. Maintenant si on change le critère pour : ne veut pas qu’il lui arrive de mal… Bien sûr que non. Je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose de mal. C’est pour cela que je m’assure qu’elle soit bien entourée. De personnes sur qui elle peut compter. Est-ce de l’amour que de prendre soin d’autrui? J’ai l’impression d’avancer en aveugle. Comment est-ce que toi tu envisages ce que tu seras comme parent? Je suis curieuse. »

Une perspective extérieure saura m’aider… Je crois. Power Girl fait partie des « gentils ». Sans doute a-t-elle déjà une bonne idée de ce qu’elle voudrait faire. Ce qu’elle voudrait enseigner comme valeur, quel savoir transmettre, qui faire ou ne pas faire. Je n’imagine pas la kryptonienne sans un plan. Je ne vois vraiment pas comment, autrement, quiconque pourrait faire le choix d’avoir des enfants s’il n’y a pas une ligne directrice à suivre. Improviser pour élever un enfant? De la pure folie, à n’en pas douter. Je comprends qu’aucun plan ne survit entièrement au contact de la réalité… Mais l’absence totale de plan a des allures suicidaires. Et non, je ne serais pas prête à condamner la vision d’une super héroïne comme incompatible avec ce que je pourrais enseigner à… À ma fille adoptive. J’ai failli la nommer et c’est une erreur que je refuse de faire.

« Tu as un gros cerveau, tu sauras peut-être. Est-ce qu’avoir un enfant peut avoir un impact sur l’essence même de quelqu’un? Tuer est facile et a toujours été ma solution par défaut à bien des problèmes. Récemment, non seulement je n’y prends aucun plaisir… Encore que je n’y ai jamais vraiment pris plaisir mais parfois, je n’ai juste pas envie de tuer. Encore que c’est aussi en partie la faute d’Helena… Je ne vois pas le lien entre les deux s’il y en a un. Avoir un enfant ne veut pas dire s’effacer soi-même ou altérer radicalement qui une personne est… Non? »

Bras croisés, Karen l’écouta parler de ses doutes, de ses interrogations. Elle grimaça un peu quand Shayne évoqua le fait qu’elle ne prenait plus aucun plaisir à tuer des gens, et résista à la tentation de vouloir l’appréhender pour cela, ou quand elle avait mentionné son envie de sacrifier sa fille adoptive. La sacrifier… À qui ? À quoi ? Cette femme gérait-elle un genre de culte ? Karen l’imaginait pourtant assez mal d’être pieuse ou croyante. Elle préféra éluder cela pour se focaliser sur ce dont Shayne lui parlait.

« Eh bien, avoir un enfant change beaucoup de choses, Shayne, à tous les niveaux. Mais, est-ce que cela peut changer profondément une personne, je ne pense pas. Je veux dire, on dit qu’avoir un enfant rend une personne plus mature, mais il existe beaucoup de parents immatures. Vu ce que tu me dis, j’aurai tendance à penser que ta fille adoptive a juste… Permis de réveiller en toi des sentiments qui dormaient, des sentiments dont tu n’avais pas conscience, mais qui ont toujours été là. Tu m’as dit que tu prenais du plaisir à infliger la souffrance, c’est ça ? À tuer des gens, à les sacrifier… »

Karen enchaîna :

« Quand on est capable d’éprouver ce genre d’émotions, Shayne, c’est qu’on est aussi capable d’éprouver les émotions contraires. Si je devais extrapoler, je te dirais que, dès lors qu’on est capables d’aimer, on est capables de haïr, et réciproquement. J’ignore quel est ton parcours maternel, ce qui t’a conduit à devenir ce que tu es, mais tout porte à croire que ta rencontre avec Helena, puis avec ta fille adoptive, t’ont permis de réaliser que tu étais capable d’apprécier des choses différentes. L’amour, l’empathie… Tout cela se cristallise autour de ton amour envers ta fille, mais, si tu es capable de ressentir ces choses, c’est qu’elles étaient toujours en toi. L’amour des autres, ça ne s’apprend pas, tu es née avec. Cet amour, tu l’as refoulé pendant des années, mais il est là, désormais. »

Elle se rapprocha d’elle.

« J’ignore comment je serai quand j’aurai mon enfant… Ou mes enfants… Je ne peux juger qu’à partir de ma propre expérience de fille adoptive. Je conçois que cela puisse te perturber. De ce que je comprends de ton parcours, tu as toujours été seule, et cela t’a toujours convenu. Et, maintenant, quelqu’un entre dans ta vie, et fracasse tout. Tu te mets à ressentir des émotions contraignantes. Tu t’inquiètes pour elle, tu aimerais revenir à la situation d’avant, à celle où tu n’avais qu’à songer à toi, et à ne pas avoir ce fardeau sur les épaules… Cela, je peux le concevoir. Quand j’ai rejoint ce monde, moi et Helena, nous n’étions pas en couple. Désormais, je dois lutter contre mon envie de la surprotéger. Ce n’est pas exactement la même chose, mais cela reste une relation amoureuse. J’ai des pouvoirs divins qui font que je pourrais à chaque fois instantanément secourir Helena, mais je m’y refuse… L’amour, c’est aussi cela, faire confiance aux autres… Et, finalement, se faire confiance à soi-même. Est-ce cela, le fond du problème, Shayne ? La raison pour laquelle tu t’es mise à vouloir me rencontrer ? Crains-tu de ne pas être à la hauteur ? Que ta fille adoptive finisse par te rejeter ? »

Jeannie incarne:



Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

« Je ne sais même pas ou plus si je prends plaisir à faire ce que j’ai toujours fait. Je suis un concentré d’énergies négatives et de Chaos. Faire souffrir les gens… C’est un peu la réaction par défaut d’une telle nature. J’adore jouer avec le mental, les espoirs, les rêves, les désirs… La souffrance physique en tant que tel… Non. Briser des os, le gore, tout ça… Non merci. Blesser, tuer, jadis dans mes crises de folie, par défaut.

Quand je suis… Saine d’esprit… C’est plus pour régler un problème rapidement. Sinon Helena le sait, c’est mind games, mind games, mind games… Mais je m’égare… Et avant de rebondir sur ma ou mes craintes… Comment est-ce qu’un concentré d’énergies négatives pourrait exister avec de l’amour en soi? D’après mes lectures, c’est le plus beau et le plus fort sentiment qui soit. Sûrement que, se basant là-dessus, je ne devrais pas…

Je ne devrais pas en avoir… C’est tellement compliqué de s’y retrouver… avant, les choses étaient claires, tranchées, manichéennes. Si même moi j’existe avec la faculté d’aimer… Que ce n’est pas quelque chose que j’ai développé… Quoi d’autre cloche dans mon existence même… Mais bon. Ce n’est pas de moi dont il est question mais de ma fille adoptive. Est-ce que j’ai peur qu’elle me rejette… Non. Jamais. Clairement pas.

Peut-être est-ce arrogant de ma part mais je ne vois qu’un scénario possible où cela pourrait se produire et je ne suis certainement pas assez stupide pour le mettre en pratique. Craindre de ne pas être à la hauteur, par contre? Tous les jours, Power Girl. Tous les jours depuis que je l’ai adopté. Je sais que je ne suis pas à la hauteur. Je ne pourrai jamais lui donner ce qu’une mère… Normale… Lui donnerait. Je ne peux nier l’irréfutable. »

Malheureusement, je sais très bien que je ne serai jamais une mère comme les autres. Je n’ai jamais eu de mère pour commencer donc je n’ai pas d’exemple à suivre. J’ai été créée par accident et quand ma créatrice s’est rendue compte de mon existence, elle a tenté de m’éliminer alors… Disons que cela ne fait pas les meilleures relations de famille qui soit. Et je sais que ma fille adoptive n’a pas eu une enfance heureuse… Mais est-ce qu’une mère ordinaire suffirait à répondre à ses besoins? D’un air absent, je joue avec le contenant entre mes mains qui change de forme et de matière via ma matériakinésie. Quand je commence à faire ce genre de choses sans m’en rendre compte, c’est que je suis vraiment en pleine réflexion… Qu’est-ce que tu essaies de me faire réaliser, Power Girl… Je l’ai choisi en me disant qu’elle aurait une approche scientifique, c’est tout…

« Tu penses qu’il y aurait une raison… Subconsciente… Au fait que je sois venue te voir? Outre le fait que tu as un gros cerveau et un esprit scientifique capable d’aborder la question sur un angle purement quantitatif? En toute franchise je ne vois pas quoi mais… Effectivement, si tu devenais mère, tu devrais comme moi composer avec des pouvoirs ou des ressources à ta disposition capables de régler tous les problèmes…

Tu tiens peut-être quelque chose. Au début, j’étais souvent irritée quand les choses ne se passaient pas comme je le voulais en me disant que c’était le meilleur des choix. Peut-être que j’ai peur qu’un jour ma fille adoptive et moi soyons trop différentes? Est-ce que c’est logique? Je vais dire, aucun enfant n’est une copie carbone de son parent donc… Mais ce n’est pas impossible non plus… Tu vois? Ton gros cerveau a peut-être trouvé quelque chose! »

Elle, un gros cerveau ? Bras croisés, Karen s’était adossée contre un pilier, et sourit doucement.

« Je me demande qui m’a survendu comme ça auprès de toi. C’est Helena ? Quoi qu’il en soit, l’intelligence, tu sais, ça ne fonctionne pas comme ça. Je ne suis pas un genre de génie qui peut instantanément répondre à toutes les questions, surtout les questions complexes et profondes qui te traversent. À vrai dire, dans ton cas, on fait plutôt appel à un psychanalyste plutôt qu’à une super-héroïne. Mon intelligence me sert surtout à concevoir des technologies et à faire des recherches. Pour ce qui est des problèmes plus… Moraux… Là, j’ai bien peur qu’il n’existe pas vraiment de diplôme. »

Comment lui répondre sur le reste ? Karen ne pouvait plus ou moins que répéter la même chose. Elle se décolla du pilier, et marcha un peu vers le distributeur de boissons. Elle sortit une pièce, et commanda une boisson.

« Tu veux boire quelque chose ? Parler autant, ça assèche le palais… Et puis, avec ton effraction, la police ne devrait plus tarder, il faudra songer à poursuivre notre discussion dans un endroit plus sûr. Mais, d’ici là… »

Karen n’allait pas chercher à faire diversion, ou à se détourner des questions de Shayne. Tandis que la machine turbinait, elle s’efforça de lui répondre :

« Es-tu un androïde, ou un être vivant, Shayne ? Dans ta tête, il y a un cerveau, ou des circuits imprimés ? Tu veux un raisonnement cartésien, scientifique ? Voici ma réflexion… Des machines, on peut leur concevoir une identité, on peut leur donner l’illusion d’une personnalité en les programmant bien. Tu connais les chatbox sur Internet, non ? Ou ce qu’on appelle des IAs ? Tu as déjà conversé avec Grok ? Tu as l’impression de discuter avec un être humain, mais tu peux rapidement concevoir les limites de Grok. C’est simple, car une IA répond à une programmation, à des lignes de code et à des algorithmes qui déterminent ce qu’elle peut répondre, et comment elle peut répondre. Les concepteurs de Grok modifient régulièrement l’IA pour peaufiner son comportement. Tu penses que ta créatrice peut faire ça ? Tu crois qu’un parent peut faire ça sur son enfant ? Lui faire une mise à jour quand cet enfant fait n’importe quoi ? Ton cerveau, on peut maintenant en faire des plans, on peut plus ou moins indiquer dans quelle partie du cerveau fonctionne telle partie de la psyché humaine… Mais l’intelligence humaine ne suffit pas encore à appréhender pleinement le fonctionnement d’un cerveau. »

Karen récupéra sa cannette, et la décapsula.

« Ma théorie, c’est que tu prends conscience que tu es libre, et que tu ne sais pas comment réagir à cela. Tu as été élevée, conçue, fabriquée, ou quoi que soit le qualificatif que tu utilises, pour être une mauvaise personne. Mais tu réalises que tu n’es pas que ça, et que tu peux être autre chose que ce que ta mère a voulu de toi. Et ça, ma chérie, c’est le lot de tous les individus, qu’ils soient de simples citoyens, ou même des super-héros. Nous sommes tous confrontés un jour entre faire nos propres choix et se confronter à ceux que nos parents voulaient pour nous. Ce qui nous différencie de la machine, ce qui fait que l’IA n’est pas vraiment une intelligence autonome, c’est notre capacité à faire nos propres choix. Toi, tu as choisi de faire ce que ta mère n’avait pas pensé, et cela te perturbe. Je dirais juste que tu es en train de grandir. »

Karen se tut pour avaler son soda.

« Cette réponse scientifique te convient-elle ? »

Jeannie incarne:



Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

Dans la théorie, si Jeannie s’était rendue compte de mon existence suffisamment tôt, elle aurait définitivement pu faire ce que Power Girl décrit : réécrire une partie de qui je suis pour servir des intérêts différents. Comme elle m’a créé accidentellement et sans le savoir, c’est l’essence même de ce que je suis qui a dicté comment je serais. Oh attention, ce qu’elle dit est très intelligent, il n’y a aucun doute sur la question et je suis même impressionnée qu’elle ait été si loin dans sa réflexion pour quelqu’un face à qui elle n’a aucune raison de vouloir parler ou interagir. À la fin de la journée, je suis techniquement dans le camp des « méchants ». Il y a juste quelque chose que je veux confirmer avec elle. Être une demi-déesse ne veut pas dire avoir la science infuse, j’en sais définitivement quelque chose. Et puis bon, valider n’est pas un crime.

Tout ce qu’elle a dit se tient admirablement bien. Je me considère comme une personne avec un cerveau, non une machine avec un cerveau positronique ou je ne sais quel autre terme de science-fiction. Sur ce point, nous nous entendons à 100%. Je vais aussi me chercher à boire et je mets même une pièce dans la machine comme une personne normale. Effectivement, il va falloir changer de lieu si on ne veut pas se faire déranger par les autorités. Non, disais-je, tout ce qui concerne le cerveau et l’évolution de la pensée, je suis d’accord avec elle. Aucun doute là-dessus. Il y a juste un cas de figure qui n’a pas été considéré… Que je peux expliquer en deux exemples. Peut-être qu’elle a une explication scientifique pour ces choses aussi. Pour tout dire, j’en avais marre d’avoir de l’abstrait en guise de réponse alors voilà. Bien plus simple de traiter avec le concret.

« Ce que tu dis est intéressant. Il y a juste un cas de figure que je vais expliquer avec deux exemples que je ne suis pas certaine que l’explication couvre. Prenons un carnivore. Un carnivore mange de la viande. Ce n’est pas un herbivore. S’il mangeait en plus de la viande ce que l’herbivore mange, ce serait un omnivore, non? Donc par nature, par design, le carnivore mange de la viande parce que c’est ainsi qu’il est fait.

Deuxième exemple : imaginons qu’un pingouin voit un autre oiseau qui n’est pas un pingouin, peu importe l’oiseau, voler. Même s’il veut voler lui aussi, c’est biologiquement impossible car l’évolution a fait en sorte que ses ailes ont une fonction différente de celle d’un oiseau ordinaire. Il ne peut pas aller contre sa propre nature et ce même s’il tente de s’entrainer à voler. Ce n’est juste pas possible, tout simplement, on s’entend là-dessus?

Dans mon cas, je suis un concentré d’émotions négatives. Je ne peux donc pas faire le bien. C’est contre ma nature. Je suis comme un carnivore devant une salade ou un pingouin qui veut voler. Même si je voulais, je ne pourrais pas le faire. Ce n’est pas une affaire d’évolution de la pensée ou de programmation dans le cas d’un cerveau artificiel. C’est une partie intégrante de moi que je ne peux pas enlever ou désactiver, purement et simplement.

Je suis un concentré d’énergies négatives et une créature du Chaos. Rien ne va jamais changer cela. D’où le pourquoi je dois utiliser des moyens détournés pour faire le bien tout en faisant croire que c’est mal. Cette nature, j’ai peur qu’un jour elle vienne impacter négativement ma relation avec ma fille adoptive. C’est comme toi. Même si tu trouvais que c’est tellement beau de la kryptonite, tu ne pourrais jamais la manipuler à mains nues, c’est dans ta nature kryptonienne. »

Face aux deux exemples de Shayne, l’esprit analytique de Karen fusa comme une bombe.

« Tes deux exemples ne sont pas pertinents, car ils ne reproduisent pas la complexité de la psyché humaine. L’exemple du carnivore ne peut se comparer à la complexité des sentiments humains, pas plus que celle du pingouin qui ne peut voler… Ou de la Kryptonienne qui craint la kryptonite. Tu veux que je te le démontre ? »

Du doigt, Karen désigna alors un produit vendu par le distributeur de boissons : une bouteille d’eau.

« L’eau. Elle compose le corps humain à hauteur de 50% à 75%. Elle est vitale, on doit boire chaque jour, et, pourtant, elle est aussi mortelle pour l’homme. On ne peut pas respirer dedans, et on peut s’y noyer. Si tu veux une comparaison pertinente à la dualité des sentiments humains, tu dois prendre un sujet contradictoire, paradoxal, quelque chose qui ne s’explique pas facilement. Dans ton premier exemple, ton carnivore devrait aimer les salades, et se poser des questions sur sa nature. Et, dans ton deuxième exemple, ton pingouin devrait savoir voler. »

Karen jeta son soda dans une poubelle.

« Plus on discute, et plus je m’interroge. Es-tu vraiment venue me voir parce que Helena t’a dit que j’étais intelligente ? Ou est-ce que tu es venue parce que, au fond, tu t’es dit que je pouvais comprendre ton dilemme ? Ma relation avec Helena est… Asymétrique. Elle est forte, mais elle reste une humaine. Si une balle la touche, elle peut en mourir. Moi, la balle va rebondir. Ce que tu ressens pour ta fille adoptive, je pense ressentir quelque chose d’assez similaire chaque jour pour Helena. Tu t’inquiètes, tu crains de l’étouffer, tu crains d’être un mauvais exemple pour elle, tu crains de ne pas lui apporter ce dont elle a besoin. Je suis intelligente, peut-être, mais j’ai grandi avec des parents qui ont toujours eu peur que je fasse des erreurs. J’ai grandi comme ça, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Je dois toujours faire attention à ce que je fais, mon père m’entraînait à contrôler mes émotions en m’énervant, en me poussant dans mes retranchements, pour éviter que je tue quelqu’un par erreur. Alors, peut-être que tu t’étonnes… Peut-être qu’au fond, tu essaies de comprendre pourquoi je ne suis pas là à chaque fois que Helena a des problèmes, pourquoi je ne la suis pas constamment… Car j’imagine que ce sont les questions qui doivent te traverser. J’ignore ce que fait ta fille adoptive de son quotidien, mais tu dois ressentir cela, non ? Ce désir d’amour, cette inquiétude quand elle n’est pas là… Et cela te terrifie. Au fond, tu aimerais ne jamais avoir à ressentir ça, et, pourtant, tu ne peux pas t’en passer. La seule idée qu’on t’arrache ta fille doit t’être insupportable, inenvisageable, et pourtant… Tu tiens à elle. »

En disant cela, ce long monologue, Karen s’était de nouveau rapprochée de Shayne.

« Et cela, ma chérie, c’est ce qu’on appelle l’amour, et tu auras beau essayer d’y mettre toutes les équations mathématiques, tous les raisonnements possibles, toutes les comparaisons logiques possibles, rien ne te permettra de comprendre ce phénomène. Bienvenue dans notre lot commun, ma belle ! L’amour, nous en sommes tous prisonniers, qu’on puisse repousser des balles à mains nues ou non. Il y avait un Français qui avait une très bonne formule là-dessus… L’amour a ses raisons que la raison ignore. Plutôt paradoxal aussi, non ? »

Jeannie incarne:



Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

« Évidemment que je m’inquiète constamment pour elle! Je suis une demi déesse, à peu près rien ne peut me faire du mal. Rien du commun des mortels en tout cas et je n’ai pas encore eu à affronter de divinités à proprement parler… Ma créatrice exclue… Donc je ne m’inquiète pas de grand-chose me concernant. Mais elle? Elle est un quart de déesse en devenir, elle est encore tellement… Mortelle! Fragile! Inexpérimentée!

Alors j’essaie de l’aider, de lui donner les ressources dont elle a besoin mais la littérature dit de lui donner de l’espace, de l’air, de ne pas être trop envahissant… Alors je la laisse faire… Et elle se casse la gueule… Et j’ai besoin d’intervenir… Ce qui ne serait pas arrivé si j’étais intervenu à la base… Pourquoi est-ce qu’élever un enfant est si difficile, comment peut-on avoir des équations pour envoyer une fusée sur mars mais pas pour… »

Le ton monte et les objets à proximité commencent à se trouver déformés. Évidemment que je m’énerve. Tout est supposé pouvoir s’expliquer, être compris. Alors comment se fait-il dans ce cas que pour quelque chose d’aussi crucial, il n’y ait pas une méthodologie universelle ou pseudo universelle? Bordel, si les humains sont capables d’établir des standards pour tout, le temps, le poids, la mesure, tout ça, ne peuvent-ils pas s’entendre sur un standard pour élever un enfin et s’en tenir au manuel? Comment peut-on être un bon parent si quoi que l’on fasse, on dirait que quelque chose de problématique va survenir? C’est de la torture, voilà ce que c’est! Tous les jours je me demande, encore et encore, si j’ai fait ce qu’il fallait. Et j’adore ma fille adoptive. Mais… Il m’arrive de me demander… Si ce n’était pas mieux si elle ne serait plus dans ma vie. Tout ce stress…

N'existerait plus! Mais en même temps, je ne peux pas l’abandonner… Parce qu’elle a déjà eu une mauvaise mère, déjà, sur cet autre monde… Version de la Terre… Peu importe dont elle vient et surtout, surtout parce que je refuse CATÉGORIQUEMENT de faire comme ma créatrice. Je pense que si je fais une chose pareille, je me mets une balle dans la tête. Je ne deviendrai pas cette sale garce lâche qui mérite la mort! Si ma créatrice avait été une bonne mère, probablement qu’une partie de ces doutes n’existerait pas… Mais voilà. Elle n’a jamais été là pour moi et ne sera jamais là pour moi. C’est moi contre le monde… Et je suppose que je suis condamnée à ce que ce soit toujours ainsi. Alors je veux m’assurer que ma fille adoptive ait ce que moi je n’ai jamais eu… Et qui sait, que sa fille va continuer d’aller vers quelque chose de positif dans les relations parent / enfant…

« Jeannie… Si ma garce de créatrice s’était occupée de moi au lieu de m’abandonner, j’aurais eu un modèle de quoi faire. Là j’ai un modèle de quoi ne pas faire et franchement, je n’avais pas besoin d’être victime de sa négligence pour me dire que c’est une très mauvaise façon de faire les choses. Je ne veux pas abandonner ma fille adoptive… Mais toute cette inquiétude, ce stress… Ce sentiment d’échec et de doute… Je…

Peut-être que tu as raison. Que ce n’est pas ton cerveau dont j’ai besoin mais des… Parallèles… Entre nous. Bordel. Est-ce que je suis vraiment en train de dire que j’ai quelque chose en commun avec une super héroïne? Je vais être malade… Comment tu fais? Comment tu fais pour ne pas juste perdre la tête ou exploser? Quand il arrive quelque chose à Helena, pourquoi tu ne la venges pas dans le sang et la ruine? Éliminer le problème à la source fait qu’il ne reviendra plus jamais… »