The Multiversity

La mission du soir n'était pas ce qu'il y avait de pire pour Rini Koken. Fidèle à son appartenance au Club des Justiciers, elle avait accepté de conserver son "costume" de lycéenne pour faire des heures supplémentaires. Ici, pas de combat dantesque avec les forces du mal à face humaine d'Atarashï Yoake, dans un accoutrement de motard au casque orné d'une tête de mort. Pas de Skull Raider sillonnant les rues sombres à bord de son engin vrombissant, non !
Seulement une étudiante de seize ans qui fait figure de surveillante, enchaînant les rondes à travers les couloirs d'un établissement normalement désert...
J'aurais dû demander un dessert en supplément à la cantine, pour le lendemain. En guise de rémunération ET de consolation.
Sur le coup, elle n'y avait pas pensé. Pour une petite soirée en solitaire, s'était-elle dit, ce n'est pas grand-chose. Et ça ne deviendra sûrement pas une habitude du jour au lendemain !
Car, mine de rien, ils étaient plutôt nombreux au sein de ce club. Et les courageux qui n'avaient pas peur des fantômes ne manquaient pas. Oui : ces gens-là existaient bel et bien. Comme en témoignaient justement les petits bruits de conversation que la bénévole entendit non loin de la chaufferie.
Torche en main, Rini serra le poing.
Si jamais il est question de petits plaisantins...
Elle leur administrait la fessée ? Qui sait !
En zieutant partout, la brune tomba nez à nez avec un petit groupe de filles de son âge. Son apparition les fit toutes sursauter ! Elles crièrent d'abord - de peur - avant de se confondre en excuses ridicules - "on s'est perdues !" ou même "on a atterri là par hasard !" et bla bla bla... - pour enfin, après avoir subi un interrogatoire doucereux, avouer la véritable raison de leur intrusion dans le bâtiment scolaire.
En prenant exemple sur sa mère policière, la sino-américaine ne leur avait laissé absolument aucune chance de la baratiner.
La barque, c'était elle qui la menait ! La surveillante en heures supp', et personne d'autre.
Cette jeune femme athlétique qui les dévisageait, avec ses bras croisés sur sa poitrine, en tapant impatiemment du pied.
A savoir qu'avant de se comporter en commissaire, Rini leur avait exposé la preuve de son appartenance au Club des Justiciers. Soit un badge signature accroché à son vêtement, et illuminé par l'halo de sa torche au moment de le mettre en évidence.

- Alors comme ça vous cherchiez une élève disparue depuis quatre ans ? Vous trois ? La nuit tombée ? dans l'enceinte de l'école ?

Les trois filles étaient charmantes. Polies, surtout. De simples curieuses, et non pas de vulgaires racailles désireuses de foutre le boxon.
L'une d'elle se triturait nerveusement les mains. Certainement la plus peureuse du lot, embrigadée par ses camarades pour participer à un jeu qui ne lui plaisait pas tant que ça...

- On sait que ce n'est qu'une légende urbaine mais...

- On tenait absolument en avoir le cœur net ! répondit sa copine, plus coquette et énergique.

- Ça ne te dérange pas d'entendre parler d'enlèvement, de séquestration ou même de meurtre autour d'une ancienne deuxième année ? demanda celle qui portait des lunettes et qui, définitivement, cherchait à se donner des petits airs d'enquêtrice. Une affaire non élucidée qui craint grave !

- Peut-être. Mais beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis, et aucune de vous trois n'est autorisée à se promener dans l'établissement après le couvre-feu. De plus, j'imagine que vous ne connaissez pas l'identité de cette fille disparue, à tout hasard ?

Lunettes eut un malin sourire.

- Ha ! Bah, figure-toi que moi, si.

- Heiiin ?! firent les deux autres.

- Avant de m'engager avec vous dans cette virée nocturne, j'ai effectué quelques petites recherches.

- Bien. Tu vas pouvoir nous le révéler, alors ?

- D'accord ! Mais ce ne sera pas gratuit.

Rini fronça les sourcils.
Peut-être que le Skull Raider allait finalement se permettre une petite sortie, ce soir ?

- Avec un peu d'aide, ça pourrait vite le devenir...

Lunettes leva les mains devant son visage.

- Hé ! Pas de violence. Je suis une fille réglo, moi !

- Ce n'est pas vraiment l'impression que vous me donnez, toutes les trois.

- Je ne cherche qu'à passer un marché - tout ce qu'il y a de plus innocent, je le jure !

- Vas-y, je t'écoute.

- En échange de son nom complet, je ne te demanderais qu'une seule petite chose...

- Ne t'amuse pas à faire durer le suspens.

- Ne nous dénonce pas, s'il te plait !

Elle se mit à genoux. Un dogeza parfaitement bien exécuté. Celle-ci, malgré son intelligence, devait avoir l'habitude de faire des courbettes...
Aussi, d'un geste auprès des concernées, Lunettes enjoignit ses camarades à faire de même. Sous le regard attentif de Rini Koken, elles n'hésitèrent qu'un tout petit instant avant de se soumettre à leur tour.
Rini les toisait de haut.

- Le nom de la disparue en échange de votre anonymat ?

- Oui, oui ! approuva Lunettes. S'il te plait !

- Et vous me promettez aussi de ne plus jamais enfreindre le couvre-feu instauré par l'école, sous quel prétexte que ce soit ?

- Euuuh...

Rini, en un instant, durcit le ton :

- Vous me le promettez ?

- O-on te le promet !

- Affaire conclue, décida-t-elle. Je n'ai pas pu voir vos visages dans le noir. Et vous avez filé trop vite, ne laissant que des ombres derrière vous. J'en ai bien compté trois, mais ça s'arrête là. (Regardant Lunettes droit dans les yeux, elle prit une grande inspiration.) Maintenant, le nom complet de la disparue, je te prie. Et je ne veux surtout pas de mensonge. Nous serons sans doute amenées à nous recroiser, à l'avenir.

Lunettes lui fournit l'information désirée, à savoir : Akina Makana.
Un sujet sur lequel Rini Koken allait se pencher dès le lendemain. Non sans transformer cette ancienne disparition, devenue légende urbaine, en requête auprès du Club des Justiciers. Ils avaient un formulaire pour ça. La surveillante de cette étrange soirée comptait bien le remplir une fois le groupuscule de curieuses escortées vers la sortie.

Le lendemain, sa requête tapa aussitôt dans l'œil de la présidente en personne. C'était inespéré, pour Rini ! Une bonne surprise en soit car, même si Shehtra Gonas était consciente des limites de son intellect et de sa patience, elle paraissait motivée à l'idée d'élucider ce mystère.
En espérant, bien sûr, qu'il ne s'agisse pas d'un meurtre.
Rini, tout naturellement, acquiesça. Elle ne possédait pas l'expérience de sa mère en matière d'enquêtes. Un peu d'aide n'était donc pas de refus avec cette sombre histoire...

- Ravie de l'entendre, Gonas-senpai. A nous deux, nous devrions pouvoir éclaircir cette affaire.

Vieille de quatre années, tout de même ! Mais sans espoir et motivation, inutile de se mettre en branle. Or, ici, les lycéennes possédaient étaient empreintes de ces deux qualités.
Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?
Shehtra Gonas était forte. Elle le lui avait prouvé dans un affrontement à deux contre un. Konya et elle avaient mordu la poussière. Difficile de ne pas rappeler ce souvenir à sa mémoire. Rini n'y pensait certes pas tous les soirs mais la défaite, dans son esprit de combattante, n'en demeurait pas moins ancrée.
Tant que je respire, j'espère.
Ce jour-là, elle n'avait pas tout montré. Son adversaire non plus, sans doute. Néanmoins, Rini était une métahumaine capable d'agir sur la température ambiante à partir de son aura de combat. Le feu et la glace demeuraient donc sous son contrôle. Sauf que la lycéenne ne pouvait pas y recourir à la vue de tous. Parce que le Skull Raider, justement, en usait pour combattre les plus dangereux des vilains. Employer ce don en public revenait donc à fournir des preuves de son identité d'héroïne en herbe.
Inconcevable.
Pour des raisons évidemment personnelles et familiales.
Afin de suivre le fil de cette conversation engagée avec la présidente, Rini s'arracha à ses pensées. Shehtra Gonas projetait de s'informer de l'existence d'Akina Makana auprès des secrétaires de l'établissement.

- Ils vont devoir fouiller les archives, songea Rini à voix haute. Nous devrions également nous intéresser à son entourage. Sa famille ou bien ses amis. En quatre ans de temps, nous aurions tort de négliger la plus petite piste qui soit.

Elle anticipait la marche à suivre. Pourtant, Rini ignorait tout de ce qui les attendaient au secrétariat. Elle ne s'était pas attendue à y trouver une écrasante figure d'autorité, potentiellement désireuse de déposer ses talons aiguilles sur la tronche de ses élèves.
En m'inscrivant à ce lycée, j'ai eu ouï dire de certaines pratiques entre élèves. Mais j'ignorais que le corps professionnel était également sujet à ce genre de frasques.
Rini échangea un regard avec sa collègue.
Etaient-elles prêtes à aller jusqu'au bout pour mener à bien cette drôle d'enquête ?

- Nous ne sommes peut-être pas obligées de passer par cette voie.

Une impasse d'entrée de jeu ? Que nenni !
Les plus courts chemins ne sont pas forcément les meilleurs.

- Les réseaux sociaux ne sont-il pas susceptibles de nous fournir des renseignements sur Akina Makana ? N'oublions pas ses relations. En les contactant, nous pourrions obtenir des informations invisibles auprès des archives de l'école.

Alors plutôt que d'avoir à se rabaisser auprès d'une "dominatrix"...

Les forces de l'ordre ne sont pas parfaites. Rini Koken, malgré le fait que sa mère en faisait partie, ne pouvait nier cette vérité.
A l'inverse, je n'aurais jamais ressenti le besoin de revêtir le costume, la nuit tombée, d'une dangereuse motarde éprise de justice.
L'Ange Gardienne souhaitait avant tout tenir informer la famille de leur enquête. Sa collègue trouvait cela un petit peu trop rapide à son goût.

- J'ai beau croire en nos chances de réussite, je ne tiens pas à ce que les Akina soient prévenus de notre enquête d'entrée de jeu. Il va nous falloir rassembler des preuves solides avant d'engager le dialogue avec eux. Ensuite - et seulement ensuite - nous les tiendrons informés de notre avancée.

Rini rechignait à utiliser cette piste. Les parents de la disparue n'en savaient sans doute pas plus sur ses secrets que ses ami(e)s proches. Par ailleurs, c'était sans doute avec ceux-là qu'Akina Makana écoulait le plus de son temps.
Je me demande bien si c'est le type de fille à tenir un journal intime...
En tout cas, il paraissait compliqué de se reposer sur la secrétaire et les archives de l'établissement. Shehtra y avait renoncé, et sa compagne de recherches n'allait certainement pas le lui reprocher.
Je ne vais pas m'en vouloir d'avoir renoncé à jouer les soumises.
Rien n'était perdu.
Suite à l'idée émise d'exploiter les ressources inhérentes aux différents réseaux sociaux, les enquêtrices en herbe dégainèrent leurs smartphones et se mirent à consulter les profils portant le nom d'Akina Makana.
Il y en a pas mal. Je dirais même : largement de quoi nous tenir en haleine pendant un bon moment.
Elle entreprit d'affiner ses recherches. Les récents profils eurent vite fait de passer à la trappe au bénéfice des plus anciens. Il n'existait pas trente-six Akina Makana ayant fréquenté le lycée Jinmu. En y mêlant le nom de leur établissement, l'étau se resserrait drastiquement.
Et ce pile au moment où la présidente eut un "éclair de génie".
Rini accusa un temps d'arrêt.
Elle a sûrement raison. Sauf que j'ai promis à mon informatrice de ne pas les avoir surprises, elle et ses amies, la nuit dernière. Elles risquent de paniquer en me voyant arriver avec l'Ange Gardienne...
En lui répondant, Rini ne décrocha pas les yeux du son petit écran.

- Mieux vaut ne pas trop compter sur cette personne. Si tu veux tout savoir, ce contact ne figure pas dans ma liste d'amis. Je l'ai simplement surpris en pleine conversation avec un tiers. Les deux y croyaient dur comme fer, à cette légende. Je ne me suis pas senti la force de les interrompre.

Elle s'arrêta de scroller sur ce profil prometteur. Les photos accumulées dans la galerie, vieilles de plusieurs années, montraient des lycéennes en pleine séance de selfie. Des copines, de toute évidence ; certains sourires ne mentent pas, et ceux-là faisaient partie du lot. Rini releva le nom des concernées, ouvrant plusieurs onglets dans son navigateur.
Après plusieurs coups d'œil, elle hocha la tête, persuadée d'avoir trouvé une piste exploitable.
Elle tourna son écran face à la présidente.

- Akina Makana a bel et bien existé dans ce lycée, et elle y avait aussi quelques amies. Une poignée d'entre-elles ont poursuivi leurs études à l'université d'à côté. Je pense qu'il serait judicieux d'aller les interroger, notamment sur leurs anciennes habitudes.

Rini avait bien entendu choisi les plus complices. Celles les plus susceptibles de leur faire d'embarrassantes confessions.
En cas de loupé, la lycéenne irait probablement rendre visite en personne au trio d'intruses de la veille. Seule et à l'abri des regards, pour ne pas les alarmer...

Petite virée à l'université, donc ! Découverte d'un environnement susceptible de les accueillir d'ici quelques années, avec Shehtra Gonas en guise de fer de lance. Il n'y eut aucun détour de fait. En posant les bonnes questions, le duo mit évidemment la main sur les trois plus fidèles amis de la disparue : Kuga Shirushi, Yoshino Emi, et Hiroi Akko.
Ils n'ont pas beaucoup changé, en quatre ans.
Le trio eut droit à son interrogatoire. Les mensonges ne durèrent point ; la présidente du Club des Justiciers eut vite fait de les détecter et de les signaler à voix haute.
Pire qu'un détecteur de mensonge ! Je me demande bien comment j'ai fait pour m'en sortir, tout à l'heure...
Le fait de ne pas avoir croisé son regard avait-il suffit ? La lycéenne en concevait quelques doutes.
Enfin bon ! Le soir de la disparition d'Akiana Makana, le groupe de lycéens de l'époque s'était dont adonné à une partie de cache-cache sacrément cochonne. Tous les participants se devaient d'être nus, les garçons ayant pour mission de retrouver les filles et de les faire jouir en moins de dix minutes sans quoi le point ne comptait pas.
Naturellement, Rini, les joues rougies par cette déclaration plus qu'improbable, partageait le choc éprouvé par sa collègue.
La perversité de l'espèce humaine m'étonnera toujours ! Un cache-cache nocturne et exhibitionniste dans l'enceinte de l'école ? Qui l'eût cru ?
Celles qu'elle avait découvertes hier soir n'étaient que des petites joueuses en comparaison des camarades de promotion d'Akina Makana.
Personne n'était donc parvenu à trouver la cachette de la disparue. Il avait fallu deux jours aux joueurs et joueuses pour se rendre compte que son absence n'était pas normale.
Au moins, maintenant, nous savons où chercher.
Les enquêtrices purent se rendre sur les lieux du "drame" mais avant cela, il leur fallait se dégoter... des lampes à lumière noire ?
D'accord. J'en vois l'utilité. Inutile de rendre la situation encore plus embarrassante qu'elle ne l'est déjà.
Avec ces appareils, elles n'allaient pas illuminer des traces de sang vieilles de quatre années - et peut-être moins.
Rini, sans mot dire, se contenta donc de puiser dans ses économies et de joindre sa monnaie à celle de la présidente. Ensuite, une fois de retour au lycée, elles se séparèrent pour entamer chacune de leur côté les analyses.
Garde ton sang-froid, Rini ! Ton objectif est clair, à présent. Ne laisse surtout pas ton esprit s'égarer et s'imaginer des choses pas très nettes...
A seize ans, son expérience en matière de relations sexuelles n'était pas très poussée. La lycéenne, en première année, n'était pas tellement pressée de l'enrichir. Elle avait beau nourrir quelques fantasmes - dont celui, un jour futur, de le faire à plusieurs -, Rini vivait au jour le jour et se concentrait presque exclusivement sur ses progrès martiaux.
Après avoir passé au peigne fin quantité de recoins sombres et découvert trop de taches suspectes pour pouvoir les compter, l'adolescente reçut un appel de la part de la présidente qui disait avoir trouvé quelque chose.
A la bonne heure ! Je commençais à en avoir marre de m'accroupir au-dessus de ces trop nombreux vestiges d'anciennes parties de jambes en l'air.
Shehtra Gonas l'accueillit avec le sourire. La connaissant, ce ne pouvait être que de bon augure.

- Au sous-sol, donc ? Ça me semble prometteur.

L'endroit n'avait rien de rassurant. Rini, pour sa part, s'imaginait mal jouer à "saute-mouton" dans un espace aussi lugubre.
La présidente suspectait qu'il y avait quelque chose de surnaturel dans cette histoire...
Son interlocutrice haussa un sourcil brun.

- Tiens donc ? Tu crois aux fantômes, Gonas-senpai ?

Une simple taquinerie, histoire de détendre un peu l'atmosphère et... Bah ? Où était passée sa guide ?
Rini entendit sa lampe à lumière noire s'écraser contre le sol.

- Présidente ? Un problème ?

Pas de réponse. Il faisait si noir, près de la chaufferie...
Tout en avançant, la lycéenne fronça les sourcils de contrariété.

- Si c'est une blague que tu me fais là, sache qu'elle n'est vraiment pas marr-... ?!

Et tout à coup, le sol s'était comme dérobé sous ses pieds !
Rini eut comme l'impression de traverser quelque chose d'intangible, de descendre d'un étage et... de tomber dans le vide, oui !
Qu'est-ce ce qui se passe ?! Pourquoi est-ce que je me retrouve dans le ciel, tout à coup ?!
Pendant cette courte chute vertigineuse, elle cria. Une panique comme elle en avait rarement connu ! A tel point que Rini n'eut même pas le temps de poser les yeux sur Shehtra, qui avait déjà disparu de l'autre côté d'un second portail situé plus bas, en parallèle à celui qu'elles avaient accidentellement emprunté.

- Mais c'est n'importe quuuoooiii-blllouuugglll ?!

Ce fut le grand plongeon ! Il y avait de l'eau partout autour d'elle. Et au-dessus de sa tête, la faille qui l'avait vomie s'était comme refermée. Rini, sans un sursaut d'intelligence, comprit qu'elle avait atterri non pas sur un lac mais directement sous sa surface ! Sachant nager depuis la primaire, elle se précipita à l'air libre pour recracher l'eau qu'elle avait bien failli avaler lors de son dernier transfert.

- Pouah ! *kof kof*

Poussant sur ses bras, la lycéenne s'extirpa du bassin et s'étala le long de la berge, ses yeux couleur noisette tournés vers un ciel modérément éclairci.
C'est moi ou la nuit est déjà sur le point de tomber ?
C'est alors qu'elle sentit quelque chose de bizarre. Comme si sa peau avait été mise à nue et...
Mon uniforme ?
Elle se redressa d'un coup, en position assise. Sur elle, il n'y avait plus aucune trace de tissu. Seulement de l'humidité qui ruisselait un peu partout sur sa silhouette athlétique.

- Impossible, souffla-t-elle, comme éberluée. Où sont passés mes vêtements ? Ils ne peuvent pas avoir disparu comme ça !

En regardant partout autour d'elle, elle découvrit Shehtra dans... son plus simple appareil.
Quoi ?! Elle aussi est... ?
Comme après une longue course effrénée, Rini dut faire l'effort de maîtriser sa respiration. Elle se recoucha sur le dos comme morte et, en fermant les yeux, se concentra sur ses poumons. A force de rester allongée ainsi, la sensation de chaleur qui s'emparait de son corps lui parut bizarrement agréable...
Si je ne remets pas la main sur ma tenue, papa va me passer une de ces soufflantes !
L'urgence de la situation l'obligea à se relever et faire face à la présidente.
Ainsi dénudée, celle-ci avait l'air beaucoup plus à l'aise qu'elle...

- Non, grommela timidement Rini. Tu n'es... pas la seule à être tombée, nue, dieu sait où.

Elle n'attarda pas son regard dans le sien. C'était beaucoup trop soudain - et surtout gênant ! Ses yeux mouvants butèrent contre plusieurs... logements ? maisons ? bungalows ? Quoi qu'il en fût exactement, ces curieuses structures à l'aspect futuriste semblaient avoir été aménagées par un tiers, et ce au beau milieu de ce qui ressemblait fort à une jungle tropicale.

- Regarde, dit-elle à la présidente. J'ai l'impression que nous ne sommes pas seules. Allons voir ça de plus près !

Prenant Shehtra par la main, Rini franchit une des vingt terrasses et pénétra à l'intérieur du logis. Sans se gêner le moins du monde, elle relâcha la présidente et se mit à fouiller partout !

- Il doit bien y avoir quelque chose à se mettre sur le dos...

Mais elle eut beau chercher, Rini ne trouva rien d'autre que des jeux vidéo, des films, des séries et des... jouets sexuels planqués sous le lit ?
Après avoir fait chou blanc, la lycéenne se redressa plus calmement, prit une grande inspiration et lâcha :

- Rien que des divertissements. Dont certains qui me paraissent un peu... douteux ?

Pourquoi diable n'arrivait-elle pas à décrocher son regard de ce gode qui trônait par terre ?
A bien y réfléchir, son corps lui semblait bizarre depuis qu'elle avait quitté le bassin. Bien plus chaud que d'habitude, il lui donnait l'impression d'avoir faim de quelque chose qui n'avait rien à voir avec de la nourriture. Non : ce n'était pas son estomac qui s'exprimait mais bien une tout autre partie de son anatomie...
Quelqu'un pénétra dans le module. Rini, serrant vivement les cuisses, braqua aussitôt son regard sur la nouvelle arrivante.
Elle eut beau la dévisager qu'elle n'en croyait pas ses yeux.

- Akina... Makana ?

Tout le reste de son corps comme tétanisé, la lycéenne tourna lentement la tête vers Shehtra Gonas.

- Le Lycée Jinmu ! Tu entends ça ? Alors c'est bien d'elle qu'il s'agit.

Et subitement, elle s'interrompit. Il y avait quelque chose qui n'allait pas dans les présentations de la basanée. Son regard, pareil à celui d'un automate, vint la retrouver. D'incrédulité, Rini plissa les yeux et demanda :

- Tu vis ici depuis quatre mois ?

La première année secoua la tête ; elle avait sans doute du mal entendre, non ?

- Koken Rini, première année du même lycée que toi, finit-elle par rebondir de politesse non sans lui tendre la main tout en lui indiquant, de l'autre, son accompagnatrice. Je te présente Gonas Shehtra, Présidente du Club des Justiciers de Jinmu... si c'est bien elle ?

Un léger moment de confusion ? La métahumaine n'avait pas l'air dans son assiette.
La présidente ferait bien de leur confirmer son identité.

Après avoir presque bondi sur place en entendant la présidente crier, Rini se figea de plus belle. L'hypothèse de Shehtra Gonas l'avait frappée comme un coup de massue sur la tête !

- Le temps... ne s'écoule pas de la même manière entre ici et chez nous ?

Ça paraissait dingue ! Complètement dingue, même. Sauf qu'Akina Makana n'avait absolument rien perdu de sa fraîcheur et qu'à son attitude, tout portait à croire qu'elle accusait un choc plus douloureux encore que celui des deux aventurières.
Quatre mois ici pour quatre ans écoulées chez nous...
La perte de son uniforme fut relégué au rang de détail presque insignifiant. Au regard de leur établissement et de leurs proches, elles allaient rejoindre la caste très regrettée des disparues !
On est dans une mouise noire !
Le problème d'Akina Makana, vieux de quatre mois, était aussi devenu le leur.
Trois jeunes femmes nues coincées dans cette espèce de jungle bizarrement aménagée...
Parmi elles, Rini Koken était sans doute la moins à l'aise ; elle avait beau avoir passé plusieurs années à sculpter son corps, il lui restait difficile de l'exhiber ainsi. Elle avait pourtant conscience que ses mains ne pourraient pas toujours être utilisées pour dissimuler son intimité.
Et dire que c'est ma première grosse enquête pour le Club !
La lycéenne s'efforçait de ne pas poser son regard à des endroits louches. Elle avait suffisamment chaud comme ça, et ce malgré l'absence de vêtements.

- Passer la nuit dans ce module ? Ne pas nous précipiter ?

Fait rare : Rini avait l'air complètement déboussolée. En arrivant ici, elle n'aurait jamais cru avoir à s'inquiéter du temps qui passe. Le temps était, effectivement, devenu leur pire ennemi. Et pas le genre que l'on peut affronter mano à mano.
Quelle angoisse !
Cela lui donnait la boule au ventre... alors qu'Akina Makana était tranquillement entrain de dresser la table. Pour elle, la pilule avait été avalée, semble-t-il. Enfin, elle disait aussi que cette île possédait d'autres particularités.

- J'ignore si je pourrais avaler quoi que ce soit, marmonna Rini, de façon à peine audible, mais je veux bien m'occuper les mains à tes côtés.

Plus douée en mécanique qu'en cuisine, elle acceptait quand même de mettre la main à la pâte.

- Alors nous sommes donc tombées sur une île isolée.

Malgré ses lacunes, parler en tâche de fond demeurait chose possible.

- Qu'est-ce qu'elle nous réserve d'autre, comme mauvaise surprise ?

La proximité d'Akina Makana ne la laissait guère indifférente. Rini s'efforçait de ne rien laisser transparaître mais, dans le fond, c'était comme si son propre corps répondait instinctivement à la présence des autres que ce module, pourtant spacieux, abritait. Des idées "bizarres" lui trottaient dans la tête. Des fantasmes inavoués ? Le rythme respiratoire de la lycéenne s'était légèrement emballé.

Au fur et à mesure que Shehtra leur faisait part de ses connaissances, les yeux de Rini s'agrandissaient.
Wowh wowh wowh ! Une minute...
Portail aquatique. Plus sur terre ? Un autre univers ?! Tekworld ? Auris et Uatis ? Des.. "futas" ?
Toutes ces informations choquantes se bousculaient dans la tête de la métahumaine !
Elles étaient tombées d'encore plus haut - et plus loin - qu'elle le croyait...

- Mon dieu...

Et en plus de cela la présidente, qui cachait bien son jeu, se disait capable de traverser les mondes. Chose qu'elle entreprit de faire en tendant la main... en vain ! Quelque chose l'en empêcha, visiblement.
Mais ce n'était pas tout : grâce à son expérience, Makana avait appris des choses sur cette île. Et il s'avérait que l'on y trouvait ni insectes ni animaux. Pour se nourrir, outre l'appareil qu'elle utilisait, la basanée avait consommé des fruits (très) aphrodisiaques.
Rini, qui n'en avait pourtant pas encore mangé, commençait à comprendre ce qui n'allait pas avec son propre corps.

- Tu es en train de nous dire que la faune à elle seule nous donne envie de... nous faire plaisir ?

Bon sang ! La lycéenne, plus pudique que ses camarades, eut vite fait de centraliser son attention sur les ingrédients que générait la précieuse machine. Sans elle, Rini savait maintenant à quoi allaient se résumer une grande partie de leurs prochaines journées. En mangeant normalement, la jeune femme avait compris que, certes ce régime ne l'empêcherait pas d'être en chaleur, elle aurait moins envie de sombrer dans la débauche.
Tandis que Makana approfondissait sa réflexion quant à l'anomalie temporelle qu'elle mettait sur le dos du portail enfoui sous les eaux du cratère, Rini, dont les mains étaient bel et bien occupées à manipuler les différentes ingrédients du curry en préparation, jeta de fréquents coups d'œil du côté de ses alliées... susceptibles de virer partenaires sur plusieurs heures particulièrement intenses.
Nous trois en train de... ?
Un plan à plusieurs dans une terre sauvage, où personne ne risquait de les surprendre ?
Cela occupait déjà une bonne place dans la liste de ses quelques fantasmes.
Shehtra, Makana et moi bien décidées à nous...
En serrant trop fort cette carotte qu'elle ne s'était même pas vu ramasser, Rini la fit exploser dans son poing droit.

- Ah, merde !

Des morceaux éclaboussèrent le ventre de Makana, qui se trouvait bien plus proche d'elle que Shehtra.
Rini s'en rendit compte, bien évidemment. Ce qui accentua son embarras.

- Désolée...

Elle la regarda très brièvement avant de baisser les yeux sur la paume de sa main crottée. Très vite, un autre constat la saisit aux tripes : de fines volutes de vapeur s'échappaient de ses doigts. Comme elle était à fleur de peau, le contrôle de son aura de combat avait tendance à lui échapper.
C'est pas vrai ?!
Rini referma le poing avant de se focaliser entièrement dessus. Cette gêne, toute récente, ne dura qu'un temps avant qu'elle ne parvienne à la supprimer.
Mais pour combien de temps ?
Une situation inédite à laquelle elle faisait face !
Un stress. De quoi refréner un peu son excitation.
Elles s'étaient mises dans une sacrée galère !

- Tout compte fait, il serait préférable que je mange, moi aussi.

Elle allait avoir besoin de forces. De beaucoup de forces, oui !

Avec ses plaisanteries peut-être un chouia douteuses, Shehtra arrivait à les faire se détendre un peu. Après tout, ce qu'elle disait au sujet du lycée Jinmu n'était pas très éloigné de la vérité. Rini Koken savait ce que certains y faisaient ; une activité physique qui n'avait absolument rien à voir avec celles que l'on pratiquait en gymnase.
Je ne sais pas trop si je dois m'en réjouir ou... me mettre à courir à toutes jambes hors de ce module ?
En tout cas, au vu de sa réaction, la présidente du Club des Justiciers n'était pas une néophyte. Et elle le confirma très vite en modifiant son attitude, passant d'un calme professoral à une mine aguicheuse qui ne laissait planait aucun doute sur ses intentions premières.
Rini loucha sur son doigt qu'elle ramenait vers elle à son attention.
La lycéenne faillit bien se laisser tenter. Mais elle avait verrouillé ses propres hanches qui avaient commencé à se tourner vers l'audacieuse présidente. Avec ses propos, celle-ci ne pouvait pas paraître plus claire.

- Je... je ne suis pas sûre d'être prête, là, comme ça, aussi soudainement.

Il n'y avait qu'à voir l'état de la carotte ! Même si Rini ne s'imaginait pas briser l'Ange Gardienne de la même manière, elle ignorait ce qui l'attendrait dans les bras d'une Makana aux cuisses déjà ruisselantes. La première année détourna son attention vers la table où la plus habituée des trois avait déjà pris place. Toutes les deux acceptèrent silencieusement la proposition de Shehtra visant à s'appeler par leurs prénoms.

- Faisons comme ça, finit par souffler Rini comme pour briser le perturbant silence.

Elle s'installa donc avec les autres à cette table. En espérant ne pas avoir à passer à la casserole tout de suite. Le curry, lui, avait déjà été servi dans des assiettes. Une faim normale s'empara de l'estomac de Rini. Pourtant, ce fut la proposition de Makana qui, cette fois-ci, l'invita à projeter son regard dans ce pas si lointain obscène. Avant de répondre, la première année se pinça brièvement les lèvres.

- C'est très prévenant de ta part mais... comme l'a dit la présidente : je ne vais avoir d'autre choix que de me familiariser à cette ambiance.

Elle fit de remarquables efforts pour regarder ses deux colocataires droit dans les yeux pour... finalement les laisser tomber sur son assiette fumante.

- Ne vous gênez pas pour moi. Si vous avez envie de le... euhm!... faire tout de suite, libre à vous de vous y adonner.

Le rouge de ses joues se volatilisa très vite. Sans doute grâce à la maîtrise de son aura, qu'elle utilisait en catimini pour palier à son excitation croissante.

- Je ne tiens pas à ce que la nourriture refroidisse.

Un petit peu coincée, la première année ? Oui, possible. Mais elle était par-dessus tout du genre à se fixer des objectifs et des priorités. Ici ? Prendre le temps de se sustenter avant d'épuiser ses batteries en compagnie de ses deux compagnes.