The Multiversity

La présidente du conseil des élèves ne s’est jamais montrée aussi théâtrale et téméraire durant la presque totalité de son mandat. C’est le genre de fille à faire son boulot et tendre l’oreille aux doléances prioritaires des élèves. Aujourd’hui elle a secoué l’établissement et le cœur des jeunes dans tout le campus. Même pour un séjour d’à peine trois jours ils redécouvrent un espoir qui jusque là vacillaient dans leurs cœurs. Makoto Nijima a littéralement volé la vedette à Wonder Woman, une héroïne plus charismatique et forte que l’adolescente. L’électricité dans l’air rendait les étudiants excités et au bord de faire la fête dans un quasi instant de relâchement.

Plusieurs d’entre eux viennent remercier et donner des tapes amicales sur les épaules de la présidente marchant droitement vers le club social du lycée. Le clan Morimoto a beaucoup de fonds pour glisser leurs tentacules de tous les aspects du lycée et de la cité. Mais la chute de l’Olympe a non seulement paralysé la majorité des commerces mais aussi gelé les revenus de la ville. Loin d’être pauvres, il est probable que le clan voudra des intérêts, des garanties pour un tel investissement. Makoto entre alors dans leur territoire. Elle aperçoit alors certaines étudiantes dans un uniforme scolaire plus décontracté. La taille des jupes, les jambes et le ventre révélés sont la marque des Morimoto sur ses filles dédiées à ces femmes puissantes. À les voir silencieuses et offrant un hochement poli de la tête, Makoto se sait attendue dans le bureau de Leona. Quand les portes du club se referment derrière la présidente, elle devient certaine de sortir de cet endroit avec un accord officiel ou bien le payer de son corps.

Elle n’a pas eu l’opportunité de croiser Jane Watson depuis la soirée dernière. Même après son annonce, elle pensait tombée sur une adolescente farouche et rempli de colère sur ce soudain revirement de situation. En l’absence de la Gaijin, elle pénètre dans le bureau de la matrone. Reina avait tout d’une femme d’affaires avec un œil pour les affaires lucratives allant dans l’intérêt du club et du clan. S’il avait une femme capable de sentir de flairer un grand coup, comme un requin qui sent une goutte de sang dans la mer, c’était elle. Makoto sait gérer les caprices de Leona depuis bien longtemps mais cette rencontre est différente.

- Bonjour Reina-san. J’imagine que ma performance est déjà vue comme très culottée de ma part par l’administration mais c’est le seul moyen pour que j’obtienne l’assurance comme quoi on collaborera sur le point de ce séjour. Je vous le dit tout de suite, la ville de Tokyo comme destination est le seul élément non-négociable.

Makoto prend place sur une chaise et croise les jambes avec une légère décontraction. Se montrer tendue reviendrait à montrer une faille dans son éthos corporel et Makoto est parfaitement au parfum qu’elle doit rester maître de ses gestes face à la tête du clan Morimoto. Elle commence alors son speech.

- Le lycée n’a pas d’argent puisqu’il doit reconstruire les ailes de l’établissement. Je sais que vous avez les poches profondes et je vous soupçonne d’avoir de nombreux contacts au sein des officiels de la ville. Bref, vous êtes les seules à pouvoir influencer les militaires et la ville pour laisser les étudiants sortir. En échange de ce service, je suis prête à donner des concessions au club social afin qu’il obtienne satisfaction de cette transaction. J’attends surtout de connaître vos exigences et voir toutes les cartes sur la table.

Rien de plus évident à dire. Makoto n’a que les concessions pour convaincre Reina et il restait à connaître les intentions du club social maintenant que la présidente ouvre grandement la porte.

Quiconque connaissait un peu le clan Morimoto savait que ce n’était pas Morimoto Senior qui dirigeait le clan. Les sœurs Morimoto n’avaient jamais connu leur mère, réputée morte à la naissance de Leona, et leur père était tout simplement incapable de gérer un tel empire familial. Il préférait coucher avec des prostituées et faire flamber l’argent au casino ou à boire. Reina n’hésitait d’ailleurs pas à le battre. Sa fille aînée était un véritable prodige, avec un QI prodigieux. Elle était exceptionnelle, à n’en pas douter. Aussi belle que fatale, Reina était aussi plus calme que Leona, plus réfléchie, mais aussi bien plus dangereuse. Aussi arrogante et sulfureuse que soit Leona, elle était incapable de faire quoi que ce soit contre sa sœur.

Makoto rejoignit un agréable bureau à l’étage de l’administration, avec un canapé en cuir, et une table basse. De grandes vitres permettaient de voir la cour centrale.

« Bonjour, Nijima-san. J’ai beaucoup apprécié votre discours, et votre suggestion est une très bonne idée. »

Reina sourit doucement, et Makoto embraya rapidement sur le vif du sujet. Un léger gloussement traversa les lèvres de Reina.

« Tu abordes la situation sous le seul angle économique, Makoto-chan, j’en déduis que tu n’as pas vu tous les détails avant d’aller faire ton petit discours. Par exemple… Comment comptes-tu obtenir, en plein confinement militaire, l’accord de tous les parents d’élève, hum ? Tu crois que tu pourras faire ton petit voyage scolaire comme ça ? Difficile de faire du porte-à-porte quand toute la ville est bouclée, hein ? Fort heureusement, le club social dispose de toutes les adresses électroniques des parents, et de quelques moyens de leur écrire sans être bloqués par les pare-feux de l’armée. »

Le clan Morimoto avait effectivement le bras long.

« Je peux m’occuper de tout cela, Makoto, et je peux même te laisser tirer la gloire de tout ça. Mais ce n’est pas gratuit. Ce que je veux… »

Reina se tut alors, et laissa planer un léger silence, avant de donner ses conditions :

« Je veux que toi et Jane, vous passiez une soirée à l’Arcadia. Tu l’as pris sous ton aile, non ? Je me demande bien ce qui peut amener la prestigieuse Présidente du Conseil des élèves à s’intéresser de si près à une gaijin aussi insolente, au point de l’inviter chez elle… »

Le ton amusé de Reina laissait planer le doute sur ses véritables intentions, ou sur ce qui l’intéressait à propos de la Californienne…

Makoto admet sans détour que tout son projet de sortie repose entre dans les mains de la cheffe du clan Morimoto et du club social. Être la nouvelle coqueluche du lycée pour son annonce surprise et être la représentante du corps étudiant n’en fait pas une jeune demoiselle toute puissante ni riche. Elle sait combien il est très dangereux de se montrer aussi vulnérable aux demandes les plus tordues et avantageux pour un groupe à la réputation louche. Makoto a déjà grossièrement passer en revue les détails sur le programme du séjour et comment elle compte diviser les étudiants en plusieurs groupes avec chacun visitant que des secteurs spécifiques de la capitale. Bien entendu, elle comptait se placer dans celui visitant un lieu bien particulier

Avant de mettre la main sur la liste des circuits, elle se fait interrompre par un détail très embêtant : Le consentement des parents. Makoto est réduite au silence par cet élément ayant échappé à son attention. Une présidente qui normalement pense à tout se sent comme une étudiante paumée n’ayant pas terminé ses devoirs. Sa gêne est refoulée par une expression rigide et en contrôle. Son excuse immédiate est de souligner le consentement indirecte dû au fait que c’est une activité scolaire et que c’est le choix des élèves de venir ou de rester au lycée. Mais dans le doute et pour balayer toute bataille juridique sous le tapis, Reina compterait sur les réseaux sociaux et d’autres « moyens » pour obtenir ces accords.

- Je vous conseille de ne pas trop ébruiter vos accès à ces adresses. Quand les couvre-feux cesseront, il suffirait que des parents parlent pour vous attirer quelques soupçons.

La gloire n’intéresse pas la présidente du conseil. En revanche, elle se montre très attentive et prudente sur le prix à payer en échange d’un si gros service de la part du clan Morimoto. Ce qu’elle redoute s’avère être plus ou moins ce que Makoto a envisagé. La seule chose qu’une simple adolescente puisse offrir à une famille aussi riche est du prestige, une inflation de popularité. Une nuit au club social avec Reina et sa sœur Leona. Puis elle montre un air de confusion à la mention de Jane Watson, la Gaijin qu’elle a invité à son appartement. Pourquoi être choquée alors que les larbins du club social sont partout et gardent le clan informé du moindre fait et geste dans le lycée ?

- En quoi cette fille vous intéresse-t-elle ? Vous dites qu’elle est insolente. Alors pourquoi vouloir l’associer au club social ? Sauf votre respect, cet accord n’a rien voir avec une possible vengeance personnelle de l’une d’entre vous.

Si les Morimoto ont des yeux et des oreilles partout, les gens peuvent aussi entendre des rumeurs sur l’Arcadia et les perversions du club. Makoto sait que cette soirée ira bien au-delà d’un souper chic et de l’alcool offert aux mineurs. Tout le monde connait le penchant de ces femmes pour la domination. Toutefois, la présidente se retrouve sans échappatoire. Elle finit par s’adosser sur sa chaise et à fixer avec un regard lourd celui de Reina. Ses yeux jugent la femme, scrutent les plis sur son visage. Elle laisse sa respiration combler le silence dans la pièce. Puis elle dessiner un sourire jaune sur ses lèvres.

- Jane avait besoin de dormir ailleurs qu’au lycée et je lui devais cette faveur. Je n’ai pas besoin d’en rajouter davantage. Je respecterai ma part du marché et irai à cette soirée. Mais seule la Gaijin peut accepter ou non.

La mention de Jane sembla surprendre Makoto, qui demanda bien évidemment des explications à Reina. Était-ce un piège ? Tout le monde savait ce que les Morimoto faisaient avec le club social. C’était une couverture officielle pour dissimuler leurs activités perverses, et les soirées à la Sainte-Arcadie se transformaient très souvent en somptueuses orgies sexuelles. Reina Morimoto avait-elle donc une raison bien précise de s’en prendre à Jane ? Le fait est que la requête venait d’elle, et non de Leona. Or, entre les deux sœurs, Reina était toujours plus réfléchie que Leona, qui était bien plus impulsive. Par contre, en ce qui concerne sa perversité, les deux faisaient jeu égal, avec des fonctionnements différents liés à leurs personnalités respectives. Une chose était sûre, toutefois : Reina contrôlait les deux, et Leona lui obéissait.

Makoto battit en touche en expliquant à Reina qu’elle avait juste souhaité héberger Jane la nuit.

« Et bien, peut-être que j’ai moi aussi envie de l’héberger… Ou peut-être qu’il y a d’autres raisons, va savoir ? Peut-être que ma sœur souhaite juste avoir une dominatrice avec elle ? Si cela peut te rassurer, nous n’envisageons pas d’en faire une esclave… Ou, en tout cas, pas une soumise. Avec son franc-parler et son côté impulsif, sans côté la fortune de sa famille, elle serait parfaite parmi les cadres dirigeants du club social. Cependant, et à ma grande surprise, Jane se méfie de moi et de ma sœur, mais semble t’accorder un peu de crédit. Donc, tu sais ce qu’il te reste à faire, Makoto... »

Leona se rapprocha alors, et posa ses deux mains sur les épaules de la jeune femme, venant brièvement les masser, comme pour rappeler à Makoto sa présence ici.

« Tu n’as plus qu’une chose à faire, convaincre Jane de nous faire confiance… Je suis sûre que tu sauras te montrer persuasive, et je viendrais vous voir en fin de journée, soit pour vous conduire chez nous, soit… Pour te souhaiter bon courage dans ton entreprise ! »

Reina n’avait rien de plus à dire. Avait-elle dit toute la vérité concernant Jane ? Il était permis d’en douter, mais les Morimoto ne comptaient pas non plus abattre toutes leurs cartes d’un coup. Reina était aussi riche qu’influente, et ses motivations restaient très mystérieuses, notamment au sujet du club social. S’agissait-il d’un simple délire de personnes riches ? Ou y avait-il d’autres finalités derrière ? On parlait après tout d’une puissante famille locale, mais aussi nationale. Les Morimoto avaient fait toute leur fortune à Yoake, mais le clan s’étalait sur toute l’île, et même au-delà, ne cessant de s’étendre, détenant de nombreuses sociétés. Il ne fallait donc pas s’attendre à ce qu’elle dévoile tout son jeu à Makoto, mais elle avait posé ses conditions.

Désormais, c’était à Makoto de convaincre Jane, si elle voulait avoir l’aide des Morimoto…

Voir les deux sœurs Morimoto de face est comme confronter une hydre; les deux têtes sont bien distinctes mais au final il s’agit de la même entité. Ensemble elles sont le cœur du club social et de toutes les perverses machinations qui s’y déroulent à la nuit tombée. Dans toute la cité, Makoto ne voyait qu’elles pour fournir l’argent et les permissions requises pour traverser la ceinture militaire de l’armée d’auto-défense et du SHIELD. Elle se savait mise dos au mur avant même son annonce précédente à tous les étudiants. Mais de tout ce corpus il fallait convaincre une ennemie du clan d’entrer dans l’antre de la bête quel que soit le prix physique ou psychologique à venir. Elle tente de dissuader Reina en jouant sur leurs égos mais cette dernière la laisse savoir  d’un intérêt monétaire ou social. Habituellement, Makoto laisse la privée des gens en dehors de ses propres objectifs mais cette information la contrarie beaucoup.

La présidente du conseil est froissée par l’attouchement de Léona sur ses épaules. Il n’y a rien de délicat ou sensuel dans ce geste, juste une action superficielle pour resserrer la pression sur une adolescente attentive mais impassible. Ses soirées nocturnes lui ont appris quelques informations loin d’être plaisantes au sujet de cette famille. Elle avait compris combien la réalité des choses ne lui sera pas favorable. Toutefois, elle se lève de sa chaise et remue les épaules pour Leona se dégage. Makoto a ce regard grave et impitoyable dans les yeux, comme si elle poignardait spirituellement ses interlocuteurs avec des poignards. La dernière fois que c’est arrivée c’est quand elle a personnellement confronté d’ex-professeurs accusés mais qui s’avéraient être de vicieux pédophiles.

- Je vois que tu souhaites avoir le paiement en avance avant la sortie. Je m’attends à ce que les préparatifs commencent dès demain une fois ma part du marché complété. Le plus vite ce lycée se videra pour quelques jours le plus vite ces hommes pourront nettoyer le merdier et repartir chez eux.

Les termes sont clairs et le délai établi. Makoto se hâte de partir du bureau et marcher la route menant jusqu’au campus. À la vue de la présidente et de son expression, la trésorière Saori se fait dévisager et n’ose demander la moindre question. Avant de  retourner à sa classe pour les leçons du matin, Makoto lui demande directement de trouver Jane Watson, que celle-ci est convoquée pour l’heure du midi. La présidente ignore de nouveau ses cours pour s’installer dans la salle du conseil, jonglant avec ses pensées, ruminant une frustration grandissante. À la pause du midi elle attend Jane de pied ferme, braquant son regard vers la porte. Elle avait préparé une chaise pour l’étudiante qui arrive enfin dans la pièce. Son index indique avec fermeté l’endroit où s’asseoir.

- Tu as entendu la nouvelle, n’est-ce pas ? Plutôt génial, tu ne trouve pas ? Je vais pouvoir libérer les élèves d’une immense pression et leur redonner de l’innocence. Malheureusement, je suis loin d’apprécier qu’on me traite comme une innocente. Ton secret me contraint à trahir ma promesse. Par conséquent, toi et moi on va chez les Morimoto ce soir.

Tandis que Makoto discutait avec les Morimoto, Jane, elle, zonait lentement. Elle n’avait pas grand-chose à faire de ses journées, à vrai dire, mais ce dont Makoto lui avait parlé l’intriguait. L’Aether… Un nom bizarre, qui sonnait alchimique, lui rappelant l’éther. Aristote avait posé les bases de l’alchimie en reprenant la théorie d’Empédocle sur les quatre éléments fondamentaux de l’alchimie, mais y avait rajouté un cinquième élément, l’éther, ou encore la Quintessence. Du peu que Jane avait compris, l’éther était une matière qui permettait de développer des potions pouvant même influencer les Dieux, permettant aux utilisateurs qui la buvaient d’atteindre la Quintessence. C’était un vieux rêve alchimique, comme la permutation du plomb en or. Car, finalement, derrière le terme mystique, l’alchimie n’était rien de plus qu’une science magique visant la permutation des éléments. Et ce mot, Aether, résonnait étrangement en Jane. Elle y réfléchissait donc en étant assise contre un mur dans un couloir quand Saori finit par arriver.

La trésorière lui annonça que Makoto l’attendait à Midi. Jane grogna doucement.

« Je ne suis pas sa chienne ! » rouspéta-t-elle, appréciant guère qu’on se permette de la convoquer en claquant des doigts.

Pour autant, elle n’allait pas faire la fine bouche, et la rejoignit. Jane n’avait rien de plus à faire, après tout, et elle savait que Makoto venait de converser avec les Morimoto. Honnêtement, Jane n’avait confiance en aucune de ces femmes. On disait que les Morimoto prenaient plaisir à séduire les nouveaux pour en faire des esclaves, un peu comme cette mégère de Mélinda au visage de poupée, mais, à ce jour, personne n’avait encore embêté Jane. Elle ignorait si elle devait s’en sentir vexée ou honorée, et poursuivit sa route.

Jane s’installa dans la salle de conseil, et croisa rapidement les jambes devant Makoto. Très rapidement, ses yeux s’écarquillèrent devant ce que Makoto lui annonça.

« Hein ? No way ! Va te faire foutre, je n’ai aucune envie d’aller chez ces salopes ! Et tu te prends pour qui, d’ailleurs, à me convoquer comme ça ? T’es qu’une élève comme moi, Makoto, pète un coup et redescends sur Terre ! Okay, c’était cool de m’héberger et tout, mais ça te donne pas le droit de me parler comme si j’étais ta fuckin’ bitch ! » répliqua Jane avec fureur.

La Californienne n’était clairement pas du genre à se laisser marcher dessus. Avec elle, il fallait être assez fin, car elle ne comptait pas obéir au doigt et à l’œil. Elle se releva d’ailleurs, prête à sortir, juste par plaisir de défier celle qui prétendait pouvoir la dominer…

« Et c’est quoi, ce putain de secret dont tu me parles ? Je n’ai rien à cacher, moi, je suis probablement la seule élève de ce foutu lycée qui n’ait pas son propre esclave personnel ! »

Makoto défie Jane du regard. Dès l’instant que l’étudiante californienne est entrée dans la salle du conseil, la présidente montre sa nature plus sérieuse et ne comptait pas lâcher prise sur sa décision concernant les Morimoto. Elle rejoint les mains sur son bureau et annonce la nouvelle avec un ton sévère. Sans surprise l’étudiante volatile proteste et refuse avec répugne la décision imposée de passer une soirée au club social. Cette blonde a été très claire sur son opinion personnelle et combien il faudrait un miracle pour la faire changer d’idée. Makoto se retient de réagir le temps que la tempête se calme ne serait-ce que d’un chouia. Elle a tellement envie de sauter vers la porte de sortie et lui barrer mais il fallait montrer une meilleure retenue que cela. Agir avec force ne fera que pousser la blonde plus loin dans ses retranchements. La présidente tape son bureau avec la paume de sa main et se lève doucement.

- Jane, si tout ce dont j’ai besoin pour organiser ce voyage à Tokyo c’est de l’argent, je serais venue te le demander. Elles savent pour la fortune de ta famille. Ce n’est pas le moment de me tourner le dos mais le temps d’être franc jeu.

Franc jeu, la présidente du conseil ne voyait pas d’autres options à ce stade. Si jamais sa protégée quitte la salle de réunion alors ses espoirs de sortir de la ville seront anéanties et sa réputation souillée par un si gros mensonge. Il était trop tard pour faire marche-arrière et détruire le nouvel optimisme chez les étudiants et étudiantes du lycée. Elle contourne son bureau et s’avance vers Jane. Son visage se crispe, cherchant les bons mots à dire avant de secouer la tête et d’inspirer calmement.

- Elles sont motivées par quelque chose, rien à voir avec la soumission. Même si tu déclines cette invitation elles vont continuer à te pourchasser. La différence est que je suis là et que je t’accompagnerai dans le repaire de la bête.

C’est comme durant la conversation avec Reina. La  présidente se demandait pourquoi une telle obsession envers une adolescente étrangère venue de l’Amérique. Un tel caractère ne donnerait rien au club social et le résultat de la discussion mène donc à une affaire d’argent. Mais si Jane réfute l’allégation, alors Makoto commence à sentir de plus gros ennuis planer au-dessus de leurs têtes. Elle vient se tenir  prête de la jeune blonde, gardant une expression d’inconfort sur son visage.

- Et si c’était l’Aether ? Je veux dire, si elles veulent que des informations, tu n’auras qu’à parler puis elles nous laisseront tranquilles. Mais ce serait ridicule qu’elles chassent un mythe aussi obscur et irréalisable, non ?

Fuck ! Jane ne pouvait qu’admettre que Makoto avait raison. Plus elle repousserait les avances des Morimoto, et plus ces deux hyènes s’énerveraient ! Jane savait de quoi elles étaient capables. Les rumeurs sur elles étaient terrifiantes. Rapt, kidnapping, esclavage même, ou brainwashing… Difficile de savoir où s’arrêtait le fantasme et où commençait la réalité, mais, avec les Morimoto, le pire restait à craindre. Makoto évoqua alors l’Aether, et Jane haussa les épaules.

« Je ne sais pas… Je sais que ma grand-mère, Katherine Denson, avait travaillé là-dessus… Mais elle a disparu sans crier gare. On a jamais su pourquoi. Mais elle était un peu bohémienne, du genre à chanter et tout ça dans les saloons. Enfin, j’ai trouvé des notes sur l’Aether dans son carnet… Mais je ne vois pas pourquoi les Morimoto en auraient entendu parler. M’enfin… Ce n’est pas comme si j’avais le choix, hey ? »

Le ton de Jane semblait s’être radouci, comme si elle anticipait et actait désormais le fait de passer une soirée à la Sainte-Arcadie. Cela ne l’enchantait nullement, mais certains des arguments de Makoto étaient pertinents. Elle bénéficierait de sa protection, ce qui était somme toute mieux que rien. Jane hocha donc la tête, après mûre réflexion.

« Okay, j’accepte… Plus vite ce sera fait, et mieux ce sera ! »

Jane allait donc y aller… Se jeter droit dans la gueule du loup !
Le soir

« Je vous souhaite le bonsoir, Mesdames ! Faites comme chez vous ! »

La Sainte-Arcadie était un immense manoir installé dans les hauteurs de la ville. Jane et Makoto avaient été accueillies à la sortie du lycée par une limousine qui avait franchi sans difficulté tous les barrages et points de contrôle de l’armée. Le manoir était illuminé de partout, avec plusieurs voitures de luxe stationnées devant. Reina Morimoto vint saluer les deux femmes dans une impeccable longue robe bleuâtre. Jane, qui ne portait aucune tenue de soirée, l’observa silencieusement.

Reina leur sourit tendrement.

« Allez, venez, la soirée ne fait que commencer ! »

Pourquoi l’avoir invité, elle ? Jane était très confuse, et emboîta le pais de Reina, sans trop savoir ce qu’elle allait trouver à l’intérieur de cette demeure…

Elles n’ont aucune protection possible contre le clan Morimoto. En fait, Makoto ne peut que compter sur sa position de présidente en guise de représailles si jamais les deux sœurs tentent un coup fourré menaçant de trop près la sécurité de Jane Watson. Après tout, leur accord repose sur la mise en application d’une sortie scolaire à grande échelle. Les escarmouches qui peuvent s’en suivre après cette fin de semaine à Tokyo seront un tout autre sujet. Elle est soulagée quand son amie finit par changer d’idée à accepter l’invitation dans son caractère habituel. Toutefois, savoir aussi soudainement que la grand-mère a disparu de la circulation sans aucun indice laissé derrière éveille un peu de crainte. Pour ne pas possiblement énerver Jane, la présidente se tait et une fois un point de rencontre établi à l’entrée du lycée la laisse repartir pour ses cours de la journée.

Le soir venu, elles voient cette limousine blanche les attendre à la vue des élèves pouvant observer la scène depuis les fenêtres faisant face à la barrière entre-ouverte du lycée. Voir Makoto et Jane entrées dans le véhicule allait créer des ragots mais tous savent que l’annonce surprise du matin y est pour quelque chose. Les deux adolescentes sont conduites jusqu’au sommet de la colline où trône la résidence luxueuse des Morimotos. Les lumières allumées et les voitures présentes laissent voir que le couvre-feu et les restrictions militaires ne valent que dalle pour l’élite de la cité et pour les étudiantes ayant déjà accepté de loger avec ces femmes redoutables. Si les deux amies sortent de la limousine toujours en tenue d’écolière, Reina les attendait dans une robe somptueuse.

- Il est regrettable que nous ne puissions pas être habillées adéquatement. Mais certes, commençons cette soirée.

Makoto reste en compagnie de Jane. Le hall d’entrée est vaste et fastidieux. La décoration riche et haut de gamme montre la soif du clan pour le prestige et une réputation irréprochable au sein du cercle élitiste de Yoake. Tout y est propre et les invités jouissent de la vie avec du champagne dans une main et un amuse-bouche de l’autre. Makoto distingue aussi quelques filles semblant faire partie du lycée dans des robes élégantes, restant  entre elles avec possiblement de la boisson gazeuse dans leurs verres à la place de l’alcool. Toute cette scène semble minutieusement élaborée en une soirée légitime au-dessus de tout soupçon. Mais la présidente fixe intensément toute la scène.

- Alors, Reina-san, de quoi va-t-on parler ? Ou bien avons-nous un souper à assister en votre compagnie ? J’ignore comment vous pouvez passer le temps avec autant d’invités à la fois, à moins que la plupart soit ignorés.

Quand elle était en Californie, Jane avait déjà vu des endroits de ce genre. Cossus, riches… Mais il fallait bien admettre que le manoir des Morimoto tenait plus d’une sorte de palais versaillais qu’autre chose. L’intérieur était fait de magnifiques huisseries, de tapisseries murales avec d’impeccables fenêtres très grandes. Le manoir comprenait plusieurs salons massifs où les convives discutaient. De la musique classique émanait d’un petit groupe privé.

« La 40^ème Symphonie de Mozart, précisa Reina. Mes ancêtres ont toujours adoré le luxe français. La Sainte-Arcadie est d’ailleurs une référence à la Grèce, et, de manière générale, le Palais Morimoto a été inspiré par les visites diplomatiques de mes ancêtres au Palais de Versailles.
-  Ça a de la gueule, reconnut Jane, tandis que Reina semblait les éloigner de la fête principale. Tu nous emmènes où ?
-  Nous avons à parler. Si je voulais juste que vous baisiez, c’est Leona qui vous aurait accueillie, pas moi. »

Ça avait au moins le mérite de la clarté ! Habillée comme une Romaine, ou comme une Grecque, Reina rejoignit une autre pièce à l’étage. Un immense arbre généalogique ornait le mur, témoignant de l’illustre passé des Morimoto.

« Voici la bibliothèque familiale. Toutes les archives de notre famille, tous les carnets, les relevés de généalogistes… Tout est stocké ici. C’est toute l’histoire de l’une des plus prestigieuses familles du Japon qui se trouve là ! »

À travers un système de haut-parleurs et d’enceintes, on pouvait encore entendre le concerto de Mozart en contrebas. Visiblement, l’Arcadie avait été épargnée de l’Olympomachie. Reina marcha encore, et attrapa un journal rapiécé sur son bureau.

« Ceci est le journal de Kenshi Morimoto, expliqua Reina. Du moins, Jane, toi qui viens des États-Unis, as-tu entendu parler des camps d’internement japonais ? »

Surprise par cette question, Jane cligna des yeux.

« Je… Qu’est-ce que tu veux dire ?
-  Suite à l’attaque de Pearl Harbor en 1941, le Président Roosevelt, redoutant la présence de terroristes japonais ou d’agents dormants parmi les ressortissants nippo-américains, a signé un décret présidentiel prévoyant la déportation des ressortissants américains d’origine japonaise dans des camps d’internement. Plus d’un déporté sur deux était un citoyen américain. Ces camps ont duré pendant toute la guerre, et ont abrité un peu plus de 120 000 habitants. Cela reste évidemment bien moindre que les camps nazis, et les déportés n’étaient pas envoyés là-bas pour mourir, mais je trouve cela amusant… Pas toi ?
-  C’est cool, mais… Euh… I don’t care about this ! »

Reina sourit malicieusement.

« Tu te demandes pourquoi je vous parle de ça ? Kenshi, vois-tu, avait été envoyé aux États-Unis pour superviser plusieurs installations et industries de notre famille là-bas. Il a été déporté au camp de Manzanar… En Californie. Les déportés avaient droit à une vie sociale. Base-ball, sport, et des chanteurs venaient même se produire dans ce qui faisait office de bars. C’est comme ça que Kenshi a rencontré une certaine femme, une chanteuse itinérante un peu bohémienne qui poursuivait un héritage familial en voguant sur la liberté… Katherine Denson.
-  Attends, qu’est-ce que tu me chantes, là ? »

Nouveau sourire de Reina, qui se rapprocha ensuite de l’arbre généalogique des Morimoto, et désigna une branche récente, où on pouvait voir le nom de Kenshin Morimoto.

« Il nous a fallu du temps pour reconstituer cette branche familiale. Je ne vais pas te faire un dessin, mais Kenshi et Kate ont fait l’amour, et, à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de moyens de contraception. Ta grand-mère est tombée enceinte, et a donné naissance à ta mère quelques années plus tard. Malheureusement, Kenshi est mort en Californie de dysenterie, et a légué son héritage à la fille de Kate… Ta mère. Kate ayant elle-même disparu, ta mère a hérité de tout ça. Cet argent lui a permis de rencontrer ton père, Sire Watson… Mais il y a un peu de Morimoto en toi, Jane, alors… Bienvenue dans la famille ! »

Autant dire qu’à ce stade, Jane, qui avait pourtant la répartie facile, était sur le cul ! Ne sachant plus quoi dire, elle laissa alors Reina reporter son attention sur Makoto.

« Et, si j’ai aussi souhaité ta présence, Makoto, c’est parce que, de toute évidence, la grand-mère de Jane enquêtait sur un artefact mystérieux… L’Aether. Je suppose que cela te parle ? »

Comme toute personne riche, les goûts sont dans le classique et le luxe. La famille Morimoto ne se contente pas de rester enfermer dans le modèle japonais traditionnel et cherche son inspiration avec la culture occidentale. Un manoir érigé au sommet d’une colline, une tenue somptueuse et légère à la grecque antique, On pourrait croire que l’Olympomachie n’était qu’une journée comme les autres. Personnellement, Makoto est contrariée par le manque de retenue et d’humilité. En même temps, la déprime et la présence militaire ne sont pas éternelles et la vie reprendra un jour. Des larges fenêtres la présidente du conseil des élèves observent les lumières émanant de la ville. La vue y est fantastique et à l’étoffe de ce que l’élite recherche en termes de supériorité vis-à-vis de la populace.

Avec l’étalage de l’arbre généalogique qui orne le mur de la grande bibliothèque, il devient trop évident que le clan valorise leur lignée et leur prouesse au fil des siècles. Tant d’arrogance, de prestige et de pouvoir ne viennent pas de nulle part. Makoto reste stoïque face à la puissance du passé que Reina porte fièrement sur chaque épaule. Puis elle laisse une histoire en apparence hors-sujet être racontée. La Seconde guerre mondiale, Makoto se souvient surtout de la défaite japonaise, les bombes atomiques et les conséquences de la présence américaine dans le pays. De tout ce chaos en Europe seul un bon point en était ressorti : Son arrière grand-père français venant vivre au Japon en se mariant avec une japonaise.

Mais elle se retrouve témoin d’une révélation choquante et complètement imprévisible. Sa préoccupation était l’obsession du clan pour Jane Watson, une fille qui en toute apparence ne procurerait aucun intérêt particulier à cette famille. Mais l’américaine fait partie d’une branche de l’arbre familiale. Une cousine de Reina. Makoto dévisage Jane, tout aussi inconfortable devant l’annonce. Tout devient plus clair et le plan du clan commence à prendre forme dans la tête de la présidente qui se force à fond pour ne pas laisser une perle de sueur apparaître sur sa tempe. Son corps raide fait tout pour ne laisser aucun indice visuel transparaître quand ce satané nom « d’Aether » est évoqué. Que diable répondre sans éveiller les soupçons ?

- Jane a bien évidemment fini par m’en parler. Je vois très mal comment une substance hypothétique de l’alchimie médiévale européenne et un très ancien fantasme de l’humanité puissent converger ici au Japon. Vous comptez devenir plus riche avec du mercure transformé en argent ? Le fameux mythe du plomb transformé en or ? Je suis la présidente du conseil des élèves, pas une alchimiste ni une magicienne.

Makoto affiche un froncement des sourcils et un certain énervement devant ce qui ressemble à une chasse aux trésors avec peu d’indices ou aucunes. Intérieurement elle cache son inquiétude sur ce que cette femme pourrait lui demander sur le sujet de l’Aether. Tant que cela n’altère pas son projet de voyage, elle pense être en mesure de passer une soirée agréable en compagnie des invités avant que le sommeil la pousse à un voyage de retour à la maison.

Jane avait encore du mal à y croire. Se pouvait-elle donc que tout ça soit vrai ? Reina avait l’air si sûre d’elle… Mais elle disait de multiples informations qui sonnaient juste. Jane laissa Makoto lui répondre, et Reina sourit doucement en regardant la femme.

« Le Japon est une terre de fantasmes, Makoto… Mais je n’ai pas besoin de l’Aether. En fait, je souhaite même t’aider à récupérer cet artefact, je pense qu’il sera davantage utile entre tes mains qu’entre celles de personnes plus dangereuses.
-  Que… Qu’est-ce que tu veux, alors ? »

Reina sourit doucement en regardant lentement Jane. Cette femme faisait preuve d’une assurance assez incroyable, très troublante. Les Morimoto étaient fidèles à leur réputation, et Reina alla s’asseoir sur son fauteuil, croquant dans une pomme.

« Toi, Jane. L’Aether m’intéresse assez peu, et, si tu le veux, Makoto, je ne me battrais pas pour l’en empêcher. Ta venue ici, à Yoake, ne doit rien au hasard, Jane. Vous avez vécu comme moi la guerre qui vient d’avoir lieu, l’invasion des Olympiens sur Terre… Mais cette guerre n’était qu’une première secousse. Des forces très anciennes se mettent en œuvre, des forces qui rêvent de revenir dans ce monde et d’y imposer leur loi. Et leur programme ne me plaît pas. »

Jane resta encore silencieuse.

« Ta grand-mère a été victime de ces forces. Elle est toujours en vie, dans un autre plan, où elle lutte pour sa survie depuis des éons. Un monde qui est régi par une entité démiurge qui est liée aux créatures sur qui elle investiguait de son vivant.
-  Je ne comprends rien à ton foutu délire. »

Reina haussa les épaules, croquant encore dans sa pomme.

« Ce n’est pas grave, cela viendra. Mais, Makoto, tu dois savoir qu’ils recherchent aussi l’Aether. Jadis, ma famille appartenait à un ordre ancestral… L’Ordre de Maturin. Nous répondions à l’appel de la Tortue. Mais l’Ordre a perdu contre son ennemi héréditaire, un ennemi qui est à l’origine de l’Olympomachie. Je suis sûre que tu as dû lire leur nom dans les cahiers de ta grand-mère, sans comprendre à quoi elle faisait référence. »

La Tortue… Oui, tout cela n’était pas totalement inconnu pour Jane, mais elle ne comprenait vraiment pas de quoi cette femme parlait ! Elle semblait surtout être en plein délire mystique, mais, en même temps, on ne pouvait pas nier que les Dieux olympiens existaient, et avaient récemment tenté de détruire les êtres humains. Partant de là, et même si Jane avait envie de cataloguer cette femme comme folle à lier, elle se devait aussi d’admettre qu’elle n’avait pas tort sur tous les points.

« Alors, Makoto, en quoi puis-je t’être agréable ? Outre ton envie d’organiser une excursion, tu cherches aussi l’Aether, non ? Où en es-tu de tes pérégrinations ? »

Dès que les dieux et les monstres mythologiques sont descendus sur Terre dans un projet de domination sans précédent, la bonne vieille réalité ne serait plus jamais comme avant. Makoto l’a bien compris quand il a fallu défendre la classe dans laquelle elle s’était réfugiée et quand les deux factions de super-héros sont venues porter secours. Le mystique et les légendes prennent une nouvelle signification, une plus réaliste que l’aurait rêvé les enfants à l’imagination débordante. Reina parle d’une autre dimension où la grand-mère de Jane y est encore vivante mais dans une boucle sans fin pour sa survie. Le pire est que la Morimoto parle avec un ton détendu et sérieux. La présidente, elle, reste abasourdie par la tournure de cette soirée et cette confrontation la gardant dans l’eau chaude.

Son instinct de justice et de policière en herbe lui disait de ne jamais baisser sa garde devant cette puissante famille. Comme le serpent qui séduit Ève dans le jardin de l’Éden, il est si facile d’utiliser les bonnes intentions pour faire agir une personne dans une direction voulue. Le problème, toutefois, est que son projet commence à être trop bien révélé. Il est possible que Reina à déjà compris ce que Makoto sait sauf un détail crucial. Par ailleurs, la tête du clan Morimoto choisi ce moment pour épaissir toute l’affaire de l’Aether avec un enjeu plus démesuré que l’invasion en elle-même. Car la présidente du conseil est servie avec la révélation de puissances anciennes, des entités enclines à usurper tout pouvoir servant leur cause et soif de domination. Avec en prime l’ordre de Maturin et une histoire de tortue, l’adolescente ne comprenait qu’une histoire de Bien contre Mal. Deux clans se battant pour la victoire absolue sur l’autre et l’Olympomachie n’était qu’une bataille. La guerre ne faisait que commencer ou bien se poursuivre depuis des temps immémoriaux.

Une chose devient certaine : L’Aether ne doit plus rester au Japon, ni même sur Terre. Elle qui se disait que l’artefact est peu connu, les mots de Reina sonnent la sonnette d’alarme. Une main tire sur sa cravate d’écolière pour relâcher la tension autour de son cou.

- Je ne sais rien à part la déduction que ce truc peu théoriquement changer la matière. Tu parles de terre de fantasmes mais à cause de cela il y a trop de chemins possibles et rien que des spéculations. Je peux marcher sur une route prometteuse et me casser le nez directement contre un mur. Même avec une piste je ne peux rien garantir.

Makoto feint le manque de connaissance et même que ses recherches sont infructueuses jusqu’à présente. Elle observe Jane dont le lien de parenté insoupçonné et la douce-amer découverte que sa grand-mère vit dans un enfer sans fin doivent constituer un énorme coup de massue sur la tête. Une main rassurante vient agripper celle de Jane pour la tirer vers la sortie de la bibliothèque. La 40ème symphonie de Mozart continue et les sons musés des invités parviennent jusqu’à leurs oreilles. La présidente s’arrête et sent son cœur se serré anxieusement. En tournant son visage hors du champ de vision de Reina elle arrive à fermer les yeux et à chercher sa concentration.

- Reina, si tu veux m’être agréable je souhaite tout simplement passer un bon temps et remplir ma part du marché. Tout ce que tu nous as dit demande du temps à digérer. Tu réalises que cela remet en question l’ordre même de ce monde ? Les dieux existent et les esprits ne verront qu’un tsunami venant les gober vivants. Mais je ne compte pas en dire le moindre mot ; Je perdrais ma crédibilité si j’osais en parler ouvertement.

Makoto fixe de nouveau Reina et force un petit sourire léger sur les lèvres.

- Avec de la chance, je trouverai bien un indice durant le séjour à Tokyo. Je n’aurai qu’à garder ton avertissement à l’esprit. Et si cela peut te rassurer…tu n’auras qu’à laisser Jane m’accompagner.

Jane était un peu déstabilisée par tout ce que Reina disait. Elle qui prenait juste les Morimoto pour deux nymphomanes incestueuses, elle réalisait que celles-ci étaient visiblement différentes de ce qu’elle pensait… Car complètement cinglées ! Mais bon, c’était le monde lui-même qui semblait être devenu fou ! Un monde où la magie existait, où les Dieux existaient ! Quel merdier ! Et, maintenant, le délire de Lovecraft existait aussi ? Jane n’avait jamais lu Lovecraft, mais elle savait de quoi il retournait. Des histoires délirantes écrites par un auteur qu’on disait dépressif sur des trucs gigantesques qui pouvaient vous détruire.

« Je sais qu’on est au Japon, mais je viens des États-Unis. Tu voudrais me faire croire que ce que Lovecraft a écrit est véridique ?
-  Ce que je veux vous dire, mes chéries, c’est qu’il existe une guerre millénaire qui, à divers niveaux, a influencé l’Histoire de ce monde et d’autres mondes qui lui sont liés. Lovecraft était bien placé pour le savoir, car ses parents, ou au moins l’un d’entre eux, étaient indirectement liés à l’Ordre de Maturin. Les récits de Lovecraft sont fondés sur une réalité qu’il a pu apprécier. Ce ne sont pas de simples écrits, mais des avertissements. »

Plus que dubitative, Jane secoua la tête.

« Okay, whatever. Mais… Je n’y comprends rien, mais… Well.
-  Pour le reste, Makoto, et comme je te l’ai déjà dit, je m’occupe de tous les détails concernant ce voyage scolaire à Tokyo. Toi, en revanche, je veux que tu récupères l’Aether, et que tu éloignes cet artefact. Je ne peux pas prendre le risque que la Rose s’en empare. La Monarchie est puissante à Yoake. Vous avez dû entendre parler des Guramu, non ? Ce clan yakuza sert la Monarchie de la Rose.
-  Je croyais que les Morimoto travaillaient avec les Guramu…
-  Nullement ! Enfin, c’est tout ce que j’avais à dire. Nous serons sûrement amenées à devoir prolonger cette conversation plus tard, Makoto. En attendant, vous pouvez retourner chez vous… Ou profiter de notre hospitalité. »

Reina poursuivit cela en caressant soudain la joue de Jane, et l’embrassa alors sur les lèvres. Celle-ci sursauta doucement.

« Et ce sera à Jane de décider si elle t’accompagne dans ta quête de l’Aether. Je vous offre des passes, ils vous permettront de passer tous les points de contrôle de l’armée. »

Jane hocha la tête, un peu surprise. Elle qui était connue pour avoir la langue bien pendue, elle semblait ici un peu assommée, comme si elle subissait le contrecoup de tout ça.

« Alors, à vous de voir… Vous êtes les bienvenues ! »

Et, sur ce, Reina, les laissa là, leur adressant un dernier sourire, avant de rejoindre sa sœur. Jane se pinça doucement les lèvres en la regardant sortir, puis croisa à nouveau le regard de Makoto.

« Bon… Je dirai que je ne m’attendais pas vraiment à ça. Maintenant, si tu m’expliquais ce qu’est cet Aether ? Parce que… Je n’y ai rien compris. Il se trouve à Tokyo ? »

Pour Makoto, cette rencontre avec Reina Morimoto étale au grand soir une réalité plus secrète et plus terrifiante que le suppose la quasi-totalité de l’humanité. Des forces sont en mouvement depuis des millénaires et une guerre aussi traumatisante comme Yoake, il y a en aura d’autres dans un avenir proche ou plus éloigné. Dans les deux cas, le temps devenait plus limité à mesure que le sablier de la vie s’écoule et que chaque minute se perd à rester tranquille et à faire la fête. Ces élites se gavant d’amuses-bouches et de champagne paraissent comme des enfants inconscients nourris à la cuillère d’argent en comparaison aux deux adolescentes se tenant devant la tête du clan Morimoto. Même les fanatiques de théories du complot sont plus équipés face aux bouleversements de la société avec l’idolâtrie en hausse à travers le monde civilisé.

Même en déviant avec sa réponse vague, Makoto se voit demander de nouveau la même requête face à une femme dont renchérir sur le sujet peut signifier une duperie infructueuse. Toutefois, la mention du clan Yakuza et de la Monarchie étant alliés anime une vive émotion de fureur. Ses dents se crispent, connaissant le nom du monstre derrière cette organisation inconnue sur Terre. Elle ne dit rien devant l’affirmation de Reina. Il est trop risqué de croire sur paroles un clan voulant se distinguer de l’autre alors que des signes montraient des connexions entre Guramu et Morimoto.

- Je vois. C’est dans l’intérêt de vos projets que vous désirez ces menaces écartées de votre chemin ? Toujours aussi fidèle à votre réputation. Je prendrai plaisir à visiter la ville et à te remercier à mon retour quand ces militaires seront enfin partis de Yoake.

La présidente crois les bras, fronce le sourcil avec un léger étonnement quand les deux cousines s’embrassent. L’animosité de son amie face au clan s’est beaucoup trop radoucie face aux révélations en rafales. Était-ce la surabondance d’informations ? Était-ce un effort pour ne pas ruiner le projet de Makoto en organisant un séjour à Tokyo ? Une fois Reina partie – avec les passes en leur possession – elle soupire fortement et avec un immense soulagement. Le lycée ira en vacance et la fin de la rencontre l’officialise pour de bon.

- Tu sais…même avec son aide il est impossible que TOUS les élèves visitent chaque recoin de la mégapole. Il faudra les séparer en plusieurs groupes, en plusieurs circuits différents selon les affinités avec les clubs.

Avec l’aide de Reina dans la poche, sa part du travail consistera à planifier ces dits circuits avec les professeurs volontaires pour la supervision des élèves. Demain matin elle devra revenir au lycée la tête reposée et un stress en moins sur la conscience. Le ventre lui gargouille alors et la présidente offre une étreinte au niveau de l’épaule pour Jane qui malgré reste son amie.

- Je sais juste que si des criminels s’y intéressent alors ce truc ne mérite pas de tomber dans leurs mains. Jane, tu es toujours la bienvenue chez moi. Je vais prendre un bon repas avant de repartir. On se revoit demain ?

Makoto se retire, passant la porte pour rejoindre momentanément la fête plus bas. Quand elle se sépare de Jane, son regard évite le sien. Son faible sourire prend une tournure plus neutre et moins enjouée, surtout que le clan savait déjà pour cet objet qui a finit pas avoir une forme plus concrète dans l’esprit de la présidente.  Dans tous les cas, cette jeune adolescente intrépide et avec feu dans la poitrine est enfin prête à agir.


((Dernier post pour Jane et le topic est terminé.))

Tout ça faisait effectivement beaucoup à avaler pour Jane ! Elle venait de découvrir qu’elle avait des liens de parenté éloignés avec les Morimoto, et que sa grand-mère était de toute évidence toujours en vie, prisonnière quelque part dans une autre dimension, un endroit infernal ! Elle avait besoin d’en savoir plus sur elles, sur tout ça, sur ce qui se passait à Yoake, et sur les raisons qui l’avaient amené ici. Forcément, dans ce contexte, le voyage scolaire de Makoto à Tokyo intéressait assez peu Jane. Elle n’avait d’ailleurs toujours pas vraiment compris ce qu’était l’Aether, et Makoto n’en savait visiblement pas plus qu’elle là-dessus, celle-ci lui ayant fourni assez peu d’éléments en définitive.

« Euh, d’accord. Je crois que… Je vais rester ici un peu. Donc… Au plaisir de se revoir à Tokyo ? »

Elle ignorait quand elle reverrait Makoto, et, à ce stade, elle avait d’autres soucis en tête. Makoto n’avait pas envie de rester ici davantage, et Jane se déplaça à son tour. Elle ouvrit la porte par laquelle Reina était partie, donnant sur un couloir qui surplombait un grand salon. Il y avait de nombreux convives, et les Morimoto avaient établi un agréable buffet composé de fruits de mer et d’éléments gastronomiques japonais.

Jane ignorait où tout cela allait la mener. Retrouverait-elle Makoto pour son histoire d’Aether ? Vu qu’elle n’avait pas vraiment compris grand-chose à cette histoire, elle en doutait. Qui aurait cru qu’elle pourrait un jour se rapprocher des Morimoto ? La vie révélait décidément bien des surprises, et c’est sur cette idée qu’elle descendit vers le salon, rejoignant le cœur de la fête…