Tandis que Benjamin avait sa vision, Jessica surveillait les environs, mais les monstres n’étaient pas par là. Toutefois, Benjamin ne tarda pas à lui parler. Il avait eu une première vision, et connaissait le patronyme attribué à l’enseignante cyborg : Alix Hansley. Il indiqua avoir vu une sorte de mutation, de transformation. On avait transpercé le crâne d’un homme pour y insérer quelque chose. Jessica fronça les sourcils. Elle n’arrivait pas encore vraiment à comprendre la nature de ces choses, car son Anneau ne les avait pas identifiés, et ne détectait aucun signe de vie en eux, même quand les corps étaient animés et les attaquaient.
*BIP ! BIP !*
Jessica regarda son radar. Deux petits points blancs apparurent, avant de s’éloigner. Elle se pinça les lèvres, nerveuse.
« D’accord, mais… Soyez prudent, d’accord ? »
Elle ne savait pas trop comment cette interaction marchait, mais ça ne la rassurait pas beaucoup. Benjamin replongea ensuite dans les souvenirs distordus de Madame Hansley.
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Ses élèves ! Alix s’inquiétait naturellement pour eux, ce qui n’avait rien de surprenant. Elle avait été programmée ainsi. Elle constata vite que les monstres ne s’intéressaient pas à elle, et en déduisit tout aussi vite que cela venait de sa nature cybernétique. Pour autant, ils la percevaient, car, quand elle faisait du bruit, ils se retournaient vers elle. Alix se déplaçait donc avec prudence, tandis que son processeur tournait à toute allure, cherchant quel protocole de sécurité appliquer. L’accès vers les écoles étant bloqué par des portes de sécurité, elle parvint à rejoindre le pont de commandement.
« Bon sang, il y en a partout !
- Mais d’où viennent ces saloperies ?
- De cette maudite planète, vous croyez quoi ? On n’aurait jamais dû autoriser les soldats à revenir ! »
Alix comprit vite que les problèmes avaient commencé sur Tau Volantis. Les colons avaient installé une colonie là-bas, Providence. Des opérations de forage avaient été réalisées, et avaient permis de déterrer une structure étrange… Un Monolithe. Suite à cette extraction, les colons avaient progressivement commencé à tomber malades. Fatigues, migraines, les symptômes allaient en empirant : illusions, hallucinations, insomnies conduisant à des crises de somnambulisme… Providence avait été mise en quarantaine, et les communications avaient commencé à saturer en raison d’une forte tempête qui avait secoué Providence. Finalement, les quelques retours qu’ils avaient eu suite à la tempête étant des plus obscures, le vaisseau avait envoyé une patrouille sur place, l’Escouade Delta.
Cette patrouille était revenue en indiquant avoir été attaquée, et le Commandant avait eu un long débat avec ses subordonnés, jusqu’à finir par aller contre l’avis de plusieurs de ses lieutenants, en ouvrant un quai pour permettre à la navette militaire de revenir. Le quai avait été mis sous quarantaine, et des soldats avaient extrait l’Escouade Delta. Plusieurs d’entre eux étaient restés sur la colonie, visiblement morts, tandis que les autres étaient ébranlés. Ils avaient été placés dans l’infirmerie, toujours en quarantaine, tandis que leur vaisseau avait été examiné. Les instruments de bord du pont de commandement av aient ensuite perçu de puissants signaux anormaux venant de la planète. Par la suite, les membres du vaisseau avaient eux aussi commencé à ressentir les symptômes des colons de la station Providence. Maux de têtes, migraines carabinées… Les semaines avaient passé sous une tension croissante, exacerbée. Fallait-il appeler des renforts, au risque de propager une éventuelle épidémie ? Le Commandant s’y refusait, tandis que les membres de l’équipage continuaient à rêver. Cela rappela d’ailleurs à Alix un souvenir…
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« On a tous rêvé, Maîtresse Hansley, on rêvait ensemble ! »
C’était une séance de méditation. Des séances collectives destinées à souder le groupe, et à lutter contre les troubles psychologiques induits par le fait de voyager dans un vaisseau, et de grandir à l’intérieur. Les élèves se réunissaient en cercles, et parlaient de choses et d’autres, dans le but de se détendre. Cependant, le sujet de cette conversation était un peu particulier, car les enfants avaient fait tous le même rêve. Alix était un robot, elle pensait de manière cartésienne. Les rêves collectifs étaient pour elle un fantasme, alors elle avait pensé que les enfants lui jouaient un tour.
« Ne soyez pas ridicules, les enfants, ce que vous me racontez est impossible.
- Mais si ! On se tenait tous la main, et on volait en bas ! Le Monolithe nous appelait. Les croyants ont raison, Maîtresse !
- Brandon, ce n’est pas le lieu pour débattre de cela ! »
Les Croyants… Un terme spécifique, lié à la situation actuelle. Depuis l’éveil du Monolithe et les migraines, une secte avait émergé au sein du vaisseau : les Croyants. Ils vénéraient le Monolithe, et laissaient des messages, des slogans faisant office de mantra : « VOTRE CORPS EN ÉCHANGE DE VOTRE ÂME, TELLE EST L’UNITÉ ! »
Un concept qui rappelait l’église de l’Unitologie. La secte affirmait que le Monolithe était un moyen d’unir les individus, et que le Monolithe exigeait un sacrifice. Qu’on lui abandonne son corps, afin d’être détaché de cette enveloppe physique réduite, et de pouvoir devenir éternel, une âme intemporelle, unie avec les autres par la magie divine du Monolithe. Autant dire que cela n’avait aucun sens pour Alix, raison pour laquelle elle ne pouvait que réprimander les élèves… Mais ceux-ci avaient rêvé qu’ils volaient au-dessus de Tau Volantis, et pouvaient décrire avec fidélité la station, tout en se dirigeant vers l’immense Monolithe, emplis d’un sentiment de béatitude et de bonheur sans fin…