The Multiversity

[Samara]

Samara l’écouta lentement, en comprenant que Ratiya ne semblait pas très enjouée à l’idée qu’on s’intéresse à elle pour son physique. Pourtant, elle était d’une beauté incroyable, et elle avait visiblement du mal avec cela. Samara dut puiser dans sa magie pour calmer ses nerfs. Elle écouta Ratiya parler, et ne s’attendait pas à ce qu’il puisse y avoir du racisme sur Lustoria. L’île semblait en effet paradisiaque, offerte à la luxure, et donc à une certaine forme de tolérance. Samara l’écouta donc patiemment, puis lui fit part de son diagnostic :

« Tu ne peux pas nier qui tu es, Ratiya. Que tu sois une herbologiste et une guérisseuse, soit, mais tu es aussi une succube. Tu ne peux pas renier ta nature profonde, tes formes, ta beauté, et les hormones aphrodisiaques que ton corps sécrète naturellement. Tu vois, plus tu cherches à les restreindre, et plus tes capacités de succube t’échappent. »

Samara se déplaça lentement, faisant claquer ses talons.

« Ton organisme ne peut pas s’adapter à tes pouvoirs, alors tu entres dans un cercle vicieux. En cherchant à refréner tes pouvoirs, tu les augmentes, et elles échappent à ton contrôle, au point que tu aies besoin d’un bracelet pour te restreindre. Alors, je sais qu’il existe des nations hostiles aux démons, ma chérie, mais, comme tu peux le voir, je me déplace librement. Là d’où je viens, à Mijak, les démons sont partout. L’Empire est composée en grande partie de démons qui ont renié les autorités des Enfers pour s’installer sur Terra. Les hybrides humain-démon sont également très nombreux, on les appelle techniquement les tieffelins. »

La démone la regarda encore, puis se rapprocha d’elle. Leurs seins se heurtèrent encore, et Samara entremêla ses doigts avec les siens.

« Pourquoi renier ta vraie nature, Ratiya ? Tu sais, on peut t’aimer pour les deux, pour être Ratiya la guérisseuse, mais aussi Ratiya la succube. Alors, pourquoi crains-tu à ce point ta nature de succube ? Ce que tu penses être une malédiction, moi, j’y vois une bénédiction… »

[Ratiya]

Ratiya garda ses doigts noués à ceux de Samara, comme si ce simple contact lui servait d’ancre pour ne pas se perdre dans le flot d’émotions qui l’assaillait. Ses lèvres tremblaient légèrement quand elle parla, et sa voix avait ce timbre grave et vibrant qui naît de la douleur autant que de la sincérité.

— Tu sais… je n’ai jamais voulu choisir. Pas entre ma mère et mon père. Pas entre la chair brûlante de la succube et la douceur apaisante de la guérisseuse. On m’a dit que je devais me décider, que je ne pouvais pas être les deux à la fois… Mais comment renier une moitié de soi ? Comment couper en deux son propre cœur ? Alors j’ai préféré prendre les deux. J’ai choisi d’être entière, quitte à porter une croix plus lourde que celle qu’on voulait m’imposer.

Elle fit une pause, relevant lentement ses yeux vers Samara. La lueur de ses prunelles vacillait, mi-fièvre, mi-vulnérabilité. Sa respiration s’accéléra, faisant se soulever sa poitrine dans un rythme qui trahissait son trouble.

— Mais chaque fois que je laisse… elle apparaître, chaque fois que je deviens Ratiya la succube, les choses changent. Ceux que je soigne, ceux à qui je rends la vie, cessent de me regarder comme une guérisseuse. Ils oublient mes mains qui referment les plaies… et ne voient plus qu’un corps à prendre. Un souffle à consumer. Je deviens une proie, Samara… un fruit défendu qu’ils veulent mordre sans jamais se demander si j’en ai seulement envie.

Sa main serra un peu plus fort celle de Samara, ses doigts glissant contre les siens avec une nervosité presque caressante, inconsciente. Ses lèvres s’entrouvrirent sur un souffle, comme si elle hésitait à confesser davantage.

— C’est pour ça que j’ai peur, avoua-t-elle d’une voix plus basse, plus intime. J’ai peur que la succube en moi dévore la guérisseuse. Que l’on ne voie jamais Ratiya… la femme qui veut protéger, apaiser, aimer à sa manière. Et qu’on ne voie que ce corps… ces formes que je n’ai jamais demandées… cette faim que l’on croit lire dans mes yeux alors qu’elle ne m’appartient pas vraiment.

Ses joues s’échauffèrent, ses yeux se brouillèrent d’une lueur humide, et malgré tout un léger frisson la parcourut, trahissant l’ambivalence de ce qu’elle ressentait honte et désir mêlés. Elle approcha son visage à quelques centimètres de celui de Samara, cherchant dans son regard une réponse qui ne viendrait pas du jugement.

— Dis-moi, Samara… souffla-t-elle presque contre ses lèvres. Est-ce vraiment possible… qu’on m’aime pour les deux ? Pour la guérisseuse et la succube ? Pour la femme fragile et la tentatrice ?

Ses doigts se serrèrent encore, sa voix se brisa légèrement, mais son souffle chaud portait une tendresse désarmante.

— [*]Ou est-ce que je ne serai toujours… qu’un rêve de luxure à consommer ?

[Samara]

Les doutes et interrogations d’une succube n’étaient pas monnaie courante. Ratiya lui expliqua son conflit, partagée entre la guérisseuse et la tentatrice, celle qui soignait, et celle qu’on voulait dominer. Pour Samara, la réponse semblait plutôt évidente. Elle était surprise d’être face à une démone si altruiste, tant cela dérogeait à la tradition égoïste des démons. Face à cette beauté, elle lui sourit en caressant avec sa main libre sa joue, essuyant du bout des doigts ses larmes.

« Tu créés une opposition qui n’a pas lieu d’être. Ratiya la fragile et Ratiya la tentatrice… Ce sont tes mots. Pourquoi devrais-tu être l’une ou l’autre ? Tu n’es fragile que parce que tu te perçois que tu l’es. Tu disposes en toi d’un pouvoir immense, celui de susciter le désir. »

Samara s’écarta un peu. Elle devait utiliser tout son sang-froid et sa magie pour ne pas se jeter sur les lèvres de Ratiya. Fort heureusement, Samara était une Archimage, et, sexuellement parlant, elle était suffisamment satisfaite pour pouvoir faire face à Ratiya en étant relativement sereine.

« Tu dois contrôler tes pulsions, ton pouvoir, et tu contrôleras ceux qui ressentent du désir pour toi. Que tu sois sous ta forme démoniaque ou ta forme humaine, tu es belle dans tous les cas. Cette beauté, tu dois l’accepter. Oui, Ratiya, tu dois accepter ce que tu es vraiment. Les gens que tu séduis, tu dois apprendre à les contrôler. Tu n’es pas une proie, tu es une femme forte. Ceux qui veulent coucher avec toi se doivent de le mériter. Donc… Il n’y a pas d’incompatibilité absolue et irrémédiable entre les deux facettes de ta personnalité, Ratiya. Elles sont même complémentaires. »

Samara se déplaça encore un peu, et croisa les bras.

« Tu ne le sais sans doute pas, mais de grands évènements sont prévus à Lustoria. La Déesse Aphrodite s’est rapprochée de la souveraine de Lustoria, et compte l’adopter. Bientôt, un temple dédié à son culte verra le jour ici. Sache que le culte d’Aphrodite contient des guérisseuses qui sont également des tentatrices, des prêtresses qui manipulent le désir sexuel tout en soignant ceux qui leur réclament de l’aide. Moi, vois-tu, il m’est difficile de t’aider. J’ai eu envie de te faire l’amour dès que je t’ai vu, Ratiya, et je ressens encore ce désir. Je ne ferai rien contre ta volonté, mais je ne peux pas t’aider… Enfin, je sais quoi faire, mais je ne sais pas comment le faire. Je pense que seul le culte d’Aphrodite pourrait t’aider à contrôler au mieux tes pouvoirs, et à faire en sorte que tu sois épanouie, autant qu’en guérisseuse que comme succube. »

La démone marcha encore, et s’assit à côté de Ratiya.

« Mais, dis-moi… Indépendamment de ceux qui veulent abuser de toi, ne ressens-tu jamais de désir ? Je veux dire, tu es une succube. Les vampires ont besoin de sang, et les succubes ont besoin d’énergie sexuelle. Comment fais-tu pour compenser cette soif ? »

[Ratiya]

Ratiya écouta Samara, le cœur un peu plus léger. Elle essuya ses larmes du revers de la main et prit une grande inspiration avant de répondre d'une voix douce mais encore teintée de fragilité :

— C’est vrai que… j’en ai besoin. Je ne peux pas le nier. Cette faim ne disparaît jamais vraiment. Alors, je me suis imposé deux solutions. Une fois par mois… je deviens Ratiya la succube, complètement. Je baisse mes barrières, je me laisse aller, et je laisse mon autre moi faire ce qu’elle veut, le temps d’une nuit. C’est une sorte de soupape… même si je ne suis pas toujours fière de ce qu’elle fait.

Elle baissa les yeux un instant, puis reprit, en sortant un petit flacon pâle aux reflets irisés de sa poche :

— Et sinon, il y a ça. Un élixir spirituel. Je le bois quand j’en peux plus… Il m’offre un peu d’énergie, juste assez pour tenir quelques jours. Mais ce n’est pas pareil. C’est comme manger une illusion de nourriture. Tu sens le goût, mais ton ventre reste vide.

Elle releva les yeux vers Samara, et pour la première fois depuis longtemps, osa poser une vraie question, presque honteuse :

— Mais dis-moi… Toi, tu penses que c’est mal ? De ressentir ce désir ? Pas celui des autres, celui qui vient de moi. Parce que oui… parfois, je le ressens. Même si j’essaie de l’étouffer. Même si j’ai peur de ce que ça dit de moi. C’est dans ma nature, non ? Les vampires ont besoin de sang. Moi… j’ai besoin de ça. Mais est-ce que ça fait de moi un monstre si, parfois, j’en ai envie… vraiment envie , comme tout de suite ?

Ratiya regarder Samara avec envie tout en se mordant la lèvre inférieure.

[Samara]

Pourrait-elle en faire son élève, sa disciple ? Cette éventualité traversant l’esprit de Samara alors que Ratiya, devant elle, lui expliquait avoir cette soif, qu’elle compensait nomment à l’aide d’un élixir. C’était sans aucun doute un breuvage de sa propre création, comprenant des fluides sexuels mélanges à d’autres ingrédients. Autant dire que cela ne plut pas à Samara.

« Ma chérie, ce genre de substances… Même pour des démons, l’addition est une drogue. Tu prends des risques inconsidérés en prenant des substances de cette nature, ce n’est pas sain. »

Le ton ne se voulait pas moralisateur, mais Samara réalisa que cela pouvait s’interpréter ainsi. Elle se rapprocha donc a nouveau de sa partenaire, et retourna caresser sa joue, tandis que son autre main glissa sur son épaule. Leurs seins se heurtèrent à nouveau. La succube l’avait interrogé sur la nature de son désir, s’il était sain ou pas. Un point sur lequel Samara pouvait fournir son expertise.

En voyant Ratiya se mordre la lèvre inférieure, Samara en sourit doucement. Le frisson du désir, elle le sentait en elle, faisant battre son cœur dans sa poitrine.

« Ressentir le désir… N’est jamais mal, Ratiya. Si nous vivons, c’est pour désirer. L’absence de désir, c’est l’absence de vie. Pourquoi vivre, si on ne veut rien ? Si on ne ressent rien ? Si on aspire à rien ? Donc, ma réponse est claire, Ratiya, ce que tu ressens n’a rien de monstrueux, c’est même tout l’inverse. Aimer, désirer, c’est normal. Il faut juste savoir encadrer son désir, et ne pas l’imposer à l’autre. La monstruosité est ici, ma chérie, quand on impose son désir à une personne qui n’en a pas envie… »

Elle lui sourit ensuite.

« Ce qui n’est pas mon cas, ma chérie. Pour ne rien te cacher, dès que je t’ai vue, je t’ai trouvé très jolie. Ta beauté extérieure est le reflet de ta grandeur d’âme. Je ne vois donc aucune objection à apaiser ta soif, ma chérie… Si cela me permet d’apaiser la mienne. »

Samara termina son propos en se rapprochant encore de Ratiya, et alla l’embrasser…