Oswald secoua lentement la tête. Les paroles du Professeur sonnaient tellement juste. Il posa ses deux mains sur le bureau, se pinçant les lèvres. Il ne voulait pas entendre plus, non, il ne voulait pas y croire, et pourtant... Il revoyait la tempête, il revoyait cette soirée infernale où ses enfants avaient perdu la vie. Un accident, disait-on, mais la réalité... La réalité était encore plus sinistre que ça. Elle dépassait l’entendement, et il n’arrivait pas à l’admettre. Sa femme...
L’homme se mettait à sangloter.
« Elle n’a pas pu le supporter. Elle comptait tout dire. Il a fallu s’en débarrasser. Nous ne pouvions pas nous permettre que quelqu’un vienne retarder nos plans, ou menacer de détruire la Machine avant qu’elle ne soit prête.
- Tu... Tu l’as tué. Mi... Misérable ! Monstre ! Comment as-tu pu... ?!
- Il suffit, Mandus ! Laisse les jérémiades pour les jeunes enfants ! Je suis ta création ! Tu ne le comprends donc pas ? Tu m’as créé pour te supplanter là où tu échouerais ! Tu savais qu’il fallait se méfier de ta composante humaine, que tes sentiments risquaient de faire échouer toute notre entreprise. Je suis la Machine !
- Tu es fou ! Je vais détruire cette monstruosité ! »
La claque fusa, douloureuse. La tête d’Oswald heurta à nouveau la vitre crasseuse, et, en contrebas, il les revit. Shad, l’homme qu’ils avaient sauvé... Et un autre individu, qui le regardait.
« Comme c’est décevant... Tu avais raison, Mandus. Une œuvre parfaite ne peut pas avoir une composante humaine, car l’être humain est naturellement appelé à ne pas faire ce qu’il faut faire, et à prendre les bonnes décisions.
- Nous parlons de meurtres !
- Non ! Ces gens-là… Des meurtres ? Ha, ne me fais pas rire ! Ils ne servent à rien, ils ne sont que des poids morts pour la société. C’est la sélection naturellequi veut leur suppression. La Nature élimine tout ce qui lui est inutile, il en va de même pour nous. En les récoltant, en utilisant leur énergie vitale, nous donnons à leur mort une raison d’être. Ce sont des porcs, Mandus, rien de plus, des porcs qui s’engraissent sur la civilisation, des porcs lourds et gras qui en retardent l’évolution naturelle. Nous ne pouvons plus nous permettre de faire des sentiments, pas quand c’est la survie de l’espèce qui est en jeu. »
La vision d’Oswald devenait floue, et il se passa une main sur ses cheveux moites, n’arrivant pas à en croire ses yeux. Il se revoyait tenir les mains de ses deux enfants, les entendait paniquer, lui demandant où ils allaient, ce qui se passait. Ils avançaient dans des couloirs obscurs. Non, ce n’était pas possible... Une hallucination, c’était forcément une hallucination ! Oswald ne pouvait pas croire à autre chose !
Le Cœur se mit alors à vrombir dangereusement, provoquant des vibrations dans toute la structure.
« C’est en cours. Plus rien ne peut l’arrêter, maintenant. Il est temps d’appeler Shub-Niggurath. »
Oswald vit la main du Professeur s’approcher d’un bouton... Et il s’en saisit alors, le repoussant. Le Professeur s’énerva, et tenta de le pousser. Oswald le frappa alors, et s’interposa.
Clayton, médusé, voyait Oswald en train de se battre avec... Lui-même. Sa main gauche essayait d’appuyer sur un bouton, et la droite tentait de le stopper. Il se décocha ensuite des poings en pleine figure, et se mit à hurler. Sa voix malade jaillissait des haut-parleurs.
« Tu... Tu ne comprends donc pas ?! Arrête !... Je... Je te stopperai, monstre ! Plus rien ne peut l’arrêter !! »
Pour Clayton, tout ça était incompréhensible, et il en arriva à la première théorie : Oswald était totalement cinglé, et était en train de trafiquer quelque chose dans ce bureau. Il regarda lentement autour de lui. Le Cœur de la Machine était en train de bourdonner dangereusement, et un immense portail était en train de s’ouvrir devant.
« Oh oui, mes enfants !! Laissez la Félicité s’ouvrir à vous !! Accueillons ensemble le Rédempteur !! Accueillons celui qui nous sauvera de la perdition !! Accueillons-le, et chérissons sa bénédiction, louons-là !! Louons-là, et vénérons-là !! »
Par-delà les vrombissements, Clayton entendit les hurlements des hommes-porcs.
« Merde, ils affluent en masse ! »
Les évènements se précipitaient, et Clayton s’avança droit devant lui, vers une trappe menant à un escalier de maintenance en fer rouillé.
« Je ne sais pas pour vous, mais je ne compte pas rester là pendant qu’ils arriveront pour nous bouffer ! Il faut trouver les pompes qui alimentent ce machin, et les couper ! »
Autrement dit, il fallait en finir.